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Décisions

CA Reims, ch. corr., 18 mars 1998, n° 511-97

REIMS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Hestia (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pacaud

Conseillers :

Mme Debuisson, M. Scheibling

Avocat :

Me Aguila

TGI Reims, ch. corr., du 1er avr. 1997

1 avril 1997

Faits et procédure :

Au vu d'un procès-verbal établi par un agent de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, lequel, clôturé le 13 juin 1996, se rapportait à l'activité d'une agence immobilière à l'enseigne L, exploitée par la SARL Y, Patrick L, gérant de droit de la société Y et Daniel L, père du précédent et cadre commercial au sein de la même société, ont été attraits en police correctionnelle sous la prévention suivante :

- d'avoir à Reims (51), du 30 janvier au 2 avril 1996, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur l'identité du prestataire, en l'espèce en diffusant, dans les hebdomadaires " Canal 51 " et " Atout Magazine ", des annonces d'offres de location n'indiquant pas expressément qu'elle émanaient d'un professionnel agissant en qualité d'intermédiaire entre propriétaires et locataires, ni le montant TTC de la rémunération de ce professionnel,

Infraction prévue et réprimée par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6, L. 121-6 alinéa 1, L. 213-1 et L. 121-4 du Code de la consommation.

Devant la juridiction saisie des poursuites ainsi engagées contre Patrick et Daniel L, la société Hestia s'est constituée partie civile.

Par jugement du 1er avril 1997, le Tribunal correctionnel de Reims a, sur l'action publique :

- déclaré irrecevable l'exception de nullité de la citation soulevée au nom des prévenus,

- déclaré l'un et l'autre de ceux-ci coupables de l'infraction à chacun d'eux reprochée,

- condamné chacun des prévenus à une amende de 8 000 F,

- ordonné à l'encontre de chacun d'eux la publication du jugement aux frais du condamné concerné dans le journal l'Union de Reims, le coût de chaque publication ne devant pas déposer la somme de 2 000 F.

Prononçant par le même jugement sur les intérêts civils, le tribunal a :

- déclaré les prévenus responsables du préjudice subi par la société Hestia,

- condamné les intéressées à payer à la partie civile un franc à titre de dommages et intérêts.

Daniel L a fait appel de l'ensemble des dispositions de ce jugement le 7 avril 1997 et, le même jour, le Ministère Public a formé appel à son tour, contre Daniel L et contre Patrick L, ce dernier formant appel pour ce qui le concerne le 9 avril 1997.

Daniel L. conclut à l'infirmation du jugement et, reprenant ses demandes déjà formulées devant les premiers juges, il sollicite que la citation soit déclarée nulle, au motif qu'elle ne visait ni le texte incriminateur, ni le texte répressif contraignant un professionnel de l'immobilier à indiquer dans ses petites annonces le coût de sa prestation.

Il rajoute que le défaut d'indication du prix de la prestation serait une contravention et qu'il y aurait d'autant plus matière à annulation de la citation que l'indication même imparfaite d'un prix ne saurait être plus sévèrement sanctionnée que son absence.

Le prévenu demande à la cour de constater en tout état de cause, que les deux éléments de la publicité mensongère à lui reprochée ne sauraient constituer ledit délit, dès lors que ferait défaut le caractère trompeur, ou de nature à induire en erreur, des publicités reprochées, et qu'il démontrerait son absence d'intention coupable.

Il sollicite, en conséquence, sa relaxe pure et simple.

Patrick L, qui déclare à titre subsidiaire, s'associer aux conclusions déposées au nom de son père, demande, quant à