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Décisions

Cass. crim., 20 février 2001, n° 00-81.519

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roman

Rapporteur :

Mme Beaudonnet

Avocat général :

M. Launay

Avocats :

Mes Ricard, Cossa.

TGI Paris, 31e ch. du 8 avr. 1999

8 avril 1999

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par A Arnot, B Cornelius, la société C, civilement responsable, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 7 février 2000, qui, pour publicité illicite en faveur du tabac, a condamné les deux premiers à 100 000 francs d'amende chacun, a condamné solidairement la troisième au paiement de l'amende et a prononcé sur les intérêts civils; vu les mémoires produits en demande et en en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 384, 388, 593 du Code de procédure pénale, des articles 6, §1 et §3 de la Convention européenne des droits de l'homme et du principe du contradictoire, défaut de motifs, manque de base légale, violation de la loi ;

"en ce que la cour d'appel a déclaré A Arnot et B Cornelius coupables de publicité directe ou propagande en faveur du tabac ou de ses produits et de les avoir condamnés chacun à 100 000 francs d'amende et, sur l'action civile, de les avoir condamnés solidairement à payer au CNCT la somme de 100 000 francs, à titre de dommages-intérêts et chacun à une indemnité de 3 000 francs pour les frais irrépétibles d'appel qui s'ajoutera aux sommes allouées en première instance sur le fondement des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale au titre des frais irrépétibles et dit que la société C serait tenue solidairement responsable du montant des amendes et civilement responsable d'A. Arnot et B. Corneilius pour les condamnations civiles ;

"aux motifs que, sur l'action publique : constitue une publicité tout moyen d'information destiné à promouvoir un produit ou un service dans le but d'en augmenter les ventes ; qu'en l'espèce, la présence à l'intérieur du paquet de cigarettes R d'un ticket permettant d'obtenir un cadeau est un acte publicitaire destiné, comme le reconnaissent les prévenus à "récompenser les consommateurs, à les encourager à acheter la production" et donc à les fidéliser en les invitant à acheter les produits de cette marque, peu important que lesdits consommateurs ne découvrent cette publicité qu'en ouvrant le paquet ; malgré les précautions prises pour ne pas faire apparaître le nom de la marque sur les tickets points, les prévenus, conscients de l'illicéité de la publicité ainsi réalisée n'ont cherché qu'à la déguiser en reprenant notamment les couleurs des cigarettes R sur ledit ticket, pour mieux lier dans l'esprit du consommateur, la marque et le produit publicitaire ; cette campagne était particulièrement incitative, puisque, d'une part, elle invitait le consommateur à acheter un nombre conséquent de paquets de cigarettes R et, d'autre part, que les articles proposés ciblaient plus particulièrement une clientèle jeune attirée par le sport automobile et la Formule 1, l'argumentation développée par les prévenus selon laquelle cette compétition ne s'adresserait en réalité qu'à une tranche d'âge plus élevée étant dénuée de fondement ; en résumé, la campagne publicitaire menée par les prévenus qui a pour but et pour effet d'encourager à la consommation du tabac constitue manifestement une publicité en faveur du tabac interdite par l'article L. 355-25 du Code de la santé publique ; que le jugement déféré sera confirmé en ce qui concerne la déclaration de culpabilité à l'encontre des deux prévenus ; le budget de la campagne publicitaire s'élevait à la somme de 1 712 830 francs ; 16 900 paquets de cigarettes contenaient les tickets publicitaires incriminés et le nombre de demandes de cadeaux était estimé à 80 000 ; eu égard à l'ampleur de cette opération publicitaire, c'est à juste titre que les premiers juges ont prononcé des amendes, qu'ils voulaient d'un montant dissuasif ; que celles-ci seront confirmées ; il n'y a pas lieu en l'état de faire droit aux demandes des prévenus tendant à l'exclusion de ces condamnations du bulletin n° 2 de leur casier judiciaire ; sur l'action civile : par la diffusion de cette publicité illicite, les prévenus ont causé au CNCT, dont la mission est de prévenir et de lutter contre les méfaits du tabagisme et qui a vu son action limitée dans ses effets, un préjudice personnel et direct que les premiers juges ont exactement apprécié ; que le jugement déféré sera également confirmé dans ses dispositions civiles ; les prévenus seront chacun condamnés à payer au CNCT la somme de 3 000 francs pour les frais irrépétibles d'appel qui s'ajoutera aux sommes allouées en première instance sur le fondement des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; la société C, civilement responsable sera, comme le demandent les prévenus, solidairement responsable du paiement des amendes et des frais de justice mis à la charge des prévenus par confirmation du jugement déféré ;

