CA Paris, 4e ch. A, 8 décembre 1999, n° 1998-01236
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Prisma Presse (SNC)
Défendeur :
Chanel (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
M. Lachacinski, Mme Magueur
Avoués :
SCP Teytaud, SCP Hardouin-Herscovici
Avocats :
Mes Boutron, Stenger.
Faits et procédure
La société Chanel est titulaire de la marque Chanel régulièrement renouvelée, enregistrée sous les numéros, notamment :
- 1 571 469 pour désigner les produits ou les services dans les classes 1 à 42,
- 1 227 492 pour désigner les produits "montres, stylos et briquets" dans les classes 14, 16 et 34,
- 1 124 347 pour désigner les produits de parfumerie, savonnerie et de beauté, fards, ustensiles de toilettes des classes 3 et 21.
La société Chanel a fait grief à la société Prisma Presse d'avoir dans les numéros :
- 384 du 20 mars 1995 page 40 de la revue Voici publié un article intitulé "Des tailleurs à la Schiffer" présentant d'un côté une photographie de Claudia Schiffer portant un tailleur "Chanel", de l'autre une photographie représentant un mannequin revêtu d'un ensemble du même genre et indiquant le prix de chacun des éléments composant ledit ensemble.
Sur la page suivante apparaissent une photographie de Claudia Schiffer portant une veste "Chanel" accompagnée de la mention "Vu chez Chanel" et, à côté, une autre photographie montrant un mannequin arborant une veste du même genre avec indication de son prix et des points de vente.
Ces comparaisons sont soutenues par le titre "Des tailleurs à la Schiffer" suivi de la phrase "Oubliez les classiques stricts, faites comme Claudia, adoptez les nouvelles coupes.., à des prix allégés" ;
- 394 du 29 mai 1995 de la même revue présenté sous le titre "Match" une comparaison entre deux sacs Chanel et deux sacs Prisunic, assortie du texte suivant :
"Le matelassé, on connaît. Qui copie qui, vous le savez. Celui qui nous fait toutes rêver et qu'on aura peut-être un jour (s'il nous l'offre!) se trouve chez Chanel au 42 avenue Montaigne à partir de 4 100 F", suivi de "En attendant le prince charmant, offrez vous la version en agneau de Prisunic à 265 F".
Assigné le 18 juillet 1995 par la société Chanel, le Tribunal de grande instance de Paris, par jugement du 19 septembre 1997 a :
- dit que la société Prisma Presse en utilisant la marque Chanel et en présentant des produits portant cette dernière pour attirer l'attention du lectorat de la revue Voici numéros 384 et 394, valoriser et promouvoir des produits en raison uniquement de leur caractère approchant, a fait un usage illicite de ladite marque,
- condamné la société Prisma Presse à verser à la société Chanel la somme de 150.000 francs à titre de dommages et intérêts,
- autorisé la société Chanel à faire publier le dispositif du jugement dans trois journaux ou revues de son choix aux frais de la société Prisma Presse et sans que le coût total de ces publications à la charge de cette dernière ne dépasse la somme de 60 000 F,
- dit n'y a voir lieu à exécution provisoire et a condamné la société Prisma Presse aux entiers dépens;
Vu l'appel interjeté le 21 novembre 1997 par la société Prisma Presse laquelle par conclusions signifiées le 23 mars 1998 conclut à l'infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et à la condamnation de la société Chanel à lui payer la somme de 40 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu les écritures signifiées le 28 avril 1998 par la société Chanel qui sollicite, outre la condamnation de la société Prisma Presse à lui payer la somme de 30 000 F pour ses frais non compris dans les dépens, la réformation du jugement entrepris aux motifs que la société Prisma Presse est responsable d'avoir fait un usage illicite de sa marque en se servant de celle-ci dans des publicités comparatives illicites des sacs et vêtements respectivement dans les numéros 394 et 384 de la revue Voici qu'elle édite et qu'elle a ainsi commis une faute qui lui a occasionné un préjudice que le tribunal a exactement évalué à la somme de 150 000 F ;
Sur quoi, LA COUR
Considérant que la société Chanel pour conclure que la société Prisma Presse est présumée être l'auteur des publicités comparatives qu'elle n'a pas autorisées, lui reproche d'avoir fait un usage illicite de sa marque Chanel au motif qu'il n'est pas possible de savoir à la lecture des deux articles incriminés si l'éditeur a agi sur commande d'annonceurs ou de sa propre initiative ;
Qu'elle considère qu'il ne saurait être soutenu que les articles et présentations incriminés ne constituent pas des publicités mais des articles d'information, alors selon elle, qu'outre le fait que la qualité d'annonceur est sans influence sur leur nature publicitaire, ils ont pour vocation de présenter des offres de vente à des clients potentiels et de provoquer chez eux le désir d'acheter par les moyens publicitaires classiques que sont des images et des slogans ;
Considérant que s'il ne saurait être fait grief à la société Prisma Presse de publier des articles illustrés de photographies mettant en évidence des produits de parure présentant un intérêt d'actualité reflétant les tendances du style et de la mode, elle se doit cependant d'avoir un comportement commercial exempt de reproches lorsqu'elle oppose dans ses publications des produits de nature ou de prix différents ;
