CA Paris, 5e ch. A, 16 octobre 2002, n° 2001-18997
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Boccara Company (SARL)
Défendeur :
Alain Manoukian (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard-Payen
Conseillers :
Mmes Jaubert, Percheron
Avoués :
SCP Verdun-Seveno, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Pitoun, Charpin, du Gardin.
Liée à la société Boccara Company par un contrat de franchise du 31 août 1989, la société Alain Manoukian a conclu avec cette société le 26 janvier 1998 un " contrat de partenariat " pour une durée de un an à compter rétroactivement du 1er septembre 1997 que les parties ont régulièrement renouvelé suivant avenants des 27 février et 7 octobre 1998, 19 mai 20 septembre et 30 novembre 1999, ce dernier à échéance au 31 janvier 2001.
Au début du mois de mars 2000 la société Boccara Company a appris que la société Alain Manoukian allait exploiter une boutique située à 80 mètres de la sienne et a ainsi que les époux Boccara assigné en référé sa co-contractante après que les parties aient envisagé que la société Boccara Company se substitue à la société Alain Manoukian pour l'exploitation de la nouvelle boutique.
Par ordonnance du 21 juin 2000 confirmée par un arrêt de la Cour de Versailles du 13 septembre 2001 qui a toutefois constaté que l'interdiction et l'astreinte étaient désormais sans objet, le juge de référés a fait interdiction à la société Alain Manoukian de procéder à l'ouverture de sa boutique sous astreinte de 5 000 F par jour à compter de l'ouverture effective.
Le 16 janvier 2001, le juge de l'exécution de Pontoise a ordonné la liquidation de l'astreinte et condamné en conséquence la société Alain Manoukian à payer à Monsieur et Madame Boccara ainsi qu'à la société Boccara Company la somme de 630 000 F.
Préalablement à la saisine du juge de l'exécution, la société Alain Manoukian a par acte du 27 septembre 2000 délivré aux fins de voir lever l'interdiction d'ouvrir sa boutique et condamner la société Boccara à lui verser diverses sommes à titre de dommages et intérêts, assigné cette société devant le Tribunal de commerce de Paris qui par jugement du 17 septembre 2001 a:
- rejeté l'exception de nullité soulevée au titre de l'article 753 du nouveau Code de procédure civile.
- dit qu'il n'y a pas eu de faute imputable à la société Alain Manoukian ;
- débouté en conséquence la société Boccara Company de l'ensemble de ses demandes,
- ordonné la mainlevée aux frais de la société Alain Manoukian de l'inscription des deux nantissements sur le fonds de commerce de la société Boccara Company,
- condamné la société Alain Manoukian à effectuer les formalités correspondantes,
- dit n'y avoir lieu à astreinte et débouté la société Boccara Company de sa demande formée à ce titre,
- ordonné la levée de l'interdiction faite à la société Alain Manoukian d'ouvrir une boutique dans le Centre Commercial de Cergy Les 3 Fontaines,
- condamné la société Boccara Company à rembourser à la société Alain Manoukian le montant de l'astreinte s'élevant à 96 805,13 euros (soit 635 000 F),
- débouté la société Alain Manoukian de ses demandes de dommages et intérêts.
- ordonné l'exécution provisoire.
- condamné la société Boccara Company à verser à la société Alain Manoukian la somme de 3 048,98 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Appelante la société Boccara Company prie la cour réformant le jugement:
- à titre principal de débouter la société adverse de ses demandes,
- à titre reconventionnel:
au principal et vu les articles 1134 et suivants du Code civil de condamner la société Alain Manoukian à lui payer la somme de 404 684,09 euros à titre de dommages et intérêts,
- subsidiairement et vu les articles 1382 et 1383 du Code civil de condamner la société Alain Manoukian à lui payer cette même somme â titre de dommages et intérêts,
- dans tous les cas et sur le fondement de l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de l'article L. 442-5,1-5° du Code du commerce de:
- débouter la société Alain Manoukian de ses demandes comprenant la restitution de l'astreinte liquidée.
- la condamner à lui payer la somme de 404 694,09 euros à titre de dommages et intérêts.
