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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 1 mars 2002, n° 98-08046

PARIS

ARRÊT

PARTIES

Défendeur :

Comité National contre le Tabagisme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Barbarin

Avocat général :

M. Laudet

Conseillers :

M. Nivose, Mme Fouquet

Avocats :

Mes Vaisse, Caballero

TGI Paris, 31e ch., du 19 oct. 1998

19 octobre 1998

RAPPEL DE LA PROCEDURE

LA PREVENTION :

Par exploit en date des 5, 6 et 7 juillet 1995, le Comité National contre le Tabagisme (CNCT) a fait citer directement MM. Jacques X, Klaus Pieter Y et Patrick Z, devant le Tribunal correctionnel de Paris, pour publicité indirecte en faveur du tabac, par diffusion de films publicitaires et d'affiche au profit des marques Camel Trophy et Camel Boots, faits commis sur le territoire national courant 1993 et en mars 1994.

Il a fait également citer la société Reynolds Tobacco France et la société B en tant que civilement responsables.

LE JUGEMENT :

Le tribunal, par jugement contradictoire, après avoir rejeté les exceptions de nullité et d'irrecevabilité, a requalifié les faits de la prévention en complicité de publicité directe ou propagande en faveur du tabac ou de ses produits, de 1993 à 1994, à Paris, infraction prévue par les articles L. 3512-2 al. 1, L. 3511-3, L. 3511-1 du Code de la santé publique, art. 121-6 et 121-7 du Code pénal et réprimée par l'article L. 3512-2 al. 1, al. 3 du Code de la santé publique, art. 121-6 et 121-7 du Code pénal, - a déclaré Y Klaus Pieter, X Jacques et Z Patrick coupables de ces faits, - a condamné :

Y Klaus Pieter, à la peine d'amende de 100 000 F,

X Jacques,à la peine d'amende de 100 000 F,

Z Patrick à la peine de 50 000 F.

Le tribunal a déclaré civilement responsable la société World Wilde Brands,

a mis hors de cause la société A ;

Sur l'action civile

Le tribunal a reçu le Comité National contre le Tabagisme en sa constitution de partie civile et a condamné solidairement Y Klaus Pieter, X Jacques et Z Patrick à lui payer la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 7 000 F en application de l'article 475-l du Code de procédure pénale.

Le tribunal a déclaré la société WBI civilement responsable de Z Patrick, a mis hors de cause la société A, a débouté le Comité National contre le Tabagisme du surplus de ses demandes et a débouté les prévenus de leurs demandes au titre de l'article 472 du Code de procédure pénale.

DECISION :

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

A l'audience du 26 octobre 2001, MM. X, Y et Z ainsi que les deux sociétés citées comme civilement responsables ont demandé à la cour, par voie de conclusions conjointes, in limine litis et avant tout examen de l'affaire au fond :

- de constater que la présente procédure, introduite par citations directes des 5, 6 et 7 juillet 1995, est viciée par les violations du secret de l'information et du secret des perquisitions qu'elle contient, étant de surcroît souligné que les vices de la procédure d'information en cause ne sont nullement régularisés en 1'état de l'arrêt susvisé du 12 décembre 2000 ;

- de constater au surplus que les irrégularités dénoncées portent atteinte aux droits de la défense des prévenus, ce qui justifie de plus fort l'annulation de la présente procédure ;

- subsidiairement, de dire et juger que les pièces issues de la perquisition opérée dans le cadre de la procédure d'information annulée doivent être écartées des débats et retirées du dossier, de même que doivent être cancellés les extraits de la citation directe consacrés aux pièces litigieuses ;

- d'ordonner, dans cette hypothèse, la réouverture des débats au fond pour permettre aux prévenus de se défendre sur ces nouvelles bases ;

En toute hypothèse,

- de constater que les demandes formées par le CNCT dans le cadre d'une citation directe de la société JT International France à comparaître devant la 3e (sic) chambre de la Cour d'appel de Paris sont radicalement irrecevables, puisque celle-ci a été définitivement mise hors de cause par le jugement entrepris, lequel n'a pas été frappé d'appel par le CNCT ;

