Livv
Décisions

CA Orléans, ch. com., 1 mars 2001, n° 00-00556

ORLÉANS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Europe Market Office (SARL)

Défendeur :

Khecham

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rémery

Conseillers :

Mme Magdeleine, M. Garnier

Avoués :

SCP Laval-Lueger, SCP Duthoit-Desplanques

Avocats :

SCP Sieklucki-Colin-Prunier-Alric, Me Benharoun-Zerah.

TGI Tours, du 25 nov. 1999

25 novembre 1999

Par acte sous seing privé du 10 septembre 1996, un contrat de "concession " a été conclu entre la SARL Euro Market Office (EMO) et Monsieur Tahar Khecham, pour une durée de cinq années et moyennant le versement d'une somme initiale de 80 000 F HT, puis d'une redevance mensuelle de 2 000 F HT, en vue de l'exploitation d'un fonds libéral de prestations de services auprès des professionnels de l'immobilier, sous forme notamment de " constats d'état des lieux ", sous le nom commercial Agenda.

A la suite du non-règlement des factures mensuelles par Monsieur Khecham, la société EMO prononçait la résiliation du contrat, le 27 novembre 1997. En réplique, Monsieur Khecham faisait assigner la société, aux fins de faire requalifier le contrat litigieux en contrat de franchise, prononcer la nullité dudit contrat, et condamner l'autre partie au paiement de diverses sommes.

Par jugement du 25 novembre 1999, le Tribunal de grande instance de Tours a requalifié le contrat en contrat de franchise, annulé ce contrat, condamné la Société EMO à restituer à Monsieur Khecham la somme de 89 900 F et à lui payer celles de 30 000 F à titre de dommages et intérêts et de 6 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, tout en déboutant la SARL de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles, motif pris du caractère imprécis et erroné, assimilable à des manœuvres, des informations préalables fournies à Monsieur Khecham, sans lesquelles ce dernier n'aurait pas contracté.

La société EMO a relevé appel.

Par ses conclusions signifiées le 17 janvier 2001, elle sollicite l'infirmation du jugement en faisant valoir que:

- elle s'en rapporte à justice sur la qualification du contrat,

- elle se trouve étrangère à la phase de négociation précontractuelle, puisque le dossier d'information a été adressé par son concepteur la société RBC Conseil,

- la marque Agenda est connue et référencée chez les principales organisations professionnelles de l'immobilier, la notoriété étant entretenue par des actions publicitaires dans la presse spécialisée,

- l'intimé qui n'a réalisé aucun " état des lieux ", ne justifie pas des démarches infructueuses qu'il aurait entreprises auprès des agents immobiliers de son secteur,

- contrairement à ce qu'affirme Monsieur Khecham, le document d'information ne contient aucun compte prévisionnel, mais porte seulement sur des hypothèses de revenus, dépendant du nombre d'interventions effectuées et des choix de gestion des intéressés,

- les irrégularités dans le document d'information, par rapport aux dispositions de la loi du 31 décembre 1989, alléguées par Monsieur Khecham, ne sauraient constituer des manœuvres dolosives, susceptibles de vicier le consentement du concessionnaire,

- la mise à disposition pendant une durée de 5 ans, sur un territoire déterminé et à titre exclusif du droit d'exercer une activité professionnelle sous la marque et selon les méthodes commerciales et techniques Agenda, constitue la cause même des obligations souscrites par Monsieur Khecham.

A titre reconventionnel, elle demande la condamnation de Monsieur Khecham d'avoir à lui verser les sommes de :

- 24 289,47 F au titre des redevances impayées de janvier à octobre 1997,

- 96 000 F à raison des redevances à percevoir jusqu'au terme initialement prévu du contrat,

- 168 000 F pour utilisation irrégulière de la marque Agenda après la rupture,

- 25 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ses écritures du 4 octobre 2000, Monsieur Khecham résiste aux prétentions de l'appelante en soutenant que :

- les caractéristiques du contrat conduisent à le requalifier en contrat de franchise,

- les informations trompeuses fournies dans le dossier précontractuel sur la notoriété de la marque, la présentation de clients potentiels, les résultats prévisionnels, et l'assistance sur le terrain, ont été déterminantes de son adhésion au réseau Agenda, alors qu'il était peu averti dans le domaine de l'immobilier,

- la législation applicable tant aux contrats de concession que de franchise n'a pas été respectée, en ce que la société EMO ne s'est assignée aucune prestation en contrepartie des sommes versées, le délai de 20 jours entre la remise de la documentation et la signature du contrat a été écourté, et le document ne fait pas mention des principaux renseignements requis sur le franchiseur,

- les obligations mises à sa charge n'ont trouvé aucune contrepartie, et s'avèrent sans cause,

- il a accompli les démarches nécessaires afin de cesser d'utiliser la marque Agenda après avoir quitté le réseau.

