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Décisions

CA Orléans, ch. com., économique et financière, 27 mai 1999, n° 97-03203

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sorodis (SA)

Défendeur :

Lidl (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Lardennois

Conseillers :

M. Puechmaille, Mme Boury

Avoués :

SCP Laval Lueger, Me Garnier

Avocats :

SCP Merle Hervouet Chevallier, Me Houssain.

T. com. Romorantin, du 26 sept. 1997

26 septembre 1997

le 26 avril 1995, jour d'ouverture de la succursale de Romorantin du magasin Lidl, la Centre Leclerc de cette même ville a fait distribuer des tracts ainsi libellés :

" Le 26 avril 1995, certains ont prétendu faire baisser les prix.

Aujourd'hui, au Centre Leclerc, nous nous apercevons que nous sommes les moins chers et n'hésitons pas à l'afficher. "

Que la document comportait une liste de prix mettant en parallèle deux colonnes représentant d'une part les prix Leclerc, d'autre part, les prix de la concurrence.

Prétendant que cette forme de publicité comparative constituait un acte de concurrence déloyale, en ce que, d'une part, l'identification de la cible de cette publicité était aisée et, en ce que cette publicité portait sur des produits non strictement identiques, la SNC Lidl a fait assigner la société Sorodis (Centre de Distribution Leclerc) en paiement de dommages-intérêts et afin d'obtenir l'affichage du jugement à intervenir.

Statuant sur cette demande et la demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive de la société Sorodis, le Tribunal de commerce de Romorantin, par décision du 26 septembre 1997, a fait droit, dans son principe, à la demande de la SNC Lidl et a condamné la société Sorodis à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts, à faire afficher la décision pendant quinze jours, sous astreinte de 2 500 F par jour de retard, à apposer sur la porte d'entrée principale de l'établissement E. Leclerc une affiche de dimension 1 mètre par 50 centimètres, à faire publier, à ses frais, dans la Nouvelle République et le Berry Républicain, le jugement pour un coût maximum de 5 000 F par insertion et, enfin, condamné la société Sorodis à payer à la SNC Lidl la somme de 10 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Sorodis a interjeté appel de cette décision.

Elle sollicite de la cour l'infirmation de la décision déférée et le rejet de toutes prétentions adverses.

Elle demande la condamnation de son adversaire à lui payer la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire, outre une indemnité de 15 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Sorodis qui rappelle qu'il appartient à la société Lidl de faire la preuve de sa faute et d'un préjudice en relation avec elle, plaide, en l'espèce, l'absence de toute faute de sa part et de tout préjudice subi par l'intimée.

S'agissant du préjudice allégué, la société Sorodis fait valoir qu'il ne résulte d'aucune des pièces produites.

En outre, elle fait valoir que son adversaire est particulièrement infondée à lui faire grief de sa publicité, alors que les pièces qui ont été produites en première instance sur son injonction, ont révélé que la SNC Lidl avait, elle-même, lors de l'ouverture de son magasin, utilisé exactement les mêmes procédés publicitaires que ceux qu'elle reproche à son adversaire d'avoir utilisés.

En effet, elle indique que la société Lidl s'est livrée à une publicité extrêmement agressive, au moment de son ouverture, annonçant au public que le consommateur allait désormais acheter moins cher.

La société appelante rappelle que depuis la loi du 18 janvier 1992, la publicité comparative n'est plus interdite mais simplement réglementée de telle manière que le consommateur puisse faire une comparaison de divers produits.

A cet égard, elle fait grief au tribunal de n'avoir pas recherché, avant de prononcer une condamnation pour concurrence déloyale, s'il y avait eu, ou non, publicité erronée sur les prix au moment de la distribution des tracts publicitaires de sa société, dès lors que la publicité a été faite en juin 1995 alors que le constat de Maître Dubee a été dressé en décembre de la même année, soit six mois plus tard.

Elle prétend que l'examen des pièces révèle qu'elle a comparé des prix de produits identiques et, qu'à chaque fois, il s'est avéré que ses produits étaient moins chers que ceux de la société Lidl, en sorte que sa publicité a visé à assurer une parfaite information du consommateur, ce dont ne s'était pas préoccupée la société Lidl.

Enfin, la société Sorodis fait grief au tribunal de ne s'être pas penché sur sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts en violation de l'article 5 du nouveau Code de procédure civile qui impose au juge de se prononcer sur tout ce qui est demandé.

C'est pourquoi elle réitère devant la cour sa demande d'indemnisation du préjudice résultant pour elle de cette procure qu'elle juge abusive.

