Ministre de l’Économie, 26 avril 2002, n° ECOC0300054Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseils des sociétés TDF et Bouygtel
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maîtres,
Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 26 octobre 2001, la société TéléDiffusion de France (ci-après TDF) a notifié l'acquisition du parc de sites pylônes de Bouygues Télécom. Le 31 juillet 2001, les parties ont ainsi conclu simultanément deux accords : d'une part, un accord-cadre de cession portant sur les [...] sites pylônes de Bouygues Télécom, comprenant notamment le transfert du droit d'occupation du sol, et, d'autre part, un accord-cadre de location aux termes duquel Bouygues Télécom louera un emplacement pour ses équipements de radiocommunication sur les sites pylônes cédés. Bouygues Télécom, qui a constitué un parc de sites pylônes dans le cadre du déploiement de son réseau de téléphonie mobile, souhaite, en vue de mieux maîtriser ses coûts, se séparer de cet actif en le cédant à une compagnie de site (" tower company ").
TDF, société anonyme de droit français depuis 1987, détenue à 50,98% par France Télécom, et à 49,01% par COGECOM (filiale à 100 % de France Télécom), a réalisé un chiffre d'affaires en 2000 s'élevant à 650 millions d'euros en France (dont [...] % pour la radiodiffusion, [...] % pour les radiocommunications et services et [...] % pour la télédiffusion). Cette société, dont l'effectif était au 31 décembre 2000 de 3 650 employés en France, est active dans différents secteurs : à l'origine spécialisée dans la diffusion en France et vers l'étranger des programmes du service public de la radiodiffusion sonore et de télévision ainsi que des autres programmes de télévision hertzienne, TDF a progressivement diversifié son activité afin d'exercer l'ensemble des métiers d'une entreprise gestionnaire de sites (tower company), avec un parc de plus de 4 800 sites, et la prestation de différents services complémentaires (accueil sur sites pour des opérateurs de radiocommunication, ingénierie, maintenance et exploitation d'équipements de diffusion, diffusion et transmission de programmes audiovisuels).
La société France Télécom, qui détient l'ensemble du capital de TDF, directement ou par l'intermédiaire de l'une de ses filiales à 100 %, doit être considérée comme une " entreprise économiquement liée " à TDF. L'analyse de l'opération doit donc prendre en compte cette intégration verticale de TDF au sein du groupe France Télécom, qui contrôle par ailleurs la société Orange, opérateur de téléphonie mobile.
France Télécom, société anonyme cotée en bourse, a réalisé un chiffre d'affaires pour l'année 2000 de 33 674 millions d'euros. Cette société, qui dispose d'un effectif de 203 370 employés (cf. note 1) (dont 52 602 à l'étranger), est présente notamment sur le marché de la téléphonie fixe et sur celui de la téléphonie mobile, par l'intermédiaire de sa filiale " Orange ".
La société Bouygues Telecom, filiale du groupe Bouygues, société anonyme active dans le secteur de la téléphonie mobile, a réalisé un chiffre d'affaires de 2 037 millions d'euros en 2000 et emploie 6 470 personnes en France.
Aux termes de l'article L. 430-2 du Code de commerce " la concentration résulte de tout acte, quelle qu'en soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations d'une entreprise ou qui a pour objet, ou pour effet, de permettre à une entreprise ou à un groupe d'entreprises d'exercer, directement ou indirectement, sur une ou plusieurs entreprises une influence déterminante ".
L'opération emporte transfert de propriété d'une partie des actifs de la société Bouygues Telecom au bénéfice de la société TDF. L'acquisition des [...] sites pylônes de Bouygues Telecom par TDF, en vertu de l'accord-cadre de cession du 31 juillet 2001, constitue donc une opération de concentration au sens de l'article L. 430-2 du Code de commerce.
L'article L. 430-1 du Code de commerce dispose que : " tout projet de concentration ou toute concentration de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d'une position dominante, peut être soumis, par le ministre chargé de l'Economie, à l'avis du Conseil de la concurrence. Ces dispositions ne s'appliquent que lorsque les entreprises qui sont parties à l'acte ou qui en sont l'objet ou qui leur sont économiquement liées ont soit réalisé ensemble plus de 25 % des ventes, achats, ou autres transactions sur un marché national de biens, produits ou services substituables ou sur une partie substantielle d'un tel marché, soit totalisé un chiffre d'affaires hors taxes de plus de sept milliards de francs, à condition que deux au moins des entreprises parties à la concentration aient réalisé un chiffre d'affaires d'au moins deux milliards de francs ".
