CCE, 30 octobre 1997, n° M.991
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Promodes/Casino
LA COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,
1. Le 17 septembre 1997, le groupe français Promodes a notifié auprès de la Commission un projet d'opération consistant en l'acquisition du contrôle du groupe français Casino, au moyen d'une offre publique d'achat (OPA). Le même jour, Promodes a notifié également un projet d'acquisition du contrôle de la société française Rallye, par OPA. Rallye est l'actionnaire de référence de Casino (28,8 % de son capital et 36,3 % des droits de vote ). Cependant, le 28 octobre 1997, Promodes a informé la Commission qu'il retirait la notification concernant son projet d'acquisition de Rallye.
2. Le 9 octobre 1997, la République française, en application de l'article 9 du règlement du Conseil sur le contrôle des concentrations du 21 décembre 1989, notamment ses paragraphes 1, 2 et 3, a demandé à la Commission le renvoi des deux concentrations pour ce qui concerne le secteur de la distribution au détail. La République française considère que les opérations en cause menacent de créer une position dominante susceptible d'entraver la concurrence dans un certain nombre de marchés situés à l'intérieur du territoire français.
3. La Commission a considéré que l'opération Promodes/Rallye ne pouvait être renvoyée en raison du retrait de la notification annoncé le 28 octobre 1997 et a décidé de renvoyer l'opération Promodes/Casino à l'Etat membre concerné par décision adoptée le même jour que la présente décision, suivant l'article 9 du règlement du conseil n° 4064-89.Sur les marchés géographiques qui ont été identifiés, la Commission a considéré que la concentration notifiée menace de créer ou de renforcer une position dominante qui pourrait entraver significativement la concurrence.
4. S'agissant des parties de la concentration qui n'ont pas donné lieu à un renvoi aux autorités compétentes de la République française, la Commission a abouti à la conclusion que le projet d'opération entre dans le champ d'application du règlement du conseil n° 4064-89 et ne soulève pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun.
I. LES ENTREPRISES CONCERNÉES
5. Promodes est constitué d'un groupe d'entreprises de distribution de produits alimentaires et non alimentaires, de gros et de détail, à l'attention des particuliers et des professionnels (notamment les restaurateurs). La plus grande partie de ses activités porte sur la vente au détail des biens de consommation courante par grandes surfaces (hypermarchés et supermarchés), magasins de proximité en libre service et magasins de discompte. Bien que le groupe soit présent dans plusieurs pays d'Europe (Espagne, Portugal, Italie,...), la France reste son principal pays d'implantation. Dans cet Etat membre, néanmoins, il a abandonné l'exploitation des magasins de discompte.
6. Casino comprend plusieurs sociétés de distribution au détail exploitant des grandes surfaces (hypermarchés et supermarchés), des magasins de proximité en libre service et des magasins de discompte. Le groupe est également actif dans la restauration (cafétérias). Dans l'Union européenne, il est présent seulement en France où son réseau de magasins vient de s'accroître par l'acquisition récente des enseignes Franprix et Leader Price, auprès du groupe américain TLC Beatrice International et de la famille Baud. Le capital de Casino est actuellement réparti entre la société Rallye (28,8 % du capital et 36,3 % des droits de vote), les descendants du fondateur de l'enseigne, M.Geoffroy Guichard (ensemble 7,9 % du capital et 15,6 % des droits de vote) et le public.
II. L'OPERATION
7. Par une offre publique d'achat lancée officiellement le 9 septembre 1997, Promodes envisage d'acquérir la totalité du capital de Casino, sinon les actions représentant au moins 50,1 % des droits de vote dans cette entreprise. Dans le cas où l'offre recevrait une suite positive, Promodes acquerra le contrôle de Casino.
8. Il s'ensuit que l'opération envisagée constitue une concentration au sens de l'article 3 paragraphe 1 du règlement sur le contrôle des concentrations.
III. DIMENSION COMMUNAUTAIRE
9. Promodes et Casino réalisent sur le plan mondial un chiffre d'affaires combiné total d'un montant supérieur à 5 milliards d'Ecus (Promodes : 15 945 millions d'Ecus; Casino : 10 294 millions d'Ecus). Le chiffre d'affaires total réalisé individuellement par chacune des deux entreprises concernées dépasse un montant de 250 millions d'Ecus ((Promodes : 15 476 millions d'Ecus; Casino : 9 257 millions d'Ecus). Les entreprises concernées ne réalisent pas plus des deux tiers de leur chiffres d'affaires communautaires respectifs dans un seul et même État membre (Promodes réalise 64 % de son chiffre d'affaires communautaire en France et Casino 100 %).
