Cass. crim., 26 mars 2002, n° 01-83.636
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Béraudo
Avocat général :
M. Di Guardia
Avocats :
SCP Peignot, Garreau, Gatineau, Piwnica, Molinie, Waquet, Farge, Hazan, Me Bouthors.
LA COUR: - Statuant sur les pourvois formés par Marcel X contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la Cour d'appel d'Angers, en date du 18 avril 2001, qui, dans l'information suivie contre le premier, des chefs de falscification de denrées alimentaires et de publicité mensongère, a prononcé sur la recevabilité de plainte avec constitution de partie civile ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 411-11 du Code du travail, 2, 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale, violation de la loi ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé les ordonnances de recevabilité des constitutions de partie civile de la Fédération Nationale de l'Industrie Laitière, de la Fédération Nationale des coopératives Laitières, de la Fédération Nationale des Producteurs de Lait et de la Fédération syndicale de la Confédération Paysanne ;
"aux motifs que l'examen des statuts des syndicats professionnels susvisés fait apparaître qu'ils ont en charge la défense des intérêts professionnels, soit des industriels laitiers, soit des coopératives laitières, soit des producteurs de lait ; que l'exposé des faits reprochés au mis en examen s'analysant en une falsification du lait montre clairement que, si ceux-ci sont avérés, ils ont occasionné aux professions plaignantes du secteur laitier un réel préjudice, jetant le discrédit sur leur activité ; que c'est assez vainement que le mis en examen s'est opposé aux constitutions de parties civiles en faisant valoir que, contrairement à leurs écrits, le groupe Y n'était pas mis en cause en tant que tel ; que, s'il est exact que les plaignants ont visé l'industriel Y et non la personne physique, de Marcel X, les faits auxquels ils se référent sont bien ceux contenus dans la présente information ; que, n'ayant pas, jusqu'alors, eu accès au dossier, il ne peut leur être fait le grief d'avoir ignoré cet aspect ; que l'argumentation du mis en examen, qui fait également valoir que ces syndicats ne seraient pas représentatifs, est sans valeur; que la Cour de cassation s'est en effet prononcée sur le sujet en ces termes : "ayant constaté l'existence d'un délit qui était en lui-même générateur d'un préjudice subi par la profession à laquelle appartenait le personnel de l'entreprise, la cour d'appel était fondée à recevoir l'action civile d'un syndicat dont les termes de l'arrêt impliquent qu'il représentait cette profession, sans qu'il fût nécessaire en outre que ce syndicat eût été reconnu comme représentatif dans ladite entreprise"; que le mis en examen cite également un arrêt du 16 février 1999 de la Chambre criminelle qui abonderait dans son sens; que la cour rappelle que, certes, "la seule mise en examen de l'intéressé n'est pas de nature à causer un préjudice aux intérêts collectifs défendus par le syndicat", mais précise toutefois que cette action civile est soumise "à la condition que les faits déférés au juge portent par eux-mêmes un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent", condition qui est évidemment remplie en l'espèce, comme cela a été dit plus haut; l'examen de la plainte avec constitution de partie civile et de ses annexes de la Fédération Syndicale dénommée Confédération Paysanne permet de s'assurer que ce syndicat professionnel a en charge "les intérêts des paysans dans les domaines moral, social, culturel, technique, économique, juridique et fiscal" ; qu'au même titre que les autres syndicats de producteurs de lait, il est concerné par la qualité de ce produit alimentaire, dont la falsification, si elle est avérée, est de nature à jeter le discrédit sur toute la filière, occasionnant ainsi un préjudice au monde paysan; que les pièces produites permettent de s'assurer que Julien Berteau, représentant les filières de la Confédération Paysanne, est secrétaire général de cette organisation et dûment mandaté pour engager cette action ; que rien ne paraît, dès lors, pouvoir s'opposer à la recevabilité de sa constitution de partie civile ;
1°) "alors, d'une part, que, si les syndicats professionnels peuvent exercer tous les droits réservés à la partie civile, c'est à la condition que les faits portent, par eux-mêmes, un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent, de sorte qu'en déclarant recevable la constitution de partie civile de la Fédération Nationale de l'Industrie Laitière, la Fédération Nationale des Coopératives Laitières, la Fédération Nationale des Producteurs de Lait et la Confédération Paysanne au motif que le délit de falsification du lait, s'il était avéré, aurait occasionné aux professions du secteur laitier un réel préjudice en jetant le discrédit sur leur activité, alors qu'il ne résulte nullement de leur objet qu'elles aient pour mission de veiller à la qualité du lait de consommation ou à sa conformité à la réglementation interne et européenne en vigueur, la chambre de l'instruction a violé les articles L. 411-1 du Code du travail, 2 et 3 du Code de procédure pénale ;