Au surplus,

- de constater que les affichages Metrobus (décembre 1993) et Decaux (mars 1994) pour les montres " Camel Trophy " qui sont visés dans les pièces du CNCT, ont déjà été poursuivis par celui-ci ;

En conséquence, de dire et juger le CNCT irrecevable à poursuivre les faits correspondant auxdits affichages, lesquels ne peuvent donc pas plus être soumis à la cour de céans que ceux, antérieurs au 25 mai 1993, que le CNCT a déjà renoncé à poursuivre, pour les mêmes motifs (seule la campagne cinéma pour les montres " Camel Trophy " sur le réseau UGC - novembre à décembre 1993, et mars 1994, pouvant dès lors être soumise à la cour de céans) ;

-de condamner le CNCT à payer à chacun des prévenus la somme de 50 000 F au titre de l'article 472 du Code de procédure pénale.

Le CNCT, partie civile, a demandé à la cour, par voie de conclusions :

Vu l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et l'article préliminaire du Code de procédure pénale,

Vu les articles 385-2, 459 et 512 du Code de procédure pénale,

- d'ordonner la jonction au fond de l'exception de nullité de la citation délivrée par le CNCT aux prévenus et civilement responsables ;

Vu les articles 551 et 565 du Code de procédure pénale,

- de rejeter la demande de nullité et de cancellation de la citation du CNCT

- de confirmer le jugement entrepris

- de condamner les sociétés JTI et WBI à garantir MM. X, Y et Z, des condamnations civiles prononcées contre eux

Vu l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

- de condamner les prévenus et les sociétés JTJ et WBI à payer au CNCT la somme de 50 000 F au titre des frais irrépétibles.

La cour, après en avoir délibéré, a renvoyé l'examen de l'affaire au fond, en continuation, à l'audience du 14 décembre 2001.

Advenue ladite audience, les trois prévenus et les sociétés citées comme civilement responsables demandent à la cour, par voie de conclusions conjointes :

- de constater que les affichages Metrobus (décembre 1993) et Decaux (mars 1994) pour les montres "Camel Trophy", qui sont visés dans les pièces du CNCT, ont déjà été poursuivis par celui-ci ;

En conséquence, de dire et juger le CNCT irrecevable à poursuivre les faits correspondant auxdits affichages, lesquels ne peuvent donc pas plus être soumis à la cour de céans que ceux, antérieurs au 25 mai 1993, que le CNCT a déjà renoncé à poursuivre, pour les mêmes motifs, seule la campagne cinéma pour les montres "Camel Trophy" sur le réseau UGC - novembre à décembre 1993 - et mars 1994 pouvant dès lors être soumise à la cour,

- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

1°) de dire et juger que les publicités incriminées en faveur des montres " Camel Trophy Montres ", seules désormais en cause, ne contreviennent pas aux dispositions de la loi Evin du 10 janvier 1991, dès lors que tant l'élément matériel que 1'élément moral de l'infraction font défaut, les manifestations publicitaires pour les produits de diversification des marques du tabac ne constituant pas une publicité pour le tabac et les annonceurs ne poursuivant que le fait de promouvoir leurs produits, les montres "Camel Trophy" ;

2°) en tout état de cause, de constater que MM. X, Y et Z, non plus que généralement la société A, devenue JT International France et la société B inc, n'ont aucunement participé à la conception non plus qu'à la diffusion des publicités incriminées en faveur des montres "Camel Trophy", de décembre 1993 et de mars 1994 et que celles-ci ne sauraient, par conséquent, leur être imputées, que ce soit en qualité d'auteurs comme de complices ;

En conséquence, de prononcer la relaxe de MM. X, Y et Z et mettre hors de cause les sociétés A, devenue JT international France et B inc, avec toutes conséquences afférentes quant aux demandes du CNCT ;

3°) A titre subsidiaire,

de dire et juger les dispositions de cette loi et des articles L. 355-25 et L. 355-26, devenus les articles L. 3511-3 et L. 3511-4 du Code de la santé publique incompatibles avec les dispositions des articles 30, 36 et 59 du Traité de Rome instituant la Communauté Européenne, ainsi que les dispositions des articles 7§1, 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et l'article premier du protocole n° 1 de cette Convention ;