Le seuil exprimé en chiffre d'affaires n'étant pas atteint par les entreprises parties à l'opération, il convient de définir de façon préalable les marchés concernés par l'opération afin de déterminer si, en l'espèce, le seuil exprimé en parts de marché est atteint.
1. Sur les marchés pertinents
Le Conseil de la concurrence, saisi le 21 décembre 2001 par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a considéré, dans son avis n° 2002-A-04 du 11 avril 2002, que les marchés de produit et services susceptibles d'être affectés par l'opération étaient les suivants :
" le marché de l'accueil sur sites pylônes des équipements de télécommunication mobile de 2e et de 3e génération ", principalement affecté par l'opération ;
" Le marché de la maintenance des sites pylônes ".
L'opération concerne en effet la cession d'un ensemble de sites pylônes, (à l'exclusion des antennes et des câbles reliant les baies radio), constitués de plusieurs éléments dont le terrain, le pylône lui-même, la dalle, la clôture et le local technique, ainsi que divers équipements liés aux infrastructures. Ces pylônes, construits par Bouygues Telecom pour l'accueil de ses propres équipements de téléphonie mobile, sont cependant en mesure d'accueillir d'autres équipements de radiocommunication.
Conformément à l'avis du Conseil de la concurrence, il convient tout d'abord d'exclure du marché de produits et services les sites de type châteaux d'eau ou toitures-terrasses. Ces infrastructures ne peuvent être considérées comme pleinement substituables aux sites pylônes. En effet, en raison de conditions d'accueil techniques, économiques et juridiques sensiblement différentes, ces installations correspondent généralement à des solutions de complément, destinées à répondre à une demande ponctuelle d'un opérateur de télécommunication.
Le Conseil de la concurrence distingue de plus, dans son avis précité, les sites pylônes selon leur capacité à accueillir différents types d'équipements de radiocommunication. Il convient en effet de procéder à une telle distinction dans la mesure où les équipements de radiocommunication ne présentent pas tous les mêmes caractéristiques : les antennes accueillies sont de taille différente, nécessitent la pose sur une hauteur optimale variable en fonction notamment de la situation géographique et topographique, de la capacité d'émission et de réception, et de la place disponible.
Le Conseil estime ainsi que les services de télévision, de radio, de radiomessagerie et de boucle locale radio ne sont pas susceptibles d'être accueillis sur ces pylônes. Le conseil, se fondant notamment sur des critères techniques et de hauteur (télévision), de situation géographique (radiomessagerie et boucle locale radio), de saturation des fréquences (radio), conclut que ces sites pylônes sont susceptibles d'accueillir de manière quasi exclusive les services de téléphonie mobile (GSM/DCS/GPRS et UMTS).
Au plan géographique, il convient de segmenter le territoire national afin de tenir compte des conditions différentes de concurrence, en distinguant les marchés géographiques suivants :
un marché des sites d'accueil d'équipement de téléphonie mobile en milieu urbain, non affecté par l'opération (il s'agit en effet de toitures-terrasses et non de pylônes) ;
un marché des sites pylônes en milieu périurbain et rural, pleinement concerné par l'opération de concentration, sur lequel tous les sites pylônes de Bouygues Telecom sont établis.
Concernant la délimitation géographique, le Conseil de la concurrence, dans son avis n° 2002-A-04 estime qu'il convient de retenir, " pour les marchés considérés, une assiette nationale dans la mesure où la demande d'accueil de radiocommunication est uniquement le fait d'opérateurs nationaux exploitant un réseau de radiotéléphonie mobile dans le cadre d'une licence accordée moyennant un objectif de couverture nationale. En effet, le cahier des charges annexé à l'autorisation délivrée par le ministre chargé des télécommunications pour chaque opérateur prévoit que les opérateurs établissent sur le territoire métropolitain un réseau radioélectrique ouvert au public et fixe également des obligations de couverture de ce territoire dont l'objectif est d'atteindre 99 % de la population. Cette obligation s'impose concurremment à tous les titulaires de licences de telle sorte qu'il n'existe aucun partage possible du territoire entre opérateurs ; ".
