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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 22 mai 1998, n° 9353-97

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lilly France (Sté)

Défendeur :

Laboratoires pharmaceutiques Smithkline Beecham (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gillet

Conseillers :

Mmes Obram-Campion, Bourquard

Avoués :

SCP Fievet-Rochette-Lafon, SCP Jupin-Algrin

Avocats :

Mes Samyn, Eschemann.

CA Versailles n° 9353-97

22 mai 1998

I.

I-1 Considérant que la société Lilly France (LF) commercialise sous la marque " Prozac " la fluoxétine, médicament destiné au traitement des épisodes dépressifs, comme le fait la société Laboratoires Pharmaceutiques Smithkline Beecham (LPSB) sous la marque " Deroxat " s'agissant de la paroxétine ; qu'en octobre 1997 la seconde société a déploré de la part de la première des publicités rédactionnelles objets d'une communication préalable du 17 octobre 1997 et intitulées d'une part " Syndrome d'interruption d'un traitement antidépresseur : Quelles conséquences en pratique ? " et d'autre part " Les risques de l'interruption brutale d'un traitement antidépresseur ", comportant une comparaison entre le " Prozac " et la paroxétine s'agissant des " risques d'effets indésirables et de modification de la symptomatologie dépressive lors de l'interruption brutale d'un traitement sérotoninergique " ; que de cette publicité il ressortait, chiffres à l'appui, que " seuls les patients traités par Prozac n'ont pas présenté d'effets indésirables significatifs... ou de variations des scores aux échelles évaluant les symptômes dépressifs à la suite (d'un) arrêt temporaire du traitement " et que " les données de la littérature montrent que le Prozac est le sérotoninergique qui expose le moins au risque de syndrome d'interruption brutale " ; qu'avant la communication du 17 octobre une ordonnance de référé du 14 octobre avait prononcé, " jusqu'à ce qu'il soit statué sur le fond " la suspension d'annonces objets de communication antérieures datées des 16 et 30 septembre 1997 ;

I-2 Considérant que par ordonnance du 13 novembre 1997 le juge des référés du Tribunal de commerce de Nanterre, saisi par la société LPSB qui voyait dans la diffusion de ces publicités un trouble manifestement illicite, a prononcé, en visant sa précédente ordonnance du 14 octobre, la " suspension de toutes publicités ou annonces comparatives pour le Prozac publiées par la société Lilly France ", ce sous une astreinte de 100 000 F par infraction et " jusqu'il soit statué sur le fond " ; que cette décision a relevé en substance que l'ordonnance du 14 octobre 1997 avait déjà ordonné la suspension d'annonces publicitaires dont les articles litigieux n'étaient " qu'une déclinaison " ;

II

II-1 Considérant que la société LF, appelante, conclut à l'annulation de l'ordonnance ; qu'à titre subsidiaire elle sollicite son infirmation, les publications en cause ne constituant selon elle ni une faute ni un trouble manifestement illicite ; qu'elle réclame à la société LPSB un franc de dommages-intérêts et une somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

II-2 Considérant que la société LPSB conclut à la confirmation de l'ordonnance ; qu'elle demande que l'astreinte prononcée par le premier juge soit liquidée à 200 000 F ; qu'elle réclame à la société LF une somme de 30 000 F pour frais hors dépens ;

III

Sur le grief de nullité

III-1 Considérant que pour taxer l'ordonnance de nullité la société LF soutient qu'elle n'est pas valablement motivée ; qu'elle fait valoir qu'en prononçant une interdiction générale " de toutes publicités ou annonces comparatives " elle a statué en dehors d'une demande ne visant qu'à l'interdiction des deux publicités objets de la communication du 17 octobre 1997, textes sur lesquels s'était engagé le seul débat à trancher ;

