Livv
Décisions

CA Rennes, ch. corr., 21 janvier 1993, n° 105 bis-93

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Ministère public, Syndicat National de l'Equipement et de la Cuisine, Union Fédérale des Consommateurs UFC, Confédération Syndicale du Cadre de Vie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Casorla

Conseillers :

Mme Algier, M. Le Quinquis

Avocats :

Mes Corroler, Sabas.

CA Rennes n° 105 bis-93

21 janvier 1993

Statuant sur les appels interjetés le 30 juillet 1992 par le prévenu M Denis sur les dispositions pénales et civiles, par le Ministère Public le 31 juillet 1992, par le Syndicat National de l'Equipement de la Cuisine partie civile le 4 août 1992, et par l'Union Fédérale des Consommateurs partie civile et par la Confédération Syndicale du Cadre de Vie partie civile le 7 août 1992 d'un jugement contradictoirement rendu le 28 juillet 1992 par le Tribunal correctionnel du Quimper qui pour publicité mensongère, a renvoyé D Franck des fins de la poursuite et a condamné M Denis à la peine de 150 000 F d'amende, a ordonné la publication du jugement dans les journaux " Télé 7 Jours ", Ouest France et Le Télégramme dans la limite de 15 000 F pour chaque insertion,

et sur les actions civiles l'a condamné à payer :

- au Syndicat National de l'Equipement de la Cuisine la somme de 1 F à titre de dommages-intérêts et de 8 000 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

- à l'UFC la somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts et de 800 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

- à la Confédération Syndicale du Cadre de Vie la somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts et de 800 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Considérant que les appels sont réguliers et recevables en la forme ;

Considérant qu'il est fait grief aux prévenus d'avoir, au cours des mois de septembre et octobre 1991 à Quimper et sur l'ensemble du territoire français, effectué des publicités comportant des allégations ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur des avantages consentis lors de la vente de cuisines ménagères ;

Faits prévus et réprimés par les articles 44-I, 44-II alinéas 7, 8, 44-II alinéas 9, 10 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 et 1er de la loi du 1er août 1905.

Considérant que pour l'exposé détaillé des faits, la cour se réfère expressément aux motifs du jugement qui en constituent une analyse exacte ;

Considérant qu'il résulte de cet exposé des faits que la société " X " ayant pour PDG Denis M a mis en œuvre une campagne publicitaire pour favoriser la vente de cuisines aménagées par les magasins exploités en franchise sous l'enseigne " Y " sur le territoire français ; que cette campagne a notamment utilisé pour support les journaux d'audience nationale : Télé 7 Jours et Télé Star ainsi que des panneaux d'affichage bordant la voie publique à Quimper ; que les publicités concernées sont reproduites dans le jugement soumis à la cour et auquel l'arrêt se réfère ;

Considérant que la publicité critiquée vantait une opération commerciale fondée sur un contrat de promotion des ventes apparu dans les pays anglo-saxons, le contrat de " Buy back ", dont l'objet est la vente d'une marchandise avec engagement du vendeur de racheter ladite marchandise à l'expiration d'un délai déterminé, en restituant à l'acquéreur le prix qu'il l'avait payé ; que l'engagement du vendeur s'appuie sur un contrat d'assurance conclu par lui, la compagnie d'assurance versant au consommateur, au terme du délai, la valeur initiale du bien, en contrepartie de la prime versée par le vendeur, au moment de la vente ;

Considérant qu'en l'espèce, à la suite d'un contrat passé par la société " X " avec une compagnie d'assurance britannique, la société s'engageait envers le consommateur à rembourser la valeur, à la date de l'achat, à l'expiration d'un délai de 10 ans, d'une cuisine aménagée acquise par lui ; que cette convention d'assurance a donné lieu ensuite à une exploitation publicitaire sur laquelle sont fondées les poursuites ;

Considérant qu'il est admis que la publicité peut recourir à l'hyperbole ou l'emphase, lesquelles ne sauraient abuser un consommateur normalement averti ;

Considérant, en conséquence,que l'expression " l'achat gratuit " à l'évidence caricaturale ne peut être tenue pour mensongère ni pour susceptible d'induire en erreur ;

Considérant encore que la publicité est de nature à induire en erreur si l'avantage qu'elle laisse espérer au consommateur est substantiellement amoindri par des restrictions que le message publicitaire ne laisse pas apparaître et qui altèrent sa portée ;

Considérant qu'il convient, en l'espèce, de rechercher si les mentions " l'achat de votre cuisine remboursée dans dix ans " (insertion dans la presse) et " votre cuisine remboursée dans dix ans " (panneau publicitaire) ne correspondent pas à une affirmation abusive ;