Mais il convient de relever cependant que le Conseil ajoute que " les modalités de déploiement des réseaux de téléphonie mobile répondent, dans ce cadre, à une problématique locale liée au choix des sites, sans toutefois que ce choix s'opère selon des critères suffisamment caractérisés pour pouvoir retenir, au sens du droit de la concurrence, l'existence de marchés locaux ". Il apparaît ainsi que, du point de vue d'un opérateur de téléphonie mobile devant constituer un réseau national, et cela tant pour des impératifs commerciaux qu'en raison des obligations de couverture découlant de l'autorisation dont il est titulaire, les différents pylônes ne peuvent vraisemblablement être considérés comme substituables les uns avec les autres, mais plutôt complémentaires les uns des autres. La constitution d'un réseau national implique en effet le déploiement d'un maillage de sites liés entre eux, dont l'imbrication aboutit à une juxtaposition de marchés locaux. Il convient de souligner que les opérateurs ont, dans ce contexte, une double approche, qui se matérialise par la conclusion d'accords-cadres de location, suivi d'accords distincts pour chacun des sites concernés. Symétriquement, on constate que, du côté de l'offre, la compagnie de sites n'adopte pas une approche globale de la transaction.
Malgré ces éléments, si l'on devait faire l'hypothèse d'une délimitation locale des marchés, on constaterait que ces différents marchés locaux seraient étroitement imbriqués et constitueraient, de proche en proche, une chaîne de substituabilité couvrant le territoire national.
Il convient donc de délimiter un marché national de l'accueil sur sites pylônes. L'analyse ne pourra cependant pas faire l'économie d'une prise en compte de la problématique locale dans la constitution d'un réseau de télécommunications mobiles.
Une distinction géographique plus fine pourrait enfin être établie entre le milieu périurbain et le milieu rural, en raison notamment des contraintes en terme de constructibilité et des différences significatives de prix. Une distinction de cette nature n'aurait cependant pas pour effet de modifier les termes et les conclusions de l'analyse concurrentielle de l'opération.
On pourrait en outre s'interroger sur une délimitation locale du marché de la maintenance de sites pylônes, mais une segmentation plus fine ne serait pas de nature à remettre en cause les conclusions de l'analyse.
En conclusion, les marchés de produits et services pertinents sont en l'espèce, d'une part, le marché de l'accueil sur site pylône d'équipements de téléphonie mobile de 2e et de 3e génération, et, d'autre part, celui de la maintenance de sites pylônes, en milieu périurbain et rural. La délimitation géographique qu'il convient d'adopter est la dimension nationale.
2. Sur la position des parties
Tout d'abord, TDF faisant partie du groupe France Télécom, il convient, comme le suggère le Conseil de la concurrence, de " prendre en compte la part de marché des entreprises qui sont parties à l'acte ou qui en sont l'objet ou qui leur sont économiquement liées, c'est-à-dire de TDF, de Bouygues Telecom, de France Télécom et d'Orange, autre filiale de France Télécom ". De plus, comme cela a pu se dérouler par le passé s'agissant des tours dites DVRN de France Télécom, TDF peut à tout moment, dans la configuration actuelle, acquérir ou assurer la commercialisation exclusive des sites pylônes de France Télécom ou Orange.
Dans ce contexte, et afin de calculer les parts de marché de TDF à l'issue de l'opération, il convient d'utiliser, comme l'a suggéré le Conseil de la concurrence, deux méthodes de calcul.
Il convient tout d'abord de ne pas comptabiliser les sites qui ne sont utilisés par les opérateurs de téléphonie eux-mêmes que pour leurs propres besoins, à l'exclusion de toute mutualisation. En effet, il est de pratique constante, tant pour le Conseil de la concurrence que pour la Commission européenne, de ne pas comptabiliser les prestations réalisées par les opérateurs pour leur propre compte. Ces sites pylônes pourront en revanche être, sous certaines conditions, considérés comme constituant une offre potentielle.
