Livv
Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 12 juin 2002, n° 2001-03251

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Kevin Fashion BV (Sté)

Défendeur :

Amazonia (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland

Avoués :

Me Blin, SCP Garrabos Gerigny-Fréneaux

Avocats :

Mes Baud, Botbol Lalou

T. com. Paris, 15e ch., du 1er déc. 2000

1 décembre 2000

La société Kevin Fashion BV de droit hollandais, est spécialisée dans la création et la commercialisation de vêtements et d'accessoires de mode.

Elle a procédé le 28 juillet 1998, au dépôt international de trois dessins de modèles de bijoux, portant le ,° DM-045641, visant notamment la protection en France.

Lors du salon Who's Next ayant eu lieu en France au mois de septembre 1998, elle a proposé à la vente des bijoux fantaisie, correspondant à ces modèles qu'elle a commercialisés sous la dénomination " Not Guilty Tattoo Bands ".

Constatant au mois de janvier 1999, que la société Amazonia qui a pour activité le commerce d'articles de cadeaux et d'accessoires de mode présentait au salon Bijhorca, des bijoux dénommés " Tattoo You ", reprenant les éléments caractéristiques de ses modèles, la société Kevin Fashion BV a fait pratiquer, le 23 avril 1999, une saisie contrefaçon dans les locaux de la société Amazonia.

Les opérations de saisie ont révélé que cette société commercialisait également des bijoux référencés " Tube " imitant ceux vendus par la société Kevin Fashion BV.

Le 6 mai 1999, cette dernière a saisi le Tribunal de commerce de Paris d'une action en contrefaçon et en concurrence déloyale.

Par jugement du 1er décembre 2000, le Tribunal de commerce de Paris a:

- débouté la société Kevin Fashion BV de ses demandes,

- dit que les modèles sur lesquels elle revendique des droits de propriété intellectuelle et distribués par la société Amazonia, sous les dénominations Tattoo You et Tube, ne peuvent être protégeables pour n'avoir aucun caractère propre et original,

- condamné la société Kevin Fashion BV à payer à la société Amazonia la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts,

- ordonné la publication de sa décision dans six journaux,

- dit que la société Kevin Fashion BV devra procéder à la radiation du dépôt, sous astreinte définitive de 10 000 F par jour de retard,

- condamné la Société Kevin Fashion BV à payer à la société Amazonia la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

LA COUR,

Vu l'appel de cette décision interjeté le 30 janvier 2001, par la société Kevin Fashion BV ;

Vu les dernières conclusions en date du 6 mai 2002 par lesquelles la société Kevin Fashion BV, poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, demande à la cour de :

- dire qu'en important et en commercialisant des articles de bijouterie fantaisie dénommé " Tattoo You " et " Tube ", la société Amazonia a commis des actes de contrefaçon de ses droits d'auteur et des actes de contrefaçon du modèle déposé,

- dire que les agissements de la société Amazonia sont également constitutifs d'actes de concurrence déloyale et parasitaire,

- prononcer l'interdiction de commercialiser lesdits articles, sous astreinte de 500 F par jour et par infraction constatée,

- condamner la société Amazonia à lui payer 500 000 F en réparation du manque à gagner et 600 000 F en réparation de la perte du caractère attractif de ses modèles,

- la condamner au paiement de 500 000 F en réparation des actes de concurrence déloyale,

- faire droit à sa demande de publication de la décision à intervenir dans 5 journaux, dans la limite de la somme de 15 000 F par insertion,

- condamner la société Amazonia au paiement de 45 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

soutenant à cet effet :

- qu'elle bénéficie sur les modèles de bijoux déposés d'une double protection conférée par les dispositions des articles L. 111.1 et L. 511.1 du Code de la propriété intellectuelle,

- que les bijoux présentés au salon Bijhorca, en janvier 1999, par la société Amazonia, sont identiques aux siens,

- qu'un courrier du 30 janvier 1999, mettant en demeure la société Amazonia de cesser toute commercialisation, est restée sans effet;

