Livv
Décisions

CA Bordeaux, 3e ch. corr., 7 juillet 1993, n° 75-93

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Syndicat départemental de l'industrie hôtelière de la Dordogne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thevenot

Conseillers :

M. Esperben, Mme Gachie

Avocats :

Mes Mazet, Daron.

TGI Périgueux, ch. corr., du 28 oct. 199…

28 octobre 1992

Les faits :

Anne-Sabine L et Françoise T sont épouses d'agriculteurs exploitant en GAEC un fonds rural X, <adresse>(Dordogne). Elles sont signataires de la charte des fermes-auberges, établie en 1983 par l'assemblée générale des fermiers-aubergistes, sur l'initiative de l'organisation " Tourisme et Culture ", dépendant de la fédération des Chambres d'agriculture.

Cette charte spécifie, dans ces critères d'admission, que les plats principaux proposés au public par le fermier-aubergiste " seront constitués des produits de la ferme ".

Le règlement intérieur précise dans son article 2 : " les produits doivent provenir principalement de l'exploitation, des fermes voisines et à défaut, d'une façon privilégiée, des exploitations des membres des associations locales " Bienvenue à la Ferme ".

Le 17 juillet 1991, deux contrôleurs du service de la répression des fraudes de la Dordogne ont dressé procès-verbal contre Françoise T et Anne-Sabine L, en relevant que :

1. les publicités et documents édités par elles sur leur exploitation X faisaient expressément référence à la qualité de ferme-auberge, tant par l'utilisation du terme que par l'usage du logo propre à l'organisation des fermes-auberges ; les documents publicitaires pour leurs conserves proposent des " conserves familiales " ou " fermières ", ou encore un " jambon fermier " ; la présentation faite de la ferme sur ses prescriptions et diffusée par l'organisation des fermes-auberges, mentionne un élevage d'oie et de canard sur l'exploitation.

2. l'exploitation principale ne produit que des bovins à viande, des fraises et des noix. Les plats principaux offerts aux clients sont confectionnés par des produits acquis à l'extérieur de l'exploitation, sauf pour 1,34 % en valeur des produits, représentant essentiellement les fraises ; le surplus, qu'il serve à la confection des conserves, ou des salaisons, comme le jambon, ou enfin qu'il rentre dans la composition des plats offerts à la consommation sont acquis à l'extérieur. Pour 20 % ils proviennent d'hypermarchés, grossistes ou fabriques ; le surplus provient de producteurs divers.

3. Le vin offert à la consommation, est présenté sous l'appellation " Bergerac ", alors qu'il ne s'agit que d'un vin de table.

Moyens des parties :

Le Ministère public fait valoir au soutien de son appel que l'infraction poursuivie est caractérisée, dès lors que l'approvisionnement de la ferme-auberge provient pour l'essentiel de l'extérieur de l'exploitation, et n'en constitue pas l'accessoire ; il requiert la condamnation des prévenues à des peines d'amende.

Françoise T et Anne-Sabine L soutiennent au contraire que le jugement de relaxe doit être confirmé ; qu'en effet, elles font venir les approvisionnements qui leur sont nécessaires des fermes proches, ce qui conserve à leurs prestation un caractère local attendu par la clientèle ; qu'elles demeurent dans les termes de la charte des fermes-auberges ; qu'ainsi, l'infraction n'est nullement caractérisée.

Motivation :

Pour apprécier les faits dans leur qualification pénale, il est nécessaire de rappeler que la dénomination de " ferme-auberge " n'a aucune caractérisation autonome de nature juridique. Elle constitue l'un des éléments d'un ensemble contractuel présentant deux aspects distincts :

Sous un premier aspect, l'activité de ferme-auberge s'inscrit dans le cadre de relations conventionnelles bilatérales : les agriculteurs souhaitant adjoindre des activités d'hébergement à [leur] exploitation agricole adhèrent à une charte proposée par un organisme spécifique et comportant définition des prestations nécessaires pour pouvoir prétendre à l'usage d'un label, et au bénéfice d'un réseau commercial.

Sous un second aspect, l'association " Agriculture et Tourisme " propose au public une prestation précise, définie dans ses publications destinées à la clientèle, et dont la nature et la qualité est assurée par les liens contractuels avec les agriculteurs qui ont traité avec elle.

Ainsi, le point à déterminer n'est de pas de savoir si l'activité de ferme-auberge assurée par Françoise T et Anne-Sabine L se conforme à une définition préexistante de ce type d'hôtellerie, mais bien de savoir si les prestations assurées par elles sont conformes à ce que le public pouvait attendre d'elles sur la foi du label et de l'enseigne qu'elles utilisaient, et qui leur étaient promises par l'affiliation de l'exploitation à l'organisation de promotion de ce type de tourisme rural.

A cet égard, il y a lieu d'écarter de l'examen des prestations offertes les conserves proposées à l'achat de la clientèle, et l'origine des approvisionnements nécessaires pour les confectionner ; en effet, il s'agit d'une activité de conserverie artisanale qui ne se confond pas avec celle de ferme-auberge, et se trouve dans une large mesure indépendante d'elle dans son existence. La publicité et la présentation de ces produits font l'objet de faits distincts à examiner en particulier.

