CA Paris, 16e ch. B, 8 mars 2002, n° 2000-17869
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Cros
Défendeur :
Feddag, Allouche
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Garban
Conseillers :
MM. Le Bail, Provost-Lopin
Avoués :
SCP Bernarbe Chardin-Cheviller, SCP Narrat-Peytavi.
Le 10 juin 1989, la SCI Du Nord dont les époux Feddag étaient les seuls associés a loué à Belaid Feddag pour y exploiter un fonds de commerce de débits de boissons et de restauration à l'enseigne "l'étoile du Nord" des locaux dont elle était propriétaire 180 rue du Faubourg Saint Denis à Paris (75010), pour 9 années à compter du 1er janvier 1989 et moyennant un loyer annuel de 60 000 F.
Le 11 juillet 1985, Belaid Feddag a donné en location gérance à Chantal Engeldingere le fonds de commerce de marchand de vins, traiteur, restaurant se composant de 1'enseigne, le nom commercial, la clientèle, l'achalandage y attachés, ainsi que la licence IV, le droit au bail des locaux et le mobilier commercial et les marchandises existant en magasin pour une durée ferme de trois années à compter du 1er juillet 1985 et moyennant un loyer mensuel HT de 4 000 F.
Par jugement du Tribunal correctionnel de Paris du 13 mars 1990 confirmé par arrêt de la Cour d'appel de Paris, la fermeture définitive du débit de boissons a été ordonnée à la suite de la procédure engagée à l'encontre de Chantal Engeldingere avec la complicité de laquelle Eren Ziya avait un temps exploité le débit de boissons sans déclaration.
Par acte établi par Maître Benhamou le 29 juin 1990, la SCI du Nord représentée par son gérant, Belaid Feddag, a vendu à Claude Cros, marchand de biens et à Colette Allouche, commerçante, les biens et droits immobiliers dépendant de l'immeuble soit les lots n° 1 et 156 constituant un local commercial, les lots 17,18, 19 et 20 constituant des caves au sous-sol du bâtiment A, le lot 151 au rez-de-chaussée du bâtiment D un local commercial et le lot 154 au sous-sol du bâtiment D soit une cave moyennant le prix de 850 000 F.
Par acte du même jour établi par un autre notaire, Maître Blanchard, les consorts Cros-Allouche et Belaid Feddag ont convenu de la résiliation du bail à compter de ce jour moyennant une indemnité de 650 000 F et de la cession de la licence IV pour le prix de 250 000 F sous condition suspensive de l'obtention par le cédant d'une décision de justice définitive ordonnant la restitution pure et simple de la licence.
Les consorts Cros-Allouche ont revendu les murs le 4 octobre 1991 à la société Nord Sud et le fonds de commerce, notamment la licence IV, le 25 septembre 1991 à la société Les Associés, laquelle a exploité le café-restaurant à compter du 26 octobre 1991 sous l'enseigne " le pot de vin".