- que cette société ne peut invoquer, dans le cadre du présent litige, une ordonnance de référé rendue le 3 décembre 1998, par le tribunal d'Amsterdam, qui ne lie pas les juridictions françaises et lui opposer la défense présentée lors de cette autre procédure diligentée à son encontre par Madame Visser, demeurant en Hollande,

- qu'au demeurant, le juge hollandais a rejeté la protection au titre du droit d'auteur sollicitée par Madame Visser, au regard du seul droit national applicable,

- qu'en tout état de cause, Madame Visser a reconnu sa titularité des droits sur les articles de bijouterie qu'elle commercialise sous la dénomination " Not Guilty Tattoo Bands ",

- que la société Amazonia n'apporte pas la preuve d'une antériorité de toute pièce,

- que cette société a reproduit servilement ses modèles, a vendu les articles litigieux à un prix inférieur, en ajoutant à la confusion en les commercialisant sous la dénomination " Tattoo You ";

Vu les dernières écritures en date du 28 mars 2002, par lesquelles la société Amazonia demande à la cour de confirmer partiellement la décision entreprise et de:

- dire que les modèles revendiqués par la société Kevin Fashion BV ne sont pas protégeables,

- subsidiairement, dire qu'il existe une antériorité démontrée,

- débouter la société Kevin Fashion BV de ses demandes,

- déclarer nul le dépôt opéré par la société Kevin Fashion BV le 28 juillet 1998,

- prononcer la radiation de ce dépôt,

- condamner la société Kevin Fashion BV au paiement de 121 959,21 euros à titre de dommages et intérêts,

- faire droit à sa demande de publication, dans S journaux, dans la limite de la somme de 3 048,98 euros par insertion,

- condamner la société Kevin Fashion BV au paiement de 7 622,45 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

et soutient :

- que l'argumentation développée par la société Kevin Fashion BV, devant la juridiction néerlandaise, emporte reconnaissance par celle-ci qu'elle n'est pas titulaire de droits de propriété intellectuelle,

- qu'elle a en effet plaidé que les bijoux en cause n'étaient pas protégeables par le droit d'auteur, à défaut d'un caractère propre et original,

- qu'à supposer, qu'il s'agisse d'une création originale, le modèle de Madame Visser constitue une antériorité de toute pièce,

- que le dépôt de modèles, intervenu en juillet 1998, a été fait en fraude des droits de Madame Visser,

- que, faute de verser aux débats les déclarations de cette dernière, la société Kevin Fashion BV ne peut affirmer que celle-ci aurait reconnu la titularité de ses droits,

- que pour ces raisons, elle n'a pas aucune raison de contester la similitude des produits qu'elle a commercialisés et ceux de la société Kevin Fashion BV,

- que celle-ci ne peut lui reprocher d'avoir vendu les bijoux litigieux, sous la dénomination " Tattoo " qui n'est pas originale pour désigner des bijoux en forme de tatouages et qui, au surplus, a été déposée à titre de marque en 1992;

Sur quoi

Sur la protection au titre du titre du droit d'auteur :

Considérant que la société Kevin Fashion BV justifie , par la production de plusieurs factures, avoir divulgué et commercialisé en France, à compter du mois de septembre 1998, date du salon Who's Next, jusqu'au mois de juin 1999, une ligne de bijoux correspondant au dépôt, sous la dénomination " Not Guilty Tattoo Bands ", déclinée en colliers, bagues, bracelets, composés de mailles élastiques nouées ensemble et présentant la caractéristique qu'une fois appliqués sur la peau ils ressemblent à un tatouage;

Qu'elle revendique sur ces modèles de bijoux la double protection conférée par les Livres 1 et 5 du Code de la propriété intellectuelle;

Considérant que la société Amazonia ne conteste pas avoir proposé à la vente, sous la dénomination "Tattoo You " et " Tube " des bijoux similaires au modèle de la société Kevin Fashion BV ;

Qu'elle prétend que cette société ne peut arguer de droits de propriété intellectuelle d'auteur sur les modèles de bijoux revendiqués au motif que lors d'une précédente instance l'ayant opposé en référé, en 1998, devant une juridiction hollandaise à Madame Visser, qui a prétendu être conceptrice du modèle litigieux, désigné sous le nom de " Body Wire ", la société Kevin Fashion BV a, elle-même, soutenu que l'aspect extérieur des bijoux était déjà connu et, en grande partie, déterminé techniquement, entraînant ainsi qu'il n'est pas protégeable par le droit d'auteur ;