Que contrairement à ce qu'elle soutient, les informations qu'elle a diffusées dans les deux numéros de la revue Voici constituent des publicités dans la mesure où effectuées dans un but strictement commercial, quand bien même elles ne l'ont pas été pour le compte d'un annonceur mais dans un intérêt personnel, elles sont manifestement destinées, par référence et évocation de produits de luxe, à produire un effet psychologique sur les lecteurs en leur fournissant le prix, la nature et lieu de vente de produits de substitution approchant par leur apparence ceux susceptibles d'être convoités par les consommateurs;
Sur les articles et présentations diffusés aux pages 40 et 41 du n° 384 de la revue Voici
Considérant que les représentations de la photographie de Claudia Schiffer portant un tailleur Chanel avec la mention "Sous un tailleur Chanel, à jupe zippée, Claudia porte un balconnet à paillettes irisées" ou "Vu chez Chanel veste de lainage fileté d'argent, à zipper devant et sur les hanches" permettent à la société Chanel d'invoquer les dispositions de l'article L. 121-8 du Code de la consommation dans la mesure où elle démontre que cette publicité destinée à induire le comportement du consommateur porte sur la comparaison de vêtements qui ne sont pas de même nature car ne s'adressant à la même clientèle;
Que la société Prisma Presse ne saurait donc soutenir qu'elle n'a fait que procéder dans un but informatif à une comparaison objective des produits portant sur leurs caractéristiques essentielles, significatives, pertinentes et vérifiables;
Que cette comparaison qui ne comporte aucune information sur la nature et les qualités essentielles de chacun des produits opposés, outre qu'elle est dépourvue de loyauté, est également prohibée par les dispositions de l'article L. 121-9 du Code de la consommation qui interdit de tirer avantage de la notoriété attachée à une marque;
Qu'en effet, celle-ci n'a pour objectif d'inciter le lecteur à s'intéresser aux produits réputés de la marque Chanel, mais davantage à convaincre le consommateur a acheter des produits de substitution lui permettant de s'identifier soit à ladite marque, soit au mannequin qui la représente;
Que le jugement déféré qui a débouté la société Chanel sera par conséquent réformé de ce chef ;
Sur les articles et représentations diffusés à la page 38 du numéro 394 de la revue Voici
Considérant que sous le titre Match, la revue Voici oppose, avec indication de prix, deux sacs à main matelassés commercialisés par Chanel à deux autres sacs en "version en agneau" vendus par Prisunic ;
Que cette présentation constitue une publicité comparative d'autant plus affirmée qu'elle figure sous la mention Match, révélatrice de l'intention délibérée de la société Prisma Presse de mettre en compétition deux types de produits ;
Que la société Prisma Presse en effectuant une publicité mettant en comparaison des produits à l'aide de la citation ou la représentation de la marque Chanel et de la dénomination sociale Prisunic a méconnu les dispositions de l'article L. 121-8 du Code de la consommation qui lui imposaient de comparer objectivement des produits de même nature et s'agissant de la comparaison portant sur les prix, de produits identiques vendus dans les mêmes conditions;
Qu'elle a également à l'aide du libellé du texte assortissant les deux produits, et notamment " Le matelassé, on connaît. Qui copie qui, vous le savez ", utilisé la notoriété de la marque Chanel au profit d'un produit concurrent, alors que l'article L. 121-9 du Code sus-visé prévoit que la comparaison ne peut présenter des produits comme l'imitation ou la réplique de produits revêtus d'une marque préalablement déposée;
Qu'en faisant référence dans ses publicités à la marque Chanel afin de convaincre ses lecteurs qu'ils pouvaient acquérir des produits de même style à un moindre prix, elle a, en outre, utilisé de mauvaise foi la marque protégée;
Que le jugement déféré sera en conséquence réformé ;
Considérant que c'est par une exacte appréciation du préjudice que les premiers juges ont fixé à la somme de 150 000 F le montant des dommages et intérêts du par la société Prisma Presse à la société Chanel ;
Que les frais non compris dans les dépens engagés en cause d'appel par la société intimée doivent être fixés à la somme de 30 000 F ;
Que la demande formée par la société Prisma Presse au même titre devra être rejetée ;
Par ces motifs : confirme le jugement rendu le 19 septembre 1997 par le Tribunal de grande instance de Paris en ce qu'il a dit que la société Prisma Presse a fait un usage illicite de la marque Chanel, le réformant pour le surplus et y ajoutant, dit que la société Prisma Presse, aux pages 40 et 41 du numéro 384 et à la page 38 du numéro 394 de la revue Voici qu'elle édite, a également fait un usage illicite de la marque Chanel en se servant de cette marque dans des publicités comparatives illicites de sacs et de vêtements, condamne la société Prisma Presse à payer à la société Chanel la somme de 30 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, le condamne aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit des avoués dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.