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Décisions

CCE, 1 juin 1999, n° JV.18

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Chronopost/Correos

CCE n° JV.18

1 juin 1999

LA COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,

1. Le 27 avril 1999, la Commission a reçu notification d'un projet de concentration conformément à l'article 4 du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil. Suivant cette opération, l'entreprise Correos y Telégrafos acquerra le contrôle en commun de l'entreprise Jet Worldwide España SA, un fournisseur de services postaux express en Espagne, détenu à 100 % par Chronopost SA.

2. Après examen de la notification, il apparaît que l'opération notifiée relève du règlement n° 4064-89 du Conseil et qu'elle ne soulève pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun et avec le fonctionnement de l'accord EEE.

I. LES PARTIES

3. Chronopost SA est une filiale détenue à 100 % par Sofipost SA, société holding des filiales du groupe La Poste, opérateur national des services postaux en France.

4. L'activité principale de Chronopost est le transport et la livraison express d'articles postaux pesant jusqu'à 30 kilogrammes. Chronopost est active en Espagne et dans plusieurs autres pays européens. Elle a deux filiales sur le territoire espagnol : Jet Worldwide España (qui constituera l'entreprise commune notifiée) et TAT Express SA, qui fournit des services de livraison express de fret (articles pesant jusqu'à 140 kilogrammes) dans le secteur " business to business ".

5. Correos y Telégrafos (Correos) est l'opérateur national de services postaux et télégraphiques en Espagne. Elle offre également des services bancaires comme agent pour une société bancaire. Correos est détenue à 100 % par l'Etat espagnol.

II. L'OPÉRATION

6. Le 15 décembre 1998, un protocole d'accord a été conclu suivant lequel les parties ont déclaré leur intention de créer une entreprise commune en transférant à Correos une partie des actions de Jet Worldwide España SA, filiale à 100 % de Chronopost. Sous réserve de l'accord de son conseil d'administration, Correos s'est engagée à souscrire à une nouvelle émission d'actions de Jet Worldwide España, ce qui lui conférera 50 % des actions et droits de vote dans la société. Simultanément, Correos s'est engagé à transférer entièrement son activité " business to business " à Jet Worldwide. Ensuite, le nom de l'entreprise commune deviendra Chronopost España SA

7. La conclusion du protocole d'accord a été suivie par un pacte d'actionnaires, signé le 7 avril 1999. Les parties ont présenté une lettre de confirmation - signée le 26 avril 1999 par les présidents de Correos et de Chronopost respectivement - certifiant que les accords souscrits exercent un effet légalement contraignant sur les parties.

III. LA CONCENTRATION

Contrôle commun

8. Selon la notification, Chronopost et Correos détiendront chacune 50% des actions dans l'entreprise commune. De plus, selon le pacte d'actionnaires, certaines décisions du conseil d'administration et de l'assemblée des actionnaires doivent être prises avec un vote à la majorité des [...].

9. Étant donné la répartition paritaire des droits de vote l'entreprise commune ne peut pas trancher les questions critiques sans le consentement des deux parties. En conséquence, Correos et Chronopost auront le contrôle commun de l'entreprise commune. Fonctions d'une entité autonome-Entité de plein exercice.

10. Jet Worldwide España fonctionne en Espagne depuis 1983 comme une entité économique autonome et continuera ainsi après la conclusion de l'opération. Le pacte d'actionnaires s'applique pour une période de [...], après laquelle les parties envisagent de le renouveler ou de le prolonger.

11. L'entreprise commune remplira ainsi de façon durable toutes les fonctions d'une entité économique autonome.

IV. DIMENSION COMMUNAUTAIRE

12. Les entreprises concernées ont un chiffre d'affaires total sur le plan mondial dépassant 5 milliards d'euros [1] (La Poste : 13,6 milliards d'euros en 1997, Correos : 977 millions d'euros en 1997). Chacune d'entre elles réalise un chiffre d'affaires dans la Communauté de plus de 250 millions d'euros (La Poste : [...] d'euros en 1997, Correos : [...] d'euros en 1997). La Poste a réalisé plus des deux tiers de son chiffre d'affaires global en France tandis que [...] du chiffre d'affaires de Correos a été réalisée en Espagne. Ainsi, les parties ne réalisent pas plus de deux tiers de leur chiffre d'affaires total dans un seul et même Etat membre.

13. L'opération a donc une dimension communautaire au sens de l'article 1 (2) du règlement sur les concentrations. Elle ne constitue pas un cas de coopération sous l'accord EEE.

