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Décisions

CA Rennes, 1re ch. A, 21 janvier 1997, n° 9405508

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Coordination des Entrepreneurs Bassin Rennais

Défendeur :

Avenir Havas Média (Sté), Affichage Giraudy (Sté), Bureau de Vérification de la Publicité, Dauphin (Sté), Administra District de Rennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dabosville

Conseillers :

M. Le Guillanton, Mme Tremoureux

Avoués :

Mes Chaudet, Brebion, Bazille, Genicon, Cadiou-Nicolle, Guillou, Leroyer, Gauvain, Demidoff, Castres Colleu, Perot, d'Aboville, de Moncuit St Hil

Avocats :

Mes Berthault, Lepretre, Bournilhas, Greffe, Pages, Coblence.

TGI Rennes, du 8 juin 1994

8 juin 1994

I- Faits et procédure :

Considérant que créée fin janvier 1994, l'association " Coordination des Entrepreneurs du Bassin Rennais " (" ACEB "), a entrepris une campagne d'affichage contre la construction d'un métropolitain de type " Val " à Rennes, qu'elle a confiée à l'agence de publicité Judes-Communication ;

Que, après rejet d'un premier projet d'affichage par les sociétés approchées à cette fin, des contrats ont été conclus avec les sociétés " Avenir Havas Média ", ou " Avenir ", Dauphin et Giraudy par bons de commande du 12 et 15 avril 1994 pour la diffusion d'une affiche ainsi libellée : " 4 milliards de francs ... 400 milliards de centimes, à ce prix le " projet Val " c'est le Val Dingue " ;

Que, arguant d'un avis défavorable du bureau de vérification de la publicité (" BVP ") reçu le 21 et 22 avril 1994, les afficheurs ont finalement refusé de donner suite à la commande ;

Que, sur l'action de l'ACEB en exécution des contrats et paiement de dommages-intérêts, le Tribunal de grande instance de Rennes a, par jugement du 8 juin 1994 auquel il sera renvoyé pour plus ample exposé des faits et de la procédure initiale,

- déclaré irrecevable l'intervention du district urbain de Rennes,

- débouté l'ACEB de toutes ses demandes,

- condamné l'ACEB à payer à chacune des sociétés défenderesses les sommes de 15 000 F en dommages-intérêts et 15 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Que l'ACEB a interjeté appel de cette décision ; qu'elle sollicite la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'intervention du district urbain de l'agglomération rennaise,

- réformer pour le surplus,

- dire que les articles 12 C du contrat Avenir et 13 des contrats Dauphin et Giraudy lui sont inopposables,

- subsidiairement, dire nul et de nul effets les articles 12 C du contrat Avenir et 13 des contrats Dauphin et Giraudy,

- subsidiairement, dire que l'avis du BVP lui est inopposable,

- en conséquence et en toute hypothèse, condamner sous astreinte les trois sociétés à exécuter les affichages définis dans les bons de commande au plus tard dans le mois de l'arrêt à intervenir et hors période scolaires, ainsi qu'au paiement de 250 000 F de dommages-intérêts,

- subsidiairement, dire que les société Avenir, Dauphin et Giraudy ont commis des fautes engageant leur responsabilité, les condamner au paiement de 500 000 F à titre de dommages-intérêts,

- en tout état de cause, lui allouer la somme de 150 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Qu'elle fait valoir, en substance, que les clauses contractuelles dont excipent les sociétés pour justifier leur inexécution, d'une part, sont illisibles et ne peuvent lui être opposées, d'autre part contiennent une condition potestative en ce qu'elles font dépendre l'exécution de la seule volonté des afficheurs, de sorte qu'elles sont entachées de nullité ; que les sociétés avaient accepté le projet, pour l'essentiel, plus de deux mois avant de se rétracter et restent tenues par l'accord initial ; que l'avis de BVP ne pouvait prévaloir car il a été donné dans des conditions irrégulières et ne s'appuie sur aucune règle de droit ; que les conditions dans lesquelles les sociétés d'affichage ont finalement refusé d'honorer la commande sont constitutives d'une faute grossière, qui laisse présumer une intention de nuire, et engagent leur responsabilité ;

Considérant que la société Dauphin demande de :

