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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 30 octobre 1997, n° 95-11502

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Henkel France (SA)

Défendeur :

Dassas Publicité (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclerq

Conseillers :

MM. Bouche, Breillat

Avoués :

SCP Faure-Arnaudy, SCP Roblin-Chaix de Lavarenne

Avocats :

Mes Schrimpf, Fraysse.

T. com. Paris, du 2 mars 1995

2 mars 1995

Par contrat des 29 juillet et 1er août 1980 la société Dassas Publicité a confié à la société VGS-Vademecum dont les droits et obligations ont été repris par la société Coparel puis sur avenant du 23 décembre 1992 par la société Henkel France son locataire-gérant, la gestion des budgets publicitaires des produits cosmétiques des marques Vademecum et autres et notamment la négociation et l'achat d'espaces publicitaires ;

Au début de chaque année l'annonceur faisait connaître à l'agence le montant prévisionnel hors taxes de son budget pour l'année sur la base duquel était calculée une commission de 10 % payée par mensualités multipliées par un coefficient de 0,85 et donnant lieu à des ajustements à la hausse ou à la baisse en fin d'année en fonction de la réalisation effective des investissements et en particulier des achats d'espaces.

Par courrier du 13 janvier 1993 la société Henkel a informé la société Dassas de ce qu'elle reconduisait pour l'année 1993 son budget prévisionnel de 31 250 000 F de l'année 1992 mais qu'elle envisageait de résilier le contrat. Le 22 janvier suivant elle notifiait une résiliation à effet du 28 juillet 1993 respectant ainsi le délai contractuel de six mois.

La société Dassas a perçu au cours du premier semestre de l'année 1993 des commissions d'un montant hors taxes de 1 372 200 F. Elle a réclamé à la société Henkel un solde de 1 544 124,56 F par assignation du 7 février 1994. La société Henkel, considérant au contraire qu'elle avait versé plus qu'elle ne devait, a formé une demande reconventionnelle en restitution d'une somme de 202 420,30 F.

Par jugement du 2 mars 1995 le Tribunal de commerce de Paris a condamné la société Henkel France à payer à la société Dassas Publicité la somme de 456 561,37 F, toutes taxes comprises avec intérêts au taux légal à compter du 7 février 1994 ainsi que 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Henkel France a relevé appel de cette décision dont le tribunal a exclu l'exécution provisoire.

Elle se prévaut du contrat, et plus particulièrement de son article V, de l'obligation de loyauté dans l'exécution des dispositions contractuelles pendant le préavis et des usages professionnels pour soutenir que la société Dassas Publicité n'est pas fondée à exiger pour l'année 1993 un montant de commissions identique à celui de l'année précédente, puisque le budget de référence n'est que prévisionnel et doit être ajusté et que les premiers juges ont eu tort de confondre ce qui n'était qu'un budget agréé avec la rémunération effective de l'année précédente;

L'appelante demande par ailleurs que l'attestation de Victor Adjoubel produite par la société Dassas Publicité soit écartée des débats en raison des rapports que ce témoin entretient avec l'intimée et qu'il s'est gardé d'indiquer;

Elle prétend de même que l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 22 avril 1982 qu'invoque la société Dassas Publicité pour appuyer l'interprétation de la clause V en sa faveur, n'est pas transposable en l'espèce, et que la société Dassas Publicité n'établit pas l'existence d'un abus de droit qu'aurait pu commettre un annonceur qui a respecté loyalement le délai de préavis de six mois et ses obligations contractuelles pendant la période de préavis;

La société Henkel soutient en conséquence que l'agence de publicité ne peut prétendre au paiement de commissions que sur les ordres qui ont été effectivement passés pendant la période de préavis, que le jugement déféré doit être infirmé et que la société Dassas Publicité doit être condamnée à lui restituer la somme de 87 535,10 F augmentée des intérêts au taux légal à compter du 10 novembre 1994, date de sa demande reconventionnelle de première instance et à lui payer 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

