CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 7 octobre 1999, n° 343-97
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Groupe LSA (SNC)
Défendeur :
Rivain Production (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Assié
Conseillers :
Mme Laporte, M. Maron
Avoués :
SCP Fievet-Rochette-Lafon, SCP Lissarrague-Dupuis & Associés
Avocats :
Mes Lombard, Bensoussan.
Faits et procédure :
La société Rivain Production (ci-après désignée société Rivain) a passé par l'entremise d'un intermédiaire, la société Café Ciné Communication, dans le cadre de loi du 29 janvier 1993, dite loi Sapin, des ordres d'achat d'espaces en vue de la publication dans la revue professionnelle LSA de deux annonces publicitaires concernant le désodorisant " Sup'Air ".
Deux factures ont été établies par la SNC Groupe LSA, appartenant au Groupe Havas, en contrepartie des prestations demandées :
- la première, datée du 21 novembre 1994, pour un montant de 91 878,23 F TTC,
- la seconde, datée du 28 février 1995, pour un montant de 38 307,80 F TTC.
Ces factures n'ayant pas été payées, la SNC LSA, après avoir vainement introduit une action à référé qui n'a pas abouti en raison notamment de la mise en liquidation de la société Café Ciné Communication et des contestations élevées par la société Rivain, a introduit une action au fond.
Par jugement en date du 25 septembre 1996 auquel il est renvoyé pour plus ample exposé des éléments de la cause, la 8e chambre du Tribunal de commerce de Nanterre a condamné la société Rivain à payer avec exécution provisoire à la SNC Groupe LSA, la somme de 91 873,23 F représentant le montant de la première facture, avec intérêts au taux légal à compter du 20 octobre 1995 sur 18 000 F, du 20 novembre 1995 sur 22 000 F, du 20 décembre 1995 sur 22 000 F et du 8 janvier sur le solde, rejeté la demande en paiement de la dernière facture et alloué à la SNC Groupe LSA une indemnité de 6 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Appelante de cette décision, la société Groupe LSA conclut à la confirmation du jugement déféré, en ce qui concerne la première facture, arguant du fait que la société Rivain ne peut utilement se prévaloir du paiement qu'elle a effectué entre les mains de son mandataire, la société Café Ciné Communication, dès lors que ledit mandataire, après avoir obtenu d'elle, des délais de paiement, n'a pas été en mesure de représenter les sommes perçues. En ce qui concerne la seconde facture, elle fait grief en revanche au premier juge d'avoir retenu, pour rejeter sa demande, " ... que la présence dans un même numéro de l'annonce Rivain et d'un article, passant en revue les produits analogues sans citer le sien et en le privant du rôle de précurseur dont il donne des exemples, ne pouvait que troubler les lecteurs professionnels, comme ceux de LSA, dans un sens défavorable à Rivain et, pour le moins, provoquer la " neutralisation " de son annonce, qui devenait sans utilité, ni intérêt " (que) " ... à partir du moment ou la presse spécialisée ou non prétend respecter l'indépendance des journalistes rédacteurs tout en reconnaissant que les recettes de publicité lui sont nécessaires, la loyauté commerciale veut qu'un journal vérifie, avant publication, la comptabilité entre une publicité et tel ou tel article devait figurer dans un numéro donné, et que, à défaut, il renonce à l'un ou l'autre " (que) " en n'agissant pas ainsi, LSA a sans doute rempli son obligation mais l'a rendue inopérante voire nuisible pour son co-contractant, sans essayer d'en limiter les effets fâcheux par des mesures appropriées prises rapidement " ; (que) " Rivain apparaît donc comme fondée à refuser d'en payer le prix ".
