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Décisions

CA Aix-en-Provence, 11e ch., 3 septembre 1997, n° 96-11477

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Laboratoires et Services Kodak

Défendeur :

Guijarro (époux), Géant Casino La Foux (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lambrey

Conseillers :

Mme Veyre, M. Naget

Avoués :

SCP Tollinchi, SCP Aube-Martin-Bottai-Gereux, Me Ermeneux

Avocats :

Mes Henriot-Bellargent, Muret, Nourrit.

CA Aix-en-Provence n° 96-11477

3 septembre 1997

Faits et procédure

Vu l'appel interjeté par la société Laboratoires et Services Kodak d'un jugement rendu le 8 janvier 1996 par le Tribunal d'instance de Fréjus qui statuant dans un litige l'opposant aux époux Guijarro et à la SNC Géant Casino à propos de la perte d'un reportage photographique remis au développement, a :

- dit que la preuve du contrat de dépôt et prestation de service est rapportée ;

- constaté l'inexécution par la SNC Casino France et la SA Kodac de leurs obligations ;

- condamné la SNC Casino France à payer Monsieur Alexandre Guijarro et Madame Sarah Lapierre épouse Guijarro les sommes de 5 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- condamné la SNC Casino France aux dépens ;

- condamné la SA Kodac à relever et garantir la SNC Casino France de toutes les condamnations prononcées à son encontre ;

Vu les conclusions de l'appelante demandant à la cour de :

- réformer le jugement entrepris ;

Principalement,

- dire et juger que la SNC Géant Casino La Foux mal fondée en son appel en garantie contre Laboratoires et Services Kodak

- débouter la SNC Géant Casino La Foux de toutes ses demandes, dirigées contre Laboratoires et Services Kodak ;

- condamner la SNC Géant Casino La Foux à payer une indemnité de 30 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à Laboratoires et Services Kodak pour les frais irrépétibles de procédure engagés par cette dernière en première instance et en cause d'appel ;

Subsidiairement,

- dire et juger mal fondés en toutes leurs demandes Monsieur et Madame Guijarro, les en débouter ;

- condamner Casino aux entiers dépens, en faisant valoir :

. que l'inexécution éventuelle du contrat relatif à des travaux photographiques facturés par Casino aux consommateurs, auquel la SA Laboratoires et Services Kodak n'est pas partie, engage la responsabilité exclusive de Casino ;

. que dans ses rapports avec Casino, la SA Laboratoires et Services Kodak a prévu une clause forfaitaire de responsabilité au cas de perte ou détérioration en cours de traitement, qui doit s'appliquer entre professionnels, aux termes de laquelle l'offre d'une pellicule vierge et de son traitement gratuit, sont satisfactoires ;

. que vis-à-vis des époux Guijarro, la clause limitative de responsabilité figure sur le document détaché par le consommateur de la pochette de travaux déposée en " libre service " et devant être conservé pour permettre la restitution des prises de vue confiées ;

. que cette clause a fait l'objet d'un avis favorable du Conseil National de la Consommation publié au BOCCRF du 22 février 1999 ;

. que la clause rappelait aux époux Guijarro qu'il leur incombait de faire une déclaration en cas de travaux ayant une importance exceptionnelle, s'agissant de leur voyage de noce aux Iles Maurice, précaution qu'ils n'ont pas prise ;

. que la possibilité d'un recours fondé sur l'article L. 132-1 du Code de la consommation demeure soumise aux hypothèses de dol et de faute lourde, non démontré ou allégués en l'espèce, pas plus que l'ampleur du préjudice prétendu ;

Vu les conclusions de la SNC Géant Casino tendant par voie d'appel incident à la réformation du jugement, au déboutement des époux Guijarro, subsidiairement à être relevé et garantie par le Laboratoires et Services Kodak et à obtenir la réduction des demandes adverses, en faisant valoir :

- que la preuve d'un dépôt de la pochette en " libre service " dans l'urne du magasin Casino n'est pas démontrée par les époux Guijarro, la souche produite concernant leur réclamation à la suite d'une inversion alléguée ;

- que selon un exemplaire des pochettes comportant une clause de dédommagement forfaitaire, celle-ci n'est pas ambiguë et la recommandation de déclaration n'est pas vaine puisqu'à côté de l'urne existe à la disposition du public un service d'accueil dans la grande surface ;