4°) A titre plus subsidiaire encore, de surseoir à statuer et interroger la Cour de Justice des Communautés Européennes sur le fondement de l'article 177 du Traité de Rome sur la question suivante :

"s'agissant d'une marchandise, telle que celle en cause en l'espèce, inoffensive, et légalement importée et commercialisée dans plusieurs autres Etats membres de la Communauté européenne, est-il compatible avec :

- les principes de la libre circulation des marchandises et de la libre prestation de services,

- ainsi que les principes fondamentaux du droit communautaire,

dont notamment ceux garantis par les articles 7§1, 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et par l'article 1 du protocole n° 1 de cette Convention,

d'interdire toute publicité en faveur de cette marchandise et de contraindre ainsi le fabricant et l'importateur de la commercialiser sous une marque et une présentation différentes en France,

au motif que la publicité en faveur du produit concerné présenterait un danger pour la santé publique et induirait en erreur les consommateurs en ce qu'elle inciterait à fumer en raison de sa dénomination et/ou de sa présentation qui rappellerait une marque du tabac ".

5°) en toute hypothèse, d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a alloué 150 000 F de dommages-intérêts au CNCT et débouter celui-ci de toutes ses demandes, fins et conclusions,

En conséquence, de condamner chacun des prévenus à lui payer la somme de 50 000 F au titre de 1'article 472 du Code de procédure pénale.

Le CNCT demande à la cour, par voie de conclusions :

Vu l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique,

- de rejeter les exceptions d'irrecevabilité et de nullité soulevées par les prévenus et civilement responsables,

- de confirmer le jugement entrepris en ce qui concerne la condamnation de MM. X, Y et Z pour complicité de publicité indirecte en faveur du tabac,

- de les condamner solidairement à paver au CNCT la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts,

Vu l'article 1382 et l'article 1384 alinéa 5 du Code civil,

- de condamner les sociétés JTI et WBI à garantir leurs dirigeants ou préposés des condamnations prononcées contre eux,

- de condamner les prévenus et les sociétés civilement responsables à payer au CNCT la somme de 50 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Sur ce, LA COUR,

I - Rappel des faits

Par exploits d'huissier en date des 5, 6 et 7 juillet 1995, le Comité National contre le Tabagisme (CNCT) a fait citer directement Jacques X, Klaus Pieter Y et Patrick Z en tant que prévenus les sociétés RJ A et B en tant que civilement responsables, pour avoir commis le délit de publicité illicite en faveur du tabac, faits commis en 1993 et 1994, à Paris, faits prévus et réprimés par les articles L. 355-31 alinéa 1, L. 335-24 alinéa 1, L. 355-25, L. 355-31 du Code de la santé publique.

Le CNCT exposait qu'en organisant des campagnes de publicité délibérément provocatrices en faveur des produits dérivés de la marque de cigarettes Camel (Camel boots, Camel Trophy) dans la presse écrite, au cinéma et par affichage, en exécution du plan de fraude conçu par les sociétés RJ A et B dont ils sont les dirigeants, Jacques X, Klaus Pieter Y et Patrick Z avaient violé les textes susvisés.

Il indiquait qu'il disposait de la preuve des agissements de Klaus Pieter Y et Jacques X, respectivement président du conseil d'administration et directeur général de RJ A, de Patrick Z, président de B à l'époque des faits et directeur des ventes de la société RJ A depuis 1994, à la suite d'une perquisition effectuée dans les locaux des deux sociétés, le 2 février 1995, où avaient notamment été saisis, dans le bureau de Jacques X, les documents suivants :

- WBI Strategic Plan 93-97 ;

- RJ A 92-96 Strategic Plan ;

- WBI France 93-97 Strategic Plan ;

- France 92-96 Communication Strategic ;

Que le WBI Strategic Plan 93-97, transmis par Patrick Z et Jacques X par mémorandum du 17 avril 1992, avait reçu l'approbation expresse de Klaus Pieter Y "qui était d'accord avec son orientation générale et ses choix stratégiques".