La société Dassas Publicité soutient que le contrat type conforme aux usages professionnels auquel la société Henkel se réfère pour calculer le montant des commissions dues pendant la période de préavis, est inapplicable dès lors qu'une convention particulière du 29 juillet 1980 régit les rapports des parties. Elle ajoute que l'article V de cette convention est conforme à l'esprit du contrat type. Elle prétend que la référence contractuelle au dernier budget agréé pour régler les conséquences d'une résiliation du contrat interdit à l'annonceur de diminuer sensiblement son budget publicitaire et de priver ainsi l'agence de publicité de sa légitime rémunération, et observe qu'un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 22 avril 1982 confirme l'interprétation qu'elle donne aux dispositions de l'article V du contrat.

L'intimée utilise à nouveau en appel une attestation de Victor Adjoubel ancien président de la société Coparel VGS, et souligne la clarté de l'interprétation que ce témoin donne de l'intention des parties lorsqu'elles ont signé le contrat d'agence en 1980. Elle réfute la pertinence des critiques de forme de la société Henkel d'autant que l'irrégularité a été régularisée, et précise que Victor Adjoubel n'est pas administrateur de la société Dassas ou de sociétés du Groupe contrairement à ce que la société Henkel insinue.

La société Dassas Publicité se réfère en conséquence au budget publicitaire de la période de janvier à juillet 1992, d'un montant de 28 608 600 F, pour réclamer, sur appel incident, une somme de 2 860 860 F hors taxes, dont elle admet qu'il faille déduire celle de 1 558 900 F hors taxes qu'elle a effectivement perçue.

Elle demande donc la condamnation de la société Henkel à lui payer la somme de 1 544 124,56 F toutes taxes comprises augmentée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 15 décembre 1993 ainsi que 60 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et la publication de l'arrêt à intervenir dans deux publications d'un coût total maximum de 50 000 F hors taxes aux frais de la société Henkel;

MOTIFS DE LA COUR

Considérant que l'article V du contrat d'agence du 29 juillet 1980 dispose : " Pendant le délai éventuel de préavis (six mois), l'Agence continuera à exécuter loyalement les ordres de l'Annonceur et sera rémunéré en application des règles définies;

" A ce propos, le dernier budget agréé par les deux parties avant la date du préavis sera pris en considération. L'annonceur ne passera pas à un autre agent de publicité les ordres qui auraient du être exécutés par l'Agence pendant la durée du préavis ".

Que les parties ont convenu de définir annuellement un budget servant de base provisoire de calcul de la rémunération de l'agence de publicité; qu'un échange de courriers dont plusieurs exemplaires incontestés sont versés aux débats, faisait chaque année la loi des parties qu'il en est ainsi des lettres de la société Coparel des 25 janvier 1990, 18 janvier 1991 et 16 décembre 1991, toutes conçues sur le même principe d'une rémunération mensuelle provisoire et d'ajustements en fin d'année, en fonction de la réalisation effective des prestations;

Que l'investissement publicitaire de la société Coparel faisait donc l'objet d'une évaluation prévisionnelle en début d'année qui pouvait varier au stade de l'exécution à la hausse comme à la baisse, en fonction en particulier des prix d'achat d'espaces qui n'étaient pas connus lors de l'adoption du budget prévisionnel; que la société Dassas Publicité adressait chaque mois à sa cliente une facture d'un montant égal à un douzième de la commission annuelle telle qu'elle pouvait être calculée sur la base du budget prévisionnel convenu, mais réduit par prudence par utilisation d'un coefficient multiplicateur de 0,85; qu'un réajustement intervenait en fin d'année pour tenir compte de la réalité des investissements et des prix effectifs d'achat des espaces;

Considérant que , par courrier du 13 janvier 1993 la société Henkel a informé la société Dassas Publicité que son budget prévisionnel serait de 31 250 000 F identique à celui de l'année 1992, qui était quant à lui en nette progression par rapport à celui de l'année 1991;

Qu'en réponse à sa lettre de résiliation du 22 janvier 1993, la société Dassas Publicité lui a précisé :

" conformément aux dispositions du contrat, et ainsi que je vous l'ai déjà précisé (lettre du 18 janvier 1993) la rémunération de l'Agence pendant ce préavis devra être identique à celle de la dernière période agréée, c'est-à-dire janvier-juillet 1992.