V. MARCHÉ DE PRODUIT EN CAUSE

14. Jet Worldwide España est principalement active dans la fourniture de services de livraison express d'articles postaux dans le secteur " business to business ". L'activité " business to business " de Correos, qui sera transférée à l'entreprise commune, fournit des services semblables. En outre, Jet Worldwide España a certaines activités dans les services de livraison express de monocolis.

La livraison express de colis et de documents

15. Dans les décisions précédentes de la Commission, une distinction a été opérée entre le marché de la livraison express de colis et de documents et le marché de la livraison express de fret. [2]

16. Les caractéristiques différentes des produits (par exemple, les limitations de poids et de dimension pour la livraison de colis), les appareils de manutention utilisés, les délais de livraison et les niveaux des prix ont conduit la Commission à différencier entre les deux types de services.

17. Dans la notification, les parties ont défini le marché pertinent de produit comme étant celui de la livraison express " business to business " de documents et colis. Les parties affirment que ces services se différencient d'autres services dans le même secteur tels que la livraison express de monocolis et celle de fret.

18. Cependant, il n'est pas nécessaire au cas présent de décider si le segment "business to business" devrait être séparé d'autres segments (par exemple "business to private individual" and "private individual to private individual") puisque l'entreprise commune ne sera active que sur le segment "business to business" et que l'opération ne créera pas ou ne renforcera pas une position dominante, même sur la base d'une définition limitée à ce segment.

19. Les parties affirment que les services de livraison express domestique et internationale de documents et colis " business to business ", qui ont précédemment constitué deux marchés de produits distincts, ont convergé en un seul marché intégré. En raison de l'augmentation du trafic transfrontalier, de la libéralisation dans le secteur des transports, de l'abaissement des barrières douanières et de la demande accrue de comptes "globaux" de la part des clients, il n'est plus possible selon elles de faire la différence au sein d'un marché géographique entre les services domestiques et les services internationaux.

20. Dans le passé, la Commission a opéré une distinction entre la livraison domestique et internationale express de colis et de documents. [3]

21. Elle reconnaît que des services précédemment distincts dans le secteur de la livraison postale sont entrés dans un processus de convergence. Néanmoins, malgré cette évolution, il apparaît que les caractéristiques principales distinguant les services domestiques des services internationaux persistent toujours, par exemple i) des organisations opérationnelles fournisseurs et clients séparées pour chaque type de service, ii) des différences de prix et de produits et, iii) la présence d'un grand nombre de fournisseurs locaux, régionaux et nationaux qui n'offrent que des services de livraison domestique.

Livraison de monocolis

22. Les services de livraison par monocolis combinent la vitesse et la fiabilité à un prix plus bas que le service de livraison express. Tandis que les services de livraison express opèrent principalement par avion et proposent des délais certains de livraison pour le lendemain à une heure précise, les services de livraison par monocolis opèrent principalement par camion et offrent un délai certain de livraison dans les 2-3 jours en Europe. Néanmoins, pour de plus courtes distances (ne dépassant pas environ 600 kilomètres), les deux catégories de service offrent un délai de livraison pour le lendemain, la différence principale étant l'heure précise garantie par la livraison express.

23. Tandis que les parties maintiennent que le monocolis constitue un marché distinct de celui de la livraison express de colis, cette question a été laissée ouverte dans les décisions précédentes de la Commission. [4]

24. De même, au cas présent, il n'est pas nécessaire de définir le marché de produit plus précisément puisque l'opération ne créera pas ou ne renforcera pas une position dominante même sur la base de la définition du marché qui est moins favorable aux parties.

Conclusion

25. La définition des marchés de produits en cause peut être laissée ouverte au cas présent puisque, même sur la base de la définition la plus restrictive, la concentration ne créerait pas ou ne renforcerait pas une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le Marché commun ou une partie substantielle de celui-ci.

VI. MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES EN CAUSE

26. En faisant référence à la libéralisation du secteur des transports dans l'UE et à la diminution des barrières douanières internes entre les Etats membres, les parties notifiantes considèrent que les marchés auparavant nationaux de la livraison express de colis et documents et la livraison de monocolis deviennent de plus en plus intra-européens. Néanmoins, les parties reconnaissent que ces services en Espagne ont des caractéristiques particulières qui justifient toujours la délimitation d'un marché géographique espagnol distinct. Par exemple, Chronopost et Correos font valoir que la fourniture de services express internationaux au départ de l'Espagne est actuellement dans une phase de développement.

