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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 26 mars 1999, n° 9232-98

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

France Télécom

Défendeur :

Cégétel 7 (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gillet

Conseillers :

Mmes Obram Campion, Bourquard

Avoués :

SCP Bommart-Minault, SCP Lefèvre-Tardy

Avocats :

Me Mandolini, SCP Lenoir-Jeannet, Associés.

T. com. Nanterre, du 29 oct. 1998

29 octobre 1998

Faits et procédure :

- I -

I-1 Considérant que le 28 mai 1998 la société Cégétel 7 a lancé une campagne publicitaire radiodiffusée composée de trois messages s'adressant aux entreprises et soulignant en substance sur le mode plaisant, d'une part l'inadaptation pour les professionnels de tarifs téléphoniques favorables de nuit, les intéressés pouvant avoir " envie de tarifs intéressants aux heures où (ils) travaille(nt) " (thème du message " La nuit ") ou encore la difficulté, pour une entreprise, au regard d'une tarification unitaire, de " trouver ... normal " que " c(e soit) toujours le même prix " ou qu'" on (ne) lui fa(sse) rien ... pas de prix " lorsqu'elle " passe 50 000 coups de fil " ou lorsqu'elle " passe des tonnes de coups de fil par an " (thème des messages " Les yaourts " et " Les boulons " ) ;

I-2 Considérant que la société France Télécom a poursuivi, avec allocation de dommages-intérêts, la cessation de cette campagne, génératrice selon elle de concurrence déloyale et de dénigrement et en tout cas ignorante des conditions légales édictées en matière de publicité comparative ; que par jugement du 29 octobre 1998 le Tribunal de commerce de Nanterre a rejeté cette demande et a alloué à la société Cégétel 7 une somme de 10 000 F pour frais hors dépens ;

- II -

II-1 Considérant que la société France Télécom, appelante, réitère sa demande d'interdiction des messages en cause, sous une astreinte de 100 000 F par " spot ", et la cour se réservant la liquidation d'une telle astreinte ; qu'elle réclame à la société Cégétel une provision de 6 000 000 F à valoir sur son préjudice ; que pour le surplus elle demande que cette société soit astreinte à lui communiquer la liste des diffusions et l'évolution subséquente de son chiffre d'affaires ; qu'elle demande que soit ordonnée la publication de l'arrêt à intervenir dans trois quotidiens nationaux dénommés ; qu'elle sollicite enfin une somme de 40 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

II-2 Considérant que la société Cégétel 7 conclut à la confirmation du jugement et réclame à l'appelante une somme complémentaire de 50 000 F pour frais hors dépens ;

- III -

III-1 Considérant que pour rejeter la demande le premier juge a énoncé que dans les messages incriminés " France Télécom " n'était ni identifiée ni identifiable ", qu'elles que soient les références invoquées ", ce qui interdisait d'y voir un acte de concurrence déloyale ou de dénigrement ; qu'il a relevé, à cet égard, que la libéralisation du marché des télécommunications avait été acquise le 1er janvier 1998 et précédée de l'obtention de licences antérieures, en sorte qu'étaient présents sur ledit marché des opérateurs nombreux, dont la multiplicité et la politique tarifaire interdisait de tenir l'ancien opérateur public pour seule cible de la campagne ; qu'il a encore relevé que les annonces litigieuses s'adressaient à une clientèle professionnelle et non au grand public ; qu'à cela la société Cégétel 7 ajoute que la société France Télécom n'est pas citée et que rien ne permet de situer les messages en cause dans le champ d'application de l'article L. 121-8 relatif à la publicité comparative ; qu'elle déclarer que " les tarifs de France Télécom ne constituent pas une référence obligatoire ", contrairement à ce qu'estimerait cette société, par-là même " nostalgique des temps révolus de son monopole " ; qu'elle rappelle enfin qu'à supposer constitué un rappel dans les messages de la situation monopolistique antérieure " la comparaison entre le passé et le présent n'est pas illicite ", et qu'une analyse contraire " reviendrait à interdire aux opérateurs de communiquer sur les avantages du régime nouveau voulu par le législateur, par rapport aux inconvénients d'un système dépassé " ;

