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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 2 mai 2002, n° 02-01391

PARIS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Barbarin

Avocat général :

M. Laudet

Conseillers :

Mmes Fouquet, Géraud-Charvet

Avocats :

Mes Escande, Lévy, Barthélémy.

TGI Paris, 31e ch., du 14 déc. 2001

14 décembre 2001

RAPPEL DE LA PROCEDURE:

LA PREVENTION :

Par exploits en date des 26 juillet 2000 et 12 février 2001, la SA "Le Creuset et le Syndicat UNITAM ont fait citer directement M. Pierre-Francis X, devant le Tribunal correctionnel de Paris, des chefs de publicité fausse ou de nature à induire en erreur et d'apposition sur un objet fabriqué du nom d'un lieu autre que celui de la fabrication, faits commis à Paris en février 2000, prévus et réprimés par les articles L. 121-1 du Code de la consommation, L. 217-1 et L. 216-9 du même Code.

Ils ont fait citer également la SA Y en qualité de civilement responsable.

LE JUGEMENT :

Le tribunal, par jugement contradictoire a :

- relaxé Pierre-Francis X du chef d'apposition sur un objet fabriqué du nom d'un lieu autre que celui de la fabrication,

- déclaré le prévenu coupable de publicité fausse ou de nature à induire en erreur,

- condamné le prévenu de ce chef, à 20 000 F d'amende.

Sur l'action civile : le tribunal a déclaré recevable les constitutions de partie civile de la société Le Creuset et du syndicat UNITAM,

a condamné Pierre-Francis X à payer à la société Le Creuset la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts,

a ordonné à l'encontre du prévenu, la publication, à ses frais, dans les magazines "Elle à table" et "Cuisine actuelle" à paraître dès que le jugement aura acquis un caractère définitif, du communiqué suivant : "Par jugement en date du 30 novembre 2001, Pierre-Francis X, président du conseil d'administration de la société anonyme Y a été condamné à une peine d'amende ainsi qu'au versement de dommages et intérêts au bénéfice de la société Le Creuset et du syndicat UNITAM pour avoir commis le délit de publicité mensongère en alléguant faussement, par la mention "Y fondeur en Alsace ", que les cocottes en fonte qu'il commercialisait étaient fabriquées en Alsace, par la société X "

a déclaré la société anonyme Y civilement responsable des condamnations pécuniaires ci-dessus prononcées dans le cadre de l'action civile, a ordonné l'exécution provisoire de la décision concernant les condamnations pécuniaires prononcées à titre de dommages et intérêts,

a condamné Pierre-Francis X à payer à la société Le Creuset la somme de 2 500 F sur le fondement de l'article 475-l du Code de procédure pénale,

a condamné Pierre-Francis X à payer au syndicat UNITAM la somme de 2 500 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Le tribunal a débouté les parties civiles et le prévenu de leurs demandes plus amples ou contraires.

DÉCISION :

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels régulièrement interjetés par le prévenu, la société civilement responsable, le Ministère Public et les parties civiles à l'encontre du jugement déféré.

A l'audience du 21 mars 2002, la société Le Creuset et le syndicat UNITAM, représentés par leur conseil, demandent à la cour, par voie de conclusions conjointes de :

- faire application à Monsieur Francis X et à la société Y de la loi pénale.

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté que Monsieur Francis X a commis le délit de publicité mensongère tel que prévu et réprimé par l'article L. 121-l du Code de la consommation.

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Monsieur Francis X à verser au syndicat UNITAM, la somme de 5 000 F (soit 762,25 euros) à titre de dommages et intérêts.

Le réformant pour le surplus, de :

- condamner Monsieur Francis X à verser à la société Le Creuset, la somme de 100 000 F (soit 15 244,90 euros) à titre de dommages et intérêts.

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans au moins cinq journaux au choix de la société Le Creuset et du syndicat UNITAM et aux frais de Monsieur X, et dire et juger que le coût de chacune de ces publications ne saurait être inférieur à la somme de 30 000 F (soit 4573,47 euros).

- dire et juger que la société Y sera civilement responsable des agissements de son président, Monsieur Francis X, et la condamner en conséquence,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Monsieur Francis X à verser à la société Le Creuset et au syndicat UNITAM la somme de 2 500 F chacun (soit 381,12 euros) au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

Y ajoutant, de :

- condamner Monsieur Francis X à verser à la société Le Creuset et au syndicat UNITAM, la somme de 1 000 euros chacun sur le même fondement.

M. Francis X et la SA Y, cette dernière citée comme civilement responsable, demandent à la cour, par voie de conclusions conjointes de :

- déclarer Monsieur Francis X et la société Y recevables et bien fondées en leurs appels,

- confirmer le jugement en ce qu'il a relaxé Monsieur Francis X du délit d'apposition frauduleuse d'un nom autre que celui du lieu de fabrication du produit, au sens de l'article L. 217-1 du Code de la consommation.