10. L'opération notifiée constitue une concentration de dimension communautaire au sens de l'article 1 du règlement sur le contrôle des concentrations.
IV. LES MARCHES DE PRODUITS ET GEOGRAPHIQUES CONCERNES
A. Les marchés de produits en cause.
11. Les secteurs d'activités concernés sont les suivants : principalement le commerce de détail de biens de consommation courante, mais également la restauration par cafétérias; la distribution aux professionnels et aux collectivités de produits alimentaires et non alimentaires; la commercialisation de viande et l'embouteillage des vins.
a) S'agissant des activités autres que le commerce de détail, il n'est pas nécessaire de s'interroger sur la définition du marché pertinent.
12. En effet, l'acquéreur Promodes n'est pas présent dans les activités de restauration et de commercialisation de viande et Casino n'exerce pas d'activités dans la distribution aux professionnels. En outre, si les groupes Casino et Promodes ont tous les deux des activités d'embouteillage de vins, les activités d'embouteillage de Promodes sont exclusivement réservées au groupe et ne sont pas destinées au marché libre.
13. En conséquence, dans la mesure où l'opération ne soulève pas de doutes sérieux quant au risque de création ou de renforcement de position dominante dans le Marché commun, ou dans une partie substantielle de celui-ci, la question de la détermination précise de ces activités, en termes de marchés de produits pertinents, peut rester ouverte.
b) Le commerce de détail de biens de consommation courante
14. Les groupes Promodes et Casino sont tous deux principalement actifs dans le commerce de détail en libre service à dominante alimentaire. Ce secteur représente pour chaque groupe au moins 90 % de ses activités en France. Les entreprises concernées y sont présentes à travers l'exploitation directe ou par franchise de magasins de différents formats, hypermarchés, supermarchés, petits libres-services de proximité, magasins de discompte. Pour sa part, la partie notifiante identifie, en aval, le marché de la distribution de détail et, en amont, le marché des approvisionnements. Comme la Commission a déjà eu l'occasion de l'indiquer(voir notamment l'affaire n° IV-M.946 - Intermarché/Spar), il existe une interdépendance entre la distribution et l'approvisionnement en produits de consommation courante. Les volumes d'achat des détaillants étant liés à leurs parts de marché, leur position en aval joue un rôle déterminant dans leur position par rapport aux producteurs. Corollairement, la puissance d'achat est un critère de référence dans la négociation des conditions d'achat qui sont accordées aux distributeurs par leurs fournisseurs. Ces conditions d'achat constituent elles-mêmes un facteur de détermination des prix de revente au consommateur et exercent par conséquent une influence notable dans le jeu de la concurrence entre les distributeurs. En conséquence, il convient de prendre en compte en aval la vente au détail des biens de consommation courante (relations distributeurs/consommateurs finals) et en amont l'approvisionnement en ces produits par les distributeurs (relations distributeurs/fournisseurs).
b.1) La vente au détail des biens de consommation courante par libre service
15. La Commission a déjà eu l'occasion de considérer, dans des affaires précédentes, qu'il existe un marché distinct qui correspond à la distribution au détail de produits alimentaires et d'articles ménagers non alimentaires de consommation courante, visant à la satisfaction des besoins récurrents des ménages. Les produits alimentaires faisant partie du panier de biens de consommation courante représentent une partie importante des produits offerts et achetés. En conséquence, ce marché s'oppose au commerce de détail dont la vente de produits alimentaires n'est pas la dominante. Il ne comprend pas non plus le commerce spécialisé, soit d'articles alimentaires, soit d'articles non alimentaires, qui ne fournit pas le panier de biens de consommation courante.
16. Dans de précédentes décisions, la Commission a également constaté l'existence de différentes catégories de commerce de détail alimentaire et non alimentaire, qui se distinguent notamment selon le mode d'exercice du point de vente (en libre-service ou par l'intermédiaire d'un vendeur), la diversité des familles de produits offerts, la largeur des assortiments et la taille des surfaces de vente. Une distinction peut être ainsi effectuée entre les petits commerces spécialisés, les petites surfaces de proximité (petits libres-services et supérettes), les moyennes et les grandes surfaces, et les points de vente pratiquant le discompte.
