Cass. crim., 18 mars 2003, n° 02-82.292
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Comité National Contre Le Tabagisme
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
Mme Agostini
Avocat général :
M. Chemithe
Avocat :
Me Bouthors
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par le comité national contre le tabagisme, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 1er mars 2002, qui l'a débouté de ses demandes après la relaxe de Klaus A, Jacques L, Patrick M du chef de publicité illicite en faveur du tabac; - Vu les mémoires en demande et en défense produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 355-31, alinéa 1, L. 355-24, L. 355-25 et L. 355-31 du Code de la santé publique, L. 121-4, L. 121-6 et L. 121-7 du Code pénal, 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a dit que les infractions de publicité indirecte en faveur du tabac visées à la prévention n'étaient pas imputables aux prévenus, a mis hors de cause le civilement responsable et débouté la partie civile de toutes ses demandes, fins et conclusions;
"aux motifs que, si les publicités incriminées constituent bien des publicités indirectes en faveur du tabac et si les licences de marque accordées par W, filiale du groupe X, société holding du groupe Y, interdisent aux publicités de bénéficier de la dérogation instaurée par l'alinéa 2 de l'article L. 355-26 du Code de la santé publique, en revanche, les infractions constatées ne sont pas imputables aux prévenus; que Jacques L était à l'époque des faits directeur général de la société Y dont Klaus A était le président du conseil d'administration ; que Patrick M, simple salarié, dirigeait le bureau de représentation de la société W Etats-Unis, [adresse], que les annonceurs des publicités incriminées sont la société de droit suisse M et la société de droit italien O ; qu'elles ont été diffusées par les sociétés Decaux et Métrobus, les réseaux de distribution cinématographique UGC et Gaumont; qu'il ne résulte d'aucun élément de la procédure, et qu'il n'est d'ailleurs pas allégué que les prévenus aient participé de quelque façon que ce soit à la conception, à la présentation ou à la diffusion de ces publicités, et qu'ils ne sont donc pas les auteurs de l'infraction visée à la prévention, pas plus qu'il ne peuvent en être considérés comme complices par fournitures de moyens ; que, par ailleurs, les documents de politique générale ou de "de stratégie" saisis le 2 février 1995 dans les locaux de la société Y et dans le bureau de représentation de la société W Etats-Unis, élaborés en 1991 et 1992, visent à diversifier et promouvoir les produits bénéficiaires d'une marque tabacole comme les montres A, les vêtements B ; que, quand bien même les prévenus ont approuvé les documents élaborés par W au plan européen, et auraient contribué à leur élaboration, il n'est nullement démontré qu'ils aient donné des instructions aux annonceurs, qui étaient d'ailleurs les fabricants des montres A, ou qu'ils aient fait pression sur eux pour que des campagnes publicitaires soient réalisées en France; qu'il convient dès lors, en réformant le jugement déféré, de relaxer purement et simplement les prévenus et de mettre hors de cause W, citée en tant que civilement responsable de Patrick M, l'intervention de la société Y devant la cour étant quant à elle sans objet ;
" alors que, d'une part, la participation à un plan de fraude en faveur d'une publicité indirecte destinée à promouvoir une marque de cigarettes auprès d'une clientèle ciblée par d'autres objets suffit à tenir les bénéficiaires dudit plan comme les auteurs directs de l'infraction, d'où il suit que la cour n'a pu légalement exonérer les prévenus de toute responsabilité pour des motifs inopérants pris de l'autonomie apparente des campagnes afférentes aux objets destinés à promouvoir indirectement une marque de tabac ;
" alors, en tout état de cause, que faciliter sciemment la préparation ou la consommation d'un délit par aide ou assistance suffit à caractériser la complicité punissable au sens de l'alinéa 1er de l'article 121-7 du Code pénal ; qu'en excluant la complicité reprochée aux prévenus à la faveur de considérations - d'ailleurs insuffisantes -tirées de l'alinéa 2 du texte précité sans autre examen des conditions de la complicité exprimées par l'alinéa 1er, la cour, qui n'a pas réfuté les énonciations contraires des premiers juges, a derechef privé son arrêt de toute base légale";
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ; - Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'à la suite d'une campagne publicitaire en faveur des produits dérivés de la marque X, réalisée par voie d'affichage et au cinéma entre mai 1993 et mars 1994, le Comité national contre le tabagisme a fait citer Klaus A, Jacques L et Patrick M pour publicité illicite en faveur du tabac;qu'après requalification des faits en complicité de ce délit, les premiers juges sont entrés en voie de condamnation ;
Attendu que, pour infirmer le jugement et relaxer les prévenus, l'arrêt attaqué, après avoir considéré que les faits poursuivis constituent une publicité illicite en faveur du tabac, énonce que Klaus A, Jacques L et Patrick M n'en sont ni les annonceurs ni les diffuseurs et qu'il n'ont pas participé à la préparation ou à la diffusion des publicités ;que les juges ajoutent qu'ils ne peuvent être considérés comme complices, faute d'avoir fourni des moyens, donné des instructions ou fait pression sur les annonceurs ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il résulte de ses propres énonciations que Klaus A, Jacques L, dirigeants de la société Y, et Patrick M, représentant du bureau français de la société W, propriétaire de la marque X, ont approuvé la stratégie de diversification et de promotion des produits bénéficiaires de ladite marque et qu'ils y ont contribué, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision;d'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, casse et annule l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Paris, en date du 1er mars 2002, mais en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ; et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée, renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.