- infirmer le jugement en ce qu'il a reconnu Monsieur Francis X coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, en application des dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation et en ce qu'il a déclaré la société Y civilement responsable,

Et statuant à nouveau ; de :

- débouter la société Le Creuset et le syndicat UNITAM de l'ensemble de leurs demandes à l'encontre de la société Y et de son dirigeant Monsieur Francis X,

- recevoir la société Y et Monsieur Francis X en leurs demandes reconventionnelles et y faisant droit,

- condamner la société Le Creuset et le syndicat UNITAM à verser à Monsieur Francis X la somme de 8 000 euros et à la société Y la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamner la société Le Creuset et le syndicat UNITAM à verser à Monsieur Francis X et à la société Y à chacun la somme de 4 500 euros au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Sur ce, LA COUR,

I - Rappel des faits

La S

société "Le Creuset" et le syndicat UNITAM ont fait valoir, dans leurs citations conjointes, qu'ils avaient constaté que la société Y accompagnait la vente de ses produits, en l'espèce des cocottes en fonte, de la mention "Y fondeur en Alsace", mention qui figure notamment dans ses dépliants publicitaires et sur un tissu disposé sur le produit ; que cette mention constitue une publicité de nature à induire en erreur, notamment, sur l'origine du produit ou l'identité du fabricant, au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation ; que, d'autre part, l'article L. 217-1 du Code de la consommation réprime le fait d'avoir apposé sur un produit le nom d'un lieu autre que celui de sa fabrication.

Les requérants soutiennent que le syndicat UNITAM a été amené, au mois de mai 1999, à mettre en demeure la société Y de cesser ses agissements qui préjudicient à l'ensemble de la profession ; que ces mises en demeure sont demeurées vaines puisqu'ils ont constaté :

- que la société Y, lors d'un récent salon professionnel tenu à Francfort du 18 au 22 février 2000 continuait à utiliser la mention "Y fondeur en Alsace" accompagnée en outre de la précision suivante : "tout commence en 1899", laissant ainsi entendre que les activités de la société Y remonteraient à 1899, alors que cette société n'a jamais eu la moindre activité de fondeur et a été constituée en 1974 ; que ces faits ont fait l'objet d'une procédure diligentée en Allemagne.

- que la société Y exposait, en particulier au BHV à Paris, au rayon des articles de cuisine, ses produits accompagnés d'une importante publicité. Ils exposent qu'il résulte d'un constat dressé le 28 février 2000 par Maître Duparc, huissier, commis par ordonnance du Président du Tribunal de commerce de Paris, que les cocottes de marque Y exposées présentaient toutes le coin d'un carré de tissu blanc, coincé entre le récipient et le couvercle, coin de tissu qui portait la mention "Y" en lettres rouges, surmontée d'une cigogne et, en dessous, la mention "fondeur en Alsace - France" en lettres noires. Que l'huissier a également constaté qu'à l'intérieur de la cocotte se trouvait un livret de mode d'emploi et de recettes sur lequel figurait, sur les pages de garde du début et de fin, repliées intérieurement, la mention "Y fondeur en Alsace - France" surmontée d'une cigogne.

II - Sur la prévention d'apposition sur un objet fabriqué du nom d'un lieu autre que celui de sa fabrication

Il résulte du constat effectué le 28 février 2000 par Maître Duparc, huissier, au rayon des articles de cuisine du magasin le BHV à Paris, que les mentions "Y, fondeur en Alsace" surmontées d'une cigogne figuraient sur un coin de tissu coincé entre les récipients et les couvercles des cocottes en fonte exposées ainsi que sur le mode d'emploi, et non sur ces objets eux-mêmes. Dès lors, c'est à juste titre sur les premiers juges ont relaxé le prévenu de ce chef.

III - Sur la prévention de publicité fausse ou de nature à induire en erreur

Pierre-Francis X fait valoir, dans ses écritures, qu'il a fondé en 1974, la société Y qui bénéficie en Alsace d'une implantation ancienne puisque l'un de ses aïeux, Z, fabriquait des articles de cuisine à Colmar en 1892 ; que la cocotte en fonte Y fait partie du patrimoine alsacien, et que ce rattachement historique et géographique à la région d'Alsace explique le choix de la mention critiquée "Y fondeur en Alsace".

Il soutient que, même si la coulée de fonte proprement dite est confiée à deux sous-traitants qui exercent leur activité à Merville dans le Nord et à Guise dans les Ardennes, ces cocottes ont bien pour origine la région Alsace. Qu'en effet, c'est au siège de la société Y, dans le Haut Rhin, que sont créés, par le bureau de désign tous ses modèles d'articles de cuisine, que les plans et cotes de fabrication sont élaborés par le bureau d'études de la société, lequel définit en outre la quantité de fonte nécessaire à la réalisation de l'objet en cause, ce qui permet la mise au point de moules ou plaques modèles, fabriqués en Alsace, qui sont apportés à la fonderie. Que les produits "bruts de fonderie" sont ensuite terminés, c'est à dire grenaillés et émaillés, dans l'usine Y de la Roche La Molière, près de Saint-Etienne et que les produits finis sont enfin retournés au siège de la société où ils sont conditionnés.

