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Décisions

CA Douai, 4e ch. corr., 17 mai 1989, n° 518

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Cukier, Union fédérale de consommateurs Que Choisir, Union fédérale de consommateurs de Saint-Brieuc, Union fédérale des consommateurs de Lille, Fédération des familles de France Nord

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chantry

Conseillers :

MM. Delaude, Lévy

Avocats :

Mes Lebas, Beal, Lammens, Ricouart-Maillet.

TGI Lille, ch. corr., du 25 nov. 1988

25 novembre 1988

LA COUR, après en avoir délibéré, conformément à la loi,

Jean B, en sa qualité de PDG de la SA X et Jean-Pierre D en sa qualité de directeur de la promotion de ladite société ont été poursuivis devant le Tribunal de Lille pour avoir en France:

1) courant octobre 1987 au 15 mars 1988 diffusé une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur la portée des engagements pris par la société "X" et l'existence des biens qui font l'objet de la publicité;

En l'espèce, en faisant croire à tous les destinataires d'un dépliant intitulé "Jeu de listing" qu'avec le numéro 382 403 qu'ils avaient reçu, ils étaient susceptibles d'avoir gagné une Citroën AX, alors qu'ils avaient dit avant le lancement de l'opération que ledit véhicule était réservé au numéro 852 174 attribué à Mme Broutin Paulette à Rumigny (Somme).

Faits prévus et réprimés par l'article 44 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973;

Par jugement du 25 novembre 1988, ledit tribunal:

- a relaxé Jean-Pierre D,

- déclaré Jean-Pierre B coupable des faits qui lui étaient reprochés,

- l'a condamné à une amende de 50 000 F,

- a ordonné la publication par extraits de sa décision dans divers quotidiens et périodiques: La Voix du Nord, Le Figaro, Le Monde, "Que choisir", "Cinquante millions de consommateurs",

- l'a condamné à diverses réparations envers les parties civiles.

Ce jugement a été successivement et régulièrement frappé d'appel:

- par Jean-Pierre B, prévenu et la SARL X civilement responsable laquelle était et demeure partie à l'instance quoique les premiers juges aient omis de statuer à son égard, appel interjeté sur toutes les dispositions du jugement;

- par le Procureur de la République à l'égard du seul prévenu et de la citée comme civilement responsable,

- par Mme Cukier, partie civile,

- par l'Union fédérale des consommateurs Que choisir, l'Union fédérale des consommateurs de Saint-Brieuc,

- l'Union fédérale des consommateurs de Lille,

- par la Fédération des familles de France Nord.

Les parties civiles Obadia Maurice, Mme Albert Jamet, Pierre Grandclaude, Marguerite Landais, André Cappelaere, Simone Darrack, Marie José Allie, Suzanne Daille, Jean Boutin, Bernard Schauly, M. R Creveau, Mme Bernard Dubroca Marcos font défaut.

Pour l'exposé des faits, la Cour se réfère expressément à celui qu'en ont fait les premiers juges, lesquels les ont exactement décrits et analysés.

La Cour rejettera toutes conclusions ou demandes en ce qu'elles sont dirigées contre Jean-Pierre D, ni appelant, ni intimé.

Réitérant leurs moyens de défense à fin de relaxe ou mise hors de cause le prévenu et la SA X soutiennent successivement:

- que la délégation régulièrement donnée à Jean-Pierre D exonère Jean-Pierre B de sa responsabilité,

- que l'article 44 de la loi de 1973 ne s'applique pas aux jeux gratuits,

- qu'il n'y a pas en l'espèce de publicité mensongère.

Les parties civiles appelantes concluent à la confirmation sur la culpabilité, la Fédération des familles de France du Nord, sollicitant en outre la condamnation du prévenu au paiement d'une somme de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du CPP.

Intimé sur l'appel du prévenu et du civilement responsable, M. Jacques Prat sollicite la confirmation.

Sur la qualification des faits:

Il est soutenu par le prévenu et la SA "X" que l'article 44-1 de la loi du 27 décembre 1973 vise les ventes de biens et de services, opérations à titre onéreux et ne recouvre donc pas les loteries qui demeurent gratuites;

Outre qu'il est établi que le jeu dont s'agit a servi de support à une vaste opération commerciale tendant à accroître les commandes et donc les ventes de la société il ne résulte nullement de la lecture du texte d'incrimination et de son exégèse que ne sont impérativement concernées que des opérations à caractère onéreux;

Ce texte vise "toute publicité" et constitue une publicité tout procédé dont le but est de solliciter la clientèle, ce qui est manifestement en l'espèce le cas;

De même il sanctionne le mensonge publicitaire quelles que soient ses formes;

En l'espèce et sans qu'il importe de s'attarder sur le règlement du jeu et son mécanisme, au demeurant clairement rappelés et expliqués par les premiers juges, la Cour constatera avec ces derniers que les documents publicitaires adressés aux consommateurs sous forme d'une lettre indiquant leur numéro de participation et d'un dépliant tenant lieu de "liste officielle de 64 numéros ayant participé au tirage final", comportaient de telles ambiguïtés, que, sauf à exiger du consommateur moyen une perspicacité peu commune, et comme il en est témoigné par leur abondante correspondance versée au dossier, ils étaient légitimement amenés à se convaincre que le sort leur avait été spécialement favorable soit en leur attribuant le gros lot, soit en leur donnant une chance sur deux de le gagner, qu'ainsi et alors que 3 317 102 d'entre eux sur 3 317 135 n'avaient en réalité aucune chance de gagner le moindre lot, il est manifeste que la publicité diffusée au moyen de ce jeu comportait au sens de la loi des allégations, indications ou présentations de nature à les induire en erreur sur la portée des engagements de l'annonceur;

Sur la responsabilité de Jean-Pierre B:

En la matière la responsabilité pénale incombe au dirigeant de l'entreprise auquel il appartient de veiller au strict respect de la législation.

