CA Paris, 4e ch. A, 20 novembre 2002, n° 2001-14711
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Couperie Eiffel
Défendeur :
Savour Club (SA), Savour Club Sélection (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland
Avoués :
Mes Teytaud, Baufumé
Avocats :
Me Bouvier-Ravon, SCP H. Boerner-JD Boerner.
Les sociétés Savour Club et Savour Club Sélection, qui ont pour activité la vente par correspondance de tous articles, en particulier devins fins et spiritueux, sont respectivement titulaires des marques dénominatives suivantes
- "Savour", déposée le 26 mai 1999, enregistrée sous le n° 99 793 801, pour désigner notamment les services de télécommunications, notamment par Internet, communication par terminaux d'ordinateurs, relevant de la classe 38,
- "Savour Club", renouvelée le 4 août 10992, enregistrée sous le n° 1.212.166, pour désigner notamment des vins, spiritueux, liqueurs.
La société Savour Club est également titulaire du nom de domaine "lesavourclub.com" et "lesavour-club.com" et exploite un site Internet sous le nom "le savour-club.fr" qui permet la distribution gratuite de la revue "Savour" et la vente de vins par correspondance.
Reprochant à Philippe Couperie-Eiffel d'avoir inséré dans le site Internet qu'il exploite sous le nom de domaine www.vin.eiffel" une page html ayant pour titre "savourclub.htm", les sociétés Savour Club et Savour Club Sélection, après avoir fait dresser un procès-verbal de constat par un agent assermenté de l'Agence pour la Protection des Programmes dite APP, le 27 juillet 2000, ont saisi le Tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir constater des actes de contrefaçon de marques, d'atteinte à leurs dénominations sociales, noms de domaine et de concurrence déloyale.
Par jugement du 7 mai 2001, le tribunal a :
- dit que Philippe Couperie-Eiffel en insérant dans son site Internet "vin-eiffel.com" une page html "savour club" et en reproduisant cette dénomination sur la page d'accueil de celui-ci, sans l'autorisation des sociétés Savour Club et Savour Club Sélection a commis des actes de contrefaçon des marques "Savour" et "Savour Club" et des actes de concurrence déloyale par la reproduction de leurs dénominations sociales, de leurs noms commerciaux et de leurs noms de domaine,
- interdit la poursuite de ces actes illicites et notamment ordonné la suppression de la page html litigieuse sur le site "vins-eiffel.com" dans le délai de 8 jours après la signification de la décision, sous astreinte de 1 000 F par jour de retard passé ce délai,
- condamné Philippe Couperie-Eiffel à payer aux sociétés Savour Club et Savour Club Sélection chacune la somme de 50 000 F au titre des actes de contrefaçon de marques et la somme de 50 000 F au titre des actes de concurrence déloyale,
- autorisé les sociétés Savour à publier le dispositif du jugement dans deux journaux ou revues de leur choix, aux frais de Philippe Couperie-Eiffel, dans la limite de 25 000 F HT par insertion,
- condamné Philippe Couperie-Eiffel à payer aux sociétés Savour la somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
LA COUR,
Vu l'appel de cette décision interjeté le 12 juillet 2001 par Philippe Couperie-Eiffel;
Vu les dernières écritures signifiées le 7 août 2002 par lesquelles Philippe Couperie-Eiffel, poursuivant la réformation du jugement entrepris, soulève à titre principal la fin de non recevoir tirée de la transaction intervenue entre les parties sur les propositions des 20 septembre et 26 octobre 2000 et demande qu'il lui soit donné acte de son offre de régler la somme de 1 448,25 euros contre désistement d'instance et d'action de la société Savour Club, réclamant en outre la condamnation des intimées à lui payer la somme de 7 622,45 euros à titre de dommages-intérêts, à titre subsidiaire, faisant valoir que les produits commercialisés sont similaires et non pas identiques, invoque l'absence de risque de confusion ainsi que sa bonne foi, conclut que l'utilisation de la marque "Savour Club " sur le site Internet "www.eiffel.com" n'est constitutif ni de contrefaçon, ni de concurrence déloyale et sollicite l'allocation d'une somme de 4 573,47 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les dernières écritures signifiées le 21 