Qu'elle ajoute qu'aux termes de son ordonnance du 3 décembre 1998, le juge hollandais a retenu cette argumentation et a débouté Madame Visser estimant que : " l'idée de Visser d'un bijou (esthétique) composé d'un fil et pouvant être porté autour du poignet, du bras ou du cou (sans fermeture), indépendamment d'un effet déterminé n'est pas protégeable par le droit d'auteur. L'idée de Visser a donné à l'idée précitée par l'usage d'un fil de nylon - d'une épaisseur déterminée pour obtenir l'élasticité correcte - noué à l'aide de la technique du macramé, est en grande partie déterminé, selon une opinion provisoire, par les conditions techniques marginales. En effet, il s'agit en l'occurrence de l'application du noeud " fatras " exécuté dans un fil de nylon élastique faisant obtenir l'effet visé. Il y a lieu de s'attendre à ce qu'un concepteur désireux de fabriquer un tel bijou, arrive à une solution manifestement identique. L'effet donné à l'idée de Visser a ainsi un caractère insuffisamment propre et original et compte tenu des considérations qui précèdent, il n'est pas protégeable par le droit d'auteur ";

Mais considérant que la société Kevin Fashion BV fait justement valoir que la défense qu'elle a adoptée devant la juridiction néerlandaise était uniquement fondée sur le droit d'auteur néerlandais, applicable entre deux ressortissants hollandais; que d'ailleurs, dans sa décision, cette juridiction n'a pas évoqué le droit applicable en France;

Que la société Kevin Fashion BV est ainsi recevable à développer devant les juridictions françaises des arguments différents, eu égard aux principes qui régissent le droit français et à opposer à la société Amazonia la protection accordée par le Livre 1 du Code de la propriété intellectuelle;

Considérant que pour dénier le bénéfice de cette protection, la société Amazonia invoque le succès rencontré par ce type de bijoux vendus, selon elle, à plusieurs millions d'exemplaires à travers le monde au cours des étés 1998 et 1999, ce qui ruinerait l'originalité du modèle de la société Kevin Fashion BV;

Que cependant, les trois magazines qu'elle produit aux débats, " Elle " datées du 19 octobre 1998 et du 14 décembre 1998, " Accessories " daté du mois d'avril 1999, sont tous postérieurs à la divulgation et la commercialisation, des modèles de bijoux par la société Kevin Fashion BV, en France, au mois de septembre 1998, au salon Who's Next;

Qu'au surplus, il résulte d'un courrier du 28 octobre 1998, adressée par la société Solo Monaco à la société Kevin Fashion BV que la publicité des bijoux présentés dans le magazine " Elle " au mois d'octobre 1998, a été sollicitée par cette société qui est l'un de ses distributeurs;

Sur la protection au titre du dépôt de modèle :

Considérant que la société Kevin Fashion BV a, le 28 juillet 1998, procédé au dépôt international de trois dessins de bijoux fantaisie, visant la France;

Considérant que pour prétendre au défaut de nouveauté du modèle, déposé le 28 juillet 1998, la société Amazonia soutient que celui-ci serait antériorité par les créations de Madame Visser, telles qu'elles figurent reproduites dans la décision précitée du juge hollandais;

Mais considérant qu'il est ignoré à quelle date Madame Visser aurait créé les bijoux dont elle a prétendu détenir des droits de propriété intellectuelle;

Qu'il est seulement établi par les termes de l'ordonnance rendue par le juge hollandais que Madame Visser est entrée en contact avec la société Kevin Fashion BV au mois d'août 1998;

Que cette Société a ainsi procédé au dépôt international de son modèle antérieurement aux pourparlers entretenus avec Madame Visser;