Il conclut à la confirmation de la décision entreprise et à l'allocation d'une somme de 30 000 F pour l'indemniser de ses frais de procédure.

Sur quoi

Sur la qualification du contrat :

Attendu que le fait pour une partie de s'en rapporter à justice sur le mérite d'une demande de la partie adverse implique de sa part la contestation de celle-ci;

Qu'un contrat de franchise se caractérise par la mise à disposition d'une marque, la communication d'un savoir-faire original et la fourniture continue d'une assistance commerciale;

Qu'en l'espèce, la concession conclue entre les parties le 1er septembre 1996, "du droit d'utiliser le nom commercial. Agenda, et le savoir-faire mis à sa disposition, notamment de bénéficier des méthodes de vente et de promotion " conduit, ainsi que l'a justement retenu le tribunal à restituer audit contrat, improprement dénommé " contrat de concessionnaire ", son exacte qualification de contrat de franchise;

Sur la validité du contrat

Attendu, en premier lieu que le document d'information a été adressé à Monsieur Khecham par une SARL RBC Conseil ; que néanmoins le papier à en-tête de cette société porte le sigle "Agenda, Constat d'Etat des Lieux "; qu'il résulte par ailleurs des pièces versées au dossier, que cette entité fait partie du groupe EMO ; que dès lors la SARL EMO ne peut sérieusement soutenir être étrangère à la négociation précontractuelle;

Attendu, par ailleurs, que toute l'argumentation de Monsieur Khecham repose sur les fautes que la société EMO auraient commises dans son obligation précontractuelle d'étude et de renseignements à l'égard du futur partenaire, en le trompant sur l'étendue de sa notoriété et de son implantation chez les professionnels, et en lui fournissant des informations inexactes, incomplètes et gravement erronées, notamment en matière de résultats prévisionnels, et que ces fautes l'aurait abusé sur les conditions réelles dans lesquelles il a été amené à contracter;

Qu'en instituant un système précis d'information précontractuelle, par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989 (devenu l'article L. 330-3 du Code de commerce), le législateur a, en effet, mis à la charge du titulaire du nom commercial, de la marque ou de l'enseigne une obligation de faire fournir à l'autre partie un document donnant les informations sincères, qui lui permettent de s'engager en connaissance de cause;

Qu'il convient néanmoins de rechercher si les manquements invoqués au devoir d'information préalable ont eu pour effet de vicier le consentement du cocontractant;

Qu'en l'espèce, Monsieur Khecham, qui a signé le contrat dans un délai inférieur à 20 jours prévu par la réglementation, ne rapporte pas la preuve du préjudice que lui a causé le non respect de ce délai ; que par ailleurs, la société EMO, ayant été constituée en 1996, ne pouvait communiquer les comptes annuels de ses deux derniers exercices, ni la liste des entreprises ayant quitté le réseau; que le dossier financier contenu dans la notice d'information ne se rapporte pas à un marché locatif déterminé, mais constitue une hypothèse moyenne, compte tenu du niveau d'activité et des choix de gestion des concessionnaires;

Que le franchiseur, en fournissant des éléments d'appréciation permettant au franchisé, seul juge de l'opportunité de son investissement, de calculer ses risques, n'est tenu qu'à une obligation de moyens, ce d'autant plus que malgré ses dénégations (conclusions page 7), Monsieur Khecham se prévalait dans sa déclaration de candidature de sa qualité de professionnel de l'immobilier, ce dont il résulte qu'il avait les connaissances suffisantes pour savoir qu'un référencement de la marque Agenda chez des organisations professionnelles, au demeurant attesté par les pièces du dossier, ne signifiait pas qu'elles étaient les utilisatrices potentielles et directe des services proposés;

