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Décisions

CA Paris, 14e ch. B, 8 octobre 1997, n° 97-17075

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Laboratoires Boerhinger Ingelheim France (Sté), Yamanouchi Europe BV (Sté)

Défendeur :

Laboratoires Synthelabo (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Tric

Conseillers :

Mmes Charoy, Magueur

Avoués :

SCP Taze, SCP Bommart, SCP Baskal

Avocats :

Mes Fouche, Henriot-Bellargent, Gabizon.

T. com. Paris, ord. réf., du 9 juin 1997

9 juin 1997

La société Synthelabo commercialise depuis 1988, sous la marque Xatral, une spécialité pharmaceutique dont la dénomination commune internationale est l'alfuzosine.

La société Boehringer Ingelheim France a obtenu de la société Yamanouchi une licence de commercialisation d'une molécule pharmaceutique, désignée sous la dénomination commune internationale de Tramsulosine, exploitée sous la marque Josir.

Ces deux médicaments sont destinés à traiter les symptômes de l'hypertrophie bénigne de la prostate (HBP).

Courant 1996, la société Boehringer Ingelheim France a entrepris une campagne de communication publicitaire sur le produit Josir, par la publication d'une plaquette intitulée " traitement de l'hypertrophie bénigne de la prostate - x1A bloquant Josir LP Tramsulosine 0,4 mg " et d'une brochure portant le titre " x1A - bloquant Josir LP Tramsulosine 0,4 mg - en 10 questions-réponses ".

Reprochant à la société Boehringer de n'avoir pas communiqué ces documents publicitaires préalablement à leur diffusion comme l'exigent les dispositions de l'article L. 121-12 du Code de la consommation, la société Synthelabo a demandé au juge des référés du Tribunal de commerce de Paris d'en interdire la diffusion, d'ordonner le rappel des brochures et plaquettes litigieuses et d'enjoindre sous astreinte la communication de l'ensemble des données sources citées à l'appui de cette publicité.

Par ordonnance du 9 juin 1997, le juge des référés :

- a fait injonction à la société Boehringer Ingelheim France de communiquer à la Sté Synthelabo l'intégralité des éléments constitutifs des données sources visées dans la publicité du produit Josir à savoir les études européennes (notamment les études effet-dose de phase II, les études contre placebo et leur suivi, l'étude comparative avec l'alfuzosine) et les études américaines, sous astreinte de 10 000 F par jour de retard commençant 8 jours après la signification de l'ordonnance et ce pendant 30 jours

- a dit la société Synthelabo mal fondée en sa demande d'interdiction de la diffusion de la publicité litigieuse

- a dit n'y avoir lieu d'ordonner le rappel de la publicité litigieuse

- a condamné la société Boehringer Ingelheim France à payer à la société Synthelabo la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Boehringer Ingelheim France a interjeté appel de cette ordonnance. A l'appui de son recours, elle soutient que la société Synthelabo n'a pas d'intérêt à agir au motif qu'elle a reçu communication des données pertinentes et qu'en outre elle ne peut se prévaloir d'un intérêt légitime au sens de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile. Subsidiairement, elle s'associe à la demande d'expertise formée par la société Yamanouchi. A titre plus subsidiaire, elle demande de condamner solidairement avec elle la Sté Yamanouchi à remettre à la société Synthelabo les informations qui seront ordonnées par la cour.

La société Yamanouchi Europe BV intervient volontairement pour conclure à l'infirmation de l'ordonnance déférée. Elle soutient que la mise en œuvre des articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation et de l'article 145 du nouveau Code de la procédure civile ne peuvent avoir pour résultat de mettre un concurrent en possession de documents confidentiels, couverts par des secrets de fabrication. A titre subsidiaire, elle sollicite une mesure d'expertise. Elle demande, en outre, l'allocation d'une indemnité de 30 000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et s'oppose à la demande de condamnation solidaire de la société Boehringer.

Le jour de l'audience des plaidoiries, la société Yamanouchi sollicite le renvoi de l'affaire à une date postérieure au 10 octobre 1997, en faisant valoir que la publication dans le British Journal of Uralogy à paraître entre le 6 et 10 octobre 1997 de l'étude Tramsulosine contre Alfuzosine constitue un élément déterminant de l'appréciation du litige.

La société Synthelabo s'oppose à la demande de renvoi. Elle conclut à la confirmation de l'ordonnance du 9 juin 1997 en ce qu'elle a fait injonction à la société Boehringer Ingelheim France de lui communiquer l'intégralité des éléments constitutifs des données sources visées dans la publicité, en précisant que par données sources est visée la copie du rapport intégré des études cliniques. Puis faisant valoir que l'erreur figurant en page 22 de la brochure litigieuse n'a pas été rectifiée, elle reprend les demandes formées devant le premier juge, tendant à l'interdiction et au rappel de la publicité. Elle soulève l'irrecevabilité, subsidiairement le mal fondée, de l'intervention de la société Yamanouchi et sollicite l'allocation d'une indemnité de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motivation

Sur l'intervention de la société Yamanouchi

Considérant que la société Yamanouchi, titulaire des droits de distribution sur la molécule Tamsulosine, qu'elle a concédés à la société Boehringer, justifie d'un intérêt à intervenir en cause d'appel, pour la conservation de ses droits, conformément à l'article 554 du nouveau Code de procédure civile ;