- confirmer,

- condamner l'ACEB à lui payer la somme de 20 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 15 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Qu'elle réplique que les conditions générales de vente ont été traitées avec le mandataire de l'ACEB, professionnel de la publicité et sont opposables à l'association ; que le recours à l'arbitrage du BVP a été accepté conventionnellement ; que le refus d'affichage est parfaitement légitime, dès lors notamment qu'existait un risque de sanction compte tenu de l'usage dénigrant du concept du " Val " ; que l'avis du BVP a régulièrement été donné, dans le cadre exact de sa mission ;

Considérant que la société Giraudy prie la cour de :

- dire irrecevable l'appel de l'ACEB, subsidiairement le déclarer mal fondé,

- confirmer le jugement déféré,

- lui allouer les sommes de 20 000 F en dommages-intérêts et 15 000 F sur la base de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Qu'elle expose que l'appel a été relevé par l'association agissant par ses représentants légaux mais que l'identité de ceux-ci n'est pas indiquée, en sorte que la capacité pour agir de l'appelante ne peut être vérifiée ; que l'ordre public s'opposait à l'exécution du contrat étant donné que le débat instauré par l'affichage projeté visait des élus et des corps constitués, avec un risque de diffamation ou d'injure, que les affiches portaient atteinte à des droits de tiers protégés par la loi, que la campagne ainsi menée était un acte politique ; que l'avis de BVP était une condition essentielle de son consentement et a dûment été sollicité, que la renonciation a été exprimée dans les délais contractuellement prévus ;

Considérant que " la société Avenir " conclut en ces termes :

- dire irrecevable et en tout cas mal fondé, l'appel de la Coordination des Entrepreneurs du Bassin Rennais,

- constater que les conditions générales de vente d'Avenir sont parfaitement lisibles et qu'elles ont été acceptées par l'association par la seule signature du bon de commande,

- constater que l'article 12 C des conditions générales de vente d'Avenir est conforme à l'article 14 du Code des usages en matière de publicité,

- dire que l'article 12 C n'est en rien potestatif dans la mesure où il soumet la faculté de l'afficheur à refuser un affichage à la décision d'un tiers le BVP (Bureau de Vérification de la Publicité),

- dire que le message litigieux ne pouvait être apprécié séparément de la lettre ouverte publiée dans Ouest France du 15/16 avril 1994 et du tract distribué à la même époque,

- dire que ce message était dénigrant tant vis-à-vis des élus locaux que du système de transport de la société Matra,

- constater que la Coordination des Entrepreneurs du Bassin Rennais n'a jamais justifié être en droit d'utiliser la marque protégée " Val " propriété de la société Matra,

En conséquence,

- confirmer purement et simplement le jugement du 8 juin 1994 du Tribunal de grande instance de Rennes,

A titre subsidiaire,

- constater que la Coordination des Entrepreneurs n'a pas donné à Avenir, au moment de la formation du contrat, une information loyale et complète permettant l'appréciation des risques encourus,

- dire et juger que ce manque d'information constitue une réticence dolosive qui a violé le consentement d'Avenir,

- annuler et dire de nul effet le contrat intervenu entre Avenir et la Coordination des Entrepreneurs,

Dans tous les cas,

- débouter l'association " Coordination des Entrepreneurs du Bassin Rennais " de l'ensemble de ses demandes en ce qu'elles sont dirigées contre Avenir,

- condamner l'association " Coordination des Entrepreneurs du Bassin Rennais " à payer à la société Avenir la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- condamner l'association " Coordination des Entrepreneurs du Bassin Rennais " aux entiers dépens.

Considérant que le BVP postule la confirmation et l'octroi d'une somme de 50 000 F de dommages-intérêts, outre une indemnité de 30 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Qu'il indique qu'il est le seul organisme interprofessionnel d'autodiscipline, représentant l'ensemble des professionnels concernés par la publicité ; qu'il a estimé en l'espèce que le texte de l'affiche était dénigrant et ne devait pas être diffusé, comme susceptible de donner lieu à responsabilité tant sur le fondement général de l'article 1382 du Code civil que de la déontologie professionnelle ;

Considérant que le district urbain de l'agglomération rennaise déclare s'en rapporter à justice ;

II- Discussion :

1) Sur la recevabilité de l'appel :

Considérant qu'il est de principe que la mention dans la déclaration d'appel de la personne morale physique, organe représentant une personne morale appelante, n'est exigée par aucun texte et que l'absence d'une telle mention ne peut donner lieu à l'application des articles 117, 119, 121 du nouveau Code de procédure civile ;

Que le moyen opposé par la société Giraudy est inopérant et sera rejeté ;