" celui-ci a été d'environ 2 500 000 F alors que vos prévisions pour 1993 correspondent à des honoraires d'environ 1 800 000 F pour cette période.

" Il sera donc nécessaire de procéder au réajustement correspondant qui pourra se faire à votre convenance ".

Que la société Henkel a manifesté dès le 2 février 1993 son désaccord.

Considérant que le 13 décembre 1993 la société Dassas Publicité a indiqué à la société Henkel, sur la foi de documents fournis par la société Coparel qui n'ont jamais été contestés, que les investissements publicitaires réalisés avec le concours de la société Dassas Publicité de janvier à juillet 1992 avaient été de 28 608 600 F ;

Qu'elle prenait ainsi pour référence un budget ajusté pour facturer, pour les six premiers mois de l'année 1993 précédant la date d'effet de la résiliation, les 2 860 000 F de commissions au taux de 10 % qu'elle estimait lui être dues en application de l'article V du contrat, dont elle déduisait les 1 558 900 F qu'elle avait perçus hors taxes, et pour réclamer paiement d'un solde de 1 301 960 F hors taxes ou 1 544 124,56 F toutes taxes comprises;

Que la société Henkel a refusé de procéder au règlement de ce solde calculé en fonction d'une interprétation de l'article V du contrat qu'elle conteste.

Considérant que la société Dassas prétend que la clause V lui attribue pendant le préavis une rémunération fixe basée sur le dernier budget convenu entre les parties, quelque soit le montant effectif des investissements réalisés pendant ce préavis; que vouloir écarter la référence contractuelle au budget agréé avant le préavis au motif que le contrat-type du 19 septembre 1991 ne prévoit pas une telle clause serait oublier que ce contrat-type ne s'applique qu'à défaut de convention écrire ou de stipulation contractuelle contraire;

Que la société Henkel au contraire observe que la société Dassas Publicité préconise une application tronquée de l'article V du contrat, en omettant de se référer aux " régies définies ", c'est-à-dire selon elle, aux dispositions habituelles qui prévoient notamment que la rémunération définitive est calculée sur les investissements effectivement réalisés durant la période concernée;

Considérant que le second alinéa de l'article V fait référence non pas à la dernière rémunération mais au dernier budget agréé par les parties; que cette distinction est essentielle puisqu'au début de chaque année, les parties arrêtent un budget prévisionnel dont le montant détermine la facturation provisionnelle mensuelle de l'agence de publicité, qu'aucun autre budget n'est ensuite établi et que ce n'est qu'en fin d'exercice qu'est réalisé un ajustement des commissions dues aux sommes effectivement dépensées pour les campagnes publicitaires de l'exercice;

Que le dernier budget agréé et la rémunération de l'année précédente sont donc deux notions différentes que le tribunal a assimilées à tort;

Considérant qu'en convenant que " l'Agence continuera à exécuter loyalement les ordres de l'annonceur et sera rémunérée en fonction des règles définies ", les parties ont entendu clairement rappeler leur obligations réciproques de loyauté et le maintien durant le préavis des principes sur la base desquels les prestations de la société Dassas Publicité étaient précédemment payées: versement mensuel provisoire et ajustement en fin d'exercice en augmentation ou diminution selon les réalisations effectives;

Que l'obligation faite aux parties de prendre en considération " le dernier budget agréé " n'a de portée que sur la facturation mensuelle prévisionnelle:que toute autre interprétation rendrait celle clause incompatible avec le renvoi convenu aux régies antérieures;qu'elle précède de surcroît l'engagement pris par l'annonceur de continuer à confier durant le préavis tous les ordres à son agent et procède comme lui de la commune intention des parties de maintenir à l'agent une rémunération mensuelle provisionnelle et une rémunération définitive proportionnelle aux réalisations effectives à l'exemple des années précédentes;

