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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 5 mars 2003, n° 2000-77547

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Barbara Bui (SA)

Défendeur :

Reuven's II - Sinéquanone (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Carre Pierrat

Conseillers :

Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland

Avoués :

SCP Teytaud, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Me Hoffman, SCP Nataf, Fajgenbaum

T. com. Paris, 15e ch., du 25 janv. 2002

25 janvier 2002

Revendiquant la titularité des droits d'auteur sur un modèle de jupe qu'elle a créé le 17 décembre 1999 et commercialisé dès le début de l'année 2000, la société Barbara Bui, après avoir fait pratiquer une saisie contrefaçon, le 21 novembre 2000, dans les locaux de la société Reuven's II, situés 102, boulevard de Sébastopol à Paris 3e, l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Paris en contrefaçon de modèle et concurrence déloyale ;

Par jugement du 25 janvier 2002, le tribunal a:

- dit que les articles vendus par la société Barbara Bui ne présentent pas une originalité suffisante pour bénéficier de la protection sur les modèles ou des droits d'auteur et que les différences existant entre les deux modèles de la société Barbara Bui et de la société Reuven's II présentent suffisamment de différences compte tenu de l'antériorité du modèle présenté sur le catalogue Peclers pour que le modèle de la société Reuven's II ne soit pas une copie faisant une concurrence déloyale au modèle commercialisé par la société Barbara Bui,

- débouté la société Barbara Bui de toutes ses demandes des chefs de contrefaçon et de concurrence déloyale,

- condamné la société Barbara Bui à payer à la société Reuven's II la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

LA COUR,

Vu l'appel interjeté le 28 mars 2002 par la société Barbara Bui;

Vu les dernières conclusions signifiées le 17 janvier 2003 par lesquelles la société Barbara Bui, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, demande à la cour de:

- dire que la société Barbara Bui est titulaire des droits de création et d'exploitation portant sur un modèle de jupe référencé dans sa collection 7364 et que celui-ci est susceptible de bénéficier de la protection de la loi et du livre I du CPI,

- dire que la société Reuven's II à l'enseigne " Sinéquanone " s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon de modèle et de concurrence déloyale,

- condamner la société Reuven's II à lui verser la somme de 228 673,53 euros à titre de dommages-intérêts pour contrefaçon de modèle et celle de 228 673,53 euros à titre de dommages-intérêts pour faits de concurrence déloyale,

- faire interdiction à la société Reuven's II de poursuivre la vente, l'exposition, l'importation et la commercialisation des articles contrefaisants, sous astreinte de 304,90 euros par infraction constatée,

- ordonner la publication de la décision à intervenir dans 10 journaux professionnels de son choix, aux frais de la société Reuven's II, pour un coût global de 30 489,80 euros HT,

- condamner la société Reuven's II à lui verser la somme de 7 622,45 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les dernières conclusions signifiées le 28 novembre 2002 aux termes desquelles la société Reuven's II sollicite la confirmation du jugement déféré sauf en ce qu'il rejeté sa demande de dommages-intérêts du fait de la procédure qu'elle estime engagée avec une légèreté blâmable par la société Barbara Bui, réclamant à ce titre la somme de 30 000 euros outre celle de 8 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Sur quoi,

- Sur l'originalité du modèle de jupe :

Considérant que la société Barbara Bui caractérise son modèle dans les termes suivants :

" La jupe a une forme évasée à partir des hanches et la longueur atteint le genou Elle est faite dans un tissu uni type gabardine et possède une fente asymétrique, placée sur le côté, créant par ailleurs un pli profond. Les hanches sont agrémentées de deux rubans de cuir ton sur ton, passant par un anneau carré en métal brillant pour rehausser de manière très particulière et originale l'aspect habillé de cette jupe afin de créer un esprit chic " ;

Que ce modèle a été réalisé au mois de décembre 1999 et commercialisé au début de l'année 2000 ;

Considérant que la société Barbara Bui ne revendique sur ce modèle, qu'elle n'a pas déposé à l'INPI, que la protection du droit d'auteur instaurée par le livre I du CPI;

Considérant qu'un modèle ne bénéficie de cette protection qu'à la condition qu'il présente un caractère original;

