CA Paris, 1re ch. B, 16 mars 1989, n° 88-1329
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Delrieu Duprat et Associés (Sté)
Défendeur :
Brandstatter et Compagnie Playmobil France (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guerder
Conseillers :
Mme Rabaté, M. Tailhan
Avoués :
SCP Teytaud, SCP Roblin Chaix de Lavarenne-Roblin
Avocats :
Mes Mendras, Braghini.
LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Delrieu Duprat et Associés, ci-après désignée par le sigle DDA, d'un jugement rendu le 6 novembre 1987 par le Tribunal de commerce de Paris, qui a, notamment :
- condamné la société DDA à payer à la société Brandstatter et Compagnie - Playmobil France 177 900 F avec intérêts au taux légal à compter du 25 février 1986, et 12 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
- ordonné que Me Chevrier de Zitter remette à la société Brandstatter et Compagnie - Playmobil France la somme de 1 300 000 F consignée entre ses mains les 10 et 11 mars 1987, ainsi que les intérêts produits par ce dépôt ;
- débouté DDA de sa demande,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné DDA aux dépens de cette partie de l'instance en ce compris les dépens du référé et les honoraires de Me Chevrier de Zitter,
- avant dire droit sur le surplus de la demande de Brandstatter et Compagnie - Playmobil France,
- désigné M. Boinet, en qualité d'expert, avec mission notamment de réunir tous éléments devant permettre au tribunal de fixer le montant du préjudice éventuellement subi par la société Brandstatter et Compagnie - Playmobil France du fait de la rétention par DDA des 8 films litigieux après le 1er janvier 1987,
- ordonné l'exécution provisoire du chef de l'expertise,
- réservé les dépens.
La société Brandstatter et Compagnie - Playmobil France, ci-après appelée Playmobil, commercialise, en France des jouets consistant en de petites figurines articulées accompagnées de leurs accessoires.
Par contrat du 1er octobre 1984, elle a confié à l'agence DDA la gestion de son budget publicitaire pour une durée de 15 mois, renouvelable par période annuelle, sauf dénonciation de 6 mois avant chaque échéance contractuelle.
DDA devait réaliser l'ensemble des documents publicitaires de la campagne, affiches, annonces dans les magazines et des spots destinés à la télévision.
Le contrat prévoit des honoraires fixes mensuels de 20 000 F HT, outre le règlement de tous les frais de réalisation et de production mis à la charge de l'annonceur, Playmobil.
Sur le montant des achats d'espace réalisés par l'agence pour le compte de Playmobil, l'agence devait faire bénéficier son cocontractant d'un abattement de 12 % en fin d'année.
L'utilisation éventuelle hors de France, des créations publicitaires de l'agence, conformément aux usages de la profession, était soumise à l'accord préalable de DDA.
Par lettre du 27 juin 1986, le nouveau dirigeant de Playmobil notifiait à DDA sa décision de ne pas reconduire la convention pour 1987. La rupture des relations contractuelles fut donc effective le 1er janvier 1987.
Le 6 février 1987, Playmobil demandait à DDA de lui remettre l'ensemble du matériel qu'elle avait créé et réalisé.
DDA opposait qu'elle restait titulaire des droits d'auteur.
Par télex du 19 février 1987, le dirigeant de Playmobil demandait " sous quelles conditions les droits d'auteur pouvaient lui être cédés ", ce que DDA fixait par télex du 23 février 1987, en réservant les droits des tiers.
Par télex du 24 février 1987, Playmobil répondait " nous sommes d'accord pour racheter les droits d'auteur sur les deux films Fort Randall et Safari ", et réglait la somme de 177 900 F TTC, conformément aux demandes de DDA.
Cette dernière remettait donc les deux films.
Par télex du 28 février 1987, Playmobil notifiait à DDA qu'elle n'avait réglé les deux films susvisés que pour pouvoir utiliser ses réservations de passage à la télévision ; que ce paiement ne valait pas novation. Elle réclamait la restitution des six autres films détenus par DDA.
Par ordonnance de référé du 10 mars 1987, le Président du Tribunal de commerce de Paris a :
- ordonné à DDA de remettre à Me Chevrier de Zitter, constitué séquestre, les originaux et les copies de six films avec leur bande sonore (Le train, Les animaux du Monde, La neige, Le zoo, Le bateau de pêche, La ferme) sous astreinte,
- la totalité des autres documents se rapportant aux films réalisés pour Playmobil,
- dit que Me Chevrier de Zitter devra remettre à Playmobil les six films contre remise d'une somme de 650 000 F dont elle sera constituée séquestre et contre remise d'une caution bancaire garantissant le paiement à DDA de 650 000 F à titre de droits d'auteur.
Cette décision a été exécutée, à la différence près que Playmobil a remis au séquestre deux chèques de 650 000 F chacun.
La société Playmobil a assigné la société DDA au fond. Soutenant que DDA se prétend à tort titulaire de droits d'auteur sur les créations publicitaires réalisées pour le compte de Playmobil et a retenu indûment ce matériel publicitaire, la société Playmobil a demandé la condamnation de DDA à :
- lui restituer la somme de 177 900 F avec intérêts de droit à compter du versement,
- lui payer 1 846 000 F de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rétention du matériel,
- lui payer 35 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Playmobil a réclamé, en outre, la restitution par le séquestre de la somme de 1 300 000 F consignée avec les intérêts du dépôt.
C'est dans ces conditions qu'a été rendue la décision déférée à la cour.
Le tribunal a admis que c'est " pressé par le besoin " d'utiliser le temps de télévision retenu que la société Playmobil a payé pour deux films les sommes réclamées par DDA. Il a estimé qu'il ne peut en être déduit que Playmobil a accepté le principe des droits d'auteur de DDA et les prix proposés par cette société.
