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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 1 juillet 1998, n° 96-19423

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Excelsior informatique (SA)

Défendeur :

Pressimage (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mme Mandel, M. Lachacinski

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Annie Baskal

Avocats :

Mes Ortolland, Andrieu.

T. com. Paris, 10e ch., du 28 juin 1995

28 juin 1995

La SARL Pressimage est un éditeur de presse qui diffuse notamment la revue Univers Mac, laquelle traite de différents sujets scientifiques, techniques ou commerciaux à destination des utilisateurs d'ordinateurs Macintosh.

La SA Excelsior Informatique édite quant à elle une revue de même nature intitulée SVM Mac.

Alléguant que cette société en publiant dans le n° 54 daté d'août septembre 1994 de sa revue une publicité intitulée " SVM Mac le numéro 1 de la presse Mac " avait contrevenu " aux dispositions régissant la publicité comparative, la publicité mensongère et plus généralement aux règles du commerce ", la société Pressimage l'a, le 6 décembre 1994, assignée devant le Tribunal de commerce de Paris à l'effet de voir, avec le bénéficie de l'exécution provisoire :

- juger ladite société s'était rendue coupable d'agissements de concurrence déloyale à son encontre,

- prononcer les habituelles mesures d'interdiction sous astreinte et de publication,

- condamner la défenderesse à lui verser les sommes de 300 000 F à titre de dommages et intérêts et de 23 720 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le 13 juin 1995, la société Excelsior a conclu au rejet de la demande et sollicité reconventionnellement l'attribution d'une indemnité de 150 000 F pour concurrence déloyale et d'une somme de 23 720 F pour ses frais hors dépens.

Par jugement du 28 juin 1996 le tribunal a :

- condamné la société Excelsior à payer à la société Pressimage une somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,

- fait interdiction aux deux parties d'utiliser la mention " N° 1 de la presse MAC " sans précisions complémentaires assorties de justifications et ce, sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée,

- dit l'exécution provisoire de sa décision justifiée,

- rejeté toute autres demandes.

La société Excelsior Informatique a interjeté appel de ce jugement le 12 août 1996.

Elle poursuit à titre principal :

- le débouté de la société Pressimage de l'ensemble de ses prétentions,

- la restitution de la somme de 100 000 F par elle versée en vertu de l'exécution provisoire, assortie des intérêts au taux légal à compter de la signification de ses conclusions du 12 décembre 1996,

- l'interdiction pour l'intimée d'utiliser la mention " N° 1 de la presse MAC ",

- la condamnation de la société Pressimage au paiement d'une somme de 150 000 F pour concurrence déloyale.

Subsidiairement, elle fait valoir que l'intimée ne justifie d'aucun préjudice.

En tout état de cause, elle demande l'attribution d'une somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Pressimage sollicite la confirmation de la décision entreprise, sous réserve du montant des dommages et intérêts alloués qu'elle entend voir porter à la somme de 300 000 F et du paiement d'une somme de 20 000 F pour ses frais hors dépens.

Sur ce, LA COUR

I - Sur la demande principale

Considérant que, dans le n° 54 de sa revue daté d'août septembre 1994 la société Excelsior Informatique a publié l'annonce suivante :

" SVM MAC. Le N° 1 de la presse Mac

N° 1 en diffusion

Avec une diffusion totale de 46 641 exemplaires (1) par numéro SVM Mac est le n° 1 incontesté de la presse Mac depuis maintenant dix ans.

N° 1 en audience

Avec 329 000 lecteurs (2) et une augmentation du lectorat de 28 % par rapport à l'étude 91-92, SVM Mac s'affirme comme le vrai n° 1 de la presse Mac.

N° 1 en Europe

SVM Mac est le n° 1 européen de la presse Mac. "

Considérant que cette annonce se référant à l' " OJD 93 " et aux performances de la revue, qualifiée de " claires, précises, contrôlées, certifiées " si elle faisait apparaître une diffusion de 46.641 exemplaires et de 28221 exemplaires pour une publication dénommée Golden, mentionnait en ce qui concerne la revue Univers Mac : " Information OJD non disponible " avec un point d'interrogation.

Que cette publicité a été renouvelée dans le n° 55 de " SVM Mac " daté d'octobre 1994 mais avec un rectificatif lequel contenait pour " Univers Mac " non plus un point d'interrogation mais l'indication " 38436 ex. "

Considérant que la société Pressimage allègue que cette annonce est " constitutive d'un très grave agissements de concurrence déloyale en étant à la contraire aux dispositions régissant la publicité comparative, la publicité mensongère et plus généralement aux règles de commerce ".

Sur la publicité comparative illicite

Considérant que l'intimée fait grief à la publicité en cause d'être contraire aux règles édictées par les articles L. 121.8 et L. 121.12 du Code de la consommation.