III-2 Considérant certes qu'en présence d'une interdiction déjà faite et qui avait un objet déterminé, savoir les textes publi-rédactionnels objets des communications des 16 et 30 septembre 1997, l'assignation du 27 octobre 1997 tendait à titre principal, au vu d'un manquement allégué à cette interdiction, à la stipulation d'une astreinte pour garantir sa meilleure application, ce qui paraissait circonscrire le débat de la façon évoquée par l'appelante ;

III-3 Mais considérant qu'à titre subsidiaire la même assignation poursuivait la cessation d'un trouble caractérisé par la diffusion de " publicités irrégulières " dont était demandée la cessation " sous quelque forme que ce soit (suivait une énumération de moyens) " sous une astreinte de 100 000 F par manquement ; que cela prive de pertinence le reproche fait au premier juge d'être sorti du cadre de sa saisine ; que la lecture de la décision fait apparaître un exposé de prétentions et une discussion, certes succincte, interdisant de la tenir pour non motivée ; que les moyens de nullité seront donc rejetées ;

IV

Sur les causes du référé

IV-1 SUR L'ORDONNANCE DU 14 OCTOBRE 1997 ET SES SUITES

Considérant que l'ordonnance de référé du 14 octobre 1997 ayant, sans appel n'en soit relevé, ordonné la suspension d'annonces dont il n'est pas sérieusement contesté que les annonces litigieuses ne sont qu'une reprise, la société LPSB expose en substance que l'ordonnance dont appel ne peut qu'être confirmée puisqu'elle n'a fait que réitérer cette interdiction en y ajoutant l'astreinte commandée par la persévérance de la société LF à y manquer ;

Mais considérant que sur ce point la société LF fait pertinemment valoir que cette interdiction avait été prononcée au motif que les annonces, qui apparaissaient dans leur contenu " pertinentes et vérifiables ", étaient tirées " d'observations et d'études qui ne sembl(aient) pas avoir été déposées à la Commission de Contrôle de la publicité de l'Agence du Médicament " ; que tout en soulignant que la référence à un tel dépôt était erronée elle observe qu'après signification de la décision par la société SB elle a procédé, pour les annonces communiquées le 17 octobre, audit dépôt en adressant copie des publicités à la commission susmentionnée ; que, si, contrairement à l'opinion de l'appelante, la décision du 14 octobre a parfaitement a pu statuer pour l'avenir, ce qui permettrait actuellement de la lui opposer puisqu'elle n'a pas été frappée d'appel, la disparition apparente du motif, certes erroné, qui semble en avoir été le soutien nécessaire autorise à réexaminer l'interdiction qu'elle contient puisqu'elle constitue à tout le moins, au sens de l'article 488 du nouveau Code de procédure civile, une circonstance nouvelle autorisant à la rapporter ;

IV-2 SUR L'INTERDICTION LITIGIEUSE

Considérant que pour interdire les annonces le premier juge les a tenues pour manifestement illicites en relevant qu'elles contrevenaient aux dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation prohibant " toute publicité comportant... des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur " ; qu'il a énoncé qu'elles constituaient de plus un " dénigrement... de la spécialité Deroxat... par la mise en avant de symptômes défavorables à (sa) prescription " ;

Considérant qu'à ce raisonnement, qu'elle approuve, la société LPSB ajoute qu'en lui communiquant au préalable deux textes avec faculté de n'en publier qu'un la société LF n'a pas respecté l'obligation d'information édictée par l'article L. 121-12 du Code de la consommation ; qu'elle déclare que le rapprochement effectué ne satisfait pas à l'impératif de comparaison " des caractéristiques essentielles, significatives, permanentes et vérifiables " énoncé à l'article L. 121-8 du même code, le critère de comparaison adopté étant unique et selon elle " marginal " puisque postérieur à l'administration du médicament ; qu'elle fait encore grief à la société LF de n'avoir pas respecté des recommandations de l'Agence du Médicament prônant une comparaison " la plus exhaustive possible sans privilégier exclusivement les éléments favorables " ; qu'elle qualifie de " rares et bénins " les symptômes liés à un arrêt du traitement ; qu'elle rappel que la publicité pour le médicament ne doit pas, selon l'article L 551-1 du Code de la santé publique, être " trompeuse " et que les informations données doivent, selon l'article R. 5047-1 du même code, être " exactes, à jour, vérifiables et suffisamment complètes pour permettre au destinataire de se faire un idée personnelle de la valeur thérapeutique du médicament ", conditions que ne rempliraient pas les annonces litigieuses ; qu'enfin elle qualifie de manœuvre de concurrence déloyale et de " dénigrement " la présentation faite des symptômes inhérents à l'arrêt brutal du traitement par le Deroxat, en prenant argument de la rareté, soulignée par l'autorisation de mise sur le marché du médicament, de ces symptômes ;

