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Décisions

CA Besançon, ch. corr., 17 octobre 1989, n° 830-89

BESANÇON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Fédération Ledonienne du Commerce, de l'Artisanat et des Services

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Clerget

Conseillers :

MM. Boutte, Defer

Avocats :

Mes Larillle, Anceau

TGI Lons-le-Saunier, ch. corr., du 30 no…

30 novembre 1988

Par déclarations du 6 décembre 1988, Christian C et le Ministère public ont régulièrement interjeté appel du jugement rendu le 30 novembre 1988 par le Tribunal correctionnel de Lons-le-Saunier qui :

Sur l'action publique

- a déclaré C Christian coupable du délit de vente au déballage sans autorisation,

- en répression, l'a condamné à la peine de 10 000 F d'amende ;

Sur l'action civile

- a déclaré la constitution de partie civile de la Fédération Ledonienne du Commerce, de l'Artisanat et des Services (FLCAIS) recevable et bien fondée en son principe,

- a condamné en conséquence C Christian à lui payer la somme de 1 F à titre de dommages et intérêts et celle de 1 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

LA COUR,

C Christian est prévenu d'avoir à Lons-le-Saunier (39), courant 1988, procédé ou fait procéder à une vente au déballage sans disposer pour ce faire d'une autorisation spéciale du maire de Lons-le-Saunier,

Fait prévu et réprimé par l'article 4 du Décret 62-1463 du 26 novembre 1962, article 2 de la loi du 30/12/1906.

Christian C, gérant de la société X, rappelle que cette société a, entre autres activités, la vente régulière de marchandises dites " de fin de séries " présentées dans des emballages la plupart du temps défraîchis.

Ce processus a pour but et pour effet de pouvoir mettre à la disposition de la clientèle des marchandises à des prix excessivement intéressants, tout en assurant à la société X une gestion saine et équilibrée, compte tenu des conditions d'achat qui lui sont faites par les fabricants eux-mêmes.

C'est dans ces conditions que la société X a loué un local commercial à Lons-le-Saunier pour une durée de un mois, se terminant normalement le 7 mai 1988.

Cependant, en total accord avec le propriétaire, elle a poursuivi son utilisation du local jusque dans les premiers jours du mois de juin 1988.

Le FLCAIS, estimant qu'il y avait là une vente au déballage au sens de l'article 1er de la loi du 30 décembre 1906, a fait grief à la société X, de n'avoir pas, au préalable, obtenu une autorisation spéciale du maire de la ville où cette vente devait avoir lieu.

Christian C soutient que les dispositions de la loi du 30/12/1906 sur la vente au déballage et de son décret d'application du 26/11/1962 ont pour but essentiel de limiter les clauses normales de la concurrence.

Dès lors, elles sont incompatibles avec les dispositions des articles 3 alinéa f et 85 du traité ayant institué la Communauté économique européenne qui posent le principe de la libre concurrence.

Christian C prétend qu'il y a là une question préjudicielle et il demande qu'elle soit, au préalable, tranchée par la Cour de justice de la CEE.

A titre subsidiaire, il soutient que la vente litigieuse ne peut en aucune manière être considérée comme une vente au déballage.

Il rappelle que les ventes au déballage sont celles qui répondent aux quatre conditions suivantes :

- avoir un caractère exceptionnel ou occasionnel

- être des ventes au détail de marchandises neuves,

- être accompagnés ou précédées de publicité sous quelque forme que ce soit,

- être effectuées sur des emplacements ou dans des locaux non habituellement destinés au commerce considéré.

Il affirme qu'aucune de ces conditions n'est réunie en l'espèce car :

- il s'agissait d'une vente de longue durée avec, pendant cette durée, une seule ouverture exceptionnelle le dimanche 10 avril ;

- il s'agissait de marchandises de " fin de séries " présentées dans des emballages défraîchis ;

- la société X avait régulièrement signé un bail avec le propriétaire du local à l'intérieur duquel elle a procédé à ses opérations de vente pendant plus de deux mois.

Il demande en conséquence à être renvoyé des fins de la poursuite.

Il conclut également au rejet des prétentions de la partie civile et, par application des dispositions de l'article 472 du Code de procédure pénale, sollicite le paiement d'une somme de 5 000 F à titre de dommages et intérêts pour abus de constitution de partie civile.