Considérant que le contrat d'assurance souscrit par la société X pour garantir le remboursement des cuisines stipule plusieurs exclusions de garantie ; qu'ainsi, le droit à remboursement étant nominatif, il ne peut être transféré à un tiers, de sorte que le remboursement ne s'applique pas en cas de cession de tout ou partie des meubles, de succession ou donation, de remise du bon de garantie à toute autre personne que l'acheteur lui-même, de divorce ou de séparation de biens ; que ce droit est encore exclu si les meubles sont partiellement ou totalement détruits, si la livraison de la cuisine est effectuée au-delà d'un délai de trois mois à compter de la date d'achat; lorsque la responsabilité en est imputable au bénéficiaire, si les achats ont été financés par une location-vente ou par une location avec option d'achat, que d'autres exclusions, moins importantes, sont encore prévues ;

Considérant, en outre, que la garantie de remboursement ne s'applique qu'en échange de la remise au terme du délai de dix ans, d'un certificat de garantie, que l'acquéreur doit réclamer à l'assureur au moment de l'achat en présentant le bon de commande, la facture et le bon de livraison ; que le certificat de garantie doit être présenté à l'assureur dans un délai de quinze jours, suivant l'expiration du délai de dix ans, par lettre recommandée avec accusé de réception ; que le bénéficiaire doit encore apporter la preuve de la possession de la totalité des meubles de cuisine achetés et utilisés suivant leur destination première, la demande de remboursement déclenchant une visite de contrôle pour vérification et émission d'un rapport ; que l'inobservation de l'une ou l'autre de ces prescriptions entraîne la nullité de la garantie ;

Considérant que la Direction de la concurrence relève à juste titre, dans un rapport joint au dossier, que les achats de cuisine aménagée étaient fréquemment sous la forme d'une location-vente ou d'une location avec option d'achat et que les délais de livraison supérieurs à trois mois par la volonté de l'acquéreur, également fréquents, différaient cette livraison jusqu'à l'achèvement d'un logement en cours de construction ;

Considérant encore que l'impossibilité de transférer le droit au remboursement, en particulier dans le cas d'un divorce ainsi que le délai pour présenter la demande à l'expiration de la période de dix ans apparaissent comme des conditions singulièrement draconiennes ;

Considérant que l'accumulation de ces restrictions, qui ne pouvait avoir d'autre objet que d'écarter du champ de la garantie certains bénéficiaires afin de réduire pour l'assureur la probabilité du remboursement à l'échéance, rend aléatoire ledit remboursement, de sorte que l'affirmation que l'achat de la cuisine sera remboursée dans dix ans est au moins de nature à induire en erreur le consommateur ;

Considérant qu'il est indifférent que la publicité par affichage ait mentionné que le remboursement s'effectuerait " selon modalités affichées en magasin " et la publicité dans la presse " règlement complet déposé chez Me Le Goff, huissier de justice à Quimper. Venez vite vous renseigner sur toutes les règles d'application de cette offre exceptionnelle ", dès lors qu'une publicité doit se suffire à elle-même et être exempte d'ambiguïtés nécessitant pour sa compréhension le recours à des éléments extérieurs ;

Considérant qu'il est établi que les publicités critiquées comportaient des allégations de nature à induire en erreur concernant la portée des engagements puis par l'annonceur, de sorte que des éléments matériels de l'infraction sont établis ;

Considérant que les publicités ont été effectuées pour le compte de la société X qui est en conséquence l'annonceur ; que son représentant légal, qui est Denis M doit être déclaré coupable de l'infraction, étant observé, au surplus, que ce dernier a déclaré avoir approuvé en vue de leur diffusion, les publicités élaborées par l'agence qui avait été chargée de leur réalisation ;

Considérant que Franck D, secrétaire général de la société X est poursuivi comme co-auteur de l'infraction ;

Considérant que Franck D occupait un poste de niveau hiérarchique élevé au sein de la société X, au salaire de 26 000 F par mois, chargé des relations avec l'extérieur et des relations avec les franchisés ;qu'il doit dès lors être considéré comme un dirigeant au sens de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 ;que ses responsabilités concernaient en outre le contrôle de l'élaboration de la publicité ;que, pour la publicité incriminée, il a fourni à l'agence chargée de la concevoir, tous les documents nécessaires en particulier des photographies ;que cette publicité a été soumise à son approbation comme à celle de Denis M ;

Considérant qu'il en résulte que Franck D doit être considéré comme co-auteur de l'infraction ;que le jugement qui l'a relaxé sera en conséquence réformé ;

Considérant que la sanction prononcée contre Denis M apparaît adéquate et sera confirmée ;

Considérant que Franck D sera condamné à une peine d'amende, avec le bénéfice de circonstances atténuantes ;

Considérant que la peine complémentaire de publication sera également confirmée en précisant qu'elle portera sur le présent arrêt ;