Considérant que pour prétendre à la banalité du modèle, la société Reuven's II produit aux débats des extraits de la revue Peclers éditée en 1996 intitulée " Flash été 97 ", en 1996 sous le titre " Coupé cousu - hiver 97-98 " et en 1997, intitulée " Flash hiver 98-99 ", le numéro de la revue Vogue " daté de février 1965, une photographie d'un modèle de jupe Prada;

Considérant qu'il n'est pas contesté que les brochures Peclers constituent un outil de travail pour les stylistes en illustrant les tendances de la mode pour la saison à venir; que ces revues présentaient dès l'été 1997, des modèles de jupes évasées agrémentées d'ouvertures sur le devant ; que le numéro " Hiver 98-99 est illustré d'une jupe évasée, ouverte sur le devant par un pli fermé jusqu'à la hauteur du genou ; que le numéro de cette même revue intitulé " Coupé cousu hiver 97-98 " comporte à la page 63, un article qui, sous le titre " Les jupes à peine évasées " est accompagné du commentaire suivant " portefeuille, fendue ou à quatre panneaux mais raides de préférence. On décline les longueurs autour du genou, la plus nouvelle étant la longueur mi-mollet " ; qu'il est illustré de cinq modèles parmi lesquels celui dessiné en bas de page est composé d'une jupe légèrement évasée, ouverte sur le côté et ornée à la taille, d'un double lien en cuir se terminant par deux boucles formant ceinture;

Considérant que si ce modèle ne constitue pas, comme le relève justement la société Barbara Bui, une antériorité de toutes pièces à celui qu'elle revendique, dans lequel les deux liens formant ceinture ont un rôle exclusivement ornemental, l'ouverture et la fermeture de la jupe s'effectuant au moyen d'une fermeture à glissière placée sur le pan arrière, il révèle l'usage d'un double lien visible sur la partie avant de la jupe au niveau de la taille;

Mais considérant que les documents produits aux débats établissent que les jupes évasées, ouvertes sur le devant par une fente asymétrique, fermées par des liens visibles à la manière des kilts n'ayant qu'un rôle ornemental (revue Vogue février 1965) étaient largement répandues dans les collections de prêt-à-porter avant la réalisation du modèle invoqué ; que la jupe commercialisée dès le mois de juillet 1999 sous la marque " Prada " comportait un lien fermé par une boucle carrée en forme d'étrier;

Que l'association à une forme générale de jupe connue (évasée et ornée sur le devant d'un pli portefeuille pour masquer l'ouverture) d'une double ceinture en trompe l'oeil ornée de boucles en forme d'étrier, ne révèle pas un effort de création portant l'empreinte de la personnalité de l'auteur;

Que ce modèle qui ne répond pas au critère d'originalité requis n'est donc pas protégeable sur le fondement du livre I du CPI;

Qu'il s'ensuit que la société Barbara Bui sera déboutée de sa demande en contrefaçon;

Sur la concurrence déloyale :

Considérant que la société Barbara Bui reproche également à la société Reuven's II d'avoir commis à son encontre des actes de concurrence déloyale en commercialisant une copie servile de son modèle, à moindre prix;

Mais considérant que le modèle de jupe de la société Barbara Bui ne bénéficiant pas de droits privatifs de propriété intellectuelle, le seul fait de le reproduire n'est pas fautif; qu'en outre, la jupe commercialisée par la société Reuven's II se distingue par sa forme nettement plus évasée, par le tissu utilisé et par l'absence de doublure du modèle Barbara Bui de telle sorte qu'il n'en constitue pas la copie servile et qu'il n'existe entre les deux modèles en présence aucun risque de confusion;

Qu'il n'est au surplus pas démontré que les prix seraient vils ou que les ventes seraient réalisées à perte;

Que le grief de concurrence déloyale doit donc être rejeté;

- Sur les autres demandes :

Considérant que la société Barbara Bui ayant pu de bonne foi se méprendre sur la portée de ses droits, la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par la société Reuven's II sera rejetée;

Considérant en revanche que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent lui bénéficier, la somme complémentaire de 8 000 euros devant lui être allouée à ce titre;

Que la solution du litige commande de rejeter la demande formée sur ce même fondement par la société Barbara Bui ;

Par ces motifs : Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ; Y ajoutant ; Condamne la Société Barbara Bui à payer à la société Reuven's II la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, au titre de ses frais irrépétibles d'appel ; Condamne la société Barbara Bui aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.