17. Comme indiqué plus haut aux points 2 et 3, le marché de la vente au détail des biens de consommation courante, dans ses conséquences en France au niveau de l'aval, a fait l'objet d'une décision séparée de renvoi aux autorités françaises, compte tenu des effets qu'un rapprochement entre Promodes et Casino seraient susceptibles de créer à l'intérieur du territoire français. Au cas présent, seule la France est concernée par un tel rapprochement dans la mesure où Casino exerce ses activités de distribution de détail dans la Communauté seulement dans cet Etat membre.
b.2) L'approvisionnement en biens de consommation courante
18. S'agissant des approvisionnements en biens de consommation courante, s'il peut arriver que certains groupes de distribution produisent eux-mêmes certains produits qu'ils commercialisent au sein de leurs réseaux, ce phénomène reste très limité par rapport à aux approvisionnements qu'effectuent les distributeurs auprès des producteurs. Ces derniers vendent leurs biens de consommation courante à une clientèle de grossistes, de détaillants et d'autres entreprises, et sont généralement spécialisés dans des produits ou des groupes de produits particuliers.
19. Du côté de la demande, il existe une distinction entre chaque produit ou groupe de produits dont la substituabilité à d'autres produits ou groupes de produits est imparfaite ou inexistante. [voir notamment les affaires Kesko/Tuko (IV-M.784) -JOCE L 110 26/04/1997-, Rewe/Billa (IV-M.803), et Intermarché/Spar (IV-M.946)] En conséquence, chaque produit ou groupe de produits constitue à lui seul un marché distinct. Cependant, étant donné que la demande ne varie pas substantiellement d'un groupe de produits à l'autre, et compte tenu de la structure de la demande, la Commission considère qu'il convient d'apprécier la puissance d'achat des parties à la concentration sur les biens de consommation courante pris dans leur ensemble.
20. Par ailleurs, si les fournisseurs approvisionnent diverses catégories distinctes de commerce en libre service, ils offrent en général les mêmes gammes de produits, et seule leur étendue varie selon les catégories de commerces. En conséquence, la Commission considère qu'il n'y a pas lieu de distinguer entre les différentes catégories de commerce concernées. Enfin, dans la mesure où les fournisseurs peuvent disposer d'autres canaux de distribution [ainsi les commerces non alimentaires généralistes ou spécialisés, le petit commerce spécialisé] que les formes de commerce concernées par l'opération, notamment en produits non alimentaires, la question pourrait être soulevée de savoir s'il convient d'englober ces autres canaux du côté de la demande ou au contraire de les distinguer. Cependant au cas présent cette question peut rester ouverte car même en retenant la configuration la plus étroite concernant la demande, c'est à dire seulement le commerce à dominante alimentaire en libre service, l'opération, au niveau des approvisionnements, ne soulève pas de doutes sérieux.
B. Les marchés géographiques concernés
a) S'agissant des activités autres que le commerce de détail
21. S'agissant de ces activités mentionnées au point 12, la question de la détermination précise des marchés géographiques en cause peut rester ouverte, dans la mesure où l'opération ne soulève pas de doutes sérieux quant au risque de création ou de renforcement de position dominante dans le Marché commun, ou dans une partie substantielle de celui-ci.
b) La vente au détail des biens de consommation courante par libre service
22. Comme indiqué précédemment, les groupes Promodes et Casino sont tous deux principalement actifs dans le commerce de détail en libre service à dominante alimentaire. La Commission a considéré que les marchés géographiques à prendre en considération sont de dimension locale. En l'espèce, les effets des opérations en cause ne concernent que la France, et les zones géographiques pour lesquelles un rapprochement entre Promodes et Casino est susceptible de créer des problèmes de domination ont fait l'objet d'une décision séparée de renvoi aux autorités françaises en vertu de l'article 9 du règlement. Cependant, la délimitation géographique au niveau local ne fait pas obstacle au fait de s'interroger sur le cadre géographique qu'il convient de retenir pour examiner les effets de l'opération au niveau amont de l'approvisionnement.
c) L'approvisionnement en biens de consommation courante
23. D'une manière générale, les centrales d'achat des groupes de distribution ou les détaillants affiliés au sein de ces groupes ont des politiques d'approvisionnement qui peuvent consister en des relations commerciales locales, régionales, nationales ou internationales. Les producteurs peuvent être de petites et moyennes entreprises implantés localement, des fournisseurs de dimension nationale ou des entreprises de taille européenne, voire mondiale. Cependant, dans ce dernier cas, ils s'avèrent que ces entreprises ont généralement des filiales installées en France qui gèrent les négociations commerciales avec les distributeurs et s'occupent des ventes, sinon de la production dont tout ou partie peut s'effectuer en France.