27. Bien que la Commission reconnaisse la tendance à un contexte de marché de plus en plus international dans le secteur (par exemple un nombre croissant d'opérateurs paneuropéens et de comptes "globaux" pour les clients paneuropéens), les caractéristiques du marché, qui ont précédemment conduit la Commission à considérer les marchés géographiques en cause comme principalement nationaux, sont encore présentes. [5]

28. Ces caractéristiques étaient i) le fait que les clients perçoivent ces services comme étant des services locaux, ii) la nature nationale de la collecte et de la livraison, iii) les différences de prix entre Etats membres, iv) les différentes stratégies de commercialisation appliquées par les fournisseurs dans différents Etats membres, v) les variations dans la répartition des parts de marché des principaux concurrents suivant les Etats membres et vi) les différentes étapes de développement des produits suivant les Etats membres.

29. Il n'est pas nécessaire aux fins de la présente décision de définir plus précisément les marchés géographiques de la livraison express de colis et documents et la livraison de monocolis, puisque, même si les définitions les plus étroites possible étaient utilisées, l'opération actuelle ne créerait pas ou ne renforcerait pas une position dominante.

VII. ANALYSE CONCURRENTIELLLE

A. Appréciation

La livraison express de colis et documents

30. Si le marché pour la livraison express de colis et documents "business to business" était de dimension communautaire, la part de marché cumulée de La Poste et Correos ne dépasserait pas [0-15 %] (La Poste [0-10 %], Correos [0-5 %]).

31. Si un marché espagnol national devait être délimité pour ces services, la part de marché cumulée de La Poste et Correos ne dépasserait pas [0-15 %] (La Poste [0-10 %], Correos [0-10 %]. Si l'on subdivisait le marché de produits en marchés distincts pour les services domestiques et les services internationaux, les parts de marché cumulées ne dépasseraient toujours pas [15-25 %]. L'entreprise commune serait le quatrième plus grand opérateur sur le marché espagnol. Il y a au moins 15 opérateurs qui fournissent des services identiques ou semblables en Espagne.

La livraison par monocolis

32. Selon les parties notifiantes, le groupe de La Poste a une part de marché d'approximativement [0-5 %] dans le secteur de la livraison par monocolis et d'approximativement [0-5 %] dans le secteur de la livraison par monocolis en Espagne. Étant donné que Correos ne fournit pas de services de livraison par monocolis, l'opération n'entraîne pas d'addition de part de marché, indépendamment de la façon dont le marché en cause est défini. En conséquence, l'établissement de l'entreprise commune ne peut ni créer, ni renforcer une position dominante sur ce marché.

Conclusion

33. L'opération proposée ne créera pas ou ne renforcera pas une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le Marché commun ou une partie substantielle de celui-ci.

B. Coordination de comportement concurrentiel

34. Conformément à l'article 2 paragraphe 4 du règlement sur les concentrations, pour autant que la création d'une entreprise commune constituant une opération de concentration a pour objet ou pour effet la coordination du comportement concurrentiel d'entreprises qui restent indépendantes, cette coordination est appréciée selon les critères de l'article 81 paragraphe 1 et 3 du traité CE. Afin de représenter une restriction de concurrence au sens de l'article 81 paragraphe 1, il est nécessaire que la coordination du comportement concurrentiel des sociétés mères soit probable et appréciable et qu'elle résulte de la création de l'entreprise commune, que ce soit comme son objet ou son effet.

35. Étant donné que Correos ne sera plus active dans la fourniture de services de livraison express de colis et documents ou de livraison par monocolis et n'est pas susceptible d'être un concurrent potentiel significatif, le marché de l'entreprise commune ne peut pas être considéré un marché candidat pour la coordination.

36. En outre, le marché pour les services express de fret, qui peut être considéré comme un marché étroitement lié, n'est pas un marché possible pour la coordination puisque Correos ne fournit pas de tels services et n'est pas susceptible d'être un concurrent potentiel significatif.

37. Les deux sociétés mères sont actives sur les marchés pour les services financiers. Les activités de La Poste/Chronopost et Correos dans le domaine des services financiers sont strictement nationales. La Poste/Chronopost n'utilise pas actuellement son réseau postal en Espagne pour placer ses produits financiers. En outre, les services financiers ne paraissent pas en première analyse être des marchés étroitement liés au marché de l'entreprise commune.