Dans cette optique, le Conseil de la concurrence relève que " le groupe France Télécom détenait avant l'opération [60-70] % du marché de l'accueil sur site d'équipements de télécommunication mobile, entendus comme le nombre de pylônes sur lesquels un opérateur GSM/DCS au moins loue un emplacement ". Avec l'apport des sites pylônes de Bouygues Telecom, le groupe France Télécom détiendra à l'issue de l'opération [70-80] % de parts de marché, dont [40-50] % pour TDF. Le seuil mentionné à l'article L. 430-1 du Code de commerce est ainsi franchi, l'opération est dès lors contrôlable.
En seconde analyse, le Conseil de la concurrence relève également que l'opération aura pour effet de " mettre sur le marché ci-dessus défini les sites pylônes concernés par l'opération et sur lesquels Bouygues Telecom n'a pas d'accord d'échange avec un autre opérateur GSM ". Dans ce nouveau contexte, directement issu de l'opération, " la part de marché du groupe France Télécom sur un marché ainsi élargi peut être évaluée à [80-90] % ", dont [60-70] % pour la seule société TDF, révélant un sensible accroissement par rapport à la situation qui prévalait avant l'opération.
Il convient enfin de noter que, dans le cadre du déploiement de la téléphonie mobile de troisième génération, des obligations de mutualisation en faveur d'un opérateur qui ne disposerait pas d'un réseau GSM pèsent sur les opérateurs titulaires d'une autorisation GSM/DCS. Toutefois, même en prenant en compte ces perspectives à terme d'une plus grande mutualisation et en faisant l'hypothèse extrême d'une mutualisation de la totalité des pylônes, la part de marché du groupe France Télécom s'établirait à [60-70] %, dont [30-40] % pour TDF.
3. Sur l'analyse concurrentielle
On peut distinguer deux catégories d'intervenants sur le marché d'accueil sur sites pylônes d'équipements de téléphonie :
La première catégorie concerne les compagnies de sites dont la vocation est d'intervenir de façon active sur ce marché, afin de commercialiser le plus largement possible leur parc de sites. Dans cette catégorie, la part de marché de TowerCast, principale compagnie de sites directement concurrente de TDF, demeure marginale.
En outre, à la différence de ses concurrents dans le métier de " compagnie de sites ", TDF dispose d'une notoriété héritée de sa position d'opérateur historique dans le secteur de la radiodiffusion. Cet élément est de nature à conférer un certain avantage à TDF et à constituer une barrière à l'entrée sur le marché.
Il n'existe à ce jour pas d'autre tower company significative en France présente en milieu rural et périurbain.
Cette concurrence marginale n'est pas susceptible de se renforcer de façon significative et immédiate, dans la mesure où il existe dans ce secteur des éléments constituant des barrières importantes à d'éventuelles nouvelles constructions de sites pylônes.On peut à cet égard relever que l'importance des préoccupations d'ordre environnemental, sanitaire, et d'urbanisme peut s'analyser comme constituant autant de barrières significatives à la construction de nouveaux pylônes. On constate ainsi qu'il n'y a pas eu d'entrée significative sur le marché concerné par l'opération, abstraction faite des opérateurs dont le coeur de métier n'est pas celui de l'accueil sur site. En outre, l'arrivée de nouveaux entrants, quand bien même elle serait vérifiée dans le temps, ne suffirait pas à elle seule à rétablir une concurrence effective, compte tenu du fait que, ainsi que l'a déclaré TDF, pour être rentable, un site pylône doit accueillir au moins [...] opérateurs. Dans cette perspective, la rentabilité d'un pylône est intimement liée à la capacité du gestionnaire à commercialiser le plus largement et rapidement possible son parc de sites pylônes. Dès lors, un nouvel entrant aurait à subir des coûts fixes importants sans perspective de rentabilisation à court ou moyen terme de ses investissements.
