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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 20 novembre 2002, n° 2000-18930

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Rayon For (SARL), Indécor Europe (Sté)

Défendeur :

Le Blanc (EURL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland

Avoués :

Mes Baufumé, Melun, SCP Duboscq Pellerin

Avocats :

Mes Burg, Even-Myon, Falkman.

T. com. Paris, 12e ch., du 27 juin 2000

27 juin 2000

Revendiquant la titularité de droits d'auteur sur un modèle de coussinets de coton brodés à la main, la société Le Blanc, après avoir fait pratiquer une saisie contrefaçon, le 11 mars 1999, au magasin de la société Rayon For, a assigné cette dernière et son fournisseur, la société Indécor Europe, devant le Tribunal de commerce de Paris en constatation d'actes de contrefaçon et de concurrence déloyale.

Par jugement du 27 juin 2000, le tribunal a :

- dit que la société Le Blanc est titulaire des droits d'auteur sur les coussinets brodés sur lesquels tigurent les dessins : Fleurette, Bouquet, Coquillage, Grosse Rose, Marguerite, Lavande, Raisin, Violette, Tulipe, Pensée, Rose Redouté, Anémone,

- dit que la société Indécor Europe et la société Rayon For se sont rendues coupables de contrefaçon et de concurrence déloyale à l'égard de la société Le Blanc,

- fait interdiction aux sociétés Indécor Europe et Rayon For de poursuivre leurs agissements sous astreinte de 5 000 F par infraction constatée,

- ordonné la publication de la décision,

- condamné in solidum les sociétés Indécor Europe et Rayon For à payer à la société Le Blanc la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts et la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

LA COUR,

Vu l'appel de cette décision interjeté le 27 septembre 2000 par la société Rayon For et la société Indécor Europe

Vu les dernières conclusions en date du 14 octobre 2002 par lesquelles la société Indécor Europe, poursuivant l'infirmation de la décision entreprise et sollicitant le rejet des débats des conclusions signifiées par la société Le Blanc, le 10 octobre 2002, soutient que les modèles revendiqués ne révèlent aucune empreinte de la personnalité de leur auteur. ont été utilisés couramment par des tiers avant leur exploitation par la société Le Blanc et demande à la cour de débouter celle-ci de toutes ses demandes et de la condamner au paiement de la somme de 300 000 F en réparation du préjudice subi du fait de la saisie contrefaçon pratiquée dans les locaux de sa cliente, la société Rayon For, de la somme de 100 000 F pour procédure abusive et de celle de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Vu les dernières écritures en date du 14 octobre 2002 aux termes desquelles la société Rayon For, sollicite le rejet des débats des écritures signifiées par la société Le Blanc, le 10 octobre 2002 et poursuit l'infirmation de la décision déférée, faisant valoir que le modèle n'est pas original, que la société Le Blanc n'est titulaire d'aucun droit privatif, et demande à la cour de débouter celle-ci de toutes ses demandes, de la condamner au paiement de 10 000 euros en réparation du préjudice commercial subi du fait de la saisie contrefaçon, de 7 500 euros pour procédure abusive, subsidiairement de la mettre hors de cause du fait de sa simple qualité d'intermédiaire de bonne foi, très subsidiairement de condamner la société Indécor Europe à la garantir, en tout état de cause de condamner la société Le Blanc à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions en date du 15 octobre 2002 par lesquelles la société Le Blanc, poursuivant la confirmation du jugement entrepris, sauf sur les mesures réparatrices, demande à la cour de rejeter des débats les conclusions signifiées, le 14 octobre 2002, par la société Rayon For ainsi que les pièces communiquée sous les n° 12, 13 et 14 et de condamner in solidum les sociétés Indécor Europe et Rayon For à lui payer la somme de 53 357,16 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon, la somme de 53 357,16 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale, d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux, sans que le coût global n'excède la somme de 22 867,35 euros, de condamner in solidum les sociétés appelantes à lui verser la somme de 15 244,90 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu l'ordonnance de clôture du 15 octobre 2002 ;