38. La question de savoir si les services universels de distribution du courrier sont un marché étroitement lié au marché de l'entreprise commune peut être laissée ouverte. Comme la plupart des opérateurs postaux publics dans les autres États membres, Correos et La Poste disposent toutes deux de monopoles nationaux réglementés sur les services universels de distribution du courrier. En raison de ces monopoles, les marchés géographiques pour les services universels de distribution du courrier restent essentiellement nationaux. La présence de tels monopoles fortement réglementés rend la coordination du comportement concurrentiel sur le marché des services universels de distribution du courrier peu probable. En tout état de cause, la création de l'entreprise commune ne fournit aucune incitation supplémentaire pour la coordination entre les sociétés mères dans le secteur des services universels de distribution de courrier.

39. Il s'ensuit qu'au cas présent, la création de l'entreprise commune Chronopost España par Chronopost et Correos ne mènera pas à la coordination du comportement concurrentiel de La Poste/Chronopost et Correos sur le marché où Chronopost España est actif, ni sur un marché étroitement lié.

VIII. COMMENTAIRES DES PARTIES TIERCES

40. Certaines parties tierces ont exprimé leurs préoccupations à la Commission selon lesquelles Chronopost et Correos financeront le développement des activités de Chronopost avec les revenus provenant de leurs monopoles respectifs sur les marchés du courrier en France et en Espagne. Cependant, ces préoccupations concernent les moyens utilisés pour réaliser l'opération et non l'analyse des conséquences de cette opération dans les marchés concernés, qui est l'objet de la présente décision, conformément au règlement sur les concentrations.

IX. RESTRICTIONS ACCESSOIRES

41. Les parties ont notifié une clause de non-concurrence comme étant une partie intégrale ou accessoire du projet de concentration (article 10 du pacte d'actionnaires). Suivant cette clause, les parties s'engagent à [...]. Sous certaines réserves, les parties s'engagent à ne pas entrer en concurrence avec l'entreprise commune en Espagne. En outre, les parties [...]. Ces dispositions s'appliquent aussi longtemps que les parties sont actionnaires de l'entreprise commune. Néanmoins, si Correos renonce à sa participation dans l'entreprise commune, [...] reste valable à son égard pour une période de [...] après le désinvestissement.

42. Dans la mesure où le fait pour les entreprises mères de s'interdire de concurrencer l'entreprise commune vise à exprimer la réalité du retrait durable des entreprises mères du marché assigné à l'entreprise commune, elle sera reconnue comme partie intégrale de l'opération.

43. Afin d'être considérée comme une partie intégrale de l'opération, l'obligation de non-concurrence ne doit pas être élargie au-delà des activités de l'entreprise commune. En outre, elle ne peut s'appliquer qu'aux participations de contrôle dans les entreprises fonctionnant sur les mêmes marchés que l'entreprise commune. En outre, la durée de l'obligation de non-concurrence doit être limitée à la période pendant laquelle les parties ont le contrôle de l'entreprise commune.

44. Pour les raisons énoncées ci-dessus, la clause de non-concurrence prévue à l'article 10 du pacte d'actionnaires ne peut être considérée comme directement liée et nécessaire à la mise en œuvre de l'opération que dans la mesure où elle s'applique aux participations de contrôle dans les entreprises fonctionnant sur les mêmes marchés que l'entreprise commune, elle se rapporte aux activités de l'entreprise commune et pour la période où chaque partie détient une participation de contrôle dans l'entreprise commune.

X. CONCLUSION

45. À la lumière de ce qui précède, la transaction proposée ne soulève pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun et avec le fonctionnement de l'accord EEE.

46. La Commission a donc décidé de ne pas s'opposer à l'opération notifiée et de la déclarer compatible avec le Marché commun et avec le fonctionnement de l'accord de l'EEE. La présente décision est arrêtée en vertu de l'article 6 paragraphe 1 sous b) du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil.

[1] Chiffre d'affaires calculé conformément à l'article 5(1) du règlement relatif au contrôle des opérations de concentrations et à la communication de la Commission sur le calcul du chiffre d'affaire (JO C 66, du 2.3.1999, p. 25). Dans la mesure où ces données concernent des chiffres d'affaires relatifs à une période antérieure au 1.1.1999, elles sont calculées sur la base des taux de change moyens de l'écu et traduit en euros sur la base d'un pour un.

[2] Décisions n° IV-M.1347 - Deutsche Post/Securicor, n° IV-M.1371 - La Poste/Denkhaus et n° IV-M.1405 - TNT Post Group/Jet Services.

[3] Décision n° IV-M.1405 - TNT Post Group/Jet Services, du 15 février 1999.

[4] Ibid.

[5] Ibid. note 2.