Saisi les 21, 25 janvier et 2 avril 1999 par Belaid Feddag en paiement de la somme de 250 000 F à l'encontre des consorts Cros-Allouche et la société Les Associés prise en la personne de son liquidateur, le Tribunal de commerce de Paris, par jugement du 30 juin 2000, a:
- joint les causes sous le n° de RG 99-032812 et 99-009698,
- mis hors de cause la société Les Associés prise en la personne de son liquidateur, Maître Girard,
- condamné in solidum Claude Cros et Colette Allouche à payer à Belaid Feddag la somme de 250 000 F avec les intérêts de droit à compter du 2 avril 1999,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné in solidum Claude Cros et Colette Allouche à payer à Belaid Feddag la somme de 8 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- condamné Belaid Feddag à payer à Maître Girard la somme de 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné in solidum Claude Cros et Colette Allouche aux entiers dépens ;
LA COUR,
Vu l'appel de cette décision interjeté par Claude Cros,
Vu les dernières conclusions signifiées le 2 novembre 2001 par lesquelles l'appelant poursuit l'infirmation du jugement et demande à la cour:
- de débouter Belaid Eeddag de toutes ses fins demandes et conclusions,
- de constater que la condition suspensive pour paiement du prix d'une cession de licence insérée à l'acte du 29 juin 1990 n'a pas été réalisée,
- de constater en conséquence que ladite licence 4e catégorie attachée au local commercial du 180 rue du Faubourg Saint Denis s'est trouvée libre et que Claude Cros propriétaire des murs, a pu en disposer légalement,
- de dire et juger on conséquence que Belaid Feddag n'est pas recevable à demander le prix d'une cession de licence à hauteur de 250 000 F qui n'a pu être réalisée
- de dire et juger abusive la demande présentée par Belaid Feddag et le condamner, outre aux dépens, au paiement des sommes de 50 000 F à titre de dommages et intérêts et de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 29 octobre 2001 par lesquelles Belaid Feddag conclut à la confirmation du jugement et demande la cour :
- de condamner en conséquence conjointement et solidairement Claude Cros et Colette Allouche à lui payer la somme de 250 000 F :
- que ce soit en paiement de la cession de la licence conformément aux stipulations de l'acte notarié du 29 juin 1990 intitulé "résiliation de bail et cession de licence" ;
- ou que ce soit à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'appropriation et de la vente par Claude Cros de la licence, propriété de Belaid Feddag ou en remplacement du document de licence confié en dépôt par Belaid Feddag à Claude Cros que celui-ci ne peut représenter,
- de débouter Claude Cros de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- de condamner sous la même solidarité Claude Cros et Colette Allouche, outre aux dépens, au paiement d'une somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu l'arrêt rendu le 11 janvier 2002 par cette cour qui a dit y avoir lieu à réouverture des débats aux fins de voir l'intimé, Feddag Belaid produire l'original de l'assignation délivrée à la personne de Colette Allouche pour l'audience du 31 janvier 2002 à 14 heures ;
Vu la copie du second original de l'assignation délivrée à la personne de Colette Allouehe portant la date du 5 novembre 2001 produite à la cour le 24 janvier 2002 et l'absence de constitution de l'intimée ;
Sur ce :
Considérant que l'appelant fait grief au jugement entrepris de l'avoir condamné au paiement de la somme de 250 000 F au titre du prix de la cession de la licence 4e catégorie et fait valoir :
- que la condition suspensive insérée à l'acte de cession ne s'est pas réalisée, la Cour d'appel de Paris ayant, par arrêt du 2 octobre 1990, confirmé la décision de fermeture définitive prise en première instance par le tribunal correctionnel par jugement du 13 mars 1990,
- que la vente dont l'objet avait disparu n'est pas intervenue,
