Cass. crim., 26 mars 2002, n° 01-83.095
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Avocat général :
M. Di Guardia
Avocats :
SCP Rouviere, Boutet, Me Bouthors.
LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par C. Jean-Dominique, la société A, civilement responsable, le comité National contre le tabagisme, partie civile, contre l'arrêt de la Cour d'appel d'Orléan, chambre correctionnelle, en date du 27 mars 2001, qui, sur renvoi après cassation, dans la procédure suivie contre Jean-Dominique C. pour infraction au code de la santé publique, a prononcé sur les intérêts civils; joignant les pourvois en raison de la connexité; vu les mémoires produits en demande et en défense ;
I - Sur le pourvoi de Jean-Dominique C. et la société A : - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 5, 7 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, des articles 111-3 et 111-4 du Code pénal, de l'article 4.3, de la directive n° 89-622-CEE du 13 novembre 1989, des articles L. 355-27 et L. 355-31 du Code de la santé publique, des articles 5, 6 et 7 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, de l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, des articles 10 et 249 du traité instituant la Communauté européenne, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble la théorie de l'interprétation conforme aux directives communautaires ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré constituée l'infraction à l'article L. 355-27, §II du Code de la santé publique punie par l'article L. 355-31 du même Code et a condamné solidairement Jean-Dominique C. et la la société A comme civilement responsables à verser 50 000 F au comité national contre le tabagisme (CNCT) à titre de dommages et intérêts ;
"aux motifs que la citation vise notamment à voir constater l'illicéité de l'adjonction de la mention "selon la loi n° 91-32" sur l'ensemble des paquets de cigarettes fabriqués par la la société A ; sur l'élément matériel de l'infraction, que la référence aux usages et à un texte antérieurs à la loi du 10 janvier 1991 est sans effet ; que la directive européenne ne saurait être interprétée comme la possibilité pour les fabricants de cigarettes de décider de leur propre initiative d'accompagner la mention "nuit gravement à la santé" de celle de l'autorité qui en est l'auteur ; que cette réserve ne concerne que les Etats membres ; que la France n'en a pas fait usage ; qu'à partir du moment où l'Etat français n'a pas opté pour cette solution, il n'y avait pas lieu de l'interdire, dans la mesure où il n'est laissé aucune latitude sur le contenu et la forme du message sanitaire ; qu'il importe peu dans ces conditions que d'autres pays européens aient eu une politique différente ; que la transposition à la présente matière du principe de la liberté d'expression est pour le moins curieuse, l'emballage du paquet de cigarettes n'ayant jusqu'alors jamais été considéré comme un support de libre communication de la pensée des opinions ; qu'en tout cas, tel n'est pas le rôle des mentions obligatoires destinées à attirer l'attention du consommateur sur les dangers que représente la consommation du tabac pour la santé ; que, sans s'attarder sur la portée de l'adjonction critiquée, il sera retenu qu'elle est dans son principe contraire aux dispositions de droit interne conformes au droit européen et qui excluent toute modification du texte initial ; sur l'absence d'élément intentionnel, que le prévenu ne peut qu'être particulièrement sensibilisé aux différentes obligations spécifiques qui pèsent sur lui ; que l'importance des enjeux exclut toute approximation ; qu'il dispose manifestement de toutes les informations à caractère juridique de nature à éclairer ses choix ; qu' il résulte de ce qui précède qu'il ne peut prétendre avoir ignoré la loi et ne pas avoir eu conscience de l'enfreindre dans le cas d'espèce ; qu'il faut encore rappeler que son attention avait été attirée sur la difficulté objet du présent litige par le courrier du CNCT du 4 avril 1993, très antérieure à la période de prévention ;
"alors, premièrement, que la directive n° 89-622-CEE du 13 novembre 1989 a posé certaines prescriptions minima, telle que la faculté pour les Etats membres d'imposer la mention de l'auteur de la mention sanitaire : "nuit gravement à la santé" ; qu'en effet, le visa de l'auteur permet à l'avertissement sanitaire d'atteindre son but de prévention et d'alerte ; que, dès lors, si les Etats membres n'ont pas l'obligation d'imposer dans leur ordre interne le visa de l'auteur de la mention sanitaire, ils n'ont pas la faculté de le prohiber, sous peine de sanction pénale, sauf à violer la directive ;