Que la société Avenir qui a expressément conclu dans le dispositif de ses conclusions à l'irrecevabilité du recours n'a fourni à l'appui aucune explication de fait ou de droit ni produit de quelconques pièces sur ce point ;

Que l'appel sera déclaré recevable ;

2) Sur le fond :

Considérant que le premier juge a rappelé de façon succincte mais exacte le contenu des clauses insérées dans les trois contrats respectivement souscrits par l'CAEB avec les sociétés d'affichage, qui, participant de la même économie, permettent à celles-ci d'écarter l'exécution de la commande sur avis du BVP ;

Que l'ACEB ne saurait prétendre que ces stipulations ne lui sont pas opposables au motif qu'elles figurent en petits caractères alors même qu'elles sont d'une typographie identique à l'ensemble des clauses constituant les conditions générales et que les contrats ont été négociés puis signés par son mandataire, l'agence " Patrice Judes ", conseil en communication et professionnel de la publicité, lequel est rompu à la pratique de ce type de contrat ;

Qu'il apparaît en outre que l'association regroupe un certain nombre de chefs d'entreprise avisés en matière commerciale et conscients de l'importance des conditions générales de vente, ainsi que l'observe à juste titre la société Avenir ;

Considérant qu'il résulte des articles 1170 et 1174 du Code civil, d'une part, que la condition potestative est celle qui fait dépendre l'exécution de la convention d'un événement qu'il est au pouvoir de l'une ou l'autre des parties contractantes de faire arriver ou d'empêcher, d'autre part, que toute obligation est nulle lorsqu'elle a été contractée sous la condition potestative de la part de celui qui s'oblige ;

Qu'en l'espèce, les clauses litigieuses réservent avec des variantes de détail le droit pour l'afficheur de refuser d'apposer des publicités contraires à l'ordre public, aux bonnes moeurs ou à la réglementation en vigueur, ou qui auraient fait l'objet d'un avis défavorable du BVP ;qu'elles sont une adaptation de l'article 14 du Code des usages en publicité aux termes duquel : " le support se réserve toujours le droit de refuser un ordre de publicité sans avoir à en indiquer les motifs. Il peut aussi en cours d'exécution du contrat, refuser de publier les textes ou dessins qui, soit par eux-mêmes, soit par des opérations qui découlent de cette publicité provoquent des réclamations de ses lecteurs ou de sa clientèle de publicité, comme aussi les textes donnent lieu à des poursuites judiciaires ou dont les pouvoirs publics réclament la suppression " ;

Considérant que le BVP est une association régie par la loi de 1901 ; qu'il a pour but aux termes de ses statuts, " s'inspirant du Code international de pratiques loyales en matière de publicité de la chambre de commerce internationale et de tous usages et règles de déontologie des professions intéressées, de mener une action en faveur d'une publicité loyale, véridique et saine dans l'intérêt de ces professions, des consommateurs et du public " ;

Que, ayant entre autres adhérents, l'Union des Annonceurs, l'association des agences conseils en publicité, l'institut national de la consommation, les organismes de presse-radio-télévision et les sociétés d'affichage, il peut légitimement prétendre être le seul organisme interprofessionnel d'autodiscipline, représentant l'ensemble des professionnels concernés par la publicité ;

Que, dans les trois contrats, l'exercice du droit de refus par l'afficheur procède d'un mécanisme contractuel librement accepté par les parties,issu de règles communément consacrées en la matière par référence tant à l'ordre public qu'aux dispositions légales en vigueur et impliquant le recours à l'arbitrage d'un tiers, le " BVP ", pris en tant que représentant reconnu de l'ensemble des professionnels en matière de publicité ; que, ne dépendant pas de la seule volonté du débiteur de la prestation et de motifs purement arbitraires il n'est pas soumis à une condition potestative au sens des textes susvisés du Code civil ;

Que l'ACEB ne saurait donc contester des dispositions auxquelles elle a souscrit, conformes à l'intérêt commun et nécessaires à l'exécution même du contrat, compte tenu de la spécificité de son objet ;

Qu'elle n'est pas davantage fondée à soutenir, au subsidiaire, que les sociétés Dauphin et Giraudy étaient forcloses pour saisir le BVP, puisque le dernier projet préparé par l'agence Judes, après rejet du premier, a été communiqué vers le 25 mars 1994 aux intéressés et que, en tout état de cause l'accord des parties n'a été effectif que par la signature des bons de commande en avril 1994 ;

Considérant que le BVP a été consulté en urgence par les sociétés défenderesses, ensuite notamment des développements d'une polémique au plan local opposant les membres de l'ACEB à certains élus et a donné un avis défavorable à l'affiche projetée, dans les termes suivants :

" Le BVP déconseille l'achat d'espace publicitaire pouvant porter atteinte à un ensemble de personnalités politiques, d'élus, de fonctionnaires ayant pris ou devant prendre une décision relative au " Projet Val ". Ce projet dénigrant est à notre sens illicite et contraire aux règles déontologiques. Par ailleurs, le calendrier électoral étant chargé, ce type de message pourrait être considéré comme entrant dans le cadre de la loi électorale ".