- lui faire injonction de donner la mainlevée des deux nantissements et ce sous astreinte provisoire de 228,67 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision,
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans quatre journaux à son choix et aux frais de la société Alain Manoukian dans la limite de 3 500 euros HT par insertion,
- condamner la société Alain Manoukian à lui payer la somme de 4 573,47 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La société Alain Manoukian demande à la cour de:
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu la société adverse bien fondée à solliciter la mainlevée des nantissements,
- condamner la société Boccara Company à lui payer la somme de 3 048,98 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et rejeter sa demande subsidiaire,
- ordonner subsidiairement la publication de l'arrêt à intervenir dans quatre journaux à son choix et aux frais de la société Boccara Company dans la limite de 3 000 euros HT par insertion.
Cela étant exposé :
I. Sur les demandes formées par la société Boccara Company
Considérant en premier lieu que la société Boccara Company d'une part fait grief à la société Alain Manoukian d'avoir méconnu les dispositions des articles 1134 et 1135 du Code civil en ayant décidé d'ouvrir la boutique de vêtements hommes et femmes du centre commercial proche du magasin qu'elle exploitait depuis plus de 17 ans dans l'allée accédant audit centre, ce au mépris du principe de coopération inscrit dans le contrat du 26 janvier 1998 qui fondé sur le partenariat excluait la concurrence et aurait dû l'amener à lui proposer l'acquisition du fonds de commerce litigieux, conformément à la demande qu'elle lui avait adressée ; d'autre part expose que cette faute a entraîné une diminution de son chiffre d'affaires de septembre 2000 à janvier 2001 puis la disparition du fonds de commerce et qu'il doit lui être alloué en conséquence la somme de 2 654 619,21 F correspondant à un an de chiffre d'affaires telle que prévue à l'article 13 du " contrat de partenariat " en cas de faute du " franchisé ";
Que la société Alain Manoukian oppose qu'elle a toujours agi avec loyauté et bonne foi envers sa partenaire dès lors qu'elle est libre de déterminer les conditions de distribution de ses produits, que jusqu'au 31 janvier 2001 date d'échéance du contrat de partenariat, sa boutique ne concernait que la clientèle hommes non concurrente de la clientèle exclusivement femmes de la société Boccara Company qu'en conformité avec la législation communautaire aucune clause d'exclusivité territoriale au profit de cette société n'était prévue au contrat, que sa partenaire qui s'est engagée en sachant pertinemment qu'un autre magasin Alain Manoukian pourrait ouvrir ses portes dans le Centre Commercial afin d'y créer une activité de prêt à porter hommes qu'elle n'avait pas souhaité développer, n'a subi aucun préjudice né de cette situation;
Considérant qu'il est stipulé:
1) au préambule du contrat de partenariat que " l'affiliant conçoit cette formule comme une méthode active et vivante basée sur une collaboration qui vise à favoriser dans un esprit de coopération et d'échange la progression économique des deux partenaires ",
2) à l'avenant du 30 novembre 1999 venant à échéance le 31 janvier2001 que " les parties ont convenu de poursuivre le contrat pour 6 mois compte tenu de l'engagement de l'affilié pour l'agrandissement et le repositionnement de sa boutique suivant normes et cahier des charges de l'affiliant, conditions essentielles et déterminantes que l'affilié déclare accepter ";
Que la société Boccara qui avait contractuellement la faculté de distribuer des vêtements Alain Manoukian hommes et femmes s'était jusqu'alors limitée à la vente des vêtements femmes, que par ailleurs les lieux loués le 15 mars 2000 par la société Alain Manoukian dont il n'est pas établi qu'elle avait eu connaissance de leur disponibilité et avait eu l'intention de les louer à la date de la signature de l'avenant - le premier document produit concernant cette opération est du 16 février 2000 - devaient être affectés à l'usage exclusif du prêt à porter et vêtements mailles hommes et femmes (article 3 du contrat) ;