"alors, deuxièmement, que si l'article 4-3 de la directive du Conseil des Communautés européennes du 13 novembre 1989 (89-622-CEE) autorise les Etats à prévoir que l'énonciation "nuit gravement à la santé" soit accompagnée d'une mention identifiant l'autorité qui en est l'auteur, par hypothèse, la directive exclut qu'un opérateur puisse être condamné pénalement pour avoir ajouté une mention identifiant l'auteur de l'énonciation "nuit gravement à la santé" ; qu'en effet, si, selon la directive elle-même, l'énonciation "nuit gravement à la santé" peut être accompagnée d'une mention identifiant l'auteur, c'est qu'elle peut pleinement atteindre son objectif, bien qu'accompagnée de cette mention ; que, si l'article L. 355-27 du Code de la santé publique devait être interprété comme l'ont fait les juges du fond, il devait être écarté comme contraire à la directive du 13 novembre 1989 ; qu'à cet égard encore, l'arrêt attaqué procède d'une violation de la loi ;
"alors, troisièmement et subsidiairement, que si le silence de la loi de transposition en ce qui concerne le visa de l'auteur de la mention sanitaire méritait une interprétation, il incombait au juge français d'appliquer la théorie de l'interprétation conforme ; qu'ainsi, les dispositions de la directive devaient compléter les silences du droit national, notamment lorsque le droit interne antérieur répondait déjà aux exigences de la directive ; qu' antérieurement à la directive en cause, le droit français imposait aux producteurs de tabac d'apposer une mention sanitaire, et l'usage s'était couramment instauré de faire précéder cette mention du visa de la loi du 9 juillet 1976 ; que la directive a seulement modifié la forme du message sanitaire et a laissé aux Etats membres la faculté d'imposer dans l'ordre interne l'obligation de mentionner l'auteur de ladite mention sanitaire ; que le droit français antérieur répondait déjà partiellement aux exigences de la directive ; qu'en interprétant la loi de transposition pour en déduire qu'elle énonçait une prohibition s'agissant du visa de l'auteur, la directive considérant que ce visa permettait à la mention sanitaire de parvenir à son but, la cour d'appel a méconnu les règles de l'interprétation conforme aux objectifs de la directive ;
"alors, quatrièmement, que seules les incriminations expressément prévues par les textes peuvent être le siège d'une infraction pénale ; que, lorsqu'une loi nouvelle ne contient aucune incrimination sur un point qui fait l'objet d'un usage constant et généralisé, cet usage ne peut être considéré comme illicite que si la loi nouvelle a spécialement prévu une incrimination de ce chef ; qu'antérieurement à la loi Evin, il était d'usage constant et généralisé que les producteurs de tabac mentionnent l'auteur du message sanitaire obligatoire ; que la directive a considéré que la mention de l'auteur était légale ; que la loi de transposition est demeurée muette sur ce point ; que, faute de texte d'incrimination et en présence d'un usage constant et généralisé demeuré conforme aux dispositions de la directive, le visa de loi n° 91-32 ne pouvait être qualifié d'infraction ;
"alors, cinquièmement, que la loi pénale doit être claire et précise ; que les dispositions des articles L. 355-27 et L. 355-31 du Code de la santé publique énonceraient des incriminations imprécises s'il fallait retenir qu'elles prohibent, sous peine de sanction pénale, le visa du législateur, alors que nulle mention de ces deux textes ne pose pareille interdiction et que la directive transposée autorise le visa du législateur ;
"alors, sixièmement et subsidiairement, que, s'il fallait considérer que les articles L. 355-27 et L. 355-31 du Code de la santé publique sont clairs et ne nécessitent aucune interprétation, ils n'interdisent pas de viser l'auteur de la mention sanitaire, de sorte qu'en déclarantJean-Dominique C. coupable du fait d'un tel visa, la cour d'appel a violé lesdits textes ;
"alors, septièmement, que la circonstance que la mention soit identifiée comme émanant du législateur lui-même, puisqu'il est fait référence à la loi qui l'a imposée, loin de discréditer la mention ou même d'en affaiblir la portée, ne peut que la renforcer dès lors qu'elle révèle qu'elle a été adoptée et imposée par la représentation nationale ; qu'à cet égard encore, l'arrêt ne peut échapper à la censure pour violation des textes et principe susvisés ;
"alors, huitièmement, que l'erreur sur le droit, si elle est insurmontable, exonère l'auteur d'un fait répréhensible de sa responsabilité pénale ; que la qualification juridique exacte de la mention "selon la loi n° 91-32" a fait l'objet d'un contentieux qui a duré pendant plusieurs années entre le CNCT et divers producteurs de tabac, dont la la société A, que diverses juridictions, dont la Cour suprême, ont donné des interprétations différentes à cette mention ; que, dès lors,Jean-Dominique C. ne pouvait obtenir aucun avis fiable sur la qualification de cette mention, de sorte qu'il a légitimement ignoré l'état de droit de ce chef" ;
Attendu que Jean-Dominique C., dirigeant de la la société A, a été poursuivi, sur le fondement des articles L. 355-27, II, et L. 355-31 du Code de la santé publique, devenus les articles L. 3511-6, alinéa 2, et L. 3512-2 de ce Code, pour avoir fait précéder l'avertissement sanitaire "Nuit gravement à la santé", qui doit figurer sur les paquets de cigarettes, de la mention "selon la loi n° 91-32" ;