Considérant que l'article L. 121-8 du Code de la consommation dispose que la publicité qui met en comparaison des biens ou services, en utilisant la citation ou la représentation de la raison sociale, de la dénomination sociale, du nom commercial ou de l'enseigne d'autrui doit être limitée à une comparaison objective qui ne peut porter que sur des caractéristiques essentielles, significatives, pertinentes et vérifiables de biens ou services de même nature et disponibles sur le marché.

Considérant que l'article L. 121-12 du même Code fait obligation à l'annonceur pour le compte duquel la publicité définie à l'article précédent est diffusée d'une part d'être en mesure de prouver l'exactitude de ses allégations, indications ou présentations, d'autre part, de communiquer avant toute diffusion l'annonce comparative aux professionnels visés, dans un délai au moins égal à celui exigé selon le type de support retenu pour l'annulation d'un ordre de publicité.

Considérant que la société Pressimage allègue, en l'espèce, que la comparaison ne porte que sur l'importance de la diffusion, et que la présentation de la revue Univers Mac accompagnée d'un point d'interrogation et de la mention " information OJD non disponible " qui est à comparer avec " référence oblige, les performances de SVM Mac sont claires, précises, contrôlées, certifiées " présentent " un caractère nécessairement déloyal, destiné à laisser planer un doute sur l'importance de la diffusion d' " Univers Mac " et sur le fait que les dirigeants de ce journal pourraient être à l'origine de ce doute pour dissimuler de prétendus mauvais résultats ".

Considérant que la société Excelsior réplique que les données qu'elle a reproduites sont " objectives, véridiques et vérifiables par le consommateur " et qu'il ne saurait lui être reproché " d'avoir dans son numéro 54 paru le 12 juillet 1994 remplacé le chiffre relatif aux ventes d'Univers Mac par un point d'interrogation dès lors que la société Pressimage s'était refusée à adresser à la concluante sa DSH (déclaration de diffusion sur l'honneur) avec procès-verbal de contrôle par l'OJD alors que ce procès-verbal aurait mis fin à toute dispute entre les parties ".

Qu'en ce qui concerne l'obligation de communication préalable de la publicité prévue par l'article L. 121-12 du Code de la consommation, elle soutient que ce texte ne " prévoit pas de sanction civile propre au défaut d'accomplissement de ladite formalité ".

Considérant, ceci exposé, que s'il ne saurait être contesté que l'information relative à l'importance de la diffusion d'une revue constitue une caractéristique significative, pertinente et vérifiable au sens de l'article L. 121 alinéa 8 du Code de la consommation, la comparaison objective visée par ce texte est d'autant moins respectée en l'espèce que non seulement aucune information de cette nature n'est donnée en ce qui concerne la revue éditée par la Société Pressimage mais encore que le point d'interrogation qui la remplace fait, ainsi que l'a pertinemment relevé le tribunal, " volontairement planer un doute sur la diffusion d'Univers Mac et sur le fait que ses dirigeants pourraient être à l'origine de ce doute pour dissimuler un mauvais résultat ".

Que la société Excelsior ne saurait se justifier en soutenant qu'elle n'aurait publicité obtenir de sa concurrente l'information en cause alors d'une part, que celle-ci n'avait aucune obligation de la lui livrer et d'autre part, qu'il lui était possible de la recueillir auprès du barreau de Contrôle de la Diffusion de la presse payante dit OJD de l'Association pour le contrôle de la diffusion des médias, aux investigations duquel la société Pressimage s'était soumise, notamment le 23 mars 1994 et dont le directeur générale Patrick Bartement a, au demeurant, le 27 septembre 1994, confirmé à Jean-Pierre Beauvalet, directeur général du Groupe Excelsior : " ... la publication des résultats du contrôle du magazine mensuel Univers Mac a eu lieu le 25 juillet 1994 dans le cadre de l'édition mensuelle de nos résultats, envoyée à tous nos membres adhérents ".

Considérant, en outre, que la société Excelsior n'a pas respecté l'obligation qui lui incombait impérativement de communiquer avant toute diffusion l'annonce comparative à la société Pressimage, dans un délai au moins égal à celui qui est exigé pour l'annulation d'un ordre de publicité.

Qu'elle ne saurait arguer du fait que cette dispositions n'est assortie d'aucune sanction spécifique par l'article L. 122-12 du Code de la consommation alors que la violation de ce texte a pour effet d'empêcher la société visée de s'opposer, au besoin par la voie judiciaire du référé, à une annonce inexacte laquelle la présentant défavorablement, lui cause nécessairement un préjudice et s'analyse en une faute au sens de l'article 1382 du Code civil qui engage la responsabilité de son auteur</B>.

