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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 18 janvier 2002, n° 1998-23647

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

NRJ (SA), NRJ Régies (SA)

Défendeur :

Europe 1 Télécompagnie (SA), Régie 1 (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

Mmes Schoendoerffer, Régniez

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Gaultier-Kistner-Gaultier

Avocats :

Mes Baruc, Gunther, Fourgoux.

CA Paris n° 1998-23647

18 janvier 2002

LA COUR statue sur l'appel interjeté par les sociétés NRJ et NRJ Régies (NRJ) d'un jugement rendu le 1er avril 1998 par le Tribunal de grande instance de Paris dans un litige les opposant aux sociétés Europe 1 Télécompagnie et Régie 1 (Europe 1).

L'exposé des faits et de la procédure de première instance contenu dans le jugement n'est pas critiqué et doit être rappelé.

Europe 1 Télécompagnie est titulaire :

- de la marque semi-figurative Europe 1 constituée de cette dénomination écrite en graphisme de fantaisie avec le O en forme de pêche, déposée le 20 novembre 1991 et enregistrée sous le n° 1.706.676,

- de la marque figurative constituée par la représentation stylisée d'une pêche bleue, déposée le 13 août 1993 et enregistrée sous le n° 93/480.432.

Ces marques servent notamment à désigner les émissions radiophoniques, les divertissements radiophoniques et la publicité. Elles sont exploitées pour les programmes que réalise Europe 1 Télécompagnie et qui sont diffusés sur la station de radio Europe 1. Régie 1 est le concessionnaire exclusif de la publicité sur Europe 1.

NRJ est également producteur d'émissions de radiodiffusion. NRJ Régies est une régie publicitaire chargée de la vente de l'espace publicitaire de la radio NRJ.

Les sociétés NRJ ont diffusé en juillet 1996, dans diverses publications (l'Equipe, Le Monde, CB News) une publicité comparant les performances de NRJ à celles d'Europe 1. Cette campagne est à l'origine du présent litige.

Par acte du 23 juillet 1996, les sociétés Europe 1 ont fait assigner les sociétés NRJ leur reprochant des actes de contrefaçon des marques ci-dessus mentionnées, des actes de contrefaçon des droits de propriété littéraire et artistique sur le logo "pêche bleue" ainsi que des actes de dénigrement et de parasitisme constitutifs de concurrence déloyale. Outre des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication, elles réclamaient que soient allouées à titre de dommages intérêts, 1 500 000 F à Europe 1 pour la contrefaçon de marques et du logo, et à Régie 1 1 500 000 F pour la concurrence déloyale.

NRJ et NRJ Régie avaient conclu au débouté exposant que leurs adversaires tentaient de censurer leur concurrent direct en l'empêchant d'annoncer son ascension. Elles avaient fait valoir qu'il n'était pas soutenu que les comparaisons faites dans les publicités litigieuses, taxées de partialité et d'absence d'objectivité, auraient été matériellement inexactes et elles prétendaient que ces publicités auraient été des publicités comparatives conformes aux dispositions de l'article L. 121-8 du Code de la consommation et n'ayant aucun caractère déloyal ou parasitaire.

Le tribunal a estimé que la publicité incriminée était une publicité comparative loyale, véridique et non trompeuse, qu'elle ne constituait pas dans ces conditions une contrefaçon des marques ou du logo invoqués, mais qu'en omettant de communiquer préalablement le contenu de la publicité à Europe 1, les sociétés NRJ avaient délibérément enfreint l'article L .121-12 du Code de la consommation et engagé leur responsabilité civile vis-à-vis d'Europe 1.

Dans son jugement du 1er avril 1998, le tribunal a :

- "dit que la publicité parue dans le journal l'Equipe du 17 juillet 1996 et reproduite dans les périodiques Le Monde et CB News du mois de juillet 1996 est conforme aux dispositions de l'article L. 121-8 du Code de la consommation,

- dit toutefois qu'en omettant de se conformer aux dispositions de l'article L. 121-12 du Code de la consommation, les sociétés NRJ et NRJ Régie ont commis envers la société Europe 1 Télécompagnie une faute engageant leur responsabilité,

- condamné in solidum les sociétés NRJ et NRJ Régie à payer à la société Europe 1 Télécompagnie la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts,

- débouté les sociétés Europe 1 Télécompagnie et Régie 1 du surplus de leur demande,

- condamné in solidum les sociétés NRJ et NRJ Régie à payer à la société Europe 1 Télécompagnie la somme de 15 000 F en application de l'article 700 du NCPC".