24. Il conviendrait de distinguer selon l'étendue géographique de l'activité des fournisseurs, l'achat de produits frais périssables possédant souvent une dimension locale ou régionale, alors que l'achat d'autres produits a lieu généralement auprès de producteurs ou de fournisseurs nationaux. Par ailleurs, le regroupement de centrales d'achat ou de référencement au sein d'alliances internationales tend à susciter une demande susceptible de s'exprimer à une échelle plus large que le territoire national, notamment auprès des fabricants de produits dits "Eurobrands".
25. Cependant, l'existence de différences importantes d'un État membre à l'autre, notamment dans la composition et l'emballage des produits, les habitudes ou le goût des consommateurs, constituent encore un frein à l'émergence d'un marché de dimension communautaire. En outre, il n'apparaît pas nécessaire à la Commission d'effectuer une analyse à un niveau local, dans la mesure où les conditions générales d'achat sont négociées et les référencements sont effectués à un niveau national dans la majeure partie des cas. Même s'agissant des produits frais périssables, soit les centrales d'achat négocient avec des regroupements nationaux représentant les fournisseurs locaux ou régionaux, soit, lorsque les relations entre l'offre et la demande peuvent se faire localement ou en fonction de spécificités locales, ces relations concernent généralement seulement une part limitée des produits. Par ailleurs, la Commission a pu constater que, pour chacune des entreprises concernées, la grande majorité de leurs trois premiers fournisseurs, mentionnés pour chacun de 19 principaux groupes de produits, suite à la demande de la Commission, sont des sociétés de dimension au moins nationale ou vendent des produits de marques de renommée au moins nationale.
26. Pour l'ensemble de ces raisons, la Commission considère que les effets d'un rapprochement entre Promodes et Casino, au niveau amont de la distribution de détail, à savoir les approvisionnements, doit s'effectuer, dans le contexte actuel du marché, dans le cadre national.
V. ANALYSE ET COMPATIBILITE AVEC LE MARCHE COMMUN
a) Les activités autres que le commerce de détail (mentionnées aux points 12 et 21)
27. S'agissant de la restauration par cafétérias, seul le groupe Casino est présent dans l'activité à travers 222 restaurants. Son chiffre d'affaires en France représenterait moins de 2 % de la restauration commerciale hors foyer et moins de 10 % de la restauration commerciale hors restauration traditionnelle.
28. S'agissant de la commercialisation de viande, seul le groupe Casino exerce cette activité via sa filiale Sabim. Une proportion significative de ses ventes hors groupe est réalisée à l'exportation.
29. Casino a également des activités d'embouteillage pour son groupe et pour les tiers via la société Les Chais Beaucairois. La plus grande partie de ses ventes hors groupe est réalisée hors de France.
30. S'agissant de la distribution aux professionnels de produits alimentaires et non alimentaires, seul Promodes exerce une telle activité. Ses filiales Prodirest et Primo approvisionnent la restauration commerciale et la restauration collective par livraisons directes chez les clients. Sa filiale Promocash est une entreprise grossiste alimentaire en libre service, cash and carry, dont la clientèle est essentiellement constituée de restaurateurs commerciaux (cafés hôtels restaurants). Casino n'est pas présent en France dans de tels secteurs d'activités.