- que la société Laboratoires et Services Kodak, sous traitant de la SNC Casino n'a jamais contesté avoir reçu la pellicule, et que si elle a attribué le numéro au film perdu, c'est bien elle qui l'a égaré ;

- qu'aucune clause limitative de responsabilité n'est contractuellement acceptée par la SNC Casino dans ses rapports avec le Laboratoire Kodak ;

- que le préjudice est inexistant, d'autres pellicules ayant été impressionnées au cours du voyage de 10 jours effectué par les intimés ;

Vu les conclusions des époux Guijarro demandant à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts alloués aux époux Guijarro qu'il conviendra de porter à la somme de 30 000 F en lieu et place de celle de 5 000 F qu leur a été allouée par les premiers juges ;

- condamner la SNC Géant Casino La Foux et la SA Laboratoire Service Kodak à payer à Monsieur et Madame Guijjarro la somme de 5 000 F à titre de dommage et intérêts en réparation de leur préjudice moral ;

- condamner solidairement la SNC Casino et la SA Laboratoire et le service Kodak à payer aux époux Guijarro la somme de 8 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- s'entendre condamner aux entiers dépens en faisant valoir :

. que la preuve du dépôt de la pellicule est aisément rapportée par la fiche remise suite au dépôt portant le n° 13.2858 signée par une employée de Géant Casino ;

. que la clause limitative de responsabilité qui leur est opposée est parfaitement abusive pour les motifs exposés par le premier juge ;

- que cette clause est également abusive, puisqu'elle est expressément prescrite par l'annexe 1-a) à l'article L. 132-1 du Code de la consommation ;

. que leur préjudice matériel et moral est évident et justifié l'augmentation des dommages et intérêts alloués.

. 1 - attendu que l'appel, régulier en la forme, est recevable, ainsi que les appels incidents ;

. 2 - attendu qu'il est établi par les pièces du dossiers :

. que les époux Guijaro ont remis le 15 octobre 1994 à l'hypermarché Géant Casino de La Foux une pellicule de marque Kodak à développer dans une pochette n° 132858 ;

. que le 9 décembre 1994, leur pellicule et les travaux photographiques correspondant n'ont pu leur être restitué par le magasin Casino pour motif d' " inversion " commise par leur laboratoire de traitement sous traitant, la société Kodak ;

. que les époux Guijarro, mariés le 1er octobre 1994 démontrent par l'achat de billets d'avion et de facture d'agence de voyage la réalité de leur voyage effectué entre le 2 et le 12 octobre 1994, et des présomptions suffisantes de ce que la pellicule litigieuse était relative à un reportage amateur de leur voyage de noce ;

. 3 - Attendu que la société Casino oppose aux réclamations des époux Guijarro la clause de dédommagement forfaitaire imprimée sur le reçu à conserver de la pochette éditée par le laboratoire Kodak sous le titre Libre Service Photo, ainsi libellé pour l'essentiel " la non restitution de tous clichés confiés donnera lieu à un dédommagement représenté par un film vierge et par son traitement gratuit (ou leur contre-valeur) " ;

Attendu que cette clause est susceptible d'être décrétée d'abus dans la mesure où elle a pour objet ou pour effet de " limiter de façon inappropriée les droits légaux du consommateur " vis-à-vis du professionnel en cas de non exécution totale par le professionnel de son obligation contractuelle, ce qui ne dispense pas le demandeur, d'apporter la preuve du caractère abusif de cette clause ;

Attendu qu'en défense, la société Kodak produit un avis du conseil national de la consommation publié au BOCC du 22 février 1989 favorable à l'inscription du texte tel qu'il est entièrement reproduit sur le reçu délivré aux époux Guijarro lors du dépôt du film photographique ;

Attendu toutefois qu'il est écrit dans cet avis qu'il ne s'applique pas aux deux formules de prise en charge des travaux photographiques dites " en libre service " ou " par correspondance " (qui feront l'objet des dispositions spécifiques (sic) et que par conséquent, il ne concerne pas le présent litige ;