Considérant ainsi que la société Amazonia qui ne peut se prévaloir d'une quelconque antériorité de toute pièce et ne détruit ni l'originalité, ni la nouveauté du modèle qui lui est opposé, est mal fondée à prétendre que le dépôt de modèle serait intervenu en fraude des droits de Madame Visser et à solliciter la nullité du dépôt précité;

Sur la contrefaçon:

Considérant que la société Amazonia ne conteste pas la similitude existant entre les bijoux qu'elle commercialisés sous les dénominations " Tattoo You " et " Tube " et les créations de la société Kevin Fashion BV, objet du dépôt des modèles;

Qu'en offrant à la vente et en vendant des bijoux reproduisant et-ou imitant ceux de la société Kevin Fashion BV, la société Amazonia a commis des actes de contrefaçon au préjudice de cette dernière;

Considérant en conséquence que la décision doit être réformée en ce qu'elle:

- a débouté la société Kevin Fashion BV de sa demande fondée sur des faits de contrefaçon,

- l'a condamnée à payer à la société Amazonia des dommages et intérêts, pour procédure abusive,

- a ordonné la publication du jugement aux frais de la société Kevin Fashion BV,

- a ordonné la radiation du dépôt du modèle international par la société Kevin Fashion BV, sous astreinte définitive,

- a condamné la société Kevin Fashion BV à payer à la société Amazonia la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

ainsi qu'aux dépens;

Sur la concurrence déloyale:

Considérant que la société Kevin Fashion BV prétend que la société Amazonia a commis, en outre, des actes de concurrence déloyale en commercialisant une copie servile de son modèle, à un prix nettement inférieur;

Mais considérant que si ces griefs sont susceptibles d'aggraver le préjudice résultant de la contrefaçon laquelle se définit comme la reproduction intégrale ou partielle de l'œuvre sans l'autorisation de son auteur, ils ne constituent pas des faits distincts de concurrence déloyale;

Que ce grief formulé à ce titre par la société Kevin Fashion BV n'est pas fondé;

Considérant que celle-ci soutient également que la société Amazonia aurait ajouté à la confusion en commercialisant ses articles sous la dénomination " Tattoo You ", reprenant partiellement sa propre dénomination " Not Guilty Tattoo Bands ";

Mais considérant que le terme Tattoo, pour désigner un bijou, qui apposé sur la peau, présente un effet de tatouage, a un caractère générique; que cette expression de langue anglaise est immédiatement perçue phonétiquement par un consommateur français comme la traduction du mot tatouage;

Considérant en conséquence que la décision entreprise doit être continuée en ce qu'elle a débouté la société Kevin Fashion BV de sa demande fondée sur des actes de concurrence déloyale;

Sur la réparation du préjudice:

Considérant, sur les mesures réparatrices liées aux actes de contrefaçon commis à son détriment, que la société Kevin Fashion BV est fondée à solliciter les mesures d'interdiction et de publication habituelle;

Que son préjudice subi en raison des atteintes portées à ses droits d'auteur et à la banalisation du modèle, sera entièrement réparé par l'octroi de la somme de 30 000 euros;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à Kevin Fashion BV ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de 4 000 euros ; que la société Amazonia qui succombe en ses prétentions doit être déboutée de la demande qu'elle a formulée sur ce même fondement;

Par ces motifs : Confirme la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la société Kevin Fashion BV de sa demande fondée sur des actes de concurrence déloyale, La réforme pour le surplus et statuant à nouveau: Dit qu'en commercialisant des bijoux imitant le modèle de la société Kevin Fashion BV, la société Amazonia a porté atteinte aux droits d'auteur de celle-ci et à ses droits sur le modèle déposé le 28 juillet 1998 ; Fait interdiction à la société Amazonia de commercialiser les articles litigieux, sous astreinte de 150 euros par infraction constatée ; La condamne à payer à la société Kevin Fashion BV la somme de 30 000 euros en réparation de son entier préjudice ; Ordonne la publication du présent arrêt dans trois journaux au choix de la société Kevin Fashion BV à concurrence de 3 000 euros par insertion, aux frais de la société Amazonia ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne la société Amazonia à payer à la société Kevin Fashion BV la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ; La condamne aux dépens de première instance et d'appel et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.