- qu'ainsi, lui et Colette Allouche ne sont pas redevables de la somme de 250 000 F en application de la convention et que devenu propriétaire des murs et du fonds, il a pu obtenir l'établissement d'une nouvelle licence à son nom et la revendre ;
- que Belaid Feddag ne peut obtenir un paiement sans cause ;
Qu'il ajoute enfin que par suite de l'arrêt définitif de la Cour d'appel de Paris ayant confirmé la décision de fermeture définitive du fonds de commerce, la licence s'est trouvée annulée et qu'ainsi, Belaid Feddag n'a rien cédé; que le fait que l'administration fiscale lui ait accordé une nouvelle licence n'est susceptible de créer aucun droit au profit de l'intimé ;
Considérant que Belaid Feddag s'oppose à cette argumentation et rétorque :
- que la licence constitue un élément du fonds de commerce, qu'elle constitue un véritable monopole au profit de son titulaire quand elle se rapporte à une catégorie de débits dans laquelle l'ouverture de nouveaux débits est interdite,
- que la mesure de fermeture définitive du fonds de commerce ordonnée judiciairement n'a pas été exécutée et qu'il est resté propriétaire de la licence qui ne s'est jamais trouvée disponible,
- que si la licence avait été annulée, la demande de Claude Cros n'aurait pu aboutir auprès de l'administration fiscale et que sans licence, ni lui ni Colette Allouche ni leurs successeurs n'auraient pu exploiter le débit de boissons,
- que la société Les Associés a payé aux consorts Cros-Allouche la somme de 1 600 000 F pour le transfert de la licence IV au nom de son gérant, M. Bellaloum ;
Considérant que le 10 juin 1989, Belaid Feddag a loué à la SCI du Nord dans laquelle il était associé avec son épouse, divers locaux commerciaux dépendant de l'immeuble dont la société était propriétaire 180 rue du Faubourg Saint-Denis et destinés à l'exploitation d'un café-restaurant ;
Que le 11 juillet 1985, il a donné le fonds de commerce en location gérance pour trois années à Chantal Engeldingere Belaid qui, en contravention avec le Code des débits de boissons, l'a fait exploiter sans déclaration par Eren Ziya, ressortissant Turc;
Que par jugement du Tribunal correctionnel de Paris, en date du 2 octobre 1990, le Tribunal correctionnel de Paris a notamment ordonné la fermeture définitive de l'établissement "L'étoile du Nord" ;
Considérant que c'est dans ce contexte et alors que Belaid Feddag avait interjeté appel de la décision pénale que le 29 juin 1990, la SCI du Nord a vendu aux consorts Cros-Allouchc les murs où était exploité le fonds moyennant le prix de 850 000 F et que dans le même temps et par un acte notarié séparé du même jour et établi par un autre notaire, Belaid Feddag et Claude Cros ont convenu de la résiliation du bail consenti par la SCI à Belaid Feddag pour le prix de 650 000 F payé le jour même et de la cession de la licence de 4e catégorie moyennant la somme de 250 000 F sous condition suspensive de l'obtention par le cédant d'une décision judiciaire définitive ordonnant la restitution pure et simple de la licence ;
Considérant que la condition suspensive insérée à l'acte est rédigée en ces termes :
"la cession de la licence est soumise à la condition suspensive de l'obtention par le cédant d'une décision définitive du tribunal compétent ordonnant la restitution pure et simple de la licence dont s'agit.
Cette condition suspensive doit être réalisée au plus tard le...
A cet égard, le cédant s'oblige à remettre au cessionnaire une copie de la décision rendue dans les quarante cinq jours de son prononcé.
En cas de réalisation de la condition suspensive, le versement du prix ci-dessus convenu devra alors être effectué par le cessionnaire au cédant, en une seule fois, directement entre les parties, hors la présence et la comptabilité des notaires instrumentant... dans le délai de quinze jours qui suivront la date de remise de la copie du jugement...
Au contraire, si le jugement définitif entérinait la décision de confiscation de ladite licence, Monsieur Cros et Mademoiselle Allouche seraient dégagés du versement de la dite somme sans aucune formalité supplémentaire.