Le Ministère public s'en rapporte à l'appréciation de la cour.

La FLCAIS répond :

A) Sur l'exception préjudicielle soulevée par le prévenu

Les dispositions de droit interne concernant la vente au déballage ne sont aucunement susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres.

La loi de 1906 et le décret de 1962 ont pour but essentiel de réglementer les ventes exceptionnelles au déballage afin d'en éviter les abus.

Or, le fait de subordonner ces ventes à l'octroi d'une autorisation donnée par le maire n'a pas pour effet de limiter le jeu normal de la concurrence, mais d'assurer une protection des consommateurs en exerçant un contrôle sur la provenance des marchandises vendues et leur qualité.

L'autorisation municipale laisse notamment la plus grande liberté aux vendeurs quant à la fixation de leurs prix.

B) Au fond

Les conditions de la vente au déballage sont parfaitement réunies en l'espèce.

La vente a été précédée d'une publicité ainsi libellée : " Grande braderie exceptionnelle " et a eu lieu dans des locaux loués pour un laps de temps très court.

Est considérée comme marchandise neuve, toute marchandise qui n'est pas encore en possession d'un consommateur, même si elle est démodée, défraîchie, dépareillée ou mise au rebut pour vice de fabrication.

Ne saurait être considéré comme un lieu habituellement destiné au commerce considéré, un local désaffecté ayant servi de magasin de matériel haute-fidélité et loué pour un temps très court par la société X.

C) Sur la constitution de partie civile

La FLCAIS soutient qu'elle n'a pas pour but, comme on lui en fait grief, de constituer un monopole sur le marché et d'éviter une concurrence sur les prix.

Si la société X s'était conformée aux obligations légales qui pesaient sur elle pour exercer son commerce, la fédération ne serait pas intervenue en justice.

En l'espèce, la vente exercée sur le territoire de la commune de Lons-le-Saunier, de manière illégale, lui a incontestablement causé un préjudice en faussant le jeu de la libre concurrence a l'égard des commerçants de Lons-le-Saunier.

La FLCAIS sollicite la confirmation du jugement entrepris, outre le paiement d'une somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 475-4 du Code de procédure pénale.

Christian C réplique, sur l'exception préjudicielle, que l'article 85 du traité de Rome prévoit, parmi les mesures incompatibles, non seulement celles qui ont pour but de fixer de manière autoritaire les prix d'achat ou de vente mais également d'autres conditions de transaction.

Or, les diverses autorisations et conditions exigées par la loi sur les ventes au déballage entraînent un certain nombre de contraintes inhérentes aux transactions en question.

DISCUSSION

I) Sur l'action publique

A) Sur l'exception préjudicielle soulevée par le prévenu

L'article 1er de la loi du 30/12/1906 sur les ventes au déballage dispose :

" Les ventes de marchandises neuves ne pourront être faites sous la forme de soldes, liquidations, ventes forcées ou déballages, sans une autorisation spéciale du maire de la ville où la vente doit avoir lieu ".

Ce texte poursuit un double but :

- protéger le commerçant sédentaire tout en sauvegardant le principe de la liberté du commerce ;

- protéger la clientèle éventuelle contre tous les excès et toutes les fraudes rendues possibles par la brièveté des ventes précédées d'une réclame intense et souvent tapageuse et par l'absence de garanties présentées par les vendeurs.

Le Décret n° 62-1463 du 26 novembre 1962 est venu préciser les modalités d'application de cette loi.

Il dispose en son article 4 :

" Sont considérées comme ventes précédées ou accompagnées de publicité, effectuées sur des emplacements ou dans des locaux non habituellement destinés au commerce considéré et présentant un caractère réellement ou apparemment occasionnel ou exceptionnel. Ce caractère peut résulter du mode d'acquisition des marchandises, de l'importance du stock mis en vente, des prix annoncés ou de toute autre cause ".

L'ensemble de ces dispositions n'a nullement pour but, comme le soutient le prévenu, de limiter les clauses normales de la concurrence, mais d'éviter les abus précédemment rappelés en exerçant un contrôle sur la provenance des marchandises vendues et leur qualité.

