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Décisions

CA Poitiers, ch. civ. sect. 1, 13 janvier 1998, n° 9504573

POITIERS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Vêt 17 (SARL)

Défendeur :

Benguigui (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mechiche

Conseillers :

Mme Braud, M. Barthélémy

Avoués :

SCP Paille-Thibault, SCP Musereau-Drouineau Rosaz

Avocats :

Mes Schmitt, Perrineau.

T. com. La Rochelle, près., du 7 déc. 19…

7 décembre 1995

Faits et procédure :

La SARL Benguigui qui exploite un magasin de prêt-à-porter à l'enseigne Navystock, 65 rue du Minage à La Rochelle, a exposé dans sa vitrine un panonceau portant publicité comparative faisant apparaître les prix de vente au détail de différents jeans de marque Levis 501 dans trois magasins de la ville. Estimant que le centre X visé dans la publicité concernait le magasin à l'enseigne " Au centre vêtements " qu'elle exploite au n° 38 de la rue du Minage à la Rochelle, la SARL Vêt 17 a fait assigner en référé devant le président du Tribunal de commerce de La Rochelle la SARL Benguigui pour voir retirer sous astreinte ce panneau publicitaire qui revêt un caractère irrégulier et illicite et obtenir le paiement d'une provision à valoir sur son préjudice.

La SARL Vêt 17 a régulièrement relevé appel de l'ordonnance de référé du 7 décembre 1995 du président du Tribunal de commerce de La Rochelle qui l'a déboutée de sa demande et l'a condamnée au paiement d'une somme de 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SARL Vêt 17 soutient :

- qu'il est admis que même si la publicité est effectuée sans désigner de manière expresse le concurrent dont elle cite les prix, cette publicité relève des dispositions relatives à la publicité comparative lorsqu'elle fait une comparaison avec de telles indications que le concurrent est identifié par le consommateur habituel même non averti, qu'en l'espèce, il est patent que dans la publicité incriminée, le centre X et le centre Leclerc Vêtements étaient exploités par la SARL Vêt 17 ;

- que la publicité comparative effectuée par la Société Benguigui ne répond pas aux exigences légale comme n'étant pas loyal, véridique, qu'elle induit en erreur le consommateur ;

- que responsable d'une concurrence déloyale, la Société Benguigui fait subir à la SARL Vêt 17 un préjudice.

La SARL Vêt 17 demande à la cour d'infirmer l'ordonnance et de :

- dire que la Société Benguigui a procédé à une publicité comparative irrégulière et illicite ;

- condamner la SARL Benguigui à procédé à l'enlèvement des publicités litigieuses et ce, sous astreinte de 1 000 F par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir ;

condamner la Société Benguigui à paiement à la Société Vêt 17 de la somme de 80 000 F à titre de provision ;

- condamner la Société Benguigui à payer à la SARL Vêt 17 la somme de 8 000 F à titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SARL Benguigui conclut à la confirmation de l'ordonnance et à la condamnation de la SARL Vêt 17 au paiement d'une somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, en faisant valoir :

- que la désignation centre X ou boutique Y sont des termes généraux qui ne visent pas des commerçants dénommés de La Rochelle, que la publicité ne visait pas la SARL Vêt 17 ;

- que la publicité générale dont s'agit était ponctuelle, qu'il y a donc lieu de rejeter la demande de retrait de la publicité sous astreinte ;

- que la demande de provision doit être rejetée puisqu'aucune des conditions relatives à l'existence d'une faute de la société Benguigui d'un préjudice de la SARL Vêt 17, d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice et d'une absence de contestation sérieuse sur l'existence de l'obligation n'est remplie ;

Motifs :