2°) "alors, d'autre part, que les syndicats professionnels ne sont recevables à se constituer partie civile que s'ils justifient d'un intérêt collectif existant à l'égard de tous les membres de la profession et distinct des intérêts généraux de la collectivité dont la protection ne peut être assurée que par le Ministère public, si bien qu'en déclarant recevables les constitutions de partie civile de la Fédération Nationale de l'Industrie Laitière, la Fédération Nationale des Coopératives Laitières, la Fédération Nationale des Producteurs de Lait et de la Confédération Paysanne sans rechercher, comme elle y était invitée par les conclusions de Marcel X, si les intérêts en cause, se rapportant à une prétendue falsification du lait de consommation ne concernaient pas exclusivement l'intérêt général dont la protection est assurée par le ministère public, absorbant ainsi les intérêts particuliers de ces fédérations, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision" ;
Attendu que, pour déclarer recevables les constitutions de partie civile des syndicats professionnels cités au moyen, la cour d'appel énonce que les faits reprochés au mis en examen, s'analysant en une falsification du lait, sont de nature, s'ils sont avérés, à jeter le discrédit et à causer un réel préjudice à l'intérêt collectif des producteurs de lait, des coopératives laitières ou des industriels du lait qu'ils représentent ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, les juges du second degré ont fait une exacte application de l'article L. 411-11 du Code du travail, qui autorise les syndicats et organismes professionnels ou interprofessionnels à exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ; d'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 421-1 du Code de la consommation, 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé l'ordonnance de recevabilité des constitutions de partie civile de l'Association Force Ouvrière Consommateurs ;"
"aux motifs que, c'est l'article L. 421-1 du Code de la consommation qui prévoit expressément la possibilité de constitution de partie civile des associations régulièrement déclarées ayant pour objet statutaire explicite la défense des intérêts des consommateurs ; que les pièces produites démontrent que l'Association Force Ouvrière Consommateurs remplit les conditions exigées ci-dessus ; que les faits reprochés ont, là encore, pu occasionner un préjudice aux consommateurs, et que le grief du seul visa, dans la plainte de L., n'est pas déterminant ;
"alors que, si l'article L. 421-1 du Code de la consommation autorise les associations agréées de consommateurs à exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits causant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs, il appartient aux juges du fond de caractériser l'existence de cette atteinte directe ou indirecte portée à l'intérêt collectif des consommateurs, de sorte qu'en déclarant recevable la constitution de partie civile de l'Association Force Ouvrière Consommateurs en se bornant à énoncer que les faits litigieux, s'ils étaient avérés, auraient pu occasionner un préjudice aux consommateurs sans préciser en quoi ces faits étaient susceptibles de causer un préjudice direct ou indirect à l'intérêt des consommateurs, la chambre de l'instruction n'a pas justifié légalement sa décision" ;
Attendu que, pour déclarer recevable la constitution de partie civile de l'Association Force Ouvrière Consommateurs, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, et, dès lors que l'article L. 421-1 du Code de la consommation autorise l'action civile des associations agréées de consommateurs relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs, l'arrêt n'encourt pas la censure; d'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Mais sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale, violation de la loi ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé l'ordonnance de recevabilité de la plainte avec constitution de partie civile de la société Groupe Entremont ;"
"aux motifs que, pour s'opposer à la constitution de partie civile de la société Groupe Entremont, le mis en examen fait valoir qu'Entremont n'est pas un concurrent, car ne fabriquant pas du lait de consommation et que sa constitution de partie civile est purement malveillante, eu égard aux multiples contentieux qui opposent les deux groupes; que, si la jurisprudence est incontestablement en faveur de l'irrecevabilité de la constitution de partie civile d'un concurrent lorsque les poursuites sont exercées pour tromperie, et par assimilation, l'action d'un concurrent est jugée recevable en matière de publicité de nature à induire en erreur ; qu'en l'espèce, même si la société Entremont ne fait pas le commerce de lait de consommation, elle est bien en concurrence avec la société Z pour la collecte du lait auprès des