Vu les conclusions de procédure signifiées le 16 octobre 2002 par lesquelles la société Rayon For demande à la cour de révoquer l'ordonnance de clôture et de renvoyer les plaidoiries ;

SUR QUOI :

Considérant que les conclusions signifiées par les parties les 10 et 14 octobre 2002 ne soulèvent ni moyens nouveaux, ni prétentions nouvelles que les écritures et pièces communiquées n'appellent aucune réponse ; que de telle sorte, le principe de la contradiction a été respecté et qu'il n'y a donc lieu ni de révoquer l'ordonnance de clôture, ni de renvoyer l'affaire, ni d'écarter des débats les conclusions et pièces échangées ;

Considérant que la société Rayon For soutient que le modèle de sachet pour lavande ne serait pas protégeable faute de dépôt auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle ;

Mais considérant que la société Le Blanc ne revendique pas la protection accordée au titre des dessins et modèles par le livre V du Code de la propriété intellectuelle, mais la protection des œuvres de l'esprit accordée par le livre I du même Code ;

Considérant que les sociétés Rayon For et Indecor Europe prétendent, sans verser aux débats le moindre document, que ne sont originaux ni le concept d'un sachet de lavande décoratif, ni les broderies de fleurs ou de coquillages, empruntant au domaine public et amplement utilisées sur du linge de maison ; qu'elles estiment en conséquence que le modèle qui leur est opposé ne peut être protégé par le droit d'auteur, à défaut d'être original ;

Considérant qu'il ressort de l'examen des sachets que ceux-ci se caractérisent par un coussinet en coton blanc, ayant, en raison de sa bordure plate ajourée, l'aspect dune petite taie d'oreiller carrée et comportant en son centre une broderie représentant de façon stylisée une fleur ou un coquillage ;

Que le modèle "Lavande" se distingue par un bouquet de lavande, incliné, comportant neuf brins, par le dégradé de couleurs vertes et mauves des tiges et des fleurs, par un noeud gris-bleuté reliant les tiges ;

Que le modèle "Coquillage" figure une conque, dont le dégradé de couleurs bleues et turquoise donne un effet de relief à la spirale de la coquille ;

Que le modèle "Raisin" représente trois larges feuilles de vignes reliées à leurs branches spiralées, aux tonalités vertes et nuancées, entourant une grappe de raisin comportant des grains de teinte ivoire ;

Considérant que la combinaison adoptée, caractérisée tant par la forme de taie d'oreiller du sachet que par sa broderie centrale, résulte d'un processus créatif qui confère à ce modèle une apparence originale, lui permettant de bénéficier de la protection par le droit d'auteur ;

Considérant que les sociétés appelantes contestent la titularité des droits de la société Le Blanc au motif qu'elle n'aurait pas conçu les dessins, ni participé à la conception des coussinets ;

Mais considérant qu'il n'est pas contesté que la société Le Blanc, qui a commercialisé, en 1996, des tee-shirts sur lesquels ont figuré certains motifs représentés sur les sachets, a diffusé ses premiers modèles de coussinets brodés pour lavande au mois de décembre 1997 ;

Considérant dès lors, qu'en l'absence de revendication d'un droit d'auteur sur la création litigieuse par une quelconque personne physique, la société Le Blanc qui la commercialise sous son nom est, du fait de cet acte d'exploitation, présumée à l'égard des sociétés appelantes poursuivies pour contrefaçon, titulaire des droits de propriété incorporelle de l'auteur indépendamment de la qualification de l'œuvre ;

Considérant que les sociétés Indécor Europe et Rayon For prétendent également que le modèle qu'elles ont commercialisé a été acheté, le 23 juin 1997, par la société Indecor Europe auprès de la société chinoise Zhejiang, a été distribué par la société Indécor Europe à compter du mois de juillet 1997 et a été acquis, puis vendu par la société Rayon For au mois de juillet 1998 et que le modèle de la société Le Blanc serait ainsi antériorisé ;