Les sociétés NRJ, ayant interjeté appel, prient la cour, aux termes de leurs dernières écritures, signifiées le 8 novembre 2001, de :

"- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé "que la publicité parue dans l'Equipe du 17 juillet 1996 et reproduite dans les périodiques Le Monde et CB News du mois de juillet 1996 est conforme aux dispositions de l'article L. 121-8 du Code de la consommation ",

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés Europe 1 Télécompagnie et Lagardère Active de leurs demandes du chef de contrefaçon,

- les déclarer en tout état de cause irrecevables en vertu de l'article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle à reprocher aux sociétés NRJ et NRJ Régie une atteinte au graphisme du logo Europe 1, qui constituerait une atteinte au droit moral inaliénable de l'auteur,

- Vu l'ordonnance numéro 2001-741 du 23 août 2001,

- constater la disparition du formalisme imposé par l'article L. 121-12 du Code de la consommation,

En conséquence,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé "qu'en omettant de se conformer aux dispositions de l'article L. 121-12 du Code de la consommation, les sociétés NRJ et NRJ Régie ont commis envers Europe 1 Télécompagnie une faute engageant leur responsabilité",

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés NRJ et NRJ Régie à payer à la société Europe 1 Télécompagnie la somme de 100 000 F (15 244,90 euros) à titre de dommages et intérêts, ainsi que dans les dispositions relatives à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- statuant à nouveau, débouter les sociétés Europe 1 Télécompagnie et Lagardère Active de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner in solidum les sociétés Europe 1 Télécompagnie et Lagardère Active à rembourser à la société NRJ d'une part et à la société NRJ Régie d'autre part la somme de 25 000 F (3 811,222 Euros) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- condamner in solidum les sociétés Europe 1 Télécompagnie et Lagardère Active aux entiers dépens".

Europe 1 Télécompagnie et Régie 1 ont conclu en dernier lieu le 6 novembre 2001. Elles demandent à la cour de :

"- Vu l'article L. 716-9 et L. 716-12 du CPI, L. 121-8 et L. 121-9 du Code de la consommation, et l'article 1382 du Code civil,

- dire les sociétés NRJ et NRJ Régies mal fondées en leur appel,

- confirmer le jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris, en date du 1er avril 1998 en ce qu'il a condamné NRJ et NRJ Régies pour absence de communication préalable à la somme de 100 000 F,

- l'infirmer pour le surplus et statuant à nouveau,

- dire que les sociétés NRJ et NRJ Régies ont commis des actes de contrefaçon de la marque Europe 1 déposée le 20 novembre 1991 sous le n° 1.706.676 et de la marque semi-figurative représentant le sigle Europe l avec la lettre O en forme de pêche déposée le 13 août 1993, sous le n° 93480 33,

- dire que les sociétés NRJ et NRJ Régies ont commis une contrefaçon des droits de propriété littéraire et artistique se rattachant au logo,

- en conséquence les condamner solidairement à payer à Europe 1 Télécompagnie la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait de la contrefaçon des marques et du logo,

- dire que les sociétés NRJ et NRJ Régies ont commis des actes de dénigrement et parasitisme constitutifs de concurrence déloyale,

- en conséquence les condamner solidairement à payer à Régie 1 la somme de 500 000 F à titre de dommages intérêts pour le préjudice subi,

- interdire, sous astreinte de 100 000 F par infraction constatée, toute utilisation de la marque figurative Europe 1 ainsi que de diffusion de toute publicité dénigrante et trompeuse,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois quotidiens ou revues au choix des sociétés Europe 1 Télécompagnie et Régie 1 et aux frais des sociétés NRJ et NRJ Régies dans la limite de 30 000 F par insertion,

- condamner les sociétés NRJ et NRJ Régies au paiement de la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- les condamner aux entiers dépens".

Sont ici expressément visées les conclusions ci-dessus mentionnées.

Sur ce, LA COUR :

Considérant qu'il sera relevé que les sociétés intimées, Europe 1 Télécompagnie et Régie 1, se sont constituées et ont conclu sous les dénominations qu'elles avaient en première instance ; que ces dénominations qu'aucune pièce mise aux débats ne permet de remettre en cause seront donc reprises ci-après ;

Considérant que la publicité incriminée met en avant le slogan "NRJ Nouvelle contenance 30 % d'auditeurs de plus qu'Europe 1" et est illustrée par le dessin de deux canettes de boisson de tailles différentes comportant chacune la reproduction partielle des logos Europe 1 et NRJ ;

Que la canette de boisson reproduisant la marque Europe 1 est d'une hauteur inférieure (6,5 cm) à celle de la canette reproduisant la marque NRJ (8,5 cm); qu'à côté de chacune des canettes de boisson est reproduite dans le même rapport la marque de chacun des titulaires dans son graphisme propre ; qu'en outre sous la reproduction de chaque marque il est indiqué dans des caractères de même taille "3 942 000 auditeurs" (Europe 1) et "5 147 000 auditeurs" (NRJ) qu'enfin au bas de la publicité figure, outre le logo NRJ et un numéro de téléphone, la mention " 11,1 % de pénétration : juin 1996 un nouveau record historique pour NRJ qui confirme sa place de 2e radio commerciale de France avec 1 205 000 auditeurs de plus qu'Europe 1. Source: Nombre d'auditeurs quotidiens. 75 000 Radio Médiamétrie, avril-juin 96, audience cumulée 1.-v. 5h-24h NRJ versus Europe 1 " ;

