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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch. civ., 20 mars 1997, n° 94-19596

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Maridis (Sté), Salondis (Sté), Sodiplan (Sté), Sodistres (Sté), Tuilière Distribution (Sté)

Défendeur :

Carrefour Vitrolles (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dragon

Conseillers :

Mme Cordas, M. Semeriva

Avoué :

SCP de Saint Ferreol & Touboul

Avocats :

Mes Donsimoni, Parleani, Vaquier.

CA Aix-en-Provence n° 94-19596

20 mars 1997

Faits et procédure :

Le 29 septembre 1994, les sociétés Maridis, Salondis, Sodiplan Sodistres et Tuilière Distribution ont relevé appel d'un jugement rendu le 9 septembre 1994 par le Tribunal de commerce de Salon-de-Provence qui a :

- condamné solidairement les sociétés Maridis, Sodiplan et Sodistres à payer à la société Carrefour Vitrolles la somme de 2 200 000 F ;

- condamné les sociétés Salondis et Tuilière Distribution à payer à celle-ci les sommes respectives de 400 000 F et 700 000 F ;

- condamné solidairement les sociétés appelantes au paiement de la somme de 20 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les sociétés appelantes font valoir par conclusions déposées le 30 janvier 1995 :

- que les magasins qu'elles exploitent sous l'enseigne Leclerc et la succursale Carrefour de Vitrolles sont situés dans la même zone de chalandise ;

- qu'en mars 1993, la société Carrefour Vitrolles avait placé à l'entrée de la galerie marchande conduisant à son magasin un placard publicitaire intitulé " comparez pour acheter " et faisant apparaître l'enseigne Leclerc comme étant plus chère ;

- qu'elles ont répliqué fin avril 1993 en faisant apposer, chacune dans leur propre zone, des affiches publicitaires portant la mention " E. Leclerc moins cher que Carrefour " reproduisant deux chariots de supermarché ;

- que la société Carrefour Vitrolles n'ayant assigné en référé que les sociétés Maridis, Sodiplan et Sodistres, le président du Tribunal de commerce de Salon-de-Provence n'a ordonné le 21 avril 1993 qu'à celles-ci de retirer les panneaux litigieux sous astreinte ;

- que les sociétés Salondis et Tuilière Distribution n'ont été assignées que le 28 avril 1993 alors que les affiches avaient été recouvertes ;

- que la société Carrefour a assigné devant le juge de l'exécution les seules sociétés Maridis, Sodiplan et Sodistres afin d'obtenir que l'astreinte soit liquidée à la somme de 3 800 000 F mais il s'est avéré que les affiches maintenues avaient été apposées par les sociétés Salondis et Tuilière Distribution, ce qui amena un désistement d'action et la saisine du juge du fond en application de l'article 10.1 de la loi du 18 janvier 1992, devenu 121-8 du Code de la consommation ;

- que la publicité initiale de la société Carrefour Vitrolles était manifestement illicite par son caractère unilatéral et subjectif ;

- qu'en revanche la publicité litigieuse obéit aux exigences légales quant à l'identité des produits et des conditions de vente d'une part, l'absence d'appréciation individuelle ou subjective et le caractère pertinent de la comparaison d'autre part et l'indication de la période de comparaison en troisième lieu ;

- que si l'article 10, al. 5 de la loi du 18 janvier 1992 (article L. 121-12 du Code de la consommation) a été méconnu, comme il l'avait d'ailleurs été par la société intimée elle-même, il doit être relevé que dès l'instant où la publicité litigieuse est licite, le défaut d'information préalable ne peut être la cause d'aucun préjudice car elle ne pouvait être empêchée ;

- que contrairement à ce qu'ont cru devoir retenir les premiers juges qui ont adopté les motifs du juge des référés, il leur appartenait bien d'apprécier la pertinence de la comparaison, laquelle doit être nécessairement, aux termes de l'article 10-1 précité, faite à posteriori ;

- que les sociétés Salondis et Tuilière Distribution ont été condamnées parce qu'elles n'étaient pas parties au référé ;

- que les premiers juges ont déduit la mauvaise foi totale des appelantes de leur constatation qu'en l'espèce les enseignes commerciales Leclerc et Carrefour étaient comparées alors que l'exercice indépendant du commerce sous une enseigne n'entraîne pas de dérogation au principe selon lequel chaque commerçant n'est responsable que de ses propres agissements ;

- que le préjudice ne fait l'objet d'aucune motivation.