" 1° - alors que tout accusé doit être informé en temps utile des faits matériels et de la qualification juridique qui leur est donnée et disposer du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense ; qu'A. Arnot et B. Cornelius ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel et poursuivis devant la cour d'appel, pour avoir effectué une publicité illicite en faveur du tabac ou des produits du tabac en insérant dans les paquets de cigarettes R un coupon de jeu représentant un point permettant, après avoir accumulé un certain nombre de points, d'acquérir des objets publicitaires ; que, pour condamner les demandeurs, la cour d'appel a affirmé que le ticket permettait d'obtenir un cadeau ce qui constituait un acte de publicité prohibé ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a modifié les faits dont elle était saisie ; qu'en n'informant pas les prévenus sur cette modification des termes de sa saisine, la cour d'appel les a en outre privés du droit de préparer leur défense ;

" 2° - alors qu'il résulte des pièces du dossier d'instruction (D.108 et D.110) que, contrairement aux affirmations contenues dans la plainte avec constitution de partie civile du CNCT (D1) , les briquets, tee-shirt et modèles réduits de Formule 1 ne portent absolument pas la marque R ; qu'en affirmant cependant que le jeu litigieux permettait de gagner un modèle réduit de Formule 1 ou un briquet ou un tee shirt supportant cette marque, la cour d'appel qui n'a pas précisé l'origine de ses constatations de fait n'a pas justifié sa décision" ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 355-24, L. 355-25, L. 355-26 et 31 du Code de la santé publique, 593 du Code de procédure pénale, violation de la loi, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions ;

"en ce que la cour d'appel a déclaré A. Arnot et B. Corneilius coupables de publicité directe ou propagande en faveur du tabac ou de ses produits, de les avoir condamnés chacun à 100 000 francs d'amende et, sur l'action civile, de les avoir condamnés solidairement à payer au CNCT la somme de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts et à une indemnité au titre des frais irrépétibles et dit que la société C serait tenue solidairement responsable du montant des amendes et civilement responsable d' A. Arnot et B. Corneilius pour les condamnations civiles ;

"aux motifs que, sur l'action publique : constitue une publicité tout moyen d'information destiné à promouvoir un produit ou un service dans le but d'en augmenter les ventes ; qu'en l'espèce, la présence à l'intérieur du paquet de cigarettes R d'un ticket permettant d'obtenir un cadeau est un acte publicitaire destiné, comme le reconnaissent les prévenus à "récompenser les consommateurs, à les encourager à acheter la production" et donc à les fidéliser en les invitant à acheter les produits de cette marque, peu important que lesdits consommateurs ne découvrent cette publicité qu'en ouvrant le paquet ; malgré les précautions prises pour ne pas faire apparaître le nom de la marque sur les tickets points, les prévenus, conscients de l'illicéité de la publicité ainsi réalisée n'ont cherché qu'à la déguiser en reprenant notamment les couleurs des cigarettes R sur ledit ticket, pour mieux lier dans l'esprit du consommateur, la marque et le produit publicitaire ; cette campagne était particulièrement incitative, puisque, d'une part, elle invitait le consommateur à acheter un nombre conséquent de paquets de cigarettes R et, d'autre part, que les articles proposés ciblaient plus particulièrement une clientèle jeune attirée par le sport automobile et la Formule 1, l'argumentation développée par les prévenus selon laquelle cette compétition ne s'adresserait en réalité qu'à une tranche d'âge plus élevée étant dénuée de fondement ; en résumé, la campagne publicitaire menée par les prévenus qui a pour but et pour effet d'encourager à la consommation du tabac constitue manifestement une publicité en faveur du tabac interdite par l'article L. 355-25 du Code de la santé publique ; que le jugement déféré sera confirmé en ce qui concerne la déclaration de culpabilité à l'encontre des deux prévenus ; le budget de la campagne publicitaire s'élevait à la somme de 1 712 830 francs ; 16 900 paquets de cigarettes contenaient les tickets publicitaires incriminés et le nombre de demandes de cadeaux était estimé à 80 000 ; eu égard à l'ampleur de cette opération publicitaire, c'est à juste titre que les premiers juges ont prononcé des amendes, qu'ils voulaient d'un montant dissuasif ; que celles-ci seront confirmées ; il n'y a pas lieu en l'état de faire droit aux demandes des prévenus tendant à l'exclusion de ces condamnations du bulletin n° 2 de leur casier judiciaire ; sur l'action civile : par la diffusion de cette publicité illicite, les prévenus ont causé au CNCT, dont la mission est de prévenir et de lutter contre les méfaits du tabagisme et qui a vu son action limitée dans ses effets, un préjudice personnel et direct que les premiers juges ont exactement apprécié ; que le jugement déféré sera également confirmé dans ses dispositions civiles ; les prévenus seront chacun condamnés à payer au CNCT la somme de 3 000 francs pour les frais irrépétibles d'appel qui s'ajoutera aux sommes allouées en première instance sur le fondement des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; la société C, civilement responsable sera, comme le demandent les prévenus, solidairement responsable du paiement des amendes et des frais de justice mis à la charge des prévenus par confirmation du jugement déféré ;

