CA Versailles, 14e ch., 3 avril 1998, n° 9131-97
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Laboratoires Roussel Diamant (Sté)
Défendeur :
Laboratoires Servier (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gillet
Conseillers :
Mmes Lombard, Bourquard
Avoués :
SCP Jupin-Algrin, SCP Jullien-Lecharny-Rol
Avocats :
Mes Samyn, Mendras.
Les faits et la procédure
Par acte du 21 octobre 1997, la SA Les Laboratoires Servier a assigné la SARL Laboratoires Roussel Diamant devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Nanterre afin de constater que le projet d'annonce soumis par la société Les Laboratoires Roussel Diamant à la société Les Laboratoires Servier n'est pas conforme aux dispositions de l'article L. 121-8 du Code de la consommation ni à celle de l'article L. 551-1 du Code de la santé publique, apparaît manifestement trompeur et dénigrant et donc constitutifs de publicité mensongère et de concurrence déloyale et caractérisée ; d'interdire par application de l'article 1382 du Code civil, sous astreinte de 250 000 F par infraction constatée, de procéder à la moindre diffusion de ladite annonce, dans quelque support que ce soit et sous quelque forme que ce soit.
Par ordonnance rendu le 13 novembre 1997, le juge des référés, a :
- invité les parties à se pourvoir au fond,
- ordonné la suspension des annonces ou publicité émises par la Laboratoires Roussel Diamant et ce jusqu'à ce qu'il soit statué sur le fond et ce, sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée et s'est réservée la possibilité de liquider ladite astreinte,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de la procédure civile.
Appelante de cette décision et autorisée à assigner à jour fixe selon ordonnance rendue le 27 novembre 1997, la société Les Laboratoires Roussel Diamant conclut à son information et demande de :
- constater qu'en parfaite conformité avec les dispositions applicables de l'article L. 121-12 du Code de la consommation, les Laboratoires Roussel Diamant ont :
- - communiqué préalablement à toute parution le projet d'annonce publicitaire comparative,
- - dans un délai suffisant,
- - ce qui a permis aux Laboratoires Servier de faire valoir un nombre important de remarques, qui ont été prises en compte lorsqu'elles étaient légitimes et pertinentes au regard de la réglementation applicable,
- - et qui ont abouti à des modifications substantielles de l'annonce entreprise.
- en conséquence, constater que la publicité incriminée a fait l'objet d'un examen contradictoire dans le respect des dispositions légales applicables, ce qui ne peut que conduire le juge des référés qui est le juge de l'évident et de l'incontestable à écarter toute demande d'interdiction de l'annonce publicitaire,
- à titre subsidiaire,
- constater que l'étude exploitée par la Laboratoires Roussel Diamant dans la publicité comparative poursuivie :
- - est une étude multicentrique, contrôlée et en double aveugle portant sur leur durée d'action comparée de deux médicaments dans le cadre de leur indication commune qui est l'hypertension artérielle,
- - a reçu l'approbation du Comité Consultatif de Protection des Personnes (10 juin 1993),
- - le onzième congrès de l'Américain Society of Hypertention (New-York - mai 1996),
- - le seizième congrès de l'International " Thérapie ", journal à comité de lecture indépendant,
- - a été définitivement acceptée pour publication dans l'Americain of Hypertension, journal à comité de lecture indépendant.
- constater que l'efficacité comparée de Odrik et de Coversyl à la 24e heure après la prise est une caractéristique essentielle, significative, et pertinente, et ce de l'aveu même des Laboratoires Servier dans leur écrit " Coversyl, une efficacité antihypertensive 24 h /24 h, et de l'avis motivé du Docteur Guillaume Bobrie, coordonateur de l'étude précitée,
- constater que la publicité comparative entreprise qui porte sur l'efficacité de deux médicaments compare également leur tolérance en ces termes : " La tolérance des deux inhibiteurs de l'enzyme de conversion est bonne et comparable ",
- constater enfin que la publicité comparative a fait l'objet le 23 octobre d'un dépôt auprès de l'Agence du Médicament conformément aux dispositions de l'article L. 551-6 du Code de la santé publique,
- constater enfin que la publicité entreprise respecte l'ensemble des dispositions applicables du Code la santé publique et du Code de la consommation, notamment en ses articles L. 121-1, L. 121-8 et L. 121-15 et qu'elle ne revêt aucun aspect fautif,
- en conséquence, débouter les Laboratoires Servier de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
- les condamner au paiement d'une somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Les Laboratoires Servier conclut à la confirmation de la décision et réclame 40 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR
Considérant que l'appelante fait grief à la décision entreprise d'avoir estimé que la société Roussel Diamant en se bornant, en ce qui concernait la comparaison relative à la sécurité d'emploi des deux produits, à utiliser une formule générale sans que rien n'établisse son exactitude, avait relevé sa volonté de limiter la comparaison entre les deux spécialités au plan de leur efficacité et faisant déloyalement abstraction d'autre critères fondamentaux en matière de santé publique et faute pour la société Roussel Diamant de justifier avoir déposer son projet de l'agence du médicament et donc en l'absence d'aval de ladite commission, les comparaisons ne présentaient pas toutes les caractéristiques significatives du médicament ;
Qu'elle soutient que le propos de la publicité était de comparer sur le fondement d'une étude conforme en la matière, l'efficacité des médicaments ;
Qu'elle a, à la demande des Laboratoires Servier modifié l'annonce initiale en comparant l'efficacité et la sécurité d'emploi que la formulation " bonne et comparable " est rigoureusement exacte et démontrée ;
Qu'elle s'est appuyée sur un critère essentiel, à savoir l'efficacité, et n'avait aucune obligation de reprendre l'intégralité des AMM par ailleurs similaires, qu'elle n'avait aucune obligation de déposer préalablement société projet à la commission de contrôle de la publicité et a respecté les dispositions des articles L. 209 et R. 2001 du Code de la santé publique, que les mentions légales de Odrik sont reproduites dans la publicité conformément à l'article R. 5047 du Code de la Santé Publique, qu'enfin, le premier juge a ajouté un critère d'exhaustivité à l'article L. 121-8 du Code de la consommation ;
Considérant que les Laboratoires Servier soutiennent que pour être loyale, une publicité comparative doit être complète et comporter une comparaison entre tous les éléments essentiels des produits concernés ; que la société Roussel Diamant en se référant à une publication portant sur une étude réalisée par utilisation d'une méthode reposant sur l'auto-mesure artérielle qui ne constitue pas une méthode fiable pour qu'il soit procédé à une étude comparative, a déduit fallacieusement qu'il existerait une différence significative entre les deux spécialités concernés ;
Que de même la prétendue différence de durée d'action des deux spécialités est parfaitement contestable dès lors qu'elle se fonde sur une étude contestable et que l'efficacité de la spécialité après la 24e heure ;
Qu'enfin, elle reproche à l'annonce incriminée d'avoir un caractère incomplet limité au plan de l'efficacité et faisant abstraction des autres éléments essentiels de la comparaison ;
Considérant que les parties ont estimé, s'agissant d'une publicité destinée à des professionnels du monde médical, devoir se référer aux dispositions tant du Code de la consommation que du Code de la santé publique ;
Qu'il appartient à la cour, statuant sur appel d'une ordonnance de référé de se prononcer sur l'illicéité manifeste de la publicité comparative incriminée ;
Considérant que les Laboratoires Roussel Diamant ont conformément à l'article L. 121-12 du Code de la consommation communiqué préalablement à toute parution le projet d'annonce publicitaire comparative dans un délai suffisant, que s'agissant d'une publicité destinée à des professionnels de la santé, il ne peut leur être fait grief de ne pas avoir sollicité l'autorisation préalable de l'AMM visée à l'article L. 551-5 du Code de la santé publique ;
Considérant que la publicité comparative est manifestement licite, qu'en effet, elle se réfère à la comparaison d'une caractéristique essentielle du médicament à savoir son efficacité, caractéristique significative, pertinente et vérifiable dès lors qu'elle porte sur une étude comparative et des éléments statistiques et que la différence significative dont elle fait état a fait l'objet d'une publication dans la revue Thérapie;
Qu'elle se réfère également de manière surabondante dès lors que la caractéristique de l'efficacité est essentielle, à une comparaison sur la sécurité concernant l'utilisation des deux spécialités ;
Que dans ces conditions, elle satisfait aux exigences des articles L. 121-8 du Code de la consommation et L. 551-1 du Code de la santé publique;
Considérant que la contestation élevée par les Laboratoires Servier sur l'absence de fiabilité de la méthode d'auto-mesure tensionnelle pratiquée dans le cadre d'une étude comparative entre deux produits actifs relevés de l'appréciation de la juridiction du fond ;
Considérant que la décision déférée doit être en conséquence infirmée, qu'il convient de débouter les Laboratoires Servier de l'ensemble de leurs prétentions ; que l'équité commande d'allouer aux Laboratoires Roussel Diamant une indemnité de 8 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, que les Laboratoires Servier doivent supporter les entiers dépens.
Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme l'ordonnance entreprise, Statuant à nouveau, Déboute la SA Laboratoires Servier de leurs demandes, La condamne à payer à la SARL Laboratoires Roussel Diamant une indemnité de 8 000 F (huit mille francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la SA Laboratoires Servier aux entiers dépens et autorise la SCP Jupin-Algrin, avoués, à les recouvrer directement comme il est prescrit à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.