août 2002 aux termes desquelles les sociétés Savour Club et Savour Club Sélection, ci-après Savour, invoquant l'absence d'accord intervenu entre les parties, concluent à l'irrecevabilité et au mal fondé de la fin de non-recevoir opposée par l'appelant et estimant qu'elle a été soulevée tardivement demandent à la cour de le condamner à leur payer la somme de 7 600 euros à titre de dommagesintérêts, pour le surplus, sollicitent la confirmation du jugement entrepris sauf sur le montant des dommages-intérêts qu'elles demandent de majorer d'une somme complémentaire globale de 10 000 euros, réclamant en outre l'allocation de celle de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Sur quoi,
- Sur la fin de non recevoir tirée de la transaction :
Considérant que Philippe Couperie-Eiffel prétend qu'une transaction est intervenue entre les parties aux termes de laquelle la société Savour Club s'est engagée à se désister de l'action par elle introduite en échange du règlement par lui-même d'une somme de 9 300 F, soit 1 417,78 euros ;
Considérant que l'assignation a été délivrée le 8 août 2000 qu'en réponse à une correspondance de Philippe Couperie-Eiffel datée du 10 août 2000, la société Savour Club lui a proposé, dans une lettre datée du 20 septembre suivant, de se désister de sort action dès réception d'un règlement de 9 300 F représentant la moitié des trais de procédure déjà engagés par elle ; que Philippe Couperie-Eiffel a répondu, le 18 octobre 2000, avoir sollicité la responsabilité de la société Realitel, à laquelle il avait confié la réalisation et mise en ligne du site Internet litigieux, et a proposé de prendre à sa charge le tiers de la somme réclamée, soit 3 100 F ; que par lettre datée du 26 octobre 2000, la société Savour Club a maintenu sa proposition initiale impartissant à Philippe Couperie-Eiffel un délai de quinzaine pour faire parvenir sa réponse ; que le 8 décembre 2000, soit postérieurement au délai imparti par la société Savour Club, Philippe Couperie-Eiffel lui adressait un chèque d'un montant de 4 500 F représentant la moitié de la somme réclamée à titre transactionnel ; que le second chèque d'un montant de 5 000 F, dont une photocopie est produite aux débats, revêtu de la date d'avril 2001, sans précision du jour et accompagné d'une lettre datée du 10 avril 2001, n'est pas parvenue au conseil des sociétés Savour, l'adresse étant inexactement libellée ;
Que Philippe Couperie-Eiffel invoque donc en vain la proposition de règlement de la somme de 9 300 F émise par la société Savour Club alors qu'il ne l'a pas exécutée ;
Qu'il s'ensuit aucun accord mettant fin au litige n'est intervenu entre les parties et que la fin de non recevoir tirée d'une transaction doit être rejetée ;
Considérant toutefois que les sociétés Savour ne rapportent pas la preuve que Philippe Couperie-Eiffel s'est abstenu, dans une intention dilatoire, de soulever plus tôt cette exception ; qu'il ne sera donc pas fait droit à leur demande de dommages-intérêts fondée sur les dispositions de l'article 123 du nouveau Code de procédure civile ;
- Sur la contrefaçon de marques :
Considérant qu'il ressort du procès-verbal de constat dressé le 27 juillet 2000 par un agent assermenté de l'APP qu'en effectuant une recherche sur le réseau Internet, à partir de la dénomination "Savour Club", à l'aide du moteur de recherches "voila", un site intitulé "Savour Club" est proposé à l'adresse "www. vin.eiffel.com" ; que cette adresse permet l'accès à une page web qui comporte les informations suivantes :
"Au Savour Club, les bouchons sautent !... Aussi bien que les chevaux ... Le savour club, première entreprise de vente de vins fins par correspondance, propose près de 200 vins des différentes régions de France. Nombre d'entre eux ont été sélectionnés avec la participation des chefs les plus renommés... Venez découvrir ces vins d'un excellent rapport qualité-prix dans les caves du Savour Club et recevez gratuitement la revue du Savour Club en répondant au formulaire ci-après" ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que ce site est exploité par Philippe Couperie-Eiffel, qui gère le domaine viticole du Château de Bacon, dans le bordelais, ayant pour activité outre la commercialisation de vin, l'élevage et la vente de chevaux ;