La seconde catégorie d'opérateurs regroupe des entreprises qui ont développé un parc de sites pylônes dans le cadre de leur activité première, qui n'est pas celle de la gestion de sites. On identifie dans cette catégorie les opérateurs de téléphonie mobile et d'autre intervenants (sociétés d'autoroutes, EDF, etc.), qui n'ont vocation à intervenir sur le marché de l'accueil sur sites pylônes que de manière accessoire à leur activité principale. Il convient donc de relativiser sensiblement la pression concurrentielle que peuvent exercer ces entreprises.
On peut cependant noter que le déploiement des réseaux de téléphonie mobile de 3e génération nécessitera une utilisation plus intensive des pylônes existants. Le marché de l'accueil des équipements de téléphonie mobile est donc appelé à connaître une croissance importante dans les prochaines années.
La perspective du déploiement de ces nouveaux réseaux a conduit les autorités de régulation du secteur à recommander la mutualisation des sites détenus par les opérateurs détenteurs d'une autorisation de téléphonie mobile de 3e génération (3G). Il est concevable qu'à terme, comme le relève le Conseil de la concurrence, puisse être progressivement inclus dans le marché " les sites construits par les opérateurs de téléphonie mobile et sur lesquels ils n'accueillent pas aujourd'hui d'autres opérateurs. En effet, dans le cadre du déploiement de la téléphonie mobile de 3e génération, des obligations de mutualisation en faveur d'un opérateur qui ne disposerait pas d'un réseau GSM pèsent sur les trois opérateurs titulaires de licences GSM/DCS ".
Cette perspective demeure toutefois très incertaine quant à son rythme et quant à son ampleur. L'obligation de mutualisation ne jouerait pleinement qu'au profit d'un nouvel entrant sur le marché de la téléphonie mobile de troisième génération. Or, la perspective d'attribution d'une quatrième licence de téléphonie de troisième génération est aujourd'hui très incertaine. A ce jour, la mutualisation des pylônes exploités par les opérateurs de téléphonie mobile demeure faible : seulement [...] % des pylônes de France Télécom, [...] % des pylônes d'Orange et [...] % des pylônes de SFR sont mutualisés. S'il ne peut donc être exclu que le taux de mutualisation progresse dans les années à venir, l'analyse de l'opération ne peut se fonder principalement sur cette hypothèse très incertaine, même si la concurrence potentielle constituée par les opérateurs de téléphonie mobile, et à titre principal par SFR, doit être prise en compte.
La loi (article L. 1511-6 du Code général des collectivités territoriales) autorise les collectivités locales à créer des infrastructures destinées à supporter des réseaux de télécommunications, ce qui pourrait être de nature à permettre une meilleure entrée des concurrents potentiels, que ce soit sur le marché amont de l'accueil sur site ou sur celui aval de la téléphonie mobile. Il convient cependant de nuancer cette concurrence potentielle par le fait, d'une part, que ces mêmes collectivités sont incitées à privilégier la mutualisation des sites, et que, d'autre part, les coûts d'ingénierie, d'installation, et d'aménagement seraient alors supportés par ces collectivités locales, qui devront en pratique s'adjoindre les compétences des compagnies de sites capables de proposer un ensemble complet de prestations. De par sa position sur le marché, TDF bénéficiera dans cette optique d'une position privilégiée. Il est donc vraisemblable que les collectivités locales ne pourront que contribuer de manière limitée à l'émergence d'un nouvel entrant sur le marché.
Le Conseil de la concurrence conclut que l'opération vient renforcer la position dominante du groupe France Télécom sur le marché de l'accueil sur sites pylônes des équipements de télécommunications mobiles de 2e et 3e génération, même si l'on fait l'hypothèse que l'ensemble des sites pylônes exploités par les opérateurs de téléphonie mobile sera dans un futur proche mutualisé. Le Conseil relève en outre que " cette situation pourrait conduire à la création de zones d'exclusion de certains opérateurs dans la mesure où, sur une zone géographique déterminée, le groupe France Télécom détiendrait, à l'issue de l'opération, l'ensemble des sites pylônes nécessaires au développement optimal du réseau ".