Elle estime que cette motivation, si elle devait être suivie, mettrait en péril le principe même de la liberté de la presse consacrée par diverses déclarations universelles ou conventions internationales et qui a valeur constitutionnelle et elle ajoute qu'il ne lui appartenait d'influer sur la liberté rédactionnelle de ses journalistes au seul motif que la société Rivain avait réservé dans la revue un espace publicitaire. Elle fait encore valoir qu'elle ne pouvait, contrairement à ce qui est prétendu, refuser, sauf à commettre un abus de droit, de faire paraître l'annonce et qu'en tout état de cause, la société Rivain avait la possibilité d'exiger un droit de réponse, comme le lui permet la loi sur la presse, à charge pour elle de saisir les juridictions compétentes en cas de refus.
Elle déduit de là qu'ayant exécuté la prestation demandée, elle est fondée à réclamer paiement de la somme de 38 307 F, représentant le montant de la deuxième facture, et ce, avec intérêts au taux légal à compter du 10 novembre 1995, date de la mise en demeure. Elle réclame également à la société Rivain une indemnité de 20 00 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Rivain fait valoir en réplique qu'il ne saurait être contesté qu'elle a réglé le montant de la première facture en litige entre les mains de la société Café Ciné Communication avec laquelle elle a traité directement et elle estime qu'elle ne saurait dans ces conditions, être tenue de payer une deuxième fois. Elle demande, dès lors, dans le cadre d'un appel incident, à être déchargée de la condamnation prononcée à ce titre à son encontre. Pour le surplus, elle conclut à la confirmation du jugement déféré, faisant sienne pour l'essentiel l'argumentation retenue par le tribunal. A cet égard, elle rappelle que le principe édicté par l'article 1134 du Code civil, selon lequel les conventions doivent être exécutées de bonne foi, ne saurait être mis en échec par le principe de liberté de la presse alors que, sans porter la moindre atteinte à cette liberté, la SNC LSA, aurait dû, si elle avait eu un comportement loyal, soit l'informer de la parution d'un article de nature à " neutraliser " l'impact publicitaire demandé, soit refuser la publicité, comme le lui permettrait sans aucune restriction la loi sur la presse. Enfin, elle sollicite, en couverture des frais de procédure par elle exposé, une indemnité de 20 000 F.
Motifs de la décision :
- Sur la première facture :
Considérant que la loi du 29 janvier 1993 se réfère expressément au mandat lorsque, comme en l'espèce, l'achat d'un espace publicitaire a été conclu par l'entremise d'un intermédiaire ;qu'elle précise notamment que l'intermédiaire agit pour le compte de l'annonceur et impose un contrat écrit précisant le contenu précis du mandat ;qu'il convient donc de se référer aux règles de droit commun applicable au mandat pour déterminer si le paiement effectué entre les mains de l'intermédiaire a pour effet de libérer la société Rivain.
Or,considérant que le mandant doit, en vertu des dispositions de l'article 1998 du Code civil, assurer les obligations résultant des actes conclus par le mandataire en son nom, sauf dépassement du mandat ce qui n'est ni allégué, ni soutenu en la cause ;qu'il en résulteque, dès lors qu'il n'est pas contesté que la SNC Groupe LSA a, comme lui a été demandé par l'intermédiaire agissant pour le compte de la société Rivain, fait paraître l'annonce, cette dernière société est tenue au paiement de la prestation sans pouvoir opposer à sa co-contractante, à laquelle elle est directement liée par l'effet du contrat de mandat, l'infidélité du mandataire par l'intermédiaire duquel elle a fait transiter le règlement;que le jugement déféré sera, en conséquence, confirmé de ce premier chef.
- Sur la deuxième facture en litige :
Considérant qu'un journal, moyen d'information, a généralement pour objet d'exprimer une opinion et de soutenir une politique et des intérêts matériels ou moraux selon un style et un esprit qui lui sont propres et constituent sa personnalité ; que, s'il n'est pas contestable que les insertions de nature publicitaire représentent pour lui un moyen souvent indispensable de son financement et de son existence, cette partie accessoire de son activité ne saurait cependant le conduire à exercer des pressions sur l'équipe rédactionnelle et plus particulièrement à dicter à celle-ci une position éditoriale qui serait étroitement liée à la puissance économique des annonceurs, sauf à attenter gravement au principe de la liberté de la presse, en limitant le droit de critique et de libre expression des journalistes.