31. Il s'ensuit que pour toutes les activités mentionnées ci-dessus, l'opération en cause ne soulève pas de doutes sérieux quant au risque de créer ou de renforcer une position dominante dans le Marché commun, ou dans une partie substantielle de celui-ci.
b) La vente au détail des biens de consommation courante par libre service
32. S'agissant du commerce de détail de biens de consommation courante assuré par les magasins à dominante alimentaire, comme dit précédemment, la Commission considère que le rapprochement entre Promodes et Casino présente le risque de création ou de renforcement de position dominante dans différents marchés locaux situés à l'intérieur du territoire français. Compte tenu de la demande émanant de la France et de la décision de renvoi rendue au titre de l'article 9 du Règlement, il revient aux autorités de concurrence françaises d'examiner les effets d'un tel rapprochement au niveau des marchés considérés, et de prendre, si nécessaire, les mesures appropriées en vertu de l'article 9 §8 du règlement.
c) L'approvisionnement en biens de consommation courante
c.1) Le cadre structurel en France
33. Ainsi que la Commission l'a considéré plus haut (voir le point 14), il existe une interdépendance entre la distribution et l'approvisionnement en produits de consommation courante; les volumes d'achat des détaillants étant liés à leurs parts de marché, leur position en aval joue un rôle déterminant dans leur position par rapport aux producteurs. En conséquence, en vue d'apprécier la position des distributeurs au niveau de l'approvisionnement, la part de marché de ces derniers au niveau du détail et dans un cadre national est un élément à prendre en considération. Il convient également de prendre en compte l'existence de grandes centrales d'achat et/ou de référencement.
34. Au niveau national, en France, le marché de la distribution au détail de biens de consommation courante est animé par un nombre important de détaillants, qui en règle générale, soit sont intégrés à un groupe, soit sont associés au sein d'un groupement, soit sont franchisés au sein de tel ou tel groupe. Ces groupes ou groupements présentent chacun une ou plusieurs enseignes communes, et exploitent des magasins de formats divers (hypermarchés, supermarchés, supérettes, libres-services, discomptes parfois).
35. Certains de ces groupes ou groupements, qui sont les plus puissants, ont une assise nationale et sont les suivants : le Galec Leclerc, le groupement Intermarché qui a acquis le contrôle du groupe allemand Spar Hendels AG, le groupe Auchan Docks de France, le groupement d'associés Système U, le groupe Comptoirs Modernes, le groupe Cora Match, le groupe Carrefour. Les groupes Promodes et Casino appartiennent à cette catégorie. D'autres entités ont une assise régionale: ainsi l'Union des Coopérateurs d'Alsace en Alsace; les magasins sous enseigne PG (groupe belge Delhaize) dans le Nord de la France; les magasins exploités par la société Guyenne et Gascogne dans le Sud-Ouest de la France, ou encore les magasins du groupe Baud qui viennent d'être repris par Casino essentiellement situés dans la région d'Ile de France.
36. On pourrait déduire de la liste, non exhaustive, des groupes mentionnés ci-dessus que l'offre est éclatée et composée de nombreux acteurs. Cependant, dans les faits, une dizaine de groupes ou groupements représentent près de 90 % du marché. Les cinq premiers représentent ensemble environ les deux tiers. En outre, cette concentration de l'offre au niveau du détail se double d'une concentration de la demande au niveau des approvisionnements qui est même plus importante étant donné le système de partenariat.
37. En France, le secteur amont des approvisionnements se caractérise essentiellement par l'existence de centrales, centrales d'achat et/ou de référencement, qui sont chargées pour le compte de leurs membres de négocier auprès des fournisseurs les conditions d'achat, de référencer les produits, de regrouper les commandes, de rationaliser les approvisionnements des membres, éventuellement de procéder aux achats à un niveau national ou régional. Les fonctions et l'organisation des centrales d'achat et/ou de référencement dépendent de la politique de chaque groupe de distributeurs. En outre, des centrales ont des structures spécialisées (ainsi dans l'alimentaire et le non alimentaire) ou des structures régionales importantes. Certaines d'entre elles peuvent être rattachées à des structures internationales.