Il n'est pas pour autant interdit au dirigeant de déléguer ses pouvoirs.

A cet égard seule mérite examen la lettre adressée le 18 décembre 1986 à Jean-Pierre D par Jean-Pierre B et Stéphane L alors co-gérants de l'entreprise, lettre dans laquelle il est confirmé au destinataire la délégation expresse qui lui a été faite dans le domaine qui est le sien dans les termes rappelés comme suit:

"il vous appartient donc de veiller personnellement et sous votre propre responsabilité à ce que les différents documents publicitaires, actions commerciales ou de promotions, réalisés sous votre direction, le soient conformément aux pratiques admises et à la réglementation générale en matière de publicité. Vous pourrez dans ce domaine vous entourer, à votre initiative, des avis et conseils que vous estimerez nécessaires";

Ce document comportant et la signature du ou des dirigeants et celle de leur préposé, précédée de la mention "lu et approuvé", constitue bien une délégation;

Attendu toutefois que pour être exonératoire la délégation doit avoir été donnée à un préposé pourvu de la compétence et investi de l'autorité nécessaire, ce qui, en la matière, suppose aussi établi par le chef d'entreprise que cette autorité ne demeurait pas, ne fût-ce que pour partie, dépendante de celle que lui-même aurait continué à exercer, que donc son préposé est effectivement et pleinement devenu le décideur en ses lieu et place par l'effet de sa délégation;

Attendu en l'espèce, s'agissant d'une société de vente par correspondance dont les résultats sont, à raison des particularités propres à ce genre d'entreprise, largement tributaires de l'accueil réservé à ses campagnes publicitaires, il apparaît que par son ampleur et l'importance de son enjeu une opération comme celle qui a été menée n'a pu l'être et suivie hors de toute maîtrise et de tout contrôle du dirigeant qu'ainsi B ne peut s'exonérer de la responsabilité attachée à sa qualité.

La décision entreprise recevra en conséquence confirmation quant à sa culpabilité.

Il en sera de même des dispositions répressives du jugement, à l'exception de la publication, certes prévue par la loi, mais à laquelle il apparaît à la Cour que les premiers juges ont donné une trop large ampleur.

Sur les actions civiles:

Les mesures de publications et la diffusion prévues à l'article 44-II du texte d'incrimination constituent des dispositions répressives de sorte que les unions fédérales des consommateurs ne sont pas fondées à s'en prévaloir au soutien de leur demande tendant à la réparation d'un préjudice.

Les dispositions entreprises sur lesdites actions civiles sont pleinement justifiées.

Pour frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel il sera alloué à la Fédération des familles de France Nord et à Mme Cukier la somme de 5 000 F, à chacune des trois unions fédérales des consommateurs la somme de 3 000 F.

Par ces motifs: Statuant publiquement, contradictoirement à l'égard du prévenu et du civilement responsable, de l'Union fédérale des consommateurs Que choisir, de l'Union fédérale des consommateurs de Saint-Brieux, de l'Union fédérale des consommateurs de Lille, de la Fédération des familles de France Nord, de M. Prat, de Mme Cukier, parties civiles, par défaut à l'égard de Obadia Maurice, Mme Albert Jamet, M. Pierre Grandclaude, Mme Marguerite Landais, M. André Cappelaere, Mme Simone Darrack, Mme Marie-José Allie, Mme Suzanne Daille, M. Jean Boutin, M. Bernard Schauly, M. Creveau, Mme Dubroca Marcos, parties civiles, le prévenu ayant eu la parole le dernier. Sur l'action publique: Confirme le jugement entrepris sur la culpabilité de Jean-Pierre B et en ce qu'il lui a infligé une peine d'amende de 50 000 F. Réformant partiellement sur la mesure de publication; Ordonne aux conditions fixées par les premiers juges la publication par extraits de la présente décision dans les journaux suivants: - Voix du Nord, - Nord Eclair, - Le Figaro; Déclare la SARL "X" civilement responsable. Sur l'action civile: Confirme les dispositions entreprises sur les diverses constitutions et quant au quantum des réparations et au titre de l'article 475-1 du CPP fixe à 5 000 F la somme que le condamné devra payer à la Fédération des familles de France Nord et à Mme Cukier, à 3 000 F celle qu'il devra payer à l'Union fédérale des consommateurs Que choisir, l'Union fédérale des consommateurs de Saint-Brieux, l'Union fédérale des consommateurs de Lille. Condamne Jean-Pierre B aux dépens.