Sur l'action civile :

Considérant que l'Union Fédérale des Consommateurs de Cornouaille s'est constituée partie civile ; qu'elle est appelante du jugement et sollicite la condamnation des deux prévenus au paiement d'une somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts et de 5 000 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Considérant que la Confédération Syndicale du Cadre de Vie s'est également constituée partie civile ; qu'elle est appelante du jugement et sollicite la condamnation de Denis M, seul, au paiement de la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts et de 3 500 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Considérant enfin que le Syndicat National de l'Equipement de la Cuisine, s'est constitué partie civile ; qu'il est appelant du jugement ; qu'il demande de condamner les deux prévenus à payer la somme de 1 franc à titre de dommages-intérêts et de 15 000 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Considérant que Denis M s'oppose à ces demandes faisant valoir que l'UFC et la CSCV ne justifient pas d'un préjudice et que le SNEC ne démontre pas que les intérêts dont il a la charge auraient été lésés par la publicité et qu'il ne justifie pas davantage d'un préjudice ;

Considérant que tant l'UFC que la CSCV sont des associations de consommateurs aux termes de leurs statuts, ayant, en vertu de l'article 46 de la loi du 27 décembre 1973, qualité pour se constituer partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs ;

Considérant que les poursuites pour publicité de nature à induire en erreur sont fondées sur une infraction relevant du droit de la consommation ;

Considérant que les publicités ont lésé les intérêts dont les parties civiles assurent la défense ;qu'en évaluant à 5 000 F le préjudice subi par chacune des associations, le tribunal en a fait une juste appréciation ; qu'il convient de confirmer le jugement sauf à préciser que cette somme sera à la charge des deux prévenus pour les dommages-intérêts alloués à la CSCV et de Denis M seul pour les dommages alloués à l'UFC ;

Considérant que l'indemnité par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale sera portée à 3 000 F pour chacune des deux parties civiles, eu égard aux frais irrépétibles complémentaires engagés en cause d'appel, somme mise à la charge des deux prévenus en ce qui concerne la CSCV et de Denis M seul en ce qui concerne l'UFC ;

Considérant qu'en vertu de l'article L. 411-2 du Code du travail, les syndicats professionnels peuvent exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession ;

Considérant que la publicité mensongère ou de nature à induire en erreur est incriminée par une disposition incluse dans la loi du 27 décembre 1973 d'Orientation du Commerce et de l'Artisanat ;que cette loi a notamment pour objet la réglementation de la concurrence ;

Considérant que les faits dont les prévenus sont déclarés coupables portent atteinte aux conditions normales de la concurrence et affectent ainsi les intérêts collectifs de la profession que le Syndicat National de l'Equipement de la Cuisine a pour but de défendre ;

Considérant, dès lors,que son action est recevable ;qu'il convient de confirmer le jugement qui a évalué le préjudice du syndicat conformément à sa demande ; que l'indemnité fondée sur l'article 475-1 qu'elle sollicite sera portée à la somme de 12 000 F ; que ces sommes seront mises à la charge des deux prévenus le jugement étant en conséquence réformé sur ce point ;

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement ; En la forme : Reçoit les appels ; Au fond : Confirme le jugement sur la qualification et la culpabilité en ce qui concerne Denis M ; Réformant, Déclare Franck D coupable des faits reprochés ; Confirme la peine d'amende prononcée contre Denis M ; Condamne Franck D à la peine de cinq mille francs (5 000 F) d'amende ; Ordonne la publication de l'arrêt par extraits dans les journaux Télé 7 Jours, Télé Star, Ouest-France et le Télégramme (toutes éditions pour ces deux quotidiens) ; dit que le coût de chaque insertion ne pourra excéder quinze mille francs (15 000 F) ; Réformant pour partie les dispositions civiles, Condamne Denis M et Franck D à verser à la CSCV la somme de cinq mille francs (5 000 F) à titre de dommages-intérêts et de trois mille francs (3 000 F) par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; Condamne Denis M à verser à l'UFC la somme de cinq mille francs (5 000 F) à titre de dommages-intérêts et de trois mille francs (3 000 F) par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; Condamne Denis M et Franck D à verser au SNEC la somme de un franc (1 franc) à titre de dommages-intérêts et de douze mille francs (12 000 F) par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; Condamne D Franck et M Denis aux dépens de première instance et d'appel liquidés à la somme globale de mille cinq cent soixante dix neuf francs soixante sept (1 579,67 F) chacun étant tenu pour la moitié ; En ce compris le droit fixe du présent arrêt, le droit de poste et non compris les frais postérieurs éventuels. Prononce la contrainte par corps. Le tout en application des articles susvisés et 473, 749 et 750 du Code de procédure pénale.