" 1° - alors que la publicité pour le tabac suppose l'utilisation publique du tabac ou d'une marque de cigarettes ; qu'en l'espèce, dès lors qu'il est constant que les tickets litigieux étaient insérés dans les paquets de tabac, que rien ne mentionnait l'opération et que la cour d'appel a elle-même relevé que le nom de la marque n'apparaissait pas non plus sur les tickets insérés dans les paquets de cigarettes, les juges du fond ne pouvaient condamner les demandeurs pour publicité illicite pour le tabac ;

" 2° - alors que n'a pas caractérisé l'existence d'une publicité illicite en faveur du tabac la cour d'appel qui affirme seulement qu'à l'intérieur d'un paquet de cigarettes se trouvait un ticket permettant d'obtenir un cadeau, incitant à l'achat, sans caractériser que le ticket litigieux informait ou était destiné à promouvoir le tabac ou la marque R, sans rechercher et sans répondre aux conclusions des demandeurs qui faisaient valoir qu'il n'existait aucune mention sur le paquet à l'opération en cours ou sur le ticket à la marque R ; qu'en outre, l'insert litigieux n'était pas visible et ne pouvait être découvert qu'après l'achat et, enfin et surtout, permettait seulement l'achat, au prix public, des produits exclusivement relatifs à la Formule 1 ;

" 3° - alors que, dès lors qu'elle reconnaissait que la marque R n'apparaissait pas au public, la cour d'appel ne pouvait affirmer que les prévenus n'ont cherché qu'à déguiser la publicité en reprenant les couleurs de cigarettes R sur le ticket sans caractériser que la marque était notoirement connue par des couleurs particulières qui constituaient un signe distinctif, sans même préciser quelles auraient été ces couleurs, sans répondre aux conclusions des demandeurs qui précisaient au contraire que rien ne permettait à un tiers qui aurait trouvé par hasard un insert, de l'associer aux cigarettes R, et sans rechercher enfin, si ces couleurs n'étaient pas celles de la F1 Williams Renault ;

" 4° - alors que, l'article L. 355-26 du Code de la santé publique instaure une dérogation au régime de la publicité indirecte en faveur du tabac, dont se prévalait en l'espèce les demandeurs en rappelant que les inserts mentionnent les produits proposés à la vente qui tous se réfèrent à la F1 et en aucun cas au produit du tabac, et que l'écurie Formule1 Williams existait bien avant le 1er janvier 1990 et était juridiquement et financièrement distincte de la société R ; que la cour d'appel se devait de répondre à ce moyen s'appuyant sur cette dérogation légale" ;

Les moyens étant réunis ; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société C a organisé en 1996 une opération promotionnelle consistant à insérer dans les paquets de cigarettes R de couleur bleue un ticket sur lequel figurait la représentation d'objets publicitaires pouvant être obtenus en échange de ces tickets et d'une somme d'argent; qu'A. Arnot et B. Corneilius sont poursuivis pour publicité indirecte en faveur du tabac, délit prévu et réprimé par les articles L. 355-25, devenu L. 3511-3, et L. 355-31, devenu L. 3512-2 du Code de la santé publique, la société C étant intervenue volontairement comme civilement responsable;

Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables de cette infraction, les juges retiennent que l'opération litigieuse était destinée à encourager le consommateur à acheter d'autres paquets de cigarettes de cette marque; qu'ils ajoutent que, s'ils ont pris la précaution de ne pas faire apparaître son nom sur le ticket, les prévenus, conscients de l'illicéité de cette publicité, ont utilisé la couleur bleue, liant ainsi la marque à l'objet publicitaire;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, procédant de son appréciation souveraine des éléments de preuve contradictoirement débattus, et, dès lors que la publicité indirecte ainsi réalisée n'entrait pas dans le champ d'application de l'article L. 355-26, devenu L. 3511-4, du Code de la santé publique, la cour d'appel, qui, contrairement à ce qui est soutenu, n'a pas modifié les termes de la prévention et a répondu aux chefs péremptoires des conclusions déposées devant elle, a caractérisé en tous ses éléments le délit dont elle a déclaré les prévenus coupables ; d'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.