Attendu que la preuve du caractère abusif de la clause litigieuse au sens du premier alinéa de l'article L. 132-1 du Code de la consommation est faite si celle-ci a pour objet ou pour effet de créer au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ;que tel est le cas en l'espèce parce que le consommateur qui dépose ses travaux selon la formule du " Libre Service " rappelée sur la pochette-ordre qui est mise à sa disposition n'a pas d'autre choix que cette forme de remise dans la boîte de ramassage du Laboratoires Kodak,qu'en effet l'indication figurant en fin de texte, en petits caractères identiques au reste du message, et sans aucune particularité typographique de nature à éveiller l'attention du client, selon laquelle " en cas de travaux ayant une importance exceptionnelle, il est recommandé d'en faire la déclaration lors de leur remise afin de faciliter un négociation de gré à gré " décrit une procédure par nature incompatible avec le mode de collecte imposé au consommateur dans le cadre du Libre Service, qui a pour objectif et pour effet de dispenser la société Casino non seulement de toute investissement en matériel de ramassage et publicitaire - qui demeure la propriété exclusive de la société Kodak - mais de tout service d'accueil et de conseil de sa propre clientèle ;

Attendu que la seule manière pour la société Casino de ne pas limiter de façon fallacieuse, donc appropriée ses obligations contractuelles, et de ne pas générer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat devrait être par exemple de faire figurer, de manière très apparente et non équivoque, dans le cadre des travaux photographiques en libre service, et donc sur la pochette ordre, ainsi que sur le reçu conservé par le client, les indications circonstanciés et précises de nature à renseigner le client sur l'existence d'un personnel qui soit mis réellement à sa disposition, au même lieu et au même horaire et prêt à recevoir " la déclaration afin de faciliter la négociation de gré à gré " ;

Attendu que c'est par conséquent la formule Libre Service Photo incompatible en fait avec la déclaration qui est " recommandée " au client sous peine de forfaitisation de la non-exécution contractuelle, qui constitue précisément un déséquilibre significatif au détriment du client lequel n'a en réalité aucun autre choix, éclaire que de glisser la pochette dans la boîte ou ne pas obtenir le développement de son film ;

Attendu que l'affirmation - vague et non établie concrètement - par la société Casino de l'existence d'un service d'accueil n'est pas suffisante pour corriger le caractère intrinsèquement abusif de la clause, ni rétablir au profit du consommateur, par une information complémentaire et exclusive de toute ambiguïté la complète et loyale étendue de ses droits ;

Attendu par conséquent que la clause litigieuse abusive au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation est réputée non écrite et que l'indemnisation du dommage subi par les époux Guijarro, qui doit être intégrale, dans le cadre de l'article 1149 du Code civil, a été correctement évaluée par le premier juge compte tenu de la nature et de la valeur affective du reportage photographique, avec tous les aléas qui accompagnent les prises de vue réalisées par un amateur quelconque ;

. 4 - Attendu en revanche que cette solution n'a pas d'application dans les contrats conclu entre professionnel, la société Casino ne pouvant bénéficier des dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la consommation dès lors qu'elle se présente comme prestataire de service en travaux photographiques ;

Attendu que la société Casino ne peut prétendre ignorer les conditions générales du service Laboratoire-travaux grand public, et en particulier la clause limitative de responsabilité au cas de non restitution des travaux, qui est expressément et identiquement reprise sur les pochettes destinées aux clients de l'hypermarché et d'ailleurs invoquée par la société Casino elle-même à l'encontre des époux Guijarro ;

Attendu qu'il s'ensuit que l'action en garantie de la SNC Géant Kodak est limitée à un dédommagement représenté par un avoir d'un montant équivalent à la valeur d'une pellicule et d'un traitement ;

. 5 - Attendu que la SNC Géant Casino et la société Laboratoires et Services Kodak qui succombent pour l'essentiel supporteront les entiers dépens ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement ; Reçoit l'appel principal et les appels incidents ; Déclare abusive au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation la clause limitative de responsabilité opposée par la SNC Géant Casino aux époux Guijarro ; La déclare valable et opposable à la SNC Géant Casino par la société Laboratoires et Services Kodak ; En conséquence, confirme le jugement sur l'action principale ; La réforme sur l'action en garantie ; Statuant à nouveau, Condamne la société Laboratoires et Services Kodak à rembourser à la SNC Géant Casino la valeur de la pellicule vierge et du traitement litigieux ; Y ajoutant, condamne in solidum la SNC Géant Casino et la société Laboratoires et Services Kodak à payer aux époux Guijarro la somme de 5 000 F (cinq mille francs) en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ; Rejette le surplus de leurs prétentions ; Condamne la SNC Géant Casino et la société Laboratoires et Services Kodak par moitié chacune à l'ensemble des dépens de la procédure ; Autorise la SCP Aube Martin Bottai & Gereux, avoué, à recouvrer directement contre celle-ci, le montant de ses avances.