Considérant qu'en faisant usage de la dénomination "Savour Club" pour désigner la vente de vins par correspondance, Philippe Couperie-Eiffel a commis des actes de contrefaçon par reproduction de la marque "Savour Club" n° 1.212.166, qui désigne des vins ; qu'il s'agit bien de produits identiques, le fait que le site incriminé ait pour objet outre la promotion de vins, celle d'activités en rapport avec le milieu équestre étant sans incidence sur la contrefaçon ;
Considérant, s'agissant de la marque "Savour", qu'elle désigne les télécommunications notamment par Internet ;
Considérant qu'en l'absence de reproduction à l'identique, il convient de rechercher s'il existe entre les dénominations en cause un risque de confusion ; que ce risque doit être apprécié globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, notamment de la connaissance de la marque sur le marché ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient l'appelant, la renommée attachée à la marque "Savour" loin d'exclure le risque de confusion, est de nature à l'aggraver dès lors que cette dénomination est utilisée sur le site "www.eiffel.com" pour promouvoir la vente de vins fins par correspondance, activité par laquelle les sociétés Savour sont connues de leur clientèle ;
Que l'utilisation par Philippe Couperie-Eiffel de la dénomination "Savour Club" est donc constitutive de contrefaçon par imitation de la marque "Savour" ;
- Sur la concurrence déloyale :
Considérant qu'outre le fait que l'exploitation du site litigieux caractérise un usage injustifié des dénominations sociales, noms commerciaux et noms de domaine des sociétés Savour, Philippe Couperie-Eiffel a tenté de s'approprier la renommée qu'elles ont acquises dans le domaine de la vente par correspondance de vins fins;
Qu'en effet, il ressort de la comparaison des deux sites en cause, dont des pages sont reproduites sur le procès-verbal de constat établi par un agent de l'APP, que Philippe Couperie-Eiffel mentionne, dans la page d'accueil de son site, comme les sociétés Savour, la participation de grands chefs à la sélection des vins et propose l'envoi gratuit d'une revue que cette reprise de la dénomination "Savour Club " pour promouvoir la vente de vins est de nature à créer un risque de confusion sur l'origine des produits et caractérise un comportement fautif préjudiciable aux intimés, d'autant que la revue proposée n'est jamais parvenue à son destinataire comme l'établit le constat du 1er septembre 2000 ;
Que Philippe Couperie-Eiffel invoque vainement sa bonne foi alors qu'il résulte de la lettre que lui a adressée la société Réalitel, le 10 août 2000, qu'il a lui-même remis à cette dernière la plaquette ayant pour sujet, le Savour Club, aux fins qu'elle soit reproduite sur le site Internet ;
Que le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a retenu des faits distincts de concurrence déloyale ;
- Sur les mesures réparatrices :
Considérant que les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice subi par les intimées en leur allouant à chacune la somme de 50 000 F au titre de la contrefaçon de marque et celle de 50 000 F au titre des actes de concurrence déloyale ;
Que les mesures d'interdiction et de publication, qui apparaissent justifiées, seront également confirmées, sauf à préciser que les publications feront mention du présent arrêt ;
Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier aux sociétés Savour, la somme complémentaire de 5 000 euros devant lui être allouée à ce titre ;
Considérant que la solution du litige commande de rejeter la demande de dommages-intérêts et sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile formées par Philippe Couperie-Eiffel ;
Par ces motifs : Rejette la fin de non recevoir tirée d'une transaction, Confirme le jugement entrepris, Y ajoutant, Dit que la mesure de publication fera mention du présent arrêt, Condamne Philippe Couperie-Eiffel à payer aux sociétés Savour Club et Savour Club Sélection la somme complémentaire de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, au titre de leurs frais irrépétibles devant la cour, Condamne Philippe Couperie-Eiffel aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.