CE, 5e et 3e sous-sect. réunies, 18 mai 1998, n° 178765
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
M6 (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Commissaire du gouvernement :
M. Chauvaux
Rapporteur :
M. Thiellay
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez
LE CONSEIL : - Vu la requête, enregistrée le 11 mars 1996 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société M6, dont le siège est 16, cours Albert 1er à Paris (75008) ; la société M6 demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler la décision du 21 décembre 1995 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel lui a infligé une sanction pécuniaire d'un montant de 780 000 F ; 2°) de la décharger en totalité ou partiellement de cette somme ; 3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 F au titre de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu la loi n° 86-1067 modifiée relative à la liberté de communication ; Vu le décret n° 92-280 du 27 mars 1992 ; Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-935 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ; Après avoir entendu en audience publique : - le rapport de M. Thiellay, Auditeur, - les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la société M6, - les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité de la procédure de sanction : - Considérant qu'aux termes de l'article 42-1 de la loi du 30 septembre 1986 dans sa rédaction issue de la loi du 17 janvier 1989 : "Si le titulaire d'une autorisation pour l'exploitation d'un service de communication audiovisuelle ne respecte pas les obligations ci-dessus mentionnées ou ne se conforme pas aux mises en demeure qui lui ont été adressées, le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut prononcer à son encontre, compte tenu de la gravité du manquement, une des sanctions suivantes : (...) 3° une sanction pécuniaire " ;
Considérant, d'une part, que, par une lettre de son président en date du 6 décembre 1993, adressée au président de la société M6, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, après avoir rappelé que des manquements aux dispositions de l'article 9 du décret du 27 mars 1992 interdisant la publicité clandestine dans les programmes télévisés et à l'article 8 de ce même texte prohibant toute publicité dans ces programmes concernant le secteur de la presse avaient été constatés dans le cadre d'un jeu télévisé diffusé par la société M6 depuis le 30 octobre 1993, a mis en demeure cette société "de se conformer à l'avenir aux dispositions des articles 8 et 9 du décret précité sous peine d'encourir les sanctions prévues aux articles 42-1 et suivants de la loi du 30 septembre 1986 modifiée" ; que cette lettre a le caractère d'une mise en demeure de mettre fin à toute pratique de publicité clandestine, notamment en faveur du secteur de la presse ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que la sanction pécuniaire que le Conseil supérieur de l'audiovisuel a infligée le 21 décembre 1995 à la société M6 à raison de divers manquements aux articles 8 et 9 du décret du 27 mars 1992 lors de la diffusion, le 29 juin 1994, de l'émission "Capital" et, en juillet, août et septembre 1994 de l'émission "Turbo" serait intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière, faute d'avoir été précédée d'une mise en demeure, manque en fait ;
Considérant, d'autre part, que la décision attaquée rappelle les dispositions législatives et réglementaires qui prohibent la publicité clandestine et investissent le Conseil supérieur de l'audiovisuel du pouvoir de prononcer des sanctions lorsque le titulaire d'une autorisation pour l'exploitation d'un service de communication audiovisuelle ne se conforme pas à la mise en demeure qui lui a été adressée de respecter les obligations fixées par les textes législatifs et réglementaires ; qu'elle indique qu'une mise en demeure de respecter l'interdiction de la publicité clandestine avait été adressée à la société M6 ; qu'elle expose ensuite les faits, postérieurs à cette mise en demeure, qui constituent, selon le Conseil supérieur de l'audiovisuel, des manquements à cette interdiction ; que la décision fixe enfin le montant de la sanction pécuniaire infligée à la chaîne en se référant à la gravité des manquements commis et aux avantages tirés de ces manquements ; que cette motivation contient les éléments de droit et de fait sur lesquels le Conseil supérieur de l'audiovisuel a fondé sa décision et met la société M6 en mesure de les discuter ; qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait au Conseil supérieur de l'audiovisuel de mentionner dans sa décision la méthode de calcul sur laquelle il s'est fondé pour fixer le montant de la sanction ;
Sur le bien-fondé de la sanction : - Considérant qu'aux termes de l'article 27 de la loi du 30 septembre 1986 dans sa rédaction issue de la loi du 17 janvier 1989 : "Compte tenu des missions d'intérêt général des organismes du secteur public et des différentes catégories de services de communication audiovisuelle diffusés par voie hertzienne terrestre ou par satellite, des décrets en Conseil d'Etat fixent les principes généraux définissant les obligations concernant : 1° La publicité (...)" ; qu'aux termes de l'article 8 du décret du 27 mars 1992 "est interdite la publicité concernant (...) les produits et secteurs économiques suivants : (...) - presse (...)" ; qu'en vertu de l'article 9 "la publicité clandestine est interdite. Pour l'application du présent décret, constitue une publicité clandestine la présentation verbale ou visuelle de marchandises, de services, du nom, de la marque ou des activités d'un producteur de marchandises ou d'un prestataire de services dans des programmes, lorsque cette présentation est faite dans un but publicitaire" ;
Considérant, en premier lieu, qu'au cours de l'émission "Capital" diffusée le 29 juin 1994 par M6, la couverture du magazine de presse "Capital" est apparue à plusieurs reprises au premier plan du décor alors que l'animateur de l'émission s'entretenait avec le rédacteur en chef de cette revue ; que cette présentation non fortuite a méconnu les articles 8 et 9 du décret du 27 mars 1992 ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'au cours de l'été 1994, neuf émissions intitulées "Turbo" ont été présentées en faisant usage d'un véhicule Renault, modèle "Espace" ; que la mise en images et la présentation systématiquement flatteuse du véhicule par l'animateur de l'émission ont revêtu une dimension publicitaire affirmée constituant une violation des dispositions de l'article 9 du décret du 27 mars 1992 ;
Considérant, en troisième lieu, qu'au cours de l'émission "Turbo" du 24 septembre 1994 a été longuement présentée une cassette vidéo éditée par la société M6 et mise en vente auprès du public ; qu'un reportage d'une durée de cinq minutes au cours de l'émission "Turbo" du 1er octobre 1994 a permis d'assurer la promotion d'un produit de la marque "Lego" ; que ces deux présentations doivent être regardées comme des publicités clandestines ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le Conseil supérieur de l'audiovisuel était fondé à infliger à la société M6 une sanction pécuniaire pour violation de ses obligations en matière de publicité ;
Sur le montant de la sanction pécuniaire : - Considérant qu'aux termes de l'article 42-2 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée précitée : "Le montant de la sanction pécuniaire doit être fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages tirés du manquement par le service autorisé" ;
Considérant, d'une part, que pour évaluer les avantages que la société M6 avait pu retirer des pratiques de publicité illégales, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a pu, sans méconnaître les dispositions précitées de l'article 42-2, se référer notamment aux barèmes de tarifs qui auraient été appliqués si la publicité avait été régulière ;
Considérant, d'autre part, que, compte tenu de la répétition des manquements constatés aux règles relatives à la publicité et des avantages retirés par la société M6 de ces manquements, le Conseil supérieur de l'audiovisuel n'a pas fait une inexacte appréciation du montant de la sanction pécuniaire en le fixant, dans les circonstances de l'espèce, à 780 000 F ;
Sur les conclusions de la société M6 tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 : - Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à la société M6 la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Décide :
Article 1er : La requête de la société M6 est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société M6, au Conseil supérieur de l'audiovisuel, à la ministre de la Culture et de la Communication et au Premier ministre.