Considérant que si l'exactitude des données chiffrées ci-dessus mentionnées n'est pas contestée, les sociétés Europe 1 qui reprochent au tribunal d'avoir estimé que la publicité incriminée était une publicité comparative, loyale, véridique et non trompeuse, soutiennent que la représentation d'Europe 1 sous forme de canette est dévalorisante et donc dénigrante, de même qu'est dévalorisante l'assimilation faite par NRJ "d'une radio musicale à une radio d'informations et de débats comme Europe 1 ; qu'elles ajoutent que par d'incessantes comparaisons NRJ tente de profiter indûment de la notoriété d'Europe 1 ;

Mais considérant que la cour adopte les motifs parfaitement pertinents et détaillés par lesquels le tribunal a repoussé cette argumentation; qu'il sera seulement souligné:

- que les sociétés Europe 1 ne contestent nullement avoir elles-mêmes diffusé des publicités comparatives dans lesquelles elles mettent en parallèle leur audience et la composition de celle-ci avec celles de NRJ,

- qu'elles n'établissent pas en quoi la représentation des résultats d'audience de stations de radio commerciales sous forme de canettes aurait à son égard un caractère dénigrant alors que les deux stations sont figurées de la même manière,

- qu'alors que les deux radios sont pareillement diffusées sur la bande FM, couvrent l'ensemble du territoire national et sont en concurrence directe, il n'est pas démontré de recherche d'association artificielle par laquelle NRJ aurait tenté de profiter indûment de la notoriété d'Europe 1, dont on relèvera à nouveau qu'elle-même se compare à NRJ dans des publicités de même nature destinées aux annonceurs;

Considérant que le tribunal ayant débouté Europe 1 Télécompagnie de ses demandes en contrefaçon en rappelant que " si l'article L. 713-2 du CPI interdit la reproduction et l'usage d'une marque sans l'autorisation de son titulaire et que l'article L. 122-4 du CPI qualifie d'illicite toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle d'une œuvre de l'esprit sans le consentement de l'auteur, de ses ayants droit ou ayants cause, l'article L. 121-8 du Code de la consommation apporte une exception à ces dispositions en posant le principe du caractère licite de la référence publicitaire à la marque d'autrui ou aux autres signes distinctifs de l'entreprise concurrente visée ", la société concernée critique le jugement de ce chef en faisant valoir que l'article L. 121-8 doit être interprété d'une façon protectrice des marques, et qu'en l'espèce la contrefaçon est d'autant plus caractérisée que son logo a été déformé ;

Mais considérant qu'Europe 1 Télécompagnie qui ne prétend pas être titulaire des droits moraux sur le logo dont elle a acquis les droits d'exploitation et qui ne peut pas agir en contrefaçon au titre du droit moral, ne peut pas être suivie pour le reste en son argumentation ; qu'il convient en effet de retenir que les règles applicables à la publicité comparative dont la licéité a été consacrée pour stimuler la concurrence entre les fournisseurs de biens et services comparables dans l'intérêt des consommateurs doivent être interprétées dans un sens favorable à ce genre de publicité dont l'efficacité implique que puissent être repris les signes distinctifs du concurrent que le public doit identifier; qu'en l'espèce, en l'absence de toute irrégularité sur le fond de la publicité incriminée, dont le tribunal a dit avec raison qu'il s'agissait d'une publicité comparative loyale, véridique et non trompeuse, le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a repoussé les griefs de contrefaçon;

Considérant enfin que le jugement sera confirmé également par adoption de motifs en ce qu'il a constaté qu'en s'abstenant de procéder à la communication préalable de la publicité incriminée les sociétés NRJ avaient violé l'article L. 121-12 du Code de la consommation, et en ce qu'il a dit qu'ayant engagé à ce titre leur responsabilité civile il y avait lieu de les condamner au paiement de la somme de 100 000 F à titre de dommages intérêts que contrairement à ce que prétendent les appelantes, la suppression de l'obligation de communication préalable par l'ordonnance 2001-741 du 23 août 2001 transposant la directive 84-450 modifiée n'a pas d'effet rétroactif et ne saurait les exonérer de leur responsabilité pour la faute commise en 1996 ;

Considérant que les mesures de publication réclamées par les intimées ne sont pas nécessaires ;

Considérant que l'équité commande d'allouer aux intimées une indemnité complémentaire de 5 335 euros pour leurs frais irrépétibles ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris ; y ajoutant : Condamne in solidum les sociétés NRJ et NRJ Régies à payer aux sociétés Europe 1 Télécompagnie et Régie 1 une indemnité complémentaire globale de 5 335 euros pour leurs frais irrépétibles d'appel ; Rejette toute autre demande ; Condamne in solidum les sociétés NRJ et NRJ Régies aux dépens d'appel ; Admet la SCP Gaultier-Kistner au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.