La SNC Lidl sollicite la confirmation de la décision et demande que la société Sorodis soit condamnée à lui payer outre 50 000 F pour procédure abusive, la somme de 10 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Rappelant le fondement quasi délictuel de sa demande et faisant valoir qu'il est de jurisprudence constante que les publicités comparatives illicites constituent des actes de concurrence déloyale, l'intimée estime que le caractère illicite de la publicité incriminée résulte de ce que la société Sorodis s'est livrée à la comparaison de prix de produits non strictement identiques puisqu'elle commercialise certains produits exclusivement fabriqués par elle en sorte que leur strict équivalent ne peut pas se trouver en vente dans une autre surface commerciale.

De plus, la société Lidl fait observer qu'alors que le tract de la société Sorodis garantissait les prix jusqu'en décembre 1995, le constat de Maître Dubee dressé en décembre 1995 a fait apparaître que certains prix n'étaient pas respectés.

Sur les reproches qui lui sont adressés, la société Lidl rétorque à son adversaire, qu'elle n'a nullement contrevenu aux dispositions sur la publicité en faisant paraître sa propre publicité puisqu'elle s'est contentée de fournir au consommateur des indications sur les prix de ses propres produits.

Quant à son préjudice, la société intimée indique qu'il s'infère nécessairement des actes de concurrence déloyale et que face à une situation difficilement quantifiable, le tribunal a justement fixé son indemnisation et a justement ordonné les mesures de publicités s'imposant en la matière.

Sur quoi,

Attendu qu'il résulte de l'article L. 121-8 du Code de la consommation que la publicité comparative sur les prix n'est licite que si elle compare des produits identiques et indique la durée pendant laquelle les prix sont maintenus ;

Qu'il est admis que le terme identique signifie que les produits comparés doivent être les mêmes quant à la nature, la marque, l'origine, la qualité ou la quantité ;

Qu'en l'espèce, le tract de la société Sorodis porte sur la comparaison du prix de produits génériques, sans précision ni de marque, ni de qualité, ni d'origine, comme :

- beurre doux, 250 gr,

- quatre flans, 400 gr,

- lait 1/2 écrémé, 1 litre, etc... ;

Qu'une telle publicité viole les dispositions légales ;

Que pour elliptique que soit la motivation des premiers juges, ils n'en ont pas moins justifié leur décision en retenant pour cette raison, l'illicéité de la publicité incriminée ;

Qu'il est en outre admis que celui qui fait une publicité doit pouvoir justifier de la réalité des allégations qui y sont contenues ;

Or,attendu que le constat de Maître Dubee dressé dans le courant du mois de décembre 1995, fait apparaître que la société Sorodis n'offrait pas à la vente au moins quatre des produits objet de la publicité comparative, au prix indiqué sur le tract (pastis, whisky, gentiane et punch) ;

Que les premiers juges ont encore à bon droit retenu cet élément pour caractériser l'illicéité de la publicité de la société Sorodis, étant précisé que faute d'aucune indication de marque permettant d'identifier strictement le produit, le Centre Leclerc s'est interdit de contester la valeur des constatations de Maître Dubee, et qu'en outre, il ne saurait se prévaloir du caractère tardif de ce constat, dès lors qu'il a été dressé avant la date limite de validité des prix annoncée sur le tract pour le 31 décembre 1995 ;

Et attendu que s'il peut être fait grief au tribunal d'avoir fixé le préjudice de la société Lidl sans la moindre motivation, il n'en reste pas moins que ce préjudice s'infère nécessairement des actes déloyaux ;

Que le tribunal de commerce a justement évalué à 100 000 F ce préjudice, sans que l'on puisse faire grief à la société Lidl de sa carence à en administrer la preuve, eu égard à la nature particulière de celui-ci qui interdit toute approche scientifique de son évaluation ;

Attendu que la nature de l'affaire justifie, par ailleurs, les mesures de publicité ordonnées par le tribunal ;

Qu'il échet de confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

Attendu que cette confirmation exclut qu'il soit fait droit à la demande de la société Sorodis tendant à faire constater le caractère abusif de la procédure initiée par la SNC Lidl ;

Attendu que nonobstant le rejet de l'intégralité des prétentions de la société Sorodis, l'intimée ne caractérise pas l'exercice d'un abus de droit de cette société d'agir en justice, non plus que l'existence du préjudice que lui aurait causé cette procédure, distinct de celui résultant des frais engagés pris en charge au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Qu'elle sera également déboutée de ce chef de prétention ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser supporter à la SNC Lidl, les frais non récupérables comme dépens qu'elle a exposés ;

Qu'il lui sera alloué une indemnité de 8 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Reçoit la société Sorodis en son appel, L'y déclare mal fondée, Confirme la décision déférée, Condamne la société Sorodis à payer à la SNC Lidl la somme de 8 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déboute les parties de toutes prétentions plus amples ou contraires, Condamne la société Sorodis aux entiers dépens de première instance et d'appel, Accorde à Maître Garnier, avoué, le droit prévu par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.