Que si lorsqu'elle a acquis le droit au bail de locaux situés à 80 mètres de ceux de sa partenaire, sans même l'en informer, et ce dans le but d'y exercer une activité directement concurrente, la société Alain Manoukian n'a pas agi loyalement en méconnaissant l'engagement de partenariat et en bouleversant l'économie de l'avenant, il ressort toutefois d'une part des pièces produites notamment des courriers échangés entre les parties les 7, 13 et 21 mars, 18 avril et 5 mai 2000 que préalablement au mois de mars 2000 la société Boccara n'avait entrepris aucune démarche pour remplir la condition prévue à l'avenant et qu'après avoir demandé à la société Alain Manoukian au début du mois de mars 2000 de reprendre le bail litigieux, elle n'a accompli à cette fin aucune diligence alors que cette société insistant sur le nécessaire accord du bailleur n'avait néanmoins pas écarté cette solution ; d'autre part des constats d'huissier des 4 janvier et 19 février 2001 corroborés par l'attestation du bailleur en date du 16 juillet 2000 que jusqu'à l'échéance de l'avenant, la société Alain Manoukian n'a mis en vente dans sa boutique que les vêtements de la ligne homme;
Qu'il s'ensuit que le préjudice allégué est sans lien avec le non respect par la société Alain Manoukian des dispositions des articles 1134 et suivants du Code civil, observation étant de plus faite que l'article 3 dont se prévaut la société Boccara pour calculer son préjudice est inscrit dans un contrat de franchise étranger au présent litige et non dans le contrat de partenariat dont s'agit;
Considérant en second lieu que la société Boccara Company estime abusive la rupture du contrat de partenariat aux motifs qu'elle est exempte de tout préavis alors de plus que les relations commerciales duraient depuis plus de 17 ans et qu'il ne peut lui être reproché de n'avoir pas repositionné et agrandi son magasin de 80 m2 dans la mesure où la société Alain Manoukian avait procédé â l'acquisition d'une boutique distante de 80 mètres et d'une surface de 600 m2;
Que la société Alain Manoukian réplique qu'il ne peut y avoir de rupture fautive quand, comme en l'espèce, aucune brutalité ne peut être établie à son encontre et que le contrat de partenariat arrivait à son terme du fait de sa durée déterminée;
Considérant qu'aux termes de l'avenant du 30 novembre 1999 les parties étaient liées par un contrat à durée déterminée de 6 mois, qu'elles étaient donc l'une et l'autre libre de ne pas le renouveler sans avoir à motiver leur décision;
Que néanmoins le 29 décembre 2000 soit un mois avant l'échéance de ce contrat de courte durée la société Alain Manoukian a indiqué à sa partenaire qu'il arrivait à expiration, observation étant faite qu'elle n'a pas fait état de manquement de sa part;
Que par ailleurs le contrat de partenariat conclu le 26 janvier 1998 pour une durée déterminée de un an excluant expressément la tacite reconduction (article 2) a été renouvelé à 5 reprises pour une durée de 6 mois de sorte que la société Boccara Company ne pouvait ignorer que les relations contractuelles ne s'inscrivaient pas dans la durée;
Qu'enfin l'engagement de " l'affiliée " de procéder à un agrandissement et un repositionnement de sa boutique était la condition convenue entre les parties pour poursuivre le contrat jusqu'au 31 janvier 2001 et n'emportait donc pas tout au moins aux termes de l'avenant, engagement de la société Alain Manoukian de proposer un nouveau renouvellement passée l'échéance du 31 janvier 2001 que la condition soit ou non remplie;
Qu'il s'ensuit que c'est à tort que la société Boccara Company se prévaut d'une " rupture abusive du contrat de partenariat ";
Considérant en troisième lieu que la société Boccara Company reproche à la société Alain Manoukian d'avoir utilisé ses signes distinctifs (enseigne, savoir-faire et disposition du magasin, de s'être appropriée son fichier de clients et l'avoir utilisé notamment pour un mailing concernant la nouvelle collection " Printemps-été femme ", et soutient que cette dernière a engagé sa responsabilité sur la base d'actes de concurrence déloyale et de détournement de clientèle;
Que la société Alain Manoukian objecte qu'elle est propriétaire du fichier clients et que le mailing avait pour objectif commercial principal d'attirer la clientèle vers le magasin femme exploité par la société Boccara Company et d'envoyer à chaque cliente un relevé des points et chèques accumulés du fait des achats effectués;
Considérant que l'enseigne, le savoir faire et l'agencement des magasins appartiennent à la société Alain Manoukian qui postérieurement à la société Boccara Company était en droit de les utiliser jusqu'au 31 janvier 2001 pour l'exploitation d'un magasin de vêtements pour hommes;