Sur la publicité mensongère

Considérant que la société Pressimage fait valoir que les agissements de la société Excelsior tombent également sous le coup de l'article L. 121-1 du Code de la consommation qui prohibe toute publicité comportant des obligations, indications, ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur lorsque celles-ci portent sur des éléments déterminés.

Qu'elle allègue que " les chiffres présentés et la présentation retenue amènent les lecteurs de SVM Mac à croire que cette revue à la diffusion la plus importante du marché " alors que, selon elle " il n'en est rien et que les chiffres reproduits n'ont plus de rapport avec la situation réelle " et qu'en fait, " chacune des revues a alternativement un tirage plus important que l'autre ".

Qu'elle ajoute que " la notion de numéros est également ambiguë car pouvant se rapporter à différents éléments (diffusion totale, vente au numéro, vente par abonnement, ressources publicitaires...) ".

Qu'elle en déduit qu'il convient de retenir l'existence d'une publicité mensongère et de confirmer le jugement en ce qu'il a interdit aux deux parties la référence à la mention " numéro 1 de la presse Mac " sans autre précision.

Considérant que la société Excelsior réplique que " la publicité comparative effectuée dans le magazine SVM Mac et établissant que ce dernier était le plus diffusé auprès du public d'après les chiffres transmis par l'OJD n'était pas mensongère " au motif " qu'il est parfaitement établi par les pièces produites aux débats qu'en 1993, SVM Mac avait une diffusion globale moyenne de 46 256 exemplaires par numéro, alors qu'Univers Mac n'était diffusé dans les mêmes conditions qu'à hauteur de 38 437 exemplaires par numéro " et " qu'en 1994, SVM Mac justifiait d'une vente de 52 467 exemplaires par numéro tandis qu'Univers Mac se limitait à 48 315, ces chiffres passant respectivement à 64 414 et 51 625 pour 1995 ".

Qu'en concluant que " ces données fournies par l'OJD établissent sans contestation aucune que SVM Mac est bien le n° 1 de la presse Mac ", elle soutient qu'on ne saurait la priver du pouvoir d'attraction attaché à cette donnée objective.

Considérant que la société Excelsior a présenté la revue SVM Mac comme " le n° 1 de la presse Mac " en 1993 :

- en diffusion, en invoquant une diffusion totale de 46 641 exemplaires par numéro,

- en audience, en s'attribuant 329 000 lecteurs,

- en surface, laquelle s'étendrait à l'Europe.

Or considérant qu'un procès-verbal de contrôle de l'OJD établi le 31 août 1994 pour l'année 1993 invoquée lui attribue une moyenne de diffusion totale par numéro de 46 256 exemplaires alors que le procès-verbal de contrôle dressé le 23 mars 1994 pour la même année évalue la diffusion d'Univers Mac à 38 436 exemplaires.

Considérant qu'aucune des parties n'a fourni à la Cour d'éléments d'appréciation précis pour l'année 1993 sur le lectorat et la surface de distribution.

Que le tribunal en a donc exactement déduit que si le caractère mensonger de la publicité comparative ne pouvait être retenu en l'état, il convenait de faire défense à l'une et l'autre parties d'utiliser sans précision et justification la mention " n° 1 ".

Sur le préjudice

Considérant que la publicité comparative illicite, retenue en l'espèce, a causé à la société Pressimage un dommage dont les premiers juges ont à juste titre évalué l'indemnisation à la somme de 100 000 F.

II. Sur la demande reconventionnelle

Considérant que la société Excelsior fait grief à la société Pressimage de s'être elle-même livrée à des actes de concurrence déloyale à son préjudice " en affirmant mensongèrement être le numéro un de la presse Mac sur sa publicité à seule fin de s'accaparer la clientèle des annonceurs ".

Qu'elle sollicite de ce chef l'attribution d'une somme de 150 000 F à titre de réparation.

Mais considérant qu'en l'absence de toute justification du grief évoqué, il convient de la débouter de sa demande.

III. Sur les frais hors dépens

Considérant que la société Excelsior succombant, en son appel, ne saurait voir attribuer une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Qu'il est revanche, équitable d'allouer de ce chef à la société Pressimage une somme de 20 000 F.

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de celle fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Le précisant, dit que l'interdiction faite aux deux parties d'utiliser la mention " n° 1 de la presse Mac " sans précisions assorties de justifications, est assortie d'une astreinte provisoire de dix mille F par infraction constatée à compter du délai d'un mois de la signification du présent arrêt et ce pendant une durée de trois mois, passé laquelle la cour qui se réserve expressément ce pouvoir fera à nouveau droit ; Le réformant, condamne la société Excelsior Informatique à payer à la société Pressimage la somme de Vingt Mille Francs (20 000 F) en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Excelsior Informatique aux dépens d'appel ; Admet la SCP Fisselier Chiloux Boulay titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.