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Décisions

CA Rennes, 3e ch., 5 septembre 2002, n° 01-05613

RENNES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Moignard

Conseillers :

Mme Jeannesson, M. Lourdelle

Avocat :

Me Calvar.

TGI Nantes, ch. corr., du 7 juin 2001

7 juin 2001

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le Tribunal correctionnel de Nantes par jugement contradictoire en date du 7 juin 2001, pour :

- infraction aux règlements pris pour l'exécution de la loi sur les fraudes

- tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise

- publicité mensongère ou de nature a induire en erreur

a condamné B Jean-Maurice à une amende délictuelle de 30 000 F (4573,47 euros) et à une amende contraventionnelle de 3 000 F (457,35 euros).

Les appels :

Appel a été interjeté par :

Monsieur B Jean-Maurice, le 11 juin 2001, à titre principal ;

M. le Procureur de la République, le 13 juin 2001, à titre incident ;

La prévention :

Considérant qu'il est fait grief à Jean-Maurice B :

- d'avoir à Mouzillon, Martigne Briand, courant 1997 et 1998, indiqué sur les étiquettes des bouteilles de vin un nom et une adresse d'embouteilleur inexacts,

faits prévus et réprimés par l'article 40 du règlement CEE du 24 juillet 1989, faits prévus par les articles L. 214-2 al. 1, L. 214-1 du Code de la consommation et réprimés par l'article L. 214-2 al. 1 du Code de la consommation ;

- d'avoir à Mouzillon, Martigne Briand, courant 1997 et 1998, trompé sur l'origine du vin par apposition d'un faux nom du domaine,

faits prévus par l'article L. 213-1 du Code de la consommation et réprimés par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation ;

- d'avoir à Mouzillon, Martigne Briand, courant 1997 et 1998, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur du vin par utilisation d'un faux nom de domaine,

faits prévus par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimés par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation ;

En la forme :

Considérant que les appels sont réguliers et recevables en la forme ;

Au fond :

Les faits sont les suivants :

Le 30 octobre 1998, les inspecteurs de la Direction Générale de la Concurrence, de la consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) dressaient procès-verbal à l'encontre de M. Jean B en sa qualité de responsable de la SARL X sise à Mouzillon - Loire Atlantique.

Ils avaient constaté, lors d'un contrôle réalisé le 16 septembre 1998 à la SCA Château Y que la SARL X avait acheté à cette exploitation une AOC Anjou Villages 1996 sous le nom de Domaine de la Tour Z, une première fois le 11 décembre 1997, en vrac, une quantité de 172,50 hl, mise en bouteille au domaine par un groupe d'embouteillage par la société X, une seconde fois le 17 juin 1998, 18 000 bouteilles mises en bouteilles par la SCA Château Y.

Ils relevaient que l'étiquette apposée sur les bouteilles relatives à l'achat du 11 décembre 1997 ne portaient pas le nom et la raison sociale de la société X, embouteilleur, en infraction avec le règlement CEE n° 3201-90 article 5 paragraphe 1.

Ils ajoutaient que le Domaine de la Tour Z était un nom de domaine purement fantaisiste, car le vin provenait de l'exploitation Château Y et par conséquent, l'apposition sur l'étiquette du nom litigieux était constitutive des infractions de tromperie sur l'origine du vin au sens provenance et de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur le consommateur.

Entendu le 23 janvier 1999 par les services de gendarmerie, M. Jean B expliquait qu'il s'était produit effectivement une erreur dans la fabrication des étiquettes à la suite d'un courrier en date du 13 février 1991 de la DGCCRF et que depuis 1995 il avait essayé de modifier toutes les étiquettes mais qu'il restait un lot erroné en stock.

Il précisait que les vins Anjou Villages étaient achetés depuis plusieurs années à la SCA Château Y sous la dénomination de Domaine de la Tour Z, que cette tour figurant sur l'étiquette conçue par la société X, existait effectivement sur la propriété du Château Y et qu'il ne pouvait pas savoir que la SCA ne mentionnait pas dans sa déclaration de récolte le Domaine de la Tour Z.

Devant les premiers juges, M. B disait connaître le problème de cet étiquetage abusif et en avoir saisi la DGCCRF, précisant que de nombreux viticulteurs utilisent deux ou trois noms de domaines, que c'est une pratique courante, reconnue et établie par la DGCCRF dans le Bordelais. Il ajoutait qu'il ne contrôlait jamais les domaines des viticulteurs car il n'avait aucun droit de vérifier leurs déclarations.

Le tribunal déclarait la prévention établie à son encontre.

Devant la cour,

M. B ne comparait pas.

M. l'Avocat général requiert la confirmation du jugement sur la culpabilité du prévenu mais une élévation des amendes prononcées.