Considérant en l'espèce que la société Rivain ne saurait s'opposer, sauf à s'affranchir des principes ci-dessus rappelés, du paiement de la deuxième facture en litige, motif pris que son insertion publicitaire aurait perdu tout son sens en raison de la parution dans le même numéro de la revue LSA d'un article sur les produits " neutralisateurs d'odeur " ne faisant pas mention de son produit et de son rôle de précurseur dans ce domaine.
Qu'elle ne saurait davantage reprocher utilement à la société Groupe LSA de ne pas l'avoir informée de la publication de cet article, alors qu'il est de pratique courante, comme il est établi en la cause, et de l'essence de la liberté de la presse, que des magazines spécialisés publient, dans un même numéro, des articles de fond critiquant tel ou tel produit et une annonce publicitaire concernant ces mêmes produits.
Qu'elle ne peut pas plus faire grief à la société Groupe LSA de n'avoir pas refusé son annonce ;qu'en effet, si le directeur d'une publication est libre de refuser l'insertion d'une annonce, encore faut-il qu'il ne commette aucun abus dans l'exercice de ce droit ;qu'à cet égard, si le caractère injurieux, diffamatoire, attentatoire à la vie privée ou à la présomption d'innocence ou plus largement tout caractère illicite ou immoral d'une publicité peut légitimer un refus même non motivé du directeur de la publication, celui-ci s'exposerait néanmoins à un risque de poursuite pour refus de vente, au sens de l'ordonnance du 1er décembre 1986, s'il refusait d'insérer comme en l'espèce une publicité d'ordre technique dépourvue de tout caractère anormal.
Considérant qu'il suit de là que la société Groupe LSA, qui a parfaitement rempli la prestation demandée dans le strict cadre de ses obligations contractuelles, ne saurait se voir reprocher, comme l'a dit à tort le premier juge, un quelconque manquement à ses devoirs de loyauté et de bonne foi.
Que la société LSA est donc parfaitement fondée à poursuivre le règlement de la facture émise en contrepartie de ladite prestation.
Que la société Rivain sera condamnée à lui payer la somme de 38 307,80 F TTC avec intérêts de droit à compter du 10 novembre 1995, date de la mise en demeure.
- Sur les autres demandes :
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la société Groupe LSA la charge des frais qu'elle a été contrainte d'exposer devant la cour ; que la société Rivain sera condamnée à lui payer une indemnité complémentaire de 6 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ladite indemnité s'ajoutant à celle déjà accordée au même titre par le premier juge.
Considérant par ailleurs que la société Rivain, qui succombe, supportera les entiers dépens exposés à ce jour.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, - Reçoit la SNC Groupe LSA en son appel principal et la SA Rivain Production en son appel incident, - Faisant droit pour l'essentiel au premier et rejetant le second, - Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SA Rivain Production à payer à la SNC Groupe LSA la somme de 91 878,23 F avec intérêts au taux légal à compter du 20 octobre 1995 sur 18 000 F, du 20 novembre 1995 sur 22 000 F, du 20 décembre 1995 sur 22 000 F et du 8 janvier 1996 sur le solde, et en ce qu'il a alloué à la SNC Groupe LSA une indemnité de 6 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - L'infirmant pour le surplus et statuant à nouveau, - Condamne la SA Rivain Production à payer à la SNC Groupe LSA la somme de 38 307,80 F avec intérêts au taux légal à compter du 10 novembre 1995, - Condamne également la SA Rivain Production à payer à la SNC Groupe LSA une indemnité complémentaire de 6 000 F en couverture des frais exposés devant la cour, - Condamne enfin la SA Rivain Production aux entiers dépens de première instance et d'appel et autorise la SCP d'avoués Fievet-Rochette-Lafon à poursuivre directement le recouvrement de la part la concernant comme il est dit à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.