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Décisions

CA Paris, 14e ch. A, 4 décembre 2002, n° 2002-18040

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Télé 2 France (Sté)

Défendeur :

France Télécom (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lacabarats

Conseillers :

MM. Pellegrin, Beaufrère

Avoués :

SCP Bernabe-Chardin, Me Beaufumé

Avocats :

Mes Justier, Tranthiet, Bilalian.

T. com. ord. réf., du 17 sept. 2002

17 septembre 2002

Vu l'appel formé le 25 septembre 2002 par la société Télé 2 France d'une ordonnance rendue le 17 septembre 2002 par le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris, qui lui a enjoint, sous astreinte de 15 000 euros par infraction constatée, de cesser une campagne publicitaire,

Vu l'autorisation d'assigner à jour fixe du 4 octobre 2002,

Vu les conclusions du 3 octobre 2002, par lesquelles la société Télé 2 France demande à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise, subsidiairement de la réformer et de dire que les publicités litigieuses sont conformes aux dispositions de l'article L. 121-8. 2° du Code de la consommation, et de condamner la société France Télécom à lui payer la somme de 12 500 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Vu les conclusions du 5 novembre 2002, par lesquelles la société France Télécom demande à la cour de confirmer l'ordonnance attaquée et de condamner la société Télé 2 France à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

Considérant que la société Télé 2 France a entrepris au mois de septembre 2002 une campagne de publicité par voie de presse et de spots télévisés, fondée sur une comparaison de son tarif de base de communications téléphoniques avec celui du forfait 3 heures " Heures France " de la société France Télécom que l'ensemble de cette campagne met ainsi en parallèle la durée de communication offerte aux consommateurs pour une dépense d'un euro, présentée comme étant de 63 minutes pour un appel local avec la société Télé 2 France, contre 18 minutes pour le forfait retenu de la société France Télécom, et de 26 minutes pour un appel national avec la société Télé 2 France, contre 18 minutes pour le forfait de la société France Télécom ; qu'estimant que ces publicités présentent un caractère manifestement illicite, la société France Télécom a assigné la société Télé 2 France en référé pour en voir ordonner leur cessation sous astreinte ; que le premier juge a fait droit à cette demande ;

Considérant, sur la procédure, que la société France Télécom ne tire pas de conséquences précises des critiques contenues dans ses dernières écritures sur l'autorisation d'assigner à jour fixe, donnée par le premier président de la cour d'appel, selon elle, sans démonstration d'un péril par la société Télé 2 France qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen ;

Considérant, sur le fond du référé, qu'aux termes de l'article L. 121-8 du Code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 23 août 2001, toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent, n'est licite qu'à la condition de n'être pas trompeuse ou de nature à induire en erreur, de porter sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif et de comparer objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie ;

Considérant que la société France Télécom soutient en premier lieu que la campagne de publicité de la société Télé 2 France présente pour elle un dommage imminent que le juge des référés se doit de prévenir ;

Mais considérant que, dans un cadre de libre concurrence entre les différents opérateurs téléphoniques présents sur un marché, les publicités effectuées par l'un d'entre eux pour convaincre les consommateurs d'utiliser ses services plutôt que ceux de ses concurrents ne constituent pas un dommage imminent au sens de l'article 873, alinéa 1, du nouveau Code de procédure civile, permettant au juge des référés commerciaux d'interdire, pour ce seul motif, la diffusion des publicités incriminées ; que le moyen de la société France Télécom n'est pas fondé ;

Considérant, en deuxième lieu, que pour solliciter la confirmation de l'ordonnance qui a fait droit à sa demande, la société France Télécom soutient que la campagne de publicité de la société Télé 2 France est illicite, dès lors que la comparaison tarifaire qui y figure ne porte pas sur des services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif, ni sur des caractéristiques représentatives des services en comparaison, et qu'elle comporte en outre un caractère dénigrant, notamment pour les spots de publicité télévisée ;