On peut en outre noter que, dans la configuration actuelle du marché, TDF détiendra à lui seul, postérieurement à l'opération, [60-70] % du marché. Compte tenu des barrières à l'entrée observées sur ce marché, et compte tenu des incertitudes quant à la perspective d'une entrée significative, dans un délai raisonnable, des opérateurs de téléphonie mobile sur le marché, il ne peut être exclu que l'opération ne résulte en une création ou un renforcement de position dominante au profit de la seule société TDF, même si l'on ne prenait pas en compte les pylônes exploités par France Télécom et Orange. Dans cette optique, le Conseil, bien qu'il ait, à juste titre, conduit son analyse en considérant le groupe France Télécom dans son ensemble, sans faire de distinction entre les différentes filiales, relève le pouvoir de marché accru de TDF et souligne que l'opération " pourrait conduire à une augmentation du prix des prestations d'accueil offertes par TDF " ;
Sur le plan vertical, le Conseil de la concurrence relève qu'il existe " un risque de forclusion sur le marché de la téléphonie mobile, lié à l'intégration, au sein du groupe France Télécom, d'un opérateur de téléphonie mobile (Orange), et d'un opérateur d'accueil sur site ".
Il souligne que l'on peut craindre que tout opérateur n'appartenant pas au groupe France Télécom ou n'ayant pas de lien privilégié doive subir cette " restriction de l'accès au marché [qui] peut se faire sous couvert de raisons purement techniques telles que l'insuffisance de la structure du pylône, etc., mais aussi par des conditions d'accueil discriminatoires " conduisant ce type d'opérateur à éprouver des difficultés à trouver un site d'accueil, voire être exclu des zones où le groupe détiendrait l'ensemble des sites.
Ce risque est d'autant plus sensible dans le contexte actuel de recherche de sites disponibles pour constituer, dans le cadre de l'UMTS, un réseau beaucoup plus dense. Les impératifs liés aux délais sont significatifs pour les opérateurs prévoyant le déploiement de leur réseau. Il apparaît ainsi, comme le souligne le Conseil de la concurrence, que " l'accès aux sites sera un enjeu majeur pour l'ouverture de ce marché " ;
Sur le plan horizontal, le renforcement de la position dominante de TDF et du groupe France Télécom est de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché concerné de l'accueil sur site pylône d'équipements de téléphonie mobile de 2e et 3e génération.
Le Conseil suggère que le risque de forclusion pourrait être prévenu par " la publication d'un catalogue de prix répertoriant les prestations offertes afin de garantir l'accès aux sites dans des conditions tarifaires objectives, transparentes et non discriminatoires ". Un tel catalogue des prix doit permettre la préservation du caractère non discriminatoire et transparent des conditions tarifaires offertes à l'ensemble des opérateurs.
Afin de compenser le renforcement de TDF, et partant du groupe France Télécom, résultant de l'apport du parc de pylônes de Bouygues Telecom, il est également nécessaire d'imposer des sujétions nouvelles à la politique commerciale de TDF. Afin de prévenir le risque, relevé par le Conseil, qui pourrait résulter d'une position difficilement contournable de TDF dans certaines zones géographiques, le catalogue devra notamment établir un tarif unitaire national pour la prestation d'accueil sur site pylône. Dans la même logique, il est également nécessaire de prévenir toute vente liée ou toute remise de couplage associant plusieurs pylônes.
En outre, l'opération pourrait avoir un impact sur des marchés avals au marché d'accueil sur site pylônes d'équipements de téléphonie, si les prestations d'accueil sur sites pylônes étaient couplées avec des prestations de maintenance ou des prestations d'ingénierie, autres que celles indissociables et liées par nature à l'accueil sur site.
Bien que l'opération conduise au renforcement de la position dominante du groupe France Télécom, à travers l'apport des sites pylônes de Bouygues Telecom à sa filiale TDF, le Conseil de la concurrence a relevé que l'opération apportait au progrès économique une contribution susceptible de compenser partiellement les atteintes à la concurrence découlant de l'opération. Le Conseil note " qu'une mutualisation accrue des pylônes cédés contribue au développement des marchés de la téléphonie mobile, et notamment à l'ouverture du marché de l'UMTS, en réduisant les besoins en investissement de chacun des opérateurs concernés " et que TDF " assure que son principal objectif économique et commercial est de développer ce taux [de mutualisation] ". Le Conseil conclut que cette mutualisation contribuera à la réalisation de cet objectif d'intérêt général " à la condition qu'elle s'exerce de manière complète, transparente, et non discriminatoire ".