Que le débat sur le fichier et le mailing est désormais sans objet dès lors que la société Boccara Company a selon ses propres conclusions fermé sa boutique le 5 février 2001, qu'elle n'allègue ni ne démontre l'avoir réouverte pour vendre pour d'autres marques qu' " Alain Manoukian " des vêtements de prêt-à-porter féminin et que par ailleurs le mailing certes conçu avant le 5 février 2001 a été envoyé le 26 février 2001 ;
Considérant en quatrième lieu que la société Boccara Company demande à la cour de faire injonction à la société Alain Manoukian de donner mainlevée des deux nantissements;
Que la société Alain Manoukian se borne à solliciter le maintien des deux nantissements;
Que la cour adoptant les motifs pertinents des premiers juges confirmera le jugement de ce chef;
Qu'il y a lieu de plus d'assortir cette décision d'une astreinte de 228,61 euros par jour de retard à compter de la signification du présent arrêt la société Alain Manoukian n'ayant pas exécuté cette décision alors qu'elle était assortie de l'exécution provisoire;
II. Sur les demandes formées par la société Alain Manoukian
Considérant que devant la cour, la société Alain Manoukian ne maintient pas sa demande au titre du préjudice financier et commercial et poursuit la confirmation du jugement déféré du chef afférent au remboursement de l'astreinte dont le principe a été admis par ordonnance du juge des référés du 21 juin 2000 confirmée par l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 13 septembre 2001 et la liquidation a été prononcée le 16 janvier 2001 par jugement du juge de l'exécution non frappé d'appel;
Que la société Boccara Company soutient que la société Alain Manoukian est irrecevable en sa demande d'une part sur le fondement des articles 409 et 410 du nouveau Code de procédure civile au motif qu'elle a acquiescé au jugement du juge de l'exécution en n'ayant exercé aucun recours à son encontre et en ayant réglé spontanément le montant de l'astreinte ; d'autre part sur le fondement de l'article 480 du nouveau Code de procédure civile puisqu'elle ne pouvait pas engager une nouvelle instance devant le Tribunal de commerce de Paris pour obtenir ce qui lui avait été révisé de manière directe ou indirecte par le juge de l'exécution dont la décision est revêtue de l'autorité de la chose jugée passée en force de chose jugée;
Mais considérant que la décision du juge de l'exécution est exécutoire de plein droit par provision;
Que le règlement du montant de l'astreinte par la société Alain Manoukian en application de ce principe ne saurait valoir acquiescement par elle de la décision qui l'a ordonné;
Considérant que le juge de référés du premier degré de juridiction confirmé en appel, retenant que l'ouverture par la société Alain Manoukian de sa nouvelle boutique causerait un trouble manifestement illicite et un dommage imminent au regard du contrat de partenariat et plus particulièrement de son avenant du 30 novembre 1999 a, ordonné la mesure d'interdiction provisoire d'ouverture de ladite boutique qu'il a assortie d'une astreinte ;
Que la liquidation de l'astreinte n'est que l'accessoire de cette décision qui prononcée par le juge des référés n'a pas au principal autorité de la chose jugée;
Qu'en l'espèce le juge du fond saisi du litige porté en référé a rendu une décision confirmée par le présent arrêt, remettant en cause la décision du juge des référés et donc le principe de l'astreinte;
Qu'il s'ensuit l'anéantissement du jugement prononçant la liquidation de l'astreinte et par voie de conséquence la condamnation de la société Boccara Company à rembourser à la société Alain Manoukian la somme de 96 805,13 euros montant de l'astreinte liquidée;
lII. Sur le surplus
Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser les parties supporter leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel;
Qu'elles seront déboutées de leurs demandes formées à ce titre;
Que par ailleurs il n'y a pas lieu d'ordonner la publication du présent arrêt ;
Considérant enfin, s'agissant de la réparation du préjudice allégué par la société Boccara Company, que le tribunal en énonçant sa décision fait figurer dans le dispositif des motifs qui ne sont pas tous adoptés par la cour dont l'arrêt de confirmation se limite donc à la décision stricto sensu,
Par ces motifs : LA COUR, Statuant dans les limites de sa saisine; Confirme le jugement déféré sauf en sa disposition relative à la condamnation au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant; Assorti la mainlevée des deux nantissements (n° 577 et 137) d'une astreinte provisoire de 228,67 euros par jour de retard à compter de la signification du présent arrêt.