38. Si chaque grand groupe ou groupement de distributeurs dispose d'une ou plusieurs centrales d'achat et/ou de référencement, d'autres groupes de taille moins importante ou des indépendants s'affilient à ces centrales afin de compter davantage dans les négociations avec les fournisseurs et/ou de faire jouer les synergies en terme de logistique. La conséquence pratique est qu'en France les fournisseurs ont pour interlocuteurs des clients qui ont souvent un poids plus important au niveau des achats qu'au niveau du détail.
c.2) Les effets d'un rapprochement entre Promodes et Casino
39. Pour autant que les parts de marché constatées en aval, au niveau du détail, fournissent une indication du pouvoir de marché des distributeurs dans leurs relations avec leurs fournisseurs, il apparaît que les entreprises concernées par l'opération, détiennent ensemble au niveau national environ 20,5 % de la distribution de détail à dominante alimentaire(11 % pour Promodes et environ 9,5 % pour Casino en incluant les réseaux Leader Price et Franprix). Leclerc et Intermarché qui détiennent chacun un peu plus de 15 % du marché. Carrefour en détiendrait environ 13 %; ce groupe est l'actionnaire de référence de Comptoirs Modernes qui en représenterait 3 %. Auchan Docks de France aurait 12,5 % du marché.
40. Compte tenu de la forme très développée du commerce assuré par les hypermarchés et les supermarchés en France et vu l'importance du chiffre d'affaires réalisé par de nombreux producteurs (alimentaire, droguerie, parfumerie et hygiène surtout) avec ces types de magasins, il convient d'apprécier en particulier le poids d'un nouveau groupe Promodes-Casino dans ce domaine. Il ressort des informations en possession de la Commission que les groupes concernés, selon la base retenue (nombre de magasins exploités, chiffres d'affaires ou surfaces de vente), et selon les sources parfois divergentes, représenteraient ensemble [Supprimé pour publication : entre 15 et 20 %] des hypermarchés et [Supprimé pour publication : entre 20 et 30 %] des supermarchés.
41. Il convient également de prendre en compte le fait qu'au niveau des achats, les centrales d'achats/référencement des groupes peuvent avoir des partenaires, et qu'en conséquence ces centrales ont un poids plus important que la part de marché des distributeurs au niveau du détail le laisse supposer.
42. Selon la partie notifiante, aucune entreprise tierce par rapport au groupe Promodes ne participe à sa centrale. En réalité, le réseau sous enseigne de Prisunic a été partenaire de Promodes au moins jusqu'au 10 octobre 1997 pour un certain nombre d'achats, mais ce partenariat n'aurait porté que sur des montants marginaux. De son côté, Casino a plusieurs partenaires affiliés à l'une et/ou l'autre de ses centrales. Il s'agit notamment de Monoprix (seulement pour une partie de ses achats selon les déclarations de cette entreprise) auquel vient de s'unir Prisunic, de la centrale Francap qui comprend elle-même divers adhérents, du groupe des Coopérateurs de Normandie-Picardie (seulement pour certaines enseignes selon les déclarations de ce groupe). En outre, depuis la reprise des réseaux Franprix et Leader Price en septembre 1997, Casino a désormais des liens étroits avec la centrale Baud, de structure centralisée essentiellement nationale, qui assurait les achats pour le compte de ces enseignes au moins jusqu'à la date de la notification des présentes affaires.
43. Compte tenu de ces diverses affiliations, les groupes Promodes et Casino représenteraient ensemble dans la distribution à dominante alimentaire, une part combinée de marché de 20-21 %, à laquelle il faudrait alors ajouter près de 5 % pour leurs partenaires. Sur cette base, la puissance de marché au niveau de l'approvisionnement serait donc d'environ 25 à 26 %,chiffres également fournis par des producteurs. Il ressort en outre des informations données par des producteurs que de tels taux correspondent en effet à la proportion des achats cumulés des deux groupes dans le chiffre d'affaires de certains fournisseurs. Cependant, un taux de 26 % est atteint ou dépassé dans un nombre réduit de cas, du moins selon les réponses fournies, et la moyenne des réponses obtenues donne un niveau moyen d'achats de l'ordre de 21 % (sachant que certains fournisseurs ont intégré des affiliés et d'autres pas.) En tout état de cause, ces taux ne sont pas en soi indicateurs d'une position dominante susceptible d'entraver une concurrence significative.
44. Des producteurs ont fait savoir à la Commission que le rapprochement des deux groupes concernés va conduire à la disparition d'un client indépendant et à la création d'un nouvel acheteur puissant qui se placera au premier rang des distributeurs par rapport aux fournisseurs. Certains fournisseurs ont exprimé auprès de la Commission leurs inquiétudes sur la réduction de leurs possibilités de choix, et leurs craintes de voir leurs accès aux débouchés se limiter ou la pression s'accentuer dans les négociations.