III-2 Mais considérant que sauf à les taxer d'inanité l'intérêt même des messages en cause était pour la société Cégétel 7 de s'assurer des chances d'affaires par la présentation d'avantages spécifiques accordés sur les tarifs, tarifs présumés plus adaptés ou plus logiques que ceux jusqu'alors pratiqués et dont les allusions faites impliquaient, pour que la campagne ait un écho, qu'ils soient notoires ; que le marché en cause se caractérisant, nonobstant son ouverture à la concurrence, par la domination de l'ancien opérateur monopoliste, ces allusions n'avaient évidemment de sens qu'en ce qu'elles renvoyaient à des tarifs pratiqués par cet opérateur et présentant seuls le caractère de notoriété nécessaire, ladite notoriété déclenchant obligatoirement dans l'esprit d'un public même professionnel une identification de bon sens ;que la comparaison ainsi suggérée, conforme à l'esprit du genre et orientée vers la captation évidemment permise d'une part de marché, présentait tout autant la vertu de la transparence que l'attrait de la dérision puisqu'elle s'intégrait à la fois dans une libéralisation présumée salubre de la concurrence et dans le cadre présumé plaisant d'une polémique à l'égard de l'ancien opérateur public ; qu'il n'est pas raisonnable de soutenir que la société France Télécom n'ait pas été la cible, parfaitement reconnaissable, de la campagne en cause ;que le jugement sera donc infirmé ;

III-3 Considérant que cette identification étant établie, la campagne litigieuse, forcément constitutive d'une publicité comparative, ne pouvait bénéficier de l'autorisation exceptionnelle contenue à l'article L. 121-8 du Code de la consommation qu'à condition d'être, notamment, loyale et véridique;que ne remplit pas le critère de loyauté et de véracité une campagne imputant à une société privée et exerçant une activité concurrentielle des pratiques héritées d'une situation monopolistique obligatoire révolue;que d'ailleurs la désuétude prêtée aux tarifs de la société France Télécom ne correspondait pas à la réalité, comme en attestent les informations circonstanciées fournies sur la politique tarifaire pratiquée depuis avril 1997;qu'au surplus la société Cégétel 7 n'a pas satisfait à l'obligation de communication préalable énoncée à l'article L. 121-12 du Code précité ; que les messages en cause ont donc bien présenté le caractère fautif invoqué par l'appelante ;

Que leur cessation sera en conséquence ordonnée comme le sollicite l'appelante, l'astreinte devant être chiffrée à 50 000 F par contravention sans réserve de liquidation par la cour ;

III-3 Considérant que cette cessation étant ordonnée, force est de constater que le préjudice consommé de la société France Télécom n'a résidé que dans l'assimilation faite d'elle, sur le mode de la dérision, à un opérateur dominant certes le marché mais seulement apte à la concession de tarifs inadaptés, jusqu'à un point jouxtant le ridicule, aux impératifs des entreprises ;que de tels propos, équipollents certes à un persiflage, n'ont été dommageables que dans la mesure où ils ont excédé les habituels clichés relatifs aux opérateurs publics actuels ou anciens, clichés peu susceptibles d'altérer une image commerciale largement garantie en l'espèce et encore sujette à amélioration des suites d'épisodes tels celui en cause ; que dans ces conditions il sera fait une équitable appréciation des données de l'espèce en allouant à la société France Télécom un franc de dommages-intérêts, sans recours à une mesure d'interdiction inutile à la société du litige ;

III-4 Considérant que la publication du présent arrêt est nécessaire à la parfaite cessation du fait dommageable et du préjudice et sera ordonnée ;

- IV -

Et considérant que l'équité commande d'allouer à la société France Télécom une somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirmant le jugement entrepris, Interdit à la société Cégétel 7 de poursuivre la diffusion des messages publicitaires mentionnés au paragraphe I-1 ci-dessus et identifiés par les vocables " La nuit ", " Les yaourts " et " Les boulons ", ce sous une pénalité de 50 000 F (cinquante mille francs) par infraction constatée, Condamne la société Cégétel 7 à verser à la société France Télécom un franc de dommages-intérêts, Dit n'y avoir lieu à autre mesure d'instruction, Ordonne la publication du présent arrêt dans trois quotidiens nationaux au choix de la société France Télécom et aux frais de la société Cégétel 7, sans que lesdits frais ne puissent excéder 50 000 F (cinquante mille francs) par insertion, Condamne la société Cégétel 7 aux dépens de première instance et d'appel, avec pour ces derniers droit de recouvrement direct au profit de la SCP Bommart Minault, avoués, La condamne en outre à verser à la société France Télécom une somme de 15 000 F (quinze mille francs) pour frais hors dépens.