Par lettre en date du 26 avril 2002, la société TDF a souscrit les engagements suivants :
" 1. La société TDF s'engage à élaborer, publier, et mettre en œuvre un catalogue de prix répertoriant les prestations offertes afin de garantir aux opérateurs de téléphonie mobile de 2e et 3e génération l'accès au site dans des conditions tarifaires objectives, transparentes et non discriminatoires. Ce catalogue devra être adressé au ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie en vue de l'agrément de sa nomenclature dans un délai de 5 mois à compter de la date d'autorisation de l'opération.
Le catalogue élaboré par TDF devra respecter les principes suivants :
élaboration d'une nomenclature de prestations et des tarifs d'accueil sur site pylône d'une station de base de radiocommunication fondée sur des critères transparents, objectifs et non discriminatoires (notamment en termes de niveau de prix, de durée des contrats, de délai et de conditions d'exécution, et d'élaboration et d'imputation des coûts liés aux évolutions nécessaires à l'accueil de nouveaux équipements) ;
tarification nationale de l'accueil sur site pylône établie de façon homogène quelle que soit sa situation géographique. Lorsque, à titre exceptionnel, la tarification de l'accueil sur un site pylône diverge de cette tarification nationale, TDF doit être en mesure de démontrer que cet écart résulte d'un surcoût objectif ;
exclusion de toute forme de couplage, qu'il s'agisse d'un couplage de plusieurs pylônes ou du couplage de la prestation d'accueil sur site avec tout autre service complémentaire, en particulier les prestations d'ingénierie (autres que celles indissociables et liées par nature à l'accueil sur site) et de maintenance d'équipements de radiocommunication.
2. La société TDF s'engage à rendre compte lors de chaque modification de la nomenclature du catalogue des prix ou, en tout état de cause annuellement, de l'exécution des engagements ci-dessus, au ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie. Par ailleurs, la société TDF informera le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie des modifications tarifaires éventuellement apportées au catalogue. "
Le catalogue de prix a ainsi pour objectif de prévenir tout comportement discriminatoire de la part de TDF, compte tenu de son appartenance au groupe France Télécom, et a également pour objet de permettre la vérification de la bonne exécution des engagements portant sur la politique commerciale de TDF.
Ces engagements sont souscrits jusqu'au 31 décembre 2006.
On relève enfin que l'accord-cadre de location que Bouygues Telecom a conclu avec TDF comporte une disposition accordant à Bouygues Telecom, jusqu'au 1er décembre 2006, le bénéfice d'un droit de préférence dans l'hypothèse où un autre opérateur souhaiterait s'installer sur l'un des sites concernés par l'opération.Cette clause prévoit que Bouygues Telecom doit être informé par TDF de toute demande de location faite par un autre opérateur, que Bouygues Telecom dispose alors d'un délai de 20 jours pour faire savoir s'il souhaite exercer ce droit de préférence et que, faute pour Bouygues Telecom de faire suivre l'expression de son droit de préférence de l'installation effective d'équipements de radiocommunication, des pénalités contractuelles sont prévues.
Le Conseil de la concurrence a estimé, dans son avis précité, que cette déchéance du droit de préférence n'est enserrée dans aucun délai et que les pénalités stipulées apparaissent très faibles, au regard de la possibilité qui est ainsi laissée à Bouygues Telecom de geler l'accès de ses concurrents aux pylônes cédés. Cependant, Bouygues Telecom a clarifié ce point devant le Conseil et précisé que le délai de mise en œuvre du droit était fixé à 10 semaines. Par lettre en date du 23 avril 2002, Bouygues Telecom a confirmé au ministre le caractère contractuel de ce délai. Compte tenu de cette clarification, les risques relevés par le Conseil peuvent être finalement, sur ce point, écartés.