Il a dit que l'article 14 de la loi du 3 juillet 1985 n'est pas applicable dans le présent litige.
Se référant à un arrêt de la Cour de cassation du 4 février 1986, le tribunal a jugé qu'à défaut d'une convention précise, il convient pour régler les rapports entre annonceurs et agents de publicité, d'appliquer le contrat-type établi en application de l'arrêté du 15 décembre 1959.
Il en a déduit que la société Playmobil est devenue propriétaire des créations de DDA qu'elle a payées.
Devant la cour, les parties reprennent les prétentions émises en première instance, à l'exception des développements relatifs à l'article 14 de la loi du 3 juillet 1985 que le jugement a déclaré inapplicable au présent litige.
La société DDA, appelante, soutient qu'elle est restée titulaire des droits d'auteur sur les créations qu'elle a réalisées dans le cadre de la gestion du budget publicitaire de la société Playmobil.
Elle estime que pour utiliser ce matériel publicitaire, la société Playmobil doit obtenir la cession expresse, moyennant paiement, des droits d'auteur tels que DDA les a précisés dans son télex du 23 février 1987.
Elle prétend que Playmobil a reconnu les droits de DDA dans son télex du 19 février 1987 et fait valoir que la société intimée a exécuté le paiement pour deux films.
La société DDA soutient que l'arrêt de la cour de cassation du 4 février 1986 n'admet pas la valeur d'usages du contrat-type du 16 septembre 1961 mais dit que les dispositions de ce contrat ne constituent pas une cession globale d'œuvres futures et par conséquent, ne sont pas en contravention avec l'article 33 de la loi du 11 mars 1957.
Maintenant qu'elle n'avait pas consenti la cession de ses droits d'auteur à Playmobil, DDA réclame :
- la remise des sommes consignées entre les mains du séquestre, lesquelles correspondent à l'évaluation qu'elle avait faite de ses droits,
- les intérêts au taux légal à compter du 10 mars 1987.
Elle demande, en outre, la condamnation de Playmobil à lui payer 500 000 F de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par son comportement qu'elle estime de mauvaise foi. Elle sollicite 50 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Playmobil, intimée, a sollicité le renvoi de l'audience des plaidoiries pour permettre une éventuelle évocation, après dépôt du rapport d'expertise.
Elle a conclu subsidiairement à la confirmation et a réclamé 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par conclusions du 29 février 1988, elle avait demandé la capitalisation des intérêts alloués par le jugement à compter à compter du 25 février 1986 sur la somme de 177 900 F.
La cour se réfère pour un plus ample exposé des faits et des prétentions des parties au jugement déféré et aux conclusions prises en appel.
Sur ce, LA COUR :
Considérant qu'entre parties commerçantes, la preuve des conventions peut se faire par tous moyens ;
Considérant que la convention du 14 octobre 1984 se réfère aux usages de la profession à propos de l'utilisation éventuelle hors de France desdites créations publicitaires et stipule que cette utilisation sera soumise à l'accord préalable de l'agence ;
Considérant qu'à défaut de clause particulière, dans la convention, réservant à DDA la propriété des droits patrimoniaux attachés à la création des œuvres publicitaires objet du contrat, la société Playmobil invoque, à juste titre, les usages professionnels tels qu'ils résultent du contrat type du 19 septembre 1961, établi en application de l'arrêté du 15 décembre 1959, entre annonceurs et agents de publicité pour régler leurs rapports ;
Considérant que ce contrat-type stipule que " l'exploitation par l'agence, pour le compte de l'annonceur, de tous ses travaux de création publicitaire ou leur règlement implique la cession automatique à l'annonceur de tous les droits de reproduction résultant notamment de la propriété littéraire ou artistique, tels qu'ils sont définis par la législation en vigueur " ;
Qu'en outre, le contrat-type prévoit " qu'au cas où pour une création publicitaire, les droits ci-dessus désignés ne seraient pas la propriété de l'agent, il appartient à celui-ci de signaler à son client les limites de ses droits pour cette création et de faire connaître à ce dernier les conditions auxquelles ces droits pourraient lui être cédés " ;qu'avant la fin des relations contractuelles, DDA n'a jamais fait état auprès de Playmobil, de limites à la propriété de ses créations ;
Considérant que les premiers juges ont donc admis, à bon droit, que la société Playmobil est devenue propriétaire des créations de DDA,c'est-à-dire des films dont elle a payé la réalisation en même temps qu'elle assurait à DDA des honoraires mensuels de 20 000 F, qui ne pouvaient être destinés précisément qu'à rémunérer son travail de création artistique ;
Considérant que le jugement entrepris doit être confirmé, sauf à reporter au 25 février 1987 le point de départ des intérêts dus sur la somme de 177 900 F ;
Considérant que les conditions d'application de l'article 1154 du Code civil sont remplies en ce qui concerne lesdits intérêts et qu'il convient de faire droit aux conclusions du 29 février 1988 de la société Playmobil visant l'anatocisme ;
Considérant que l'équité commande de condamner DDA à payer à Playmobil 12 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour la procédure d'appel, en sus de la somme de 12 000 F déjà allouée par le jugement.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris à l'exception du point de départ des intérêts dus sur la somme de 177 900 F, qui est fixé au 25 février 1987 ; Y ajoutant : Dit que ces intérêts seront capitalisés à compter de la demande du 29 février 1988 ; Condamne la société Delrieu Duprat et Associés à payer à la société Brandstatter et Compagnie - Playmobil France 12 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile : Déboute la société Delrieu Duprat et Associés de sa demande sur le même fondement ; Condamne la société Delrieu Duprat et Associés aux dépens d'appel ; Admet la société civile professionnelle Roblin et Chaix de Lavarenne-Roblin, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.