agriculteurs, ainsi que l'a indiqué le magistrat instructeur ; qu'elle peut légitimement invoquer la possibilité d'un préjudice invoqué par les distorsions de compétivité consécutives aux pratiques de cette société; que cette concordance se trouve dans l'activité déclarée de ces sociétés, définie au KBIS, par la mention "achat, transformation et vente de tous produits laitiers en France et à l'étranger" et, pour groupement Entremont, présentée dans ses statuts, article 2, comme s'appliquant au "(...) négoce de tous produits fromagers et alimentaires, plus particulièrement à la fabrication, l'affinage, le conditionnement, le traitement à façon et le négoce de tous fromages, ainsi que l'exploitation de zones de collecte et de ramassage de lait (...)" ;
1°) "alors, d'une part, que doit être déclarée irrecevable en sa constitution de partie civile relativement au délit de publicité trompeuse une société n'exerçant pas la même activité et n'étant pas en mesure de ce fait de justifier d'un préjudice personnel et direct, de sorte qu'en déclarant la SNC Groupe Entremont recevable en sa constitution de partie civile relativement au délit de publicité mensongère tout en relevant que l'objet de cette société consiste dans "le négoce de tous produits fromagers et alimentaires, plus particulièrement la fabrication, l'affinage, le conditionnement, le traitement à façon et le négoce de tous fromages, ainsi que l'exploitation de zones de collecte et de ramassage de lait", ce dont il résultait que l'activité du Groupe Entremont ne consiste pas, comme la société Z, à transformer du lait collecté en lait de consommation, la chambre de l'instruction, qui n'a pas déduit les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale ;
2°) "alors, d'autre part, que l'action civile en réparation d'un délit est réservée à celui qui a personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction, de sorte qu'en déclarant recevable la constitution de partie civile de la SNC Groupe Entremont au motif qu'elle pourrait légitimement invoquer la possibilité d'un préjudice engendré par les distorsions de compétitivité consécutives au prétendu appauvrissement en protéines du lait de consommation alors qu'un tel préjudice indirect ne pouvait permettre de déclarer l'action civile recevable, la chambre de l'instruction a violé les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale" ;
Vu les articles 2 et 593 du Code de procédure pénale ; - Attendu qu'aux termes de l'article 2 du Code de procédure pénale, l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ;
Attendu que, pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction déclarant recevable la constitution de partie civile de la société Groupe Entremont à l'encontre de Marcel X pour publicité mensongère, l'arrêt se borne à énoncer que, même si cette société ne fait pas le commerce de lait de consommation, elle est en concurrence avec la société Z pour la collecte du lait, et que la concordance d'activité des sociétés résulte des mentions figurant au registre du commerce et des sociétés ;
Mais attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, et alors que les mentions de l'arrêt ne caractérisent ni un préjudice personnel et direct, ni même la possibilité d'un tel préjudice, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des textes susvisés;que, dès lors, la cassation est encourue ;
II - Sur le pourvoi de l'Office National Interprofessionnel du lait et des produits laitiers (ONILAIT) : - Vu le mémoire personnel et le mémoire en défense produits ; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 2, 575, 2 , 593 du Code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ; - Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ; - Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ;
Attendu que le dispositif de l'arrêt attaqué mentionne qu'il confirme l'ordonnance d'irrecevabilité de la constitution de partie civile d'ONILAIT; que, cependant, dans ses motifs, l'arrêt indique que cet organisme est directement exposé au risque d'avoir versé des subventions indues, qu'il a, à l'évidence, un intérêt à agir et que "l'ordonnance d'irrecevabilité rendue le 13 juin 2000 par le juge d'instruction de Laval ne peut, dans ces conditions, qu'être infirmée" ;
Mais attendu qu'en l'état de cette contradiction entre les motifs et le dispositif, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; d'où il suit que la cassation est à nouveau encourue ;
Par ces motifs, Casse et annule l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la Cour d'appel d'Angers, en date du 18 avril 2001, mais seulement en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile de la société Groupe Entremont, et irrecevable celle de l'Office National Interprofessionnel du lait et des produits laitiers (ONILAIT), toutes autres dispositions étant expressément maintenues ; et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée, renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Rennes, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.