45. Il est certain que le rapprochement va conduire à une modification substantielle de la situation qui prévalait jusqu'à présent, d'autant que les centrales d'achat des deux groupes ont un nombre significatif de fournisseurs communs. Toutefois, la formation d'un nouveau groupe constituant un client puissant, et incontournable selon certains professionnels, ne signifie pas que ce dernier détiendra une position dominante en matière d'approvisionnement, susceptible de lui permettre de s'abstraire de la concurrence exercée par les autres distributeurs et du contrepoids exercé par les offreurs. Les fournisseurs, qui ont manifesté leurs craintes d'une pression très forte sur les conditions d'achat, n'ont par ailleurs pas établi dans quelle mesure cette pression pourrait avoir des répercussions négatives au niveau du consommateur final.
46. Par ailleurs, le rapprochement des deux groupes pourrait se traduire par un certain regroupement de magasins sous une même enseigne, par des départs de franchisés, ou des sorties d'affiliés des centrales d'achat. Dans cette hypothèse, que la partie notifiante estime fondée, le volume théorique issu du regroupement des achats actuels devrait donc diminuer. Même si la situation ci-dessus ne se produisait pas, d'autres éléments viennent contrebalancer le point de vue selon lequel le nouveau groupe pourrait être en position de dicter ces conditions d'achat et d'entraver l'exercice de la concurrence.
47. Ainsi, il existe à côté des deux groupes concernés d'autres organisations d'achat et de revente qui constituent à la fois des concurrents significatifs des parties à la concentration et des clients importants des fournisseurs. Les 4 premières organisations d'achat venant après la nouvelle entité issue de la présente opération représenteraient respectivement un poids de marché de 17,9 %, 15,3 %, 15,1 % et de 14,1 %. Compte tenu d'une certaine flexibilité qui paraît prévaloir dans les systèmes d'affiliation aux centrales d'achat/référencement, ces poids peuvent se modifier rapidement en fonction du passage des magasins d'une enseigne donnée ou d'un groupe donné à l'enseigne d'un autre groupe. Ce phénomène conduit à des changements de centrales d'achat et à une variation de leur puissance d'achat. L'exemple le plus récent, annoncé par la presse du 30.09.1997, étant la nouvelle affiliation de magasins des entreprises Guyenne et Gascogne, Coop Atlantique et Charenton auprès de la centrale d'achat de Carrefour, et aux dépens de la centrale d'achat d'Auchan.
48. De plus, il ressort des informations de la Commission que, si Promodes et Casino distribuent des produits vendus sous leurs propres marques, les ventes sont largement dominées par les produits sous marques des producteurs(les marques de distributeurs représenteraient globalement 25 à 27 % des ventes pour Casino, 21 % pour les hypermarchés de ce groupe, moins de 18 % des ventes des principales enseignes de Promodes). En règle générale, d'après les réponses fournies par les producteurs, il apparaît qu'une grande partie des marques offertes sont des marques connues et appréciées, de notoriété nationale, ou régionalement réputées, pour lesquelles il est de l'intérêt des distributeurs de les offrir en rayon.
49. Par ailleurs, les principaux produits vendus par les trois premiers fournisseurs des entreprises concernées (pour chacun de 19 grands groupes de produits), non seulement portent généralement des noms de marques connues, mais aussi appartiennent à des producteurs réputés au moins nationalement et qui souvent sont bien implantés dans les secteurs en cause, du moins sur la base des parts de marché qu'ils estiment détenir en France.
50. Pour toutes ces raisons, même s'il est indéniable que par un rapprochement avec Casino, Promodes augmentera sa puissance d'achat de manière importante en France, et occupera dans un cadre national le premier rang à la fois au niveau aval du détail et au niveau amont des achats, au moins dans le domaine de la distribution de produits de consommation courante, cette situation ne constitue pas une position dominante susceptible d'entraver de manière sensible la concurrence effective dans le Marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci.
VI. CONCLUSION
51. Pour les raisons exposées ci-dessus, la Commission décide, s'agissant de toutes les activités concernées par l'opération en cause, à l'exception de la distribution au détail en France au niveau des marchés locaux identifiés par les autorités françaises, de ne pas s'opposer à l'opération notifiée et de la déclarer compatible avec le Marché commun. Cette décision est rendue sur la base de l'article 6, paragraphe 1, point b du règlement du Conseil (CEE) n° 4064-89.