Mais considérant que les documents qu'elles produisent, l'offre de vente de la société Zhejiang, l'attestation rédigée par son gérant, s'ils font état de "sachets, toile blanche, broderie en couleur", "housses de coussins en toile avec dessins de fleurs en couleur", référencés sous les n° 4790, 4791, 4792, 4794, 4797, 4796, 4791, 9815, 9816 et 9817, ne permettent pas de déterminer, faute de description d'un quelconque dessin, si ces sachets correspondent à ceux ayant fait l'objet de la saisie ;

Que par ailleurs, les factures produites aux débats le 14 octobre 2002, qui selon la société Rayon For, démontreraient la commercialisation de produits par la société Indécor Europe antérieurement à la société Le Blanc, portent sur des références de produits qui ne sont pas identifiés, sont de simples photocopies et sont datées des 12 et 20 juillet 1997, qui correspondent à un samedi et à un dimanche, ce qui les rend suspectes; que ces factures sont, dans de telles conditions, dépourvues de force probante et doivent être écartées des débats ;

Qu'il s'ensuit que les sociétés Indecor et Rayon For ne démontrent aucun acte de commercialisation effective des produits litigieux. avant la date de diffusion, par la société Le Blanc, de ses premiers modèles, au mois de décembre 1997 ;

Que par voie de conséquence, la société Le Blanc est recevable à agir en contrefaçon ;

Considérant que les sachets commercialisés par les sociétés appelantes, en reprenant la forme carrée du sachet en coton, à l'aspect d'une taie d'oreiller ajourée, le motif de fleur ou de coquillage en son centre, dans les mêmes couleurs, reproduisent servilement les caractéristiques qui sont propres au modèle de la société Le Blanc et en font son originalité ; que l'impression d'ensemble suscitée ne diffère pas ;

Que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a retenu la contrefaçon du modèle ;

Considérant que la société Le Blanc prétend que les sociétés appelantes ont également commis des actes de concurrence déloyale en commercialisant une copie servile de son modèle, à un prix nettement inférieur;

Mais considérant que si ces griefs sont susceptibles d'aggraver le préjudice résultant de la contrefaçon laquelle se définit comme la reproduction intégrale ou partielle de l'œuvre sans l'autorisation de son auteur, ils ne constituent pas des faits distincts de concurrence déloyale; qu'il n'est pas démontré que le prix pratiqué serait vil ou illégal;

Que le grief de concurrence déloyale doit être rejeté ;

Considérant que la mise sur le marché du modèle contrefaisants, vendu, au surplus, à moindre prix et dans une qualité inférieure, a eu nécessairement pour effet de dévaloriser le modèle original, en le banalisant et d'inciter la clientèle à s'en détourner ;

Considérant que les premiers juges ont exactement évalué à 100 000 F, soit 115 244, 90 euros, l'indemnité réparant le préjudice subi par la société Le Blanc ;

Que les mesures d'interdiction, de confiscation et de publication autorisées par le tribunal, seront confirmées sauf à préciser qu'il sera fait mention du présent arrêt ;

Considérant que la société Rayon For soutenant être un revendeur de bonne fui sollicite sa mise hors de cause ;

Que cependant, cette société professionnelle du linge de maison, ne démontre pas qu'elle a pris les précautions nécessaires pour s'assurer que le produit qu'elle achetait était libre de droits ;

Qu'en tout état de cause, elle ne peut exciper de sa borine foi qui reste inopérante en matière de droits d'auteur, devant les juridictions civiles ;

Considérant qu'elle ne peut davantage être admise dans son action en garantie envers la société Indécor Europe, à défaut de stipulations contractuelles le prévoyant ;

Considérant que la solution du litige commande de rejeter les demandes reconventionnelles des sociétés appelantes ;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à la société Le Blanc ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de 5 000 euros ; que les sociétés Indecor Europe et Rayon For qui succombent en leur appel doivent être déboutées de leur demande formée sur ce même fondement ;

Par ces motifs : Dit n'y avoir lieu de rejeter des débats les écritures et pièces signifiées les 10 et 14 octobre 2002, Confirme la décision entreprise, Y ajoutant : Dit que les mesures de publication prononcées par les premiers juges devront faire mention du présent arrêt, Rejette toutes autres demandes, Condamne in solidum la société Rayon For et la société Indécor Europe à payer à la société Le Blanc la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, Les condamne in solidum aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.