Que la mission que s'assignait WBI était définie par le Stratégic Plan de la manière suivante : "identifier, développer et gérer les programmes de diversification des marques de façon à accroître la notoriété et la puissance des marques internationales du groupe RJ Reynolds Nabisco ".

Que les priorités du plan sont en effet de développer les campagnes de publicité en faveur des marques de diversification de Camel (montres et bottes) en France, Espagne, Italie et Grande Bretagne et de Winston (vêtements) en France et en Suisse.

Que le plan prévoit d'ailleurs des investissements massifs de WBI en France, de façon à accélérer les diversifications des marques Camel.

Qu'il est ainsi prévu de dépenser 24 millions de dollars en 1992 et 54 millions de dollars en 1997, pour le soutient de la seule marque Camel Trophy.

Que le RJ A 92-96 Stratégie Plan accentue encore cette volonté de fraude, tout en s'intégrant dans la politique globale de communication de la multinationale américaine.

Que compte tenu du contexte législatif extrêmement restrictif, dont le plan fait constamment état, il est clairement envisagé d'attaquer la loi.

Que la mission de RJR France comprend également celle d'imaginer une "approche créatrice"des questions juridiques, de façon à maintenir la communication sur les marques de tabac dans cet environnement législatif et que, pour y parvenir, le moyen imaginé est tout simplement le recours à la publicité indirecte.

Qu'une phrase clé revient constamment : "mettre sur pied une stratégie évolutive de façon à maintenir une continuité de communication entre le tabac et les marques sous licence".

Que cette phrase clé montre le souci de RJR Tobacco France de maintenir une continuité entre son ancienne communication en faveur de ses cigarettes (Camel, Winston) et sa nouvelle stratégie en faveur des produits de diversification (Camel Trophy, Camel Boots, Winston Spirit).

Que le WBI France 93-97 Stratégie Plan a fait pour sa part l'objet d'une lettre de transmission de Patrick Z à Jacques X du 8 avril 1992, en se donnant également comme objectif "le maintien de la continuité de la communication entre les marques RJR et les marques de diversification".

Que, par ailleurs, le plan prévoit "de disperser l'utilisation des marques de diversification, de façon à minimiser et séparer les risques juridiques de telles campagnes".

Que c'est ainsi que le groupe a mis au point un certain nombre de filiales de diversification, de façon à diluer les risques de condamnation pénale : la "filière suisse" avec Melco Watch (Camel Trophy montres), la "filière italienne" avec Oto Spa (Camel Trophy montres), la "filière allemande" avec Salamander (Camel Boots), la "filière belge" avec Shirt International (Winston Spirit).

Qu'enfin, un dernier mémorandum saisi dans le bureau de Jacques X, intitulé Communication Strategy, est encore plus révélateur, fournissant en effet la preuve matérielle de la volonté de RJR France d'utiliser des média provocateurs, de façon à tester les capacités de résistance de la loi.

Que selon ce document la stratégie de communication du groupe doit se faire en deux étapes :

* première étape : des investissements limités dans la presse écrite pour établir l'existence "légale" du produit (les guillemets étant dans le texte original).

* deuxième étape : augmentation progressive des investissements et extension à des médias plus provocateurs (affichage et cinéma).

Qu'il est précisé que le thème de la campagne du produit de diversification doit être modifié progressivement pour aboutir vers la cigarette Camel.

Que le CNCT a pu effectivement constater que plusieurs campagnes à caractère délibérément provocateur ont eu lieu sur te territoire français en application de cette stratégie, certaines de ces campagnes, notamment les campagnes réalisées sur les panneaux Decaux, ou ceux de la société Metrobus, ont déjà été condamnées par la justice ; que d'autres ont été entreprises au cinéma dans les réseaux des salles UGC et Gaumont, en faveur de la marque Camel Trophy et n'ont pas fait l'objet jusqu'à présent de décisions judiciaires.

Que son préjudice doit être évalué en tenant compte de l'ampleur des campagnes publicitaires qui ont été menées par Jacques X, Klaus Pieter Y et Patrick Z, RJ A et Worldwide Brands.