Attendu que les juges d'appel, estimant que cette adjonction, qui n'est pas de nature à affaiblir l'avertissement, n'est pas interdite, ont relaxé le prévenu ;
Attendu que, sur le pourvoi du Comité national contre le tabagisme, partie civile, l'arrêt a été cassé en ses seules dispositions civiles par la Cour de Cassation, au motif qu'en l'absence de transposition, dans la loi interne, des dispositions facultatives de l'article 4.3, de la directive 89-622-CEE du 13 novembre 1989, l'infraction punie par l'article L. 355-131 du Code de la santé publique est caractérisée par toute modification du texte de l'avertissement sanitaire imposé par les dispositions de l'article L. 355-27, II, du même Code ;
Attendu que la cour d'appel de renvoi, pour dire l'infraction constituée et condamner Jean-Dominique C. et la la société A à des réparations civiles, énonce, par l'arrêt attaqué, que le prévenu a, en connaissance de cause, fait commercialiser des paquets de cigarettes comportant un avertissement dont la teneur ne satisfait pas aux prescriptions de l'article L. 355-27, II, du Code de la santé publique, conformes à la directive communautaire précitée ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître le principe de la légalité des délits et des peines ; d'où il suit que le moyen, nouveau en sa huitième branche et irrecevable en ce qu'il reproche à la Cour de renvoi d'avoir statué en conformité avec l'arrêt de cassation qui l'a saisie, ne saurait être admis ;
II - Sur le pourvoi du Comité national contre le tabagisme, partie civile : Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 355-27, II, L. 355-31 et L. 355-32 du Code de la santé publique (devenus les articles L. 3511.5, L. 3512.1 et 3512.2), 2, 10, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel, ayant retenu le principe de la responsabilité pénale du prévenu, a écarté l'indemnisation proportionnelle sollicitée par l'association demanderesse à laquelle elle n'a alloué que 50 000 francs à titre de dommages-intérêts ;
"aux motifs que la partie civile demande l'allocation de sommes calculées au prorata du nombre de paquets vendus par an ; qu'au vu des statuts et des missions du CNCT, il est constant qu'il est recevable à se constituer partie civile par application des dispositions de l'article L. 355-32 du Code de la santé publique ; que l'infraction commise a causé un préjudice personnel et direct aux intérêts qu'il défend en ce que l'avertissement sanitaire destiné à l'information des consommateurs n'a pas été délivré conformément à la loi ; qu'il sera suffisamment indemnisé par l'allocation d'une somme de 50 000 francs ;
"1°) alors, d'une part, que faute de s'être expliquée comme elle en était expressément requise sur la nature et la portée du préjudice subi par l'association partie civile à raison des infractions reprochées au prévenu sur le caractère irrégulière de l'avertissement sanitaire général imposé par la loi sur chaque paquet de cigarettes, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale sur le caractère intégral de la réparation revenant à la partie civile ;
"2°) alors, d'autre part, que la réparation du préjudice subi par la lutte contre le tabagisme du fait d'une infraction commise sur les paquets de cigarettes est proportionnelle au nombre de paquets vendus" ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 355-27, II, L. 355-31 et L. 355-32 du Code de la santé publique (devenus les articles L. 3511.5, L. 3512.1 et 3512.2), 2, 10, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel, ayant retenu le principe de la responsabilité pénale du prévenu, a écarté l'indemnisation proportionnelle sollicitée par l'association demanderesse à laquelle elle n'a alloué que 50 000 francs à titre de dommages-intérêts ;
"aux motifs que la partie civile demande l'allocation de sommes calculées au prorata du nombre de paquets vendus par an ; qu'au vu des statuts et des missions du CNCT, il est constant qu'il est recevable à se constituer partie civile par application des dispositions de l'article L. 355-32 du Code de la santé publique ; que l'infraction commise a causé un préjudice personnel et direct aux intérêts qu'il défend en ce que l'avertissement sanitaire destiné à l'information des consommateurs n'a pas été délivré conformément à la loi ; qu'il sera suffisamment indemnisé par l'allocation d'une somme de 50 000 F ;
"alors que la proportion présidant à la réparation du dommage né d'infractions instantanées commises paquet par paquet doit prendre en compte le nombre de paquets irrégulièrement vendus" ;
Les moyens étant réunis ; - Attendu qu'en évaluant, comme elle l'a fait, la réparation du préjudice résultant pour la partie civile de l'atteinte portée aux intérêts qu'elle a pour mission de défendre, la cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir d'apprécier souverainement, dans la limite des conclusions des parties, l'indemnité propre à réparer le dommage né de l'infraction ; d'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette les pourvois.