Que de surcroît, le document d'information litigieux ne dissimule pas (page 10) que " beaucoup d'entre nous ont de grandes difficultés à effectuer du démarchage systématique et de la prospection commerciale";

Que par ailleurs Monsieur Khecham s'est à deux reprises félicité de l'aide que lui avait apporté le groupe Agenda en indiquant dans une lettre du 28 décembre 1996 " qu'il tenait à remercier la formatrice pour son aide et son professionnalisme lors de ces trois jours de formation terrain qui m'ont apporté beaucoup, n'ayant que peu de connaissance au niveau commercial", puis le 22 février 1997, en sachant gré de "l'aide commerciale que la société avait décidé de lui accorder, sans frais, pour concrétiser des affaires ";

Attendu qu'indépendamment de la notoriété d'Agenda, et de la consistance du concept, telle qu'on peut l'apprécier à la lecture de la "bible d'exploitation", l'origine du litige provient de la difficulté à constituer un fonds de clientèle ;

Qu'en réalité Monsieur Khecham ne démontre pas avoir, par tous les moyens vainement tenté de développer une activité qui ne serait pas viable ; qu'en renonçant dès les premiers mois à poursuivre la prospection de la clientèle, il ne peut prétendre que le contrat était dépourvu de cause ou conclu par l'effet de manœuvres dolosives;

Qu'il s'ensuit que le jugement déféré sera infirmé de ce chef, et Monsieur Khecham débouté de ses demandes de restitution des sommes versées lors de la conclusion de la convention et d'allocation de dommages-intérêts;

Sur les demandes reconventionnelles de la SARL EMO :

Attendu que si la gravité du comportement d'une partie à un contrat peut justifier que l'autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls, il appartient au juge de contrôler a posteriori que les conditions de résiliation étaient remplies ; que l'article 4 du contrat stipule que le non-paiement de la redevance dans les délais entraîne sans autre formalité, la résiliation immédiate et sans préavis par la faute du concessionnaire ; que dès lors la société EMO a prononcé à bon droit la résiliation du contrat litigieux en date du 27 novembre 1997;

Attendu en revanche que la redevance mensuelle de 2 000 F HT, qui a pour objet, selon l'article 4 du contrat " la participation aux efforts de développement du réseau, au titre des droits d'adhésion à la marque, et en contrepartie des avantages d'utilisation et d'exclusivité ", est due intégralement dès le premier mois d'activité du concessionnaire;

Qu'il résulte des pièces du dossier que l'appelante a attendu près de 10 mois avant de se soucier de revendiquer sa créance, au risque de laisser s'accumuler les impayés ; que Monsieur Khecham, même fautif, n'a jamais commencé l'exploitation des constats d'état des lieux, et n'a pas, de ce fait bénéficié des avantages de l'utilisation de ce produit ; qu'enfin la société EMO ne justifie pas des dépenses de publicité et de promotion qu'elle aurait engagées pendant la période concernée ;

Qu'il s'ensuit, que sauf à rompre l'économie et l'équilibre financier du contrat, la SARL EMO sera déboutée de sa demande de règlement de la somme de 24 289,47 F;

Qu'il y a également lieu à rejeter la demande de la somme de 96 000 F correspondant au montant des redevances à percevoir jusqu'au terme initialement prévu du contrat; qu'en effet aucune clause de la convention litigieuse ne prévoit d'indemnité compensatrice à l'occasion de sa résiliation anticipée;

Qu'enfin la seule insertion, maintenue provisoirement dans l'annuaire électronique, d'un numéro de téléphone Agenda à l'adresse personnelle de Monsieur Khecham, ne saurait constituer à elle seule la preuve de l'exploitation abusive de la marque après la rupture du contrat; Que la demande de dommages-intérêts à ce titre ne pourra prospérer;

Que succombant pour l'essentiel, Monsieur Khecham supportera les dépens de première instance et d'appel;

Que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs : Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a requalifié le contrat de concession en contrat de franchise; Et statuant à nouveau; Déboute Monsieur Khecham de ses demandes de restitution et de dommages-intérêts à l'encontre de la SARL EMO; Rejette toutes les prétentions de la SARL EMO à l'égard de Monsieur Khecham; Condamne Monsieur Khecham aux dépens de première instance et d'appel; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Accorde à la SCP Laval-Lueger, titulaire d'un Office d'Avoué, le droit reconnu par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.