Que l'attestation de Victor Adjoubel versée aux débats ne contredit nullement cette analyse puisque cet ancien dirigeant de la société Coparel aux droits de laquelle se trouve désormais la société Henkel, affirme que " le deuxième alinéa (de la clause V) avait été ajouté à la demande expresse de l'agence qui craignait que pendant la durée des six mois de préavis le budget ne soit considérablement réduit du fait de l'annonceur, la privant ainsi d'une indemnité de résiliation équitable "; que la seconde partie de cet alinéa aurait été inutile si la première devait s'interpréter comme une garantie de percevoir pour la durée du préavis une somme égale à la rémunération définitive d'une période précédente;

Qu'il n'existe aucune ambiguïté; que celle-ci profiterait au surplus à la société Henkel débitrice;

Considérant que la société Dassas Publicité prend ainsi à tort pour référence non pas le budget prévisionnel agréé de l'année 1992, reconduit pour l'année 1993, d'un montant de 31 250 000 F, mais la somme des investissements finalisés des six premiers mois de l'année 1992 qui atteignait 28 608 600 F et avait absorbé la majeure partie du budget prévisionnel agréé ;

Qu'elle n'applique pas ainsi les dispositions contractuelles et s'octroie en réalité dans la mesure où la rémunération revendiquée excède les droits que lui ouvrent ses prestations, une indemnité de résiliation étrangère aux accords du 28 juillet 1990;

Considérant que la référence de la clause au budget agréé témoignait de l'intention commune des parties de prescrire toute réduction dolosive des activités publicitaires pendant les six derniers mois de leur collaboration et de continuer à appliquer, comme par le passé et avec la même loyauté, rappelée par la clause comme par le contrat-type du 19 septembre 1961, les règles qui avaient régi leurs relations durant les exercices précédents;

Que la société Dassas Publicité disposait certes pour l'année 1993 d'un budget prévisionnel d'un montant identique à celui de l'année 1992 mais ne conteste pas qu'il en a été fait un usage restreint au cours du premier trimestre de l'année 1993 contrairement à l'exercice précédant au cours duquel les prestations avait été concentrées sur les six premiers mois de l'année;

Qu'elle n'offre pas de démontrer que la société Henkel, libre de déterminer elle-même la nature et le rythme de ses publicités, ait volontairement freiné ses initiatives publicitaires et ses achats d'espaces durant le premier semestre de l'année 1993 à seule fin de la priver déloyalement des commissions définitives auxquelles elle aurait du pouvoir prétendre;que son action eût été légitime si elle avait apporté la preuve d'un comportement abusif, contraire à l'engagement pris de maintenir ses ordres jusqu'au terme du délai de préavis; qu'à défaut d'une telle preuve sa demande n'est pas fondée;

Qu'en conséquence la société Henkel doit être relevée de la condamnation prononcée par le tribunal;

Considérant que l'appelant forme une demande de restitution d'un excédent de 73 807 F hors taxes soit 87 537,10 F toutes taxes comprises par rapport à ses droits définitifs sur le total de 1 558 900 F hors taxes des commissions prévisionnelles que la société Dassas Publicité reconnaît avoir perçues; que l'annonceur présente en effet un compte de fin d'exercice chiffrant le coût total des ordres de publicité passés à la somme de 14 850 933 F inférieure aux 15 589 000 F de la part correspondante du budget prévisionnel;

Que la société Dassas conteste à juste titre cette demande en faisant observer que la justification produite émane des comptes de l'annonceur qui n'ont jamais fait l'objet de son approbation; qu'aucune expertise n'est sollicitée;

Considérant qu'il serait inéquitable que l'appelante conserve l'intégralité de la charge de ses frais irrépétibles;

Par ces motifs : Infirmant le jugement du 2 mars 1995, Relève la société Henkel France de toute condamnation ; La déboute de sa demande de restitution de sommes trop versées à la société Dassas Publicité; Condamne la société Dassas Publicité à payer à la société Henkel France 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Dassas Publicité aux entiers dépens de première instance et d'appel ; Admet la société civile professionnelle Faure Arnaudy, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.