Attendu que l'affiche publicitaire apposée sur la vitrine de la SARL Benguigui se présentait sous forme de tableau comparatif des prix au centre X, au magasin de la SARL Benguigui Navystock et de la boutique Y et concernait différents modèles de la marque de jeans Levis 501, que cette marque n'est pas en vente dans tous les commerces mais uniquement dans certain d'entre eux ; que notamment, hormis des opérations ponctuelles, elle ne se trouve pas en vente dans les grandes surfaces ; que ce mode de distribution est parfaitement connu du consommateur qui achète cette marque ; que les points de vente de la marque Levis 501 ne sont pas aussi nombreux pour qu'ils puissent être considérés que les références à un centre X constituent un terme général alors que le magasin " Centre Vêtements " situé dans la même rue que le magasin de la SARL Benguigui vend des jeans de la marque Levis 501, que les caractéristiques de la commercialisation des jeans Levis 501 et la situation des deux magasins en cause ainsi que la clientèle de consommateurs jeunes parfaitement au courant des lieux de distribution de ce type de vêtements permet de conclure que le centre X s'identifie totalement au " Centre Vêtements " de la SARL Vêt 17, que cette identification est d'ailleurs confirmée par les prix exactement pratiqués par le " Centre Vêtements " quelques mois avant l'affichage de la SARL Benguigui ainsi qu'il sera examiné plus loin ;

Attendu que les règles de la publicité comparative doivent s'appliquer non seulement lorsque le commerçant est identifié mais également lorsqu'il est facilement identifiable comme c'est le cas pour la SARL Vêt 17 ;

Attendu que cette publicité comparative est soumise à des exigences et notamment doit être loyale et donc véridique ;

Attendu que la SARL Vêt 17 verse aux débats un procès-verbal de constat d'huissier qui n'est pas discuté par la SARL Benguigui ; que l'huissier a constaté à partir de bandes de contrôle de caisse, que les prix indiqués par la SARL Benguigui comme étant ceux du Centre X, en réalité " Centre Vêtements " au moment de la publicité, c'est-à-dire en septembre 1995, était en réalité ceux pratiqués au mois de mai précédent ; que depuis et notamment depuis le mois de juillet 1995, les prix des jeans Levis 501 avaient baissé et n'étaient donc pas ceux indiqués par la SARL Benguigui sur son affiche publicitaire ;qu'en conséquence, l'affiche publicitaire apposée par la SARL Benguigui n'est ni véridique ni loyale ;que le fait de procéder à un tel affichage constitutif d'une concurrence déloyale constitue un trouble manifestement illicite que la SARL Vêt 17 était fondée à voir cesser par une procédure de référé même en présence d'une contestation ;

Attendu en conséquence que l'ordonnance déférée doit être infirmée ; la SARL Benguigui, si elle ne l'a déjà fait, doit retirer de la vitrine et de la vue de la clientèle l'affiche litigieuse et ce, sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée à compter de l'arrêt ;

Attendu que l'affiche était de nature à attirer une clientèle sans qu'elle ait à aller vérifier les prix des produits dans les rayons des magasins des concurrents ; que la période de rentrée scolaire pendant laquelle se trouvait apposée cette affiche est l'une des périodes d'achat des jeans ; que compte tenu des premiers éléments versés aux débats par la SARL Vêt 17 sur les chiffres d'affaires habituels en matière de vente de jeans à cette période, la Cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour fixer l'indemnité provisionnelle à valoir sur le préjudice de la SARL Vêt 17 du fait de cette évasion de clientèle à la somme de 8 000 F ;

Attendu que la SARL Vêt 17 était fondée en son appel ;

Que la SARL Benguigui supportera les entiers dépens de la procédure ; qu'aucun motif d'équité n'impose de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de la SARL Benguigui ; qu'il y a lieu par contre de la condamner à verser une somme de 8 000 F à la SARL Vêt 17 au titre des frais irrépétibles ;

Par ces motifs : LA COUR, Infirme l'ordonnance de référé du président du Tribunal de commerce de La Rochelle du 7 décembre 1995, Statuant à nouveau, Condamne la SARL Benguigui à retirer les affiches de publicité comparatives portant sur les jeans Levis 501 et ce sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée à compter du présent arrêt, Condamne la SARL Benguigui à verser à titre prévisionnel à la Société Vêt 17 une somme de 8 000 F à valoir sur son préjudice, Condamne la SARL Benguigui à verser à la SARL 17 une somme de 8 000 F au titre des frais irrépétibles, Déboute la SARL Benguigui de toutes ses demandes, Condamne la SARL Benguigui aux entiers dépens d'instance et d'appel et autorise la SCP Paille Thibault, avoué, à recouvrer directement ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.