Que, contrairement à l'argumentation de l'ACEB, la consultation sollicitée a respecté la procédure applicable en la matière s'agissant d'un projet de publicité qui exigeait une réponse rapide ; que, du reste, le règlement intérieur n'exigeait pas qu'elle respecte un formalisme strict, qui en aurait conditionné la validité ;

Que l'avis du consultant, rédacteur des lettres des 21 et 22 avril 1994, a été donné sous la responsabilité du directeur du Bureau, lequel l'a d'ailleurs entériné implicitement et a reconnu la valeur de son salarié ainsi qu'il ressort d'une lettre du 5 mai 1994 ;

Qu'il n'y a pas lieu pour la présente juridiction de se prononcer plus amplement sur son bien fondé dès lors que sauf démonstration contraire, non fournie, il a été émis non pour des motifs partisans ou étrangers à la mission de l'organisme, mais en fonction des objectifs statutairement définis, ci-dessus rappelés, et par références aux critères d'appréciation visés dans les contrats, acceptés sans réserve par l'ACEB ;

Que l'appelant n'établit pas en définitive l'existence d'éléments quelconque qui, viciant l'avis du BVP, seraient de nature à remettre en cause le droit de refus d'exécution que les contrats conféraient aux afficheurs ;

Considérant, enfin, qu'en usant de la faculté de résiliation prévue au contrat, tel qu'accepté à l'origine par l'ACEB, les sociétés d'affichage n'ont pas commis de faute ni commis d'abus dans l'exercice de leur droit ;

Que d'ailleurs, il ressort des circonstances de la cause que la polémique publique sus évoquée a surgi et s'est amplifiée après que " des responsables d'entreprises de la région rennaise " ont pris l'initiative d'une lettre ouverte au maire de Rennes, président du district, qui a été publiée dans le quotidien régional Ouest France les 16-17 avril 1994 et suivie le 21 avril d'une prise de position de vingt maires de communes du district ; que l'ACEB ne saurait donc faire grief aux afficheurs d'avoir accepté les bons de commande les 12 et 15 avril précédents, en manifestant déjà des réserves qu'elle a tenté d'apaiser par une lettre du 20 avril 1994, puis d'avoir pris les précautions permises par la procédure d'avis du BVP, d'autant déterminante eu égard au nouveau contexte ;

Considérant, en définitive, qu'aucun des moyens ou arguments de l'ACEB n'est fondé ;

Considérant que, bien qu'il ait déclaré s'en rapporter à justice, le district urbain ne conteste pas le chef de décision ayant rejeté son intervention ;

Que le jugement déféré sera confirmé ;

3) Sur les demandes accessoires :

Considérant qu'eu égard au débat instauré la poursuite de l'action de l'ACEB devant le tribunal de grande instance puis la cour n'est pas manifestement abusive ;

Que les parties défenderesses ne justifient pas d'un préjudice dont l'appréciation des éléments légitimerait l'octroi de dommages-intérêts, à due concurrence des sommes réclamées ;

Que, succombant en ses prétentions, l'ACEB supportera les entiers dépens ; qu'elle ne peut obtenir le bénéfice de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Que l'équité commande d'allouer à chacune des parties intimées, qui en a fait la demande, la somme de 15 000 F pour les frais non répétibles exposés devant la cour, outre l'indemnité accordée du même chef en première instance ;

III- Décision :

Par ces motifs, LA COUR, Déclare l'ACEB recevable mais mal fondée au principal de son appel ; Réformant de ce seul chef, dit n'y avoir lieu à dommages-intérêts pour les parties défenderesses à l'action ; Confirme pour le surplus le jugement déféré ; Ajoutant, condamne l'ACEB aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'au paiement d'une somme de 15 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à chacune des parties intimées, à l'exception du district urbain de l'agglomération rennaise ; Rejette ses demandes en dommages-intérêts et indemnités au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.