Mais considérant qu'il n'est pas évident que soit l'ignorante des droits d'un concurrent la notification faite à ce concurrent la notification faite à ce concurrent, pour qu'il puisse y fait obstacle comme le veut l'article L. 121-12 du Code de la consommation, d'une publicité comparative sous deux versions avec possible retenue d'une seule </B>; que si la survenance d'effets déterminés lors de l'arrêt inopiné du traitement par un médicament n'est évidemment pas une propriété intrinsèque de la substance administrée il peut cependant être sérieusement soutenu, puisqu'un médicament ne vaut que l'usage qu'on en fait, que la vertu d'un tel médicament à produire ou non, par l'arrêt de son administration de tels effets de façon " permanente " et " vérifiable " est une caractéristique assez importante pour apparaître, aux yeux de qui le prescrit ou l'absorbe, comme " essentielle " ou encore " significative " encore que lesdits effets puissent apparaître " rarement " </B>, ce qui n'est pas une façon de les quantifier ou un motif suffisant pour les ravaler à l'accessoire ; que l'éventuelle nécessité d'un pluriel s'agissant " des caractéristiques "mentionnées à l'article L 121-8 du code précité nécessite une interprétation dépassant l'aptitude du juge des référés ; qu'aborder de façon avantageuse et au préjudice du " Deroxat " la caractéristique susmentionnée dans une publicité comparative sans aborder d'autre points ne pourra être jugé déloyal, dénigrant, trompeur et dénué d'objectivité au sens de l'article L. 551-1 du Code de la santé publique, incomplet au sens de l'article R. 5047-1 du même code, ou encore ignorant de l'exhaustivité voulue par les recommandations de l'Agence du Médicament, que lorsqu'il sera établi ou suffisamment présumé, devant un juge qui sera forcément celui du fond, que sur les terrains autres que la caractéristique abordée existent des différences en faveur du même " Deroxat ", différences dont le passage sous silence pourra alors constituer, pour les annonces litigieuses, la série de vices allégués </B>; qu'en l'état la possible illicéité du trouble déploré par la société SB n'apparaît donc pas de la façon manifeste qui autoriserait le juge des référés à faire cesser ledit trouble ; qu'il sera dit, en conséquence, n'y avoir lieu à référé sur les demandes de cette société, ce qui reviendra à infirmer l'ordonnance ; que cette infirmation prive de tout intérêt la discussion subsdiairement instaurée sur l'astreinte ;

V

Et considérant qu'il n'y a évidemment pas lieu à allocation de dommages-intérêts, fusent-ils symboliques, en référé ; que les données de la cause ne font ressortir aucun motif particulier d'équité autorisant une application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en faveur de la société LF ; que ce texte ne peut profiter à la société LPSB, partie perdante à condamner aux dépens.

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirmant l'ordonnance entreprise, Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la société Laboratoires Pharmaceutiques Smithkline Beecham, La condamne aux dépens de première instance et d'appel, avec pour ces derniers droit de recouvrement direct au profit de la SCP Fievet-Rochette-Lafon, Avoués. Dit n'y avoir lieu à allocation d'une somme quelconque pour frais hors dépens.