Enfin, le prévenu fait valoir que le lieu de fonte des produits Y n'est pas la cause déterminante de leur achat.

Sur ce dernier point, la cour observe que l'argument est inopérant dès lors que l'article L. 121-1 du Code de la consommation interdit toute publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur certains éléments visés expressément par le texte, peu important que ladite publicité ait été déterminante pour le consommateur et que des contrats aient même été conclus.

Sur le fond, Pierre Francis Y reconnaît que les cocottes qu'il met sur le marché ne sont pas fondues en Alsace, mais dans des fonderies situées dans le Nord de la France et dans les Ardennes et que l'émaillage est réalisé dans une usine rachetée par la société qu'il dirige près de Saint-Etienne, toutes ces opérations étant réalisées hors d'Alsace.

Par ailleurs, la publicité incriminée laisse entendre que la fonderie est l'activité principale de la société Y. Or le dictionnaire Larousse définit le fondeur comme une personne qui dirige une entreprise ou un atelier de fonderie, c'est-à-dire un lieu où l'on fond les métaux et les alliages.

En conséquence, la société Y n'exerçant pas l'activité de fondeur et faisant fondre ses cocottes dans d'autres régions que l'Alsace, la mention "Y fondeur en Alsace" est de nature à induire en erreur le consommateur sur l'identité du fabriquant et l'origine du produit,et il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré Pierre Francis S. coupable de publicité fausse ou de nature à induire en erreur.

La cour confirmera également le jugement en ce qu'il a condamné M. X à une amende de 20 000 F, soit 3 048 euros et 98 centimes.

IV- Sur l'action civile de la société Le Creuset

La société Le Creuset soutient qu'à travers l'allégation mensongère "Y fondeur en Alsace", la société Y cherche à "détourner la notoriété des cocottes Le Creuset à son profit, voire à induire dans l'esprit du consommateur l'idée que ses cocottes sont fabriquées selon les mêmes procédés que ceux qu'elle emploie et répondent aux mêmes exigences de qualité" ; que de tels agissements, qui caractérisent des actes de concurrence déloyale à son encontre, portent atteinte aux efforts qu'elle a consacrés au développement de ses produits et à leur promotion. Elle demande à la cour de majorer les dommages intérêts qui lui ont été alloués en première instance, "étant rappelé que la tromperie volontairement entretenue par la société Y porte sur des éléments déterminants l'acte d'achats pour ce type d'article."

Or il convient de rappeler que la cour n'est pas saisie d'une tromperie, mais d'une publicité mensongère, peu importe que la publicité soit déterminante de l'achat.

Par ailleurs la partie civile n'établit nullement qu'elle ait subi un préjudice résultant directement pour elle de cette infraction. Il convient, dès lors, de la débouter de l'ensemble de ses demandes.

V - Sur l'action civile du syndicat UNITAM

L'union intersyndicale des fabricants d'articles pour la table, le ménage et activités connexes, est chargée de défendre l'intérêt collectif de la profession. Dès lors, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il lui a octroyé la somme de 5 000 F (soit 762,25 euros) à titre de dommages intérêts,qui constitue une juste appréciation de son préjudice.

Il convient également de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. X à payer au syndicat UNITAM la somme de 2 500 F (soit 381,12 euros) et, y ajoutant, d'octroyer à la partie civile la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles élevés en cause d'appel.

La cour déboutera le syndicat UNITAM de sa demande de publication du présent arrêt, la prévention portant sur une très courte période et la société Y ayant cessé d'utiliser la publicité litigieuse dès le mois de juillet 1999, à la demande d'ailleurs du syndicat UNITAM.

Enfin, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la société Y civilement responsable.

V - Sur les demandes de M. X

La cour ayant confirmé le jugement sur la déclaration de culpabilité, il y a lieu de débouter M. X de sa demande à l'égard des parties civiles pour abus de citation directe.

Par ailleurs, le prévenu ne saurait réclamer des sommes en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, le bénéfice de ces dispositions étant réservé aux parties civiles.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels du prévenu, de la société Y, du Ministère Public et des parties civiles, Confirme le jugement déféré sur la relaxe du chef d'apposition sur un objet fabriqué du nom d'un lieu autre que celui de sa fabrication, Confirme le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité du chef de publicité mensongère et sur le montant de l'amende prononcée, Déboute la société Le Creuset, partie civile, de l'ensemble de ses demandes, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné M. X à payer au syndicat UNITAM la somme de 5 000 F (soit 762,25 euros) à titre de dommages-intérêts et celle de 2 500 F (soit 381,12 euros) en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Y ajoutant, Condamne M. X à payer au syndicat UNITAM la somme supplémentaire de 500 euros au titre des frais irrépétibles élevés en cause d'appel, Déboute le syndicat UNITAM du surplus de ses demandes, Confirme le jugement en ce qu'il a déclaré la société Y civilement responsable, Déboute M. X de ses demandes à l'égard des parties civiles ; Condamne M. X aux dépens de l'action civile.