Afin de constater la réalisation ou la défaillance de la condition suspensive assortissant les présentes, les parties donnent tous pouvoirs irrévocables à tout clerc habilité et assermenté de l'office notarial à l'effet de signer l'acte de dépôt d'une copie du jugement susvisé au rang des minutes du dit office notarial" ;
Considérant que la 13e chambre des appels correctionnels de la Cour d'appel de Paris, par arrêt du 2 octobre 1990, a confirmé la décision de fermeture définitive de l'établissement exploité à l'enseigne " l'Etoile du Nord", les dispositions de l'article L. 43 alinéa 3 du Code des débits de boissons justifiant l'application de plein droit de cette sanction ; que cette décision est définitive ;
Et considérant qu'aux termes de l'article L. 3333-1 alinéa 3 du Code de la santé publique, lorsqu'une décision de justice a prononcé la fermeture d'un débit de boissons, la licence de l'établissement est annulée ;
Que dès lors, la condition suspensive ne s'étant pas réalisée et la vente ne s'étant pas concrétisée, Claude Cros et Colette Allouche se sont trouvés est application du contrat dégagés du versement de la somme de 250 000 F;
Qu'aucun élément probant ne vient établir que la décision de fermeture définitive du fonds de commerce n'ait pas été exécutée et ce d'autant que la sanction était en la cause applicable de plein droit ;
Que le fait que les consorts Cros-Allouche aient obtenu une licence de 4 ème catégorie à leur nom qu'ils ont effectivement revendue par la suite ne suffit à fonder le droit pour Belaid Feddag à solliciter le paiement du prix; que contrairement à ce que soutient l'intimé, la délivrance le 31 juillet 1990 par l'administration fiscale d'un récépissé de déclaration"de mutation" d'un débit de boissons à Cros Claude n'est pas significatif alors même qu'il vise le même numéro de licence que celle délivrée à Belaid Feddag dès lors qu'un titre fiscal ne peut faire revivre un droit annulé et qu'une licence ne peut être cédée ou transférée que si elle n'a pas été annulée; que la demande de Belaid Feddag en paiement du prix de cession de la licence IV doit être rejetée;
Considérant que Belaid Feddag demande à titre subsidiaire à la cour le paiement de la somme de 250 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation de préjudice qu'il a subi du fait de l'appropriation et de la vente par Claude Cros de la licence, sa propriété ou en remplacement du document de licence confié qu'il lui a confié en dépôt et qu'il n'a pu lui représenter ;
Mais considérant que l'intimé ne démontre aucune faute des consorts Cros-Allouche dès lors qu'ils ont revendu une licence IV pour laquelle l'administration leur avait délivré un titre fiscal ; qu'il ne justifie pas de la remise du certificat de licence à supposer que le défaut de restitution d'un tel certificat visant une licence annulée caractérise une faute et entraîne un préjudice ;
Que dans ces conditions, il y a lieu d'infirmer le jugement à l'exception de ses dispositions relatives à la jonction des procédures et à la mise hors de cause de la société Les Associés prise en la personne de son liquidateur, Maître Girard et de rejeter l'ensemble des demandes de Belaid Feddag ;
Considérant que Claude Cros sollicite de la cour la condamnation de Belaid Feddag au paiement de la somme de 50 000 F pour demande abusive et ce à titre de dommages et intérêts ;
Mais considérant que bien que la demande ne soit pas fondée, il n'est pas démontré qu'elle ait revêtu un caractère abusif ;
Considérant qu'il y a lieu d'allouer à Claude Cros une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; qu'en revanche, la demande formée par Belaid Feddag à ce titre doit être écartée ;
Considérant que Belaid Feddag qui succombe en toutes ses prétentions doit supporter les entiers dépens ;
Par ces motifs, Statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire, infirme le jugement entrepris à l'exception de ses dispositions relatives à la jonction des procédures et à la mise hors de cause de Maître Girard en qualité de liquidateur de la société Les Associés, statuant à nouveau, constate que la licence de 4e catégorie attachée au local commercial exploité 180, rue du Faubourg Saint Denis a été annulée à la suite du jugement rendu le 13 mars 1990 par le Tribunal correctionnel de Paris confirmé par arrêt de la Cour d'appel de Paris du 2 octobre 1990, constate en conséquence que la condition suspcnsive insérée à l'acte de résiliation du bail et de cession de la licence 4e catégorie en date du 29 juin 1990 ne s'est pas réalisée, déboute Belaid Feddag de sa demande en paiement de la somme de 250 000 F correspondant au montant du prix de la cession de la licence 4e catégorie et des intérêts, rejette toute autre demande des parties, condamne Belaid Feddag à payer à Claude Cros la somme de 762,25 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, le condamne aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.