Mais considérant que le trouble invoqué par la société France Télécom ne présente pas, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, un caractère illicite suffisamment manifeste pour justifier une mesure d'interdiction immédiate et ne résulte pas, en particulier, du fait que les publicités comparent un tarif de base, qui est le seul pratiqué par la société Télé 2 France, à un forfait de la société France Télécom fortement promu par elle dans le public et qui lui est à l'évidence destiné, ni, s'agissant d'offres de télécommunications "grand public" indifférenciées et non d'un public de professionnels spécialisés, de la prétendue segmentation du marché invoquée par la société France Télécom, qui n'est pas perceptible par le consommateur moyen ;que les caractéristiques du forfait " Heures France - 3 heures ", et notamment l'avantage tarifaire qu'il comporte pour les communications " nationales " au détriment des communications " locales ", qui n'est pas présenté publiquement en ces termes par la société France Télécom, ne constitue pas une différenciation visible des besoins et des services en cause ;que les parties s'appuient sur des enquêtes contraires pour déterminer si les durées de communications figurant dans les publicités de la société Télé 2 France sont ou non représentatives du marché grand public des télécommunications ; qu'enfin, la présentation d'un consommateur de la société France Télécom " austère " et se trouvant dans l'incapacité de profiter de sa communications téléphonique faute de durée suffisante, alors que le consommateur de la société Télé 2 France s'exprime joyeusement au téléphone dans le même temps, n'est pas, dans un cadre publicitaire où les attitudes sont fréquemment caricaturées, un dénigrement manifestement fautif de l'intimée ;

Considérant, cependant, que les dispositions précitées du Code de la consommation, qui visent à assurer aux consommateurs une information exacte et transparente sur les produits et services offerts et qui ne tend qu'indirectement à garantir une concurrence loyale entre les vendeurs, exige que la publicité comparative ne soit pas de nature à induire en erreur ;

Or, considérant que la campagne de publicité de la société Télé 2 France compare un tarif, celui de la société France Télécom, où il n'existe pas de crédit temps par appel, avec un autre, le sien, qui comporte un crédit temps ; que la société France Télécom fait valoir à juste titre que la facturation au temps passé dès le début de la communication, dite " facturation à la seconde ", assure au consommateur une parfaite adéquation entre la durée de la communication et son coût, alors que l'existence d'un crédit temps, qui correspond à une facturation minimale initiale quel que soit le temps de communication réel, introduit un élément de distorsion renchérissant le coût réel des appels répétés de courte durée ;

Considérant que, consciente des effets de cette différence tarifaire, la société Télé 2 France indique dans les publicités litigieuses que la comparaison est établie " sur la base d'un appel ininterrompu d'un montant d'un euro, crédit temps inclus " ;que cette seule mention, inscrite en petits caractères par renvoi d'astérisque dans les publicités de presse et sous forme de texte se déroulant en bas d'écran pour les spots télévisés, ne permet pas au consommateur d'appréhender instantanément les conséquences des précisions, pourtant essentielles, ainsi portées à sa connaissance ;qu'en particulier, les publicités en cause de la société Télé 2 France ne précisent pas la durée du crédit temps appliqué et n'expliquent pas, d'une quelconque manière, pourquoi la comparaison porte sur des appels téléphoniques " ininterrompus " ;qu'ainsi présentées, les publicités comparatives en cause sont, sinon trompeuses, du moins manifestement de nature à induire en erreur, en ne prévenant pas clairement le consommateur potentiel que les tarifs affichés dépendent étroitement de la durée des communications et qu'en fait, la comparaison présentée n'est parfaitement exacte que dans l'hypothèse d'une communication téléphonique correspondant à la totalité du temps retenu pour une dépense d'un euro ;que ces motifs, substitués à ceux du premier juge, justifient la mesure d'interdiction prononcée ; qu'il convient de confirmer l'ordonnance entreprise et de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, comme indiqué au dispositif de l'arrêt ;

Par ces motifs, LA COUR, Déclare recevable l'appel de la société Télé 2 France; Confirme l'ordonnance du juge des référés du Tribunal de commerce de Paris du 17 septembre 2002; Condamne la société Télé 2 France à payer à la société France Télécom la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Télé 2 France aux dépens, qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.