Le CNCT vise dans sa citation les campagnes suivantes :

- du 25 novembre au 2 décembre 1992 au profit des montres Camel Trophy, sur les panneaux et abribus Decaux, sur l'ensemble du territoire national, dont le montant est estimé à 4 176 950 F ; étant précisé que la société JC Decaux a été condamnée par le Tribunal de grande instance de Quimper à lui verser 4 000 000 F et que cette décision ayant été infirmée par la Cour d'appel de Rennes, il réclame l'intégralité de ce préjudice qui n'a pas encore été réparé par les fabricants de tabac.

- du mercredi 17 mars au mardi 30 mars 1993 au profit des chaussures Camel Boots, sur les abris Decaux à Paris et en banlieue parisienne dont le montant est estimé à 2 868 400 F, étant noté que la société Decaux a déjà été condamnée à lui verser 100 000 F, Jacques X étant relaxé des fins de la poursuite, faute d'avoir pu prouver sa participation personnelle dans l'infraction; il ne peut donc être touché par ce chef de demande, qui s'élève pour les autres prévenus à 2 768 400 F.

- du 2 au 16 mars 1994 en faveur des montres Camel Trophy sur les panneaux et abribus Decaux à Paris et en province, dont le montant est estimé à 3 733 650 F, la société Decaux ayant été condamnée en première instance à lui verser 100 000 F sous réserve de son appel, cette somme doit être déduite du montant réclamé qui s'élève donc à 3 633 650 F.

- du 29 novembre au 8 décembre 1994 au profit des montres Camel Trophy sur les affiches du métro de la société Métrobus dont le montant est estimé à 800 000 F.

Il estime que si l'on fait la somme du montant illégalement dépensé dans les campagnes d'affichage délibérément provocatrices au profit des produits de diversification de la marque Camel Boots, ce total s'élève à 11 579 000 F.

En ce qui concerne le cinéma :

- de novembre à décembre 1993, diffusion sur le circuit A du réseau UGC d'un film en faveur des montres Camel Trophy dont le montant est estimé à 1 797 352 F.

- en mars 1994, diffusion sur le circuit A du réseau UGC d'un film publicitaire de 45 secondes au profit des montres Camel Trophy dont le montant est estimé à 277 534 F.

- du 31 mars au 27 avril 1993 diffusion sur le réseau de la Gaumont d'un film publicitaire de 45 secondes en faveur de Camel Boots dont le montant est estimé à 4 902 584 F.

La partie civile réclame donc au total la somme de 18 556 740 F à titre de dommages-intérêts.

A l'audience du tribunal, elle renonçait aux poursuites fondées sur les publicités antérieures au 25 mai 1993, ce dont il lui a été donné acte.

II - Sur les exceptions de nullité et d'irrecevabilité de la citation

Les prévenus et les sociétés citées comme civilement responsables font valoir, dans leurs écritures

1°) que la citation directe des 5, 6 et 7 juillet 1995 vise expressément et cite certains des documents issus de la perquisition ordonnée par Madame le Juge d'Instruction Filippini pour établir l'illicéité et, surtout, l'imputabilité aux prévenus des publicités litigieuses et que ces documents ont ensuite été versés aux débats par le CNCT le 24 mars 1997, soit quelques jours après la première ordonnance de renvoi, ensuite déclarée irrégulière de Madame Filippini ;

que ces graves irrégularités, qui entachaient déjà ab initio la validité des conditions de saisine du tribunal représentent au surplus un obstacle incontournable aux poursuites du CNCT en l'espèce, compte tenu de ce que le CNCT ne peut pas fonder la démonstration qu'il prétend faire sur une procédure et des pièces elles-mêmes entachées d'irrégularité et à l'égard desquelles la Cour d'appel de Versailles est saisie sur renvoi ordonné par l'arrêt de la Cour de cassation du 12 décembre 2000, ouvrant la perspective d'un renvoi ultérieur de la procédure aux autorités compétentes ;

qu'enfin, subsidiairement, les pièces litigieuses ne peuvent qu'être écartées des débats et leur citation cancellée dans le texte de la citation directe litigieuse.