Les sociétés appelantes demandent ainsi, outre l'infirmation de la décision entreprise, le débouté de la SA Carrefour Vitrolles et sa condamnation au paiement de la somme de 50 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Carrefour Vitrolles réplique par conclusions déposées le 19 septembre 1995 :

- que l'absence d'information préalable entraîne l'illicéité de la publicité comparative ;

- que la publicité litigieuse est illicite quant à l'identité des produits comparés et la durée de maintien des prix ;

- sur le préjudice, que la campagne litigieuse qui a eu pour support une centaine de panneaux d'affichage ainsi que de nombreux abris-bus a eu un impact phénoménal ;

- que la mauvaise foi des appelantes doit être sanctionnée puisqu'elles tentent de faire croire qu'elles n'ont agi que par rétorsion alors que la publicité Carrefour était, elle, licite, et qu'elles avaient parfaitement conscience de se placer en dehors de la légalité.

La société Carrefour Vitrolles demande ainsi la confirmation du jugement déféré sauf à voir porter, sur appel incident, le montant des dommages et intérêts à la somme de 6 millions de francs.

Elle sollicite également que soit ordonnée la publication du présent arrêt dans trois quotidiens régionaux et trois quotidiens nationaux aux frais des appelantes et sans que le coût de chaque insertion excède la somme de 10 000 F.

Elle demande enfin à titre subsidiaire dans l'hypothèse où la Cour ne retiendrait pas la responsabilité in solidum que soit retenue la répartition qui lui apparaîtra la plus opportune et, en tout état de cause, que les appelantes soient condamnées solidairement au paiement de la somme de 30 000 F au titre des frais irrépétibles d'appel.

Les sociétés appelantes ont répliqué par conclusions déposées le 10 janvier 1997 :

- que le défaut d'information préalable ne peut être sanctionné par l'illicéité de la publicité elle-même sans égard aux conditions de fond de cette licéité ;

- que l'obligation d'information est prévue à l'article L. 121-12 in fine du Code de la consommation alors que les conditions de licéité sont précisées à l'article L. 121-8 du même code ;

- que le défaut d'information préalable n'est assorti d'aucune sanction ;

- que le préjudice ne peut qu'être inexistant si la publicité est licite car celle-ci ne pouvait alors être empêchée ou modifiée ;

- que le recours à un indice, et non à une comparaison produit par produit, est admissible, dès lors qu'il s'agit de comparer la qualité de services de distribution ;

- que l'absence d'indication de la durée du maintien des prix est pour le même motif sans effet sur la liciété de la publicité.

La société Carrefour Vitrolles a rétorqué par conclusions déposées le 16 janvier 1997 postérieurement à l'ordonnance de clôture du 13 janvier 1997 révoquée par ordonnance du conseiller de la mise en état avant l'ouverture des débats, les sociétés appelantes n'entendant pas répliquer :

- que la doctrine dominante ainsi que le Ministère de l'Economie et des Finances estimant que l'obligation de communiquer constitue bien une condition de fond quant à la licéité d'une publicité comparative ;

- que les parties exercent une activité, non de prestations de services, mais de vendeurs de produits et que c'est à la seule notion de prix que la cour devra s'attacher.

Motifs de la décision :

Attendu que la recevabilité de l'appel principal n'est pas contestée ; qu'en l'absence de moyen d'ordre public susceptible d'être relevé d'office, il convient de le déclarer recevable, ainsi que l'appel incident de la société Carrefour Vitrolles.

Attendu qu'il résulte des énonciations du procès-verbal établi le 20 avril 1993 à Marignane (BDR ) ainsi que des photographies qui y sont annexées que le placard publicitaire litigieux, d'une dimension de quatre mètres sur trois et illustré du dessins de deux chariots remplis de produits alimentaires portant les inscriptions " E. Leclerc " et " Carrefour ", le second étant de dimensions très inférieures au premier, fait apparaître les mentions suivantes : " E. Leclerc moins cher que Carrefour Vitrolles ", " (Prix relevés au premier trimestre 1993) " et " (E. Leclerc Marignane Salon-de-Provence Istres Plan-de-Campagne Vitrolles ").

Attendu qu'une telle publicité diffusée pour le compte des cinq sociétés appelantes qui exploitent sous ladite enseigne des magasins de grande surface situés dans ces localités dont il est reconnu, qu'elles sont comprises dans la zone de chalandise de l'hypermarché Carrefour de Vitrolles, est soumise aux dispositions des articles L. 121-8 et 121-12 du Code de la consommation en ce qu'elle met en comparaison des biens, et non des services comme le soutiennent en dernier lieu les sociétés appelantes, en utilisant la citation et la représentation de la dénomination sociale de l'enseigne d'autrui.

Attendu qu'à l'évidence l'annonceur ne saurait prétendre s'affranchir du respect des dispositions précitées en se fondant sur leur violation antérieure à son préjudice par son concurrent alors que ces agissements prétendument déloyaux pouvaient être sanctionnés conformément aux dispositions de l'article L. 121-14 du Code de la Consommation.