A cet égard, il convient d'ailleurs de préciser que les décisions portant rejet d'une demande d'autorisation ou accordant une autorisation conditionnelle doivent être motivées depuis la parution du décret sus-visé, alors qu'auparavant le Conseil d'Etat avait décidé que le maire n'avait pas à motiver son refus.

Dès lors, les risques d'arbitraire et de surprotection des commerçants sédentaires ont disparu.

D'autre part, l'article 85 du traité de Rome, sur lequel Christian C fonde sa question préjudicielle prohibe : " tous accords entre entreprises, toutes décisions d'association d'entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun ".

Or, les dispositions légales de droit interne applicables aux ventes au déballage ne constituent pas des accords entre entreprises, ni des décisions d'association d'entreprises, ni des pratiques concertées.

Au surplus, ces dispositions ne sont aucunement susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres.

Il convient en conséquence de rejeter l'exception préjudicielle soulevée par Christian C.

B) Au fond

Il convient de rappeler que les ventes au déballage, soumises à autorisation préalable, sont celles qui répondent aux quatre conditions suivantes :

- avoir un caractère exceptionnel ou occasionnel,

- être des ventes au détail de marchandises neuves,

- être accompagnées ou précédées de publicité sous quelque forme que ce soit,

- être effectuées sur des emplacements ou dans des locaux non habituellement destinés au commerce considéré.

Or, il apparaît qu'en l'espèce ces conditions étaient parfaitement réunies :

La vente a été précédée d'une publicité ainsi libellée : " Grande Braderie exceptionnelle " et a eu lieu dans des locaux loués pour un laps de temps très court, puisqu'inférieur à deux mois. Or le décret du 26 novembre 1962 précise que lorsque l'autorisation est accordée, elle fixe la durée de la vente : lorsque cette durée est supérieure à deux mois, elle précise les circonstances particulières qui ont justifié l'octroi de ce délai. Il faut en déduire que la durée normale des ventes ou déballage doit être inférieure ou égale à deux mois, ce qui est le cas en l'espèce.

Est considérée comme marchandise neuve, toute marchandise qui n'est pas encore entrée en possession d'un consommateur, même si elle est démodée, défraîchie, dépareillée ou mise au rebut pour vice de fabrication.

Enfin, ne saurait être considéré comme un lieu habituellement destiné au commerce considéré, un local désaffecté ayant servi de magasin de matériel haute fidélité et loué pour un temps très court par la société X.

Dès lors, Christian C, qui a procédé à une vente au déballage sans l'autorisation préalable du maire de la localité concernée, doit être retenu dans les liens de la prévention.

Les premiers juges ont, compte tenu des éléments de la cause et de l'absence d'antécédents judiciaires chez le prévenu, fait une exacte application de la loi pénale.

II) Sur l'action civile

La constitution de partie civile est permise au cas d'infraction à la loi de 1906.

Elle est admise sous réserve que soit établie la réalité du préjudice allégué.

En l'espèce, la vente exercée sur le territoire de la commune de Lons-le-Saunier, de manière illégale, a incontestablement causé à la FLCAIS un préjudice en faussant le jeu de la libre concurrence à l'égard des commerçants sédentaires.

Par ailleurs, les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice subi par la partie civile.

Il suit de là que le jugement entrepris mérite confirmation sur l'action civile.

Il serait toutefois inéquitable de laisser à la charge de la victime la totalité des sommes par elle exposées et non comprises dans les dépens.

Il lui en sera en conséquence alloué de ce chef une somme supplémentaire de 2 500 F.

Enfin, la culpabilité de Christian C commande le rejet de sa demande de dommages et intérêts présentée sur le fondement des dispositions de l'article 472 du Code de procédure pénale.

Par ces motifs, Statuant contradictoirement, Déclare les appels recevables, Sur l'action publique Rejette l'exception préjudicielle soulevée par Christian C, Confirme le jugement entrepris sur la déclaration de culpabilité et l'application de la loi, Condamne Christian C aux frais envers l'Etat. Sur l'action civile Confirme le jugement entrepris, Y ajoutant, condamne Christian C à payer à la FLCAIS la somme de deux mille cinq cents francs en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Déboute Christian C de sa demande de dommages et intérêts, Le condamne aux dépens de l'action civile.