Le conseil de M. B conclut à la réformation du jugement et à la relaxe de celui-ci faisant valoir :

- que la contravention n'est pas établie, l'article 5 du règlement CEE n° 3201-90 du 16 octobre 1990 qui impose l'indication de l'embouteilleur, comportant une exception lorsqu'il est fait usage de l'une des mentions visées à l'article 18 § 1 et notamment de celle de "mise en bouteille au domaine" dans les conditions de l'article 6 ;

- que le délit de tromperie n'est pas constitué du fait de l'absence d'éléments matériel et intentionnel et en vertu du règlement cité ci-dessus autorisant l'emploi du terme domaine dans les conditions de l'article 6 qui sont réunies en l'espèce ;

- que du fait de l'absence de tromperie sur l'origine du vin, il ne peut y avoir de publicité mensongère ;

- subsidiairement, que la poursuite qui reproche à M. B un seul et même fait consistant dans l'utilisation d'un faux nom de domaine ne peut retenir à son encontre les délits cumulés de tromperie et de publicité mensongère par application de l'article 5 du Code pénal.

Sur ce,

Sur le délit de tromperie sur l'origine du vin :

Il ressort du dossier que la SCA Château Y qui constitue une seule et même exploitation, vendait ses vins en utilisant notamment le nom d'exploitation "Château Y" et le nom d'exploitation "Domaine de la Tour Z" ; alors que sur les déclarations de stock et de récolte seuls apparaissaient les vins du Château Y.

L'article 6 § 1 du règlement CEE n° 3201-90 autorise l'emploi sur l'étiquetage des termes Château ou Domaine pour qualifier une exploitation viticole a condition que le vin provienne exclusivement de raisins récoltés dans des vignes faisant partie de cette même exploitation vinicole et que la vinification ait été effectuée dans cette exploitation.

L'article 6 § 2 prévoit que les Etats membres producteurs peuvent établir des critères complémentaires pour l'utilisation des termes visés au § 1.

Il résulte de la réglementation française (décret du 19 août 1921 modifié et loi 73-1097 du 12 décembre 1973) qu'une exploitation viticole produisant des vins A.O.C. peut être définie sous les termes Domaine ou Château.

Une exploitation ne peut être désignée que sous un nom et un seul. Or la SCA Château Y vend ses vins de sa seule exploitation sous le nom de Château Y. Le nom Domaine de la Tour Z est donc purement fictif et l'élément matériel de l'infraction reprochée est constitué dès lors qu'apparaît sur les étiquettes apposées par la société X sur ses bouteilles un faux nom de domaine d'où le vin est censé provenir alors qu'il n'en est rien.

M. B, qui admet devant les premiers juges connaître le problème d'étiquetage abusif, est un professionnel averti. Il a conçu les étiquettes et souligne d'ailleurs que la tour qui y est reproduite existe bien sur la propriété viticole.

Il lui appartenait dès lors d'effectuer toutes les vérifications nécessaires avant d'apposer les étiquettes litigieuses sur les bouteilles qu'il vendait ou proposait à la vente ce qu'il n'a à l'évidence pas fait. L'élément intentionnel de l'infraction est ainsi constitué et le jugement sera confirmé sur la culpabilité du prévenu de ce chef.

Sur la publicité mensongère :

Ainsi que l'ont souligné les premiers juges, une étiquette est un support publicitaire. Elle comporte une indication mensongère sur l'origine du produit vendu, le consommateur se fondant sur l'appellation de "domaine" pour faire son choix alors que celui-ci n'existe pas. L'absence de vérification par le prévenu de l'existence réelle de ce domaine et par tant de la véracité de la publicité caractérise l'élément intentionnel du délit, étant observé que les poursuites du chef de tromperie et de publicité mensongère ne constituent pas un cumul idéal d'infractions dès lors qu'elles sanctionnent la violation d'intérêts distincts, la publicité mensongère n'assurant la protection que du seul consommateur.

Sur la contravention reprochée :

Seule l'étiquette portant sur l'achat en vrac en date du 11 décembre 1997 et apposée par un embouteilleur à façon sur les bouteilles peut faire l'objet de l'infraction, l'étiquette relative à l'achat en bouteilles du 17 juin 1998 portant avec raison la mention mise en bouteille par la SCA Château Y.

M. B a reconnu la rédaction erronée et non conforme à l'article 40 § 1 du règlement CEE n° 2392-89 et à l'article 5 § 1 du règlement CEE n° 3201-90 faisant obligation de faire mention de la mise en bouteille par l'embouteilleur sur l'étiquette.

Il ne l'ignorait pas puisqu'il ressort du courrier envoyé par M. Terrien le 15 mai 1995 à la DGCCRF qu'il avait bien noté en 5) b que lorsqu'un négociant fait mettre pour son compte un vin à la propriété, les mentions obligatoires sont : Mis en bouteille à la propriété de M. X, viticulteur à Y, par (nom de la société) plus adresse.

Dès lors que M. B savait que le Domaine de la Tour Z était un nom fictif, il ne peut appuyer son argumentation sur l'exception de l'article 18 § 1 du règlement CEE n° 3201-90, le domaine n'existant pas.

Le jugement sera donc confirmé, sur la culpabilité.

Sur la peine:

Le tribunal ayant fait une exacte appréciation des sanctions infligées à M. B, le jugement sera également confirmé sur ce point.

Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de B Jean-Maurice, en la forme :Reçoit les appels. Au fond : Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Prononce la contrainte par corps, la présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 120 euros dont est redevable le condamné, le tout par application des articles susvisés, des articles 800-1,749 et 750 du Code de procédure pénale.