Attendu que dès lors les sociétés appelantes étaient tenues, aux termes de l'article L. 121-14 du même code de communiquer, avant toute diffusion, l'annonce comparative à la société Carrefour Vitrolles dans un délai au moins égal à celui exigé pour l'annulation d'un ordre de publicité; que loin de constituer une formalité dépourvue de sanction, l'absence de communication de l'annonce comparative au professionnel visé entache d'illicéité celle-ci, répondrait-elle aux autres conditions de fond édictées par l'article L. 121-8 du Code de la consommation;

Attendu qu'un tel comportement fautif a, en l'espèce, d'autant plus causé un préjudice à la société Carrefour Vitrolles que la publicité comparative litigieuse est illicite au regard des conditions de fond édictées par l'article 121-8; qu'en effet, ce texte dispose que lorsque la comparaison porte sur les prix, elle doit concerner des produits identiques vendus dans les mêmes conditions et indiquer la durée pendant laquelle sont maintenus des prix mentionnés comme siens par l'annonceur; qu'en l'occurrence, la référence en avril 1993 aux prix relevés durant le trimestre précédent ne répond pas, par son caractère rétrospectif et en raison de l'extrême variabilité des prix dans le secteur de la grande distribution, à cette dernière exigence;

Qu'enfin l'identité des produits ne peut être contrôlée en cas de publicité comparative fondée sur la moyenne pondérée tirée de relevés de prix de produits regroupés selon les critères propres à chacun des instituts de mesure; que ces produits ne retrouvent leur individualité que si l'on a accès au détail des relevés, communication dont on ne bénéficie par hypothèse pas le consommateur lorsque la méthode indiciaire a pu être utilisée.

Attendu que les premiers juges ont ainsi à bon droit retenu le caractère illicite de la publicité comparative litigieuse; qu'en revanche, leur motivation proportionnant l'évaluation du préjudice à la durée d'affichage et à la mauvaise foi des sociétés Maridis, Sodiplan et Sodistres, n'apparaît pas pertinente ; qu'en effet il résulte des pièces versées aux débats, et notamment de l'article publié dans le n° 1348 du journal LSA du 29 avril 1993 qu'il s'agit bien d'une action concertée engagée illicitement de façon consciente et avec la conviction, exprimée avec un certain cynisme par Gilbert Fournier présenté dans ledit article comme le patron de deux magasins Leclerc, que les conséquences judiciaires seraient limitées ; que chacune des cinq sociétés appelantes est ainsi responsable du même dommage et que les co-auteurs de celui-ci sont tenus in solidum à le réparer sans qu'il y ait lieu à partage de responsabilité.

Attendu que la campagne publicitaire litigieuse dont les sociétés appelantes ne contestent pas le caractère massif, ainsi que la brutalité du message " E. Leclerc moins cher que Carrefour Vitrolles " ont nécessairement réduit bien au-delà de la période d'affichage, le pouvoir d'attraction de l'enseigne Carrefour Vitrolles dans l'esprit des consommateurs de la zone de chalandise concernée ; qu'il est notoire que celle-ci compte plusieurs centaines de milliers de personnes et que sauf à priver le dispositif mis en place par le législateur de toute efficacité et à encourager sa violation si les conséquences financières sont dérisoires au regard des intérêts économiques en jeu, le montant des dommages et intérêts qui doivent être alloués à la société Carrefour Vitrolles n'apparaît pas devoir être inférieur à la somme de cinq millions de francs ; que cette réparation doit être complétée par la publication du présent arrêt selon les modalités fixées à son dispositif.

Attendu qu'il sera fait application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de la société intimée dans la mesure indiquée au dispositif au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement ; Reçoit les sociétés Maridis, Sodiplan, Sodistres, Salondis et Tuilière Distribution en leur appel principal et la Société Carrefour Vitrolles en son appel incident ; Confirme le jugement entrepris en sa motivation non contraire aux motifs retenus par la cour mais l'émende quant à son dispositif et l'infirme en ce qu'il a débouté la société Carrefour Vitrolles du surplus de ses demandes ; Y ajoutant et statuant à nouveau : Condamne in solidum les sociétés appelantes à payer à la Société Carrefour Vitrolles la somme de 5 000 000 F (cinq millions de francs) à titre de dommages et intérêts ; Ordonne la publication du présent arrêt sous le titre " Condamnation de sociétés du Groupe E. Leclerc pour publicité comparative illicite à l'encontre de la société Carrefour Vitrolles " dans les éditions des Bouches-du-Rhône des journaux, le Provencal, le Méridional et la Marseillaise sans que le coût de chaque insertion excède la somme de 10 000 F (dix mille francs) ; Condamne in solidum les sociétés appelantes au paiement de la somme de 50 000 F (cinquante mille francs) au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ; Les condamne aux entiers dépens et autorise la SCP de Saint-Ferreol & Touboul, titulaire d'un office d'avoué, à recouvrer directement ceux des dépens d'appel dont elle a fait l'avance sans recevoir provision.