Sur la demande de renvoi

Considérant que la société Yamanouchi fonde cette demande sur la publication de l'étude comparative Tramsulosine contre Alfuzosine, dans le British Journal of Urology d'octobre 1997 ;

Considérant que, si dans une télécopie datée du 19 août 1997, le contrôleur de la rédaction de cette revue informe la société Yamanouchi que la publication de l'étude est prévue dans le numéro d'octobre 1997, en l'absence de production du projet définitif, la date de parution demeure incertaine ;

Qu'en effet, il n'est pas établi que l'auteur de l'étude, le Professeur Buzelin, ait accepté les modifications apportées à l'article telles que proposées le 13 août 1977 par le rédacteur en chef de la revue ;

Que la demande de renvoi sera donc rejetée ;

Sur la communication des données sources

Considérant que la publicité qui met en comparaison des biens ou services n'est autorisée que si elle est loyale, véridique, qu'elle n'est pas de nature à induire en erreur le consommateur ; qu'elle doit être limitée à une comparaison objective qui ne peut porter que sur des caractéristiques essentielles, significatives, pertinentes et vérifiables de biens ou services de même nature, conformément aux dispositions de l'article L. 121-8 du Code de la consommation ;

Considérant que la brochure éditée par la société Boehringer Ingelheim France, pour promouvoir le médicament dénommé Josir, sous le titre " traitement de l'hypertrophie bénigne de la prostate " comporte aux pages 20 à 26 une comparaison entre la Tramsulosine (Josir) et l'Alfuzosine (Xatral) reposant essentiellement sur une étude de clinique " versus alfuzosine ";

Considérant que cette étude n'a été ni publiée à ce jour, ni communiquée dans son intégralité à la société Synthelabo;

Considérant que pour s'opposer à la communication sollicitée, la société Boehringer Ingelheim France et la société Yamanouchi font valoir que l'article L. 121-12 du Code de la consommation met à la charge de l'annonceur la preuve de la véracité du message publicitaire ;

Mais considérant que la société Synthelabo, qui est en droit de vérifier le caractère loyal, véridique, objectif de la publicité litigieuse, justifie d'un intérêt légitime au sens de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile, à obtenir avant tout procès, la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution du litige ;

Considérant qu'il convient donc de confirmer l'ordonnance entreprise sur le principe de la communication, en limitant celle-ci à l'étude comparative avec l'Alfuzosine, désignée dans la brochure sous la référence " Date in line Tramsulosine Europe " ; que la comparaison Tramsulosine/Alfuzosine n'est, en effet, pas fondée sur les autres documents sollicités ;

Considérant que la mesure d'expertise apparaît opportune dès lors qu'il n'est pas démontré que la communication de cette étude comparative se heurterait à un secret de fabrique ;

Sur l'interdiction de la diffusion et le rappel de la publicité

Considérant que la société Synthelabo soutient que le trouble manifestement illicite justifiant l'interdiction de la publicité litigieuse résulte de l'amalgame créé, à la page 22, entre l'alfuzosine et les autres x-1-bloquants présentés comme non sélectifs alors que le Xatral agirait de manière sélective ; qu'elle relève que, dans une lettre du 15 novembre 1996, la société Boehringer a reconnu le caractère imprécis des termes utilisés dans sa brochure pour qualifier l'alfuzosine et a déjà modifié la page 13 de la plaquette présentant le médicament Josir en 10 questions ;

Mais considérant que dans la lettre qu'elle a adressée le 7 octobre 1995 à la société Boehringer, à laquelle il a été répondu le 15 novembre, la Sté Synthelabo n'a pas mentionné la page 22 aujourd'hui critiquée ; que surtout cette page de la brochure ne comporte aucune référence à l'alfuzosine ;

Que dès lors, la société Synthelabo n'établit pas le trouble manifestement illicite résultant de la publication de cette brochure ; qu'il y a donc lieu de confirmer l'ordonnance entreprise ;

Attendu que l'équité commande d'allouer à la société Synthelabo une indemnité de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, qui sera mise à la charge in solidum de la Sté Boehringer et de la Sté Yamanouchi ;

Sur la demande de la société Boehringer à l'encontre de la société Yamanouchi

Considérant que la Sté Boehringer demande que la décision enjoignant la communication de pièces soit prononcée solidairement à son encontre et à l'encontre de la société Yamanouchi ;

Mais considérant que cette demande, présentée pour la première fois en cause d'appel, est irrecevable ;

Décision :

LA COUR : Reçoit la société Yamanouchi Europe en son intervention volontaire, Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions sauf sur la nature des pièces qui seront communiquées par la société Boehringer, La réformant sur ce point, Fait injonction à la société Boehringer Ingelheim France de communiquer à la société Synthelabo l'étude comparative de la Tamsulosine à l'Alfuzosine sous la référence " Date on line Tamsulosine Europe ", sous astreinte de 10 000 F par jour de retard passé un délai de 8 jours à compter de la signification du présent arrêt, Déclare irrecevable la demande formée par société Boehringer à l'encontre de la société Yamanouchi, Condamne in solidum la société Boehringer et la Sté Yamanouchi Europe à payer à la société Synthelabo une indemnité de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Les condamne in solidum aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Taze-Bernard-Belfayol-Broquet, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.