Le Conseil estime par ailleurs que la clause de préférence est de nature à limiter les possibilités de partage des sites concernés. Cependant, un tel risque de limitation de l'accès aux pylônes apparaît peu probable : en effet, si la clause de préférence a bien pour conséquence de créer un droit de priorité au profit de Bouygues, lui conférant ainsi la garantie d'être le premier opérateur à installer des équipements de radiocommunication notamment de troisième génération, sur les pylônes concernés par l'opération, elle ne fait nullement obstacle à ce que d'autres opérateurs s'installent par la suite sur le même pylône. S'il peut être argumenté que le dernier opérateur à s'installer sur un pylône peut avoir à supporter des coûts supplémentaires liés notamment à la nécessité de renforcer la structure du pylône, cette contrainte technique est indépendante de l'existence ou non d'une clause de préférence au profit de Bouygues Telecom. Il s'en conclut que si la clause de préférence hiérarchise les possibilités d'accès aux sites concernés, elle ne les élimine pas.
Bouygues Telecom a en outre indiqué devant le Conseil qu'elle serait prête à ne pas faire jouer la clause de préférence, dans le cas où, alors qu'elle-même serait devenue titulaire d'une autorisation 3G, une demande d'emplacement serait adressée par un autre opérateur titulaire d'une autorisation 3G mais ne disposant pas d'une autorisation GSM. Par lettre en date du 23 avril 2002, Bouygues Telecom a confirmé au ministre qu'il n'opposerait pas son droit de préférence à l'encontre d'un tel opérateur. Cet amendement à la clause de préférence préserve ainsi dans leur intégralité les droits d'un futur 4e entrant sur le marché de l'UMTS, dans l'hypothèse où Bouygues Telecom déciderait lui-même d'entrer sur ce marché. Ainsi aménagée, la clause de préférence n'a pas en elle-même pour effet de créer une barrière à l'entrée sur le marché de l'UMTS.
Le Conseil de la concurrence relève par ailleurs que le dispositif introduit par la clause de préférence est de nature à protéger Bouygues Telecom contre les risques d'un éventuel abus de la position dominante que France Télécom et sa filiale TDF détenaient avant l'opération et qu'il réduit notamment les risques de forclusion résultant de l'intégration de cet opérateur dominant au groupe France Télécom.
Il s'en conclut que, du seul point de vue de l'examen de l'opération de concentration, et compte tenu des précisions apportées par Bouygues Telecom, la clause de préférence n'a pas pour effet de modifier substantiellement les conditions de fonctionnement des marchés, telles qu'elles pouvaient être observées antérieurement à l'opération.
Il peut cependant être contesté que la clause de préférence concédée par TDF à Bouygues Telecom soit absolument nécessaire à la réalisation de l'opération ou inhérente à son objet principal.
En tout état de cause, la présente décision est sans préjudice de l'application des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce. Dans la mesure où des restrictions ne sont pas directement liées et nécessaires à la réalisation de l'opération en question et, partant, ne sont pas automatiquement couvertes par la décision du ministre, elles relèvent, le cas échéant, de la compétence du Conseil de la concurrence statuant au contentieux.Ainsi, dans une décision en date du 17 mars 2000 relative à une concentration dans le secteur des produits sidérurgiques, le ministre a précisé que sa décision était " sans préjudice d'un examen éventuel des effets de la clause de non-concurrence au titre de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 [article L. 420-1 du Code de commerce] ". A titre de comparaison, la communication de la Commission européenne relative aux restrictions directement liées et nécessaires à une opération de concentration, en date du 4 juillet 2001, rejoint cette analyse en ce qui concerne l'application de l'article 81 du traité aux opérations de concentration de dimension communautaire. La communication précitée précise notamment que les litiges liés à une telle question relèvent de la compétence des juridictions nationales.
Compte tenu de la contribution que l'opération apporte, dans une certaine mesure, au progrès économique et considérant que l'élaboration d'un catalogue de prix et les engagements relatifs à la politique commerciale de TDF, en faisant peser sur TDF des contraintes nouvelles, sont de nature à contrebalancer le renforcement de position dominante qui, en l'absence de telles mesures, aurait résulté de l'accroissement du parc de pylônes de TDF consécutif à l'opération, je vous informe que, sous réserve du respect des engagements souscrits, je n'entends pas m'opposer à l'opération notifiée.
Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et les parts de marché exactes remplacées par des fourchettes.
NOTE (S) :
1) Précision : il s'agit des effectifs du groupe France Télécom.