Par contre, il convient de relever que l'exploitation agricole, dont la ferme-auberge constitue l'annexe, ne produit que des fraises, des noix et des bovins à viande. Par conséquent, Françoise T et Anne-Sabine L sont dans l'incapacité de proposer à la consommation de la clientèle des produits provenant de l'exploitation, dans des proportions substantielles de la composition des menus. Leur composition résulte donc essentiellement d'approvisionnements extérieurs, contrairement à l'article II °2, & 2 de la charte des fermes-auberges, qui stipule que " les plats principaux seront constitués des produits de la ferme " ; le fait que les plats principaux servis par Françoise T et Anne-Sabine L soient constitués de conserves réalisées à la ferme avec des denrées achetées à l'extérieur est insusceptible d'en faire des produits artisanaux de confection locale.

Françoise T et Anne-Sabine L ne sauraient se prévaloir de l'article 2 du règlement intérieur joint à la charte, parce que, d'une part, les produits ne proviennent pas principalement, mais bien par exception, de l'exploitation, et, de seconde part, le surplus n'est pas acquis des fermes voisines, dans un cadre de relations d'entr'aide et de proximité impliquée par la clause considérée, mais bien de fournisseurs réguliers de quantités importantes de matières premières,retenus non à raison de liens de voisinage, mais en considération de leur capacité à fournir les quantités nécessaires à l'activité artisanale de conserverie, leur proximité géographique étant par ailleurs toute relative.

Il résulte de ces éléments, que la publicité, faite par Françoise T et Anne-Sabine L sous forme de panneaux annonçant une ferme-auberge et d'annonces dans le dépliant de présentation des fermes-auberges, était de nature à induire le public en erreur sur des éléments substantiels de la prestation, à savoir la provenance et le mode d'obtention des produits offerts à la consommation ;le fait qu'ils soient cuisinés et servis directement par celui qui les a obtenus par son travail et a contrôlé l'élaboration de la matière première culinaire constitue en effet un élément essentiel du choix fait par les clients d'une ferme-auberge plutôt que d'un établissement ordinaire mettant en œuvre des produits acquis dans les circuits commerciaux.

Par ailleurs, ce choix comporte aussi la volonté de valoriser des traditions et modes de vie de caractère rural qui ne se retrouvent pas dans une activité de restauration habituelle. Par conséquent, l'exploitation d'un établissement de restauration dans des conditions très proches de celles du commerce ordinaire ne répond pas à la vocation donnée aux fermes auberge par l'organisme qui les fédère, et qui offre au public une possibilité de contacts avec le monde rural.

Françoise T et Anne-Sabine L doivent donc bien être déclarées coupables de ce chef, de l'infraction pour laquelle elles sont poursuivies ; il en va de même pour les deux autres faits qui leur sont reprochés : elles reconnaissent avoir servi sous l'appellation " Bergerac " un vin qui ne pouvait prétendre à cette appellation ; le jambon offert à la vente comme étant " fermier " provenait en réalité d'un grossiste et était seulement salé et séché sur l'exploitation.

Il y a lieu en conséquence de réformer le jugement entrepris, et d'entrer en voie de condamnation.

Eu égard à la nature des faits, et à la personnalité des prévenues, la peine à prononcer doit être modérée, et tenir compte de leur situation de fortune ; il sera prononcé à l'encontre de chacune une condamnation à une peine d'amende de 2 000 F.

Sur l'action civile :

Le Syndicat départemental de l'industrie hotelière de la Dordogne sollicite la condamnation de Françoise T et de Anne-Sabine L au paiement de la somme de 3 000 F à titre de dommages et intérêts, outre celle de 3 000 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; il fait valoir que leur activité lui cause un préjudice en ce que les prestations offertes par des fermes-auberges telles que celles des prévenues, de nature à décevoir le public, entraine une détérioration de l'image de marque des hôteliers du départements, et ceci dans le cadre d'une concurrence déloyale menée hors des contraintes réglementaires s'imposant aux professionnels de l'hôtellerie.

Il y a lieu de relever que le préjudice dont la partie civile poursuit la réparation ; en effet :

- le syndicat demandeur ne peut se prévaloir du caractère déloyal de la concurrence qui lui est faite, alors que le caractère trompeur de la publicité en cause n'est pas susceptible de lui nuire, en ce que c'est en n'offrant pas les caractéristiques distinctives d'un équipement hôtelier que les prévenues se sont rendues coupables de ce délit.

- La déception de la clientèle ne porte pas atteinte aux hôteliers, mais seulement au SUA Agriculture et Tourisme, promoteur de la formule des fermes-auberges.

Dans ces conditions, la constitution de partie civile du syndicat demandeur doit être déclarée irrecevable.

Par ces motifs, LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire. Déclare recevables en la forme les appels du Ministère public et de la partie civile, Au fond, Infirme le jugement rendu le 28 octobre 1992 par le Tribunal de grande instance de Perigueux. Déclare Françoise T épouse C et Anne-Sabine L épouse C coupables du délit de publicité mensongère ; En répression, les condamne chacune au paiement d'une amende de 2 000 F ; Déclare irrecevable la constitution de partie civile du Syndicat départemental de l'industrie hotelière de la Dordogne, Dit que la contrainte par corps s'appliquera dans les conditions prévues aux articles 749 et 750 du Code de procédure pénale, Confirme la condamnation aux dépens de première instance s'élevant à la somme de 591,94 F. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamné, en application de l'article 1018 du CGI.