2°) que par citation directe du 10 octobre 2001, le CNCT prétend former des demandes, radicalement irrecevables, à l'égard de la société JT International France ;

qu'en effet, le jugement dont appel a déclaré coupables les trois prévenus et notamment Klaus Pieter Y et Jacques X, respectivement président et directeur général du conseil d'administration de la société RJ A, mais a mis hors de cause celle-ci, au motif qu'elle ne pouvait pas être jugée civilement responsable de personnes dont elle n'était pas le commettant ;

que la société WBI a en revanche été déclarée civilement responsable de son préposé Patrick Z ;

que le jugement a été frappé d'appel par les prévenus, mais pas par le CNCT et qu'il est donc définitif du chef de cette mise hors de cause ;

que le CNCT est donc mal venu de tenter de réparer cet oubli, en prétextant que la société JT International France - anciennement dénommée RJ A - aurait absorbé les sociétés RJ A et WBJ.

3°) que le CNCT doit en toute hypothèse être déclaré irrecevable à poursuivre les affichages Metrobus de décembre 1993 et Decaux de mars 1994 en faveur des montres "Camel Trophy", s'agissant de publicités qui ont déjà fait l'objet de citation directes du CNCT et de décision définitive.

Le CNCT, partie civile, fait valoir :

- que sa citation directe est parfaitement conforme aux prescriptions de l'article 551 du Code de procédure pénale, seul texte susceptible de s'appliquer à une demande de nullité de la citation ;

- qu'au surplus la preuve est libre en droit pénal et que, selon une jurisprudence constante, le fait que certains éléments de preuve dans une procédure soient illégaux ou même déloyaux n'entraîne nullement la nullité de la procédure ;

- que la nullité d'une citation ne peut être prononcée que si elle porte atteinte aux intérêts des prévenus (art 565 du Code de procédure pénale), ce qui n'est pas le cas d'une citation "trop complète" précisant les faits qui leur sont reprochés.

I - Sur les exceptions de nullité de la procédure

Considérant qu'il est constant, et qu'il n'est d'ailleurs pas contesté, que la citation délivrée par le CNCT les 5, 6 et 7 juillet 1995 est conforme aux prescriptions de l'article 551 du Code de procédure pénale en ce qu'elle énonce clairement et de façon détaillée, ainsi qu'il est rappelé dans le présent arrêt, les faits poursuivis et le texte de loi qui les réprime. Qu'elle est également parfaitement régulière en la forme. Qu'ainsi, elle n'a pu préjudicier aux droits des prévenus.

Considérant que le fait que la poursuite exercée par le CNCT repose sur des documents saisis, sur commission rogatoire d'un juge d'instruction, dans le cadre d'une procédure distincte, ne saurait entacher la citation de nullité, même si celle-ci a été délivrée alors que l'information était toujours en cours ; que l'argument soulevé par les prévenus et les sociétés civilement responsables concerne en effet la régularité des moyens de preuve puisés dans une autre procédure qu'il appartient au juge pénal d'apprécier librement dès lors que lesdites preuves ont été contradictoirement discutées devant lui, ce qui est le cas en l'espèce. Qu'il y a lieu, en conséquence, de rejeter les exceptions de nullité de la procédure.

II - Sur l'infraction de publicité indirecte en faveur du tabac visée à la prévention

Considérant que, le CNCT ayant abandonné les poursuites fondées sur des faits antérieurs au 25 mai 1993, qui ont fait l'objet de procédures distinctes, ne sont plus visés que deux campagnes de publicités :

- celles organisées par voie d'affichage du 2 au 16 mars 1994 et du 29 novembre au 8 décembre 1994 au bénéfice des montres "Camel Trophy";

- celles réalisées par la voie de films publicitaires de 45 secondes diffusés par les réseaux UGC et Gaumont, de novembre à décembre 1993 et en mars 1994, également en faveur des montres "Camel Trophy".

Que les prévenus et les sociétés civilement responsables ne sauraient arguer que le CNCT serait irrecevable à agir contre les campagnes d'affichage de la société Métrobus en décembre 1993 et de la société Decaux en mars 1994 dès lors que les poursuites qui ont donné lieu aux arrêts définitifs de la Chambre criminelle de la Cour de cassation des 10 avril 1997 et 23 novembre 1999 étaient dirigées contre les annonceurs et non contre les prévenus.

Considérant que c'est par des motifs pertinents, que la cour adopte, que les premiers juges après avoir décrit et analysé les publicités incriminées, en ont déduit qu'elles constituaient des publicités indirectes en faveur du tabac au sens des articles 355-25 et 355-26 du Code de la santé publique.

Considérant que c'est également à juste titre que le tribunal a dit que ces publicités ne pouvaient bénéficier de la dérogation instaurée par l'alinéa 2 de l'article L. 355-26 du Code de la santé publique.

Qu'en effet ce texte, qui définit la propagande ou la publicité indirecte en faveur du tabac ou des produits du tabac, énonce que ces dispositions ne sont pas applicables à la propagande ou la publicité en faveur d'un produit autre que le tabac ou un produit du tabac qui a été mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac. Que la création de tout lien juridique ou financier entre ces entreprises rend caduque cette dérogation.

Que, si les montres "Came1 Trophy" ont commencé à être commercialisées avant 1990 par les sociétés OTO (de droit italien) et Melco Watch (de droit suisse) qui sont les annonceurs dans la présente procédure, des contrats de licence de marque ont été accordés à ces sociétés par WBI, laquelle est une filiale du groupe RJY Nabico, société holding du groupe Reynolds Tobacco.

Que, dès lors, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que ces contrats de licence de marque, créateurs de liens juridiques et financiers, excluaient l'application de la dérogation instaurée par l'alinéa 2 de l'article L. 355-26 du Code de la santé publique.

III - Sur l'imputabilité de l'infraction aux prévenus

Considérant que M. X était, à l'époque des faits, directeur général de la société RJ A, dont M. Y était le président du conseil d'administration. Que M. Z, simple salarié, dirigeait le bureau de représentation de la société WBI Etats-Unis, sis à Boulogne-Billancourt.

Considérant que les annonceurs des publicités incriminées sont la société de droit suisse Melco Watch et la société de droit italien Oto, qu'elles ont été diffusées par les sociétés Decaux et Métrobus, les réseaux de distribution cinématographique UGC et Gaumont. Qu'il ne résulte d'aucun élément de la procédure, et qu'il n'est d'ailleurs pas allégué, que les prévenus aient participé de quelque façon que ce soit à la conception, à la préparation ou à la diffusion de ces publicités, et qu'ils ne sont donc pas les auteurs de l'infraction visée à la prévention, pas plus qu'ils ne peuvent en être considérés comme complices par fournitures de moyens.

Considérant par ailleurs que les documents de politique générale ou "de stratégie" saisis le 2 février 1995 dans les locaux de la société RJ Reynolds et dans le bureau de représentation de la société WBI Etats-Unis à Boulogne Billancourt, élaborés en 1991 et 1992, visent à diversifier et promouvoir les produits bénéficiaires d'une marque tabacole comme les montres Camel Trophy, les vêtements Winston. Que, quand bien même les prévenus ont approuvé ces documents élaborés par WBI au plan européen, et auraient contribué à leur élaboration, il n'est nullement démontré qu'ils aient donné des instruction aux annonceurs, qui étaient d'ailleurs les fabricants des montres Camel Boots, ou qu'ils aient fait pression sur eux pour que des campagnes publicitaires soient réalisées en France.

Que, dès lors, il convient, en réformant le jugement déféré, de relaxer purement et simplement les prévenus et de mettre hors de cause la société WBI, citée en tant que civilement responsable de Patrick Z.

Considérant que l'intervention de la société A (devenue JT International France) devant la cour sera, quant à elle, déclarée sans objet puisqu'elle n'est ni appelante ni intimée sur les appels des prévenus et du Ministère Public.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels des prévenus et du Ministère Public, - Déclare sans objet l'intervention devant la cour de la société RJ A, - Réformant le jugement déféré, - Relaxe Klaus Pieter Y, Jacques X et Patrick Z, - Met hors de cause la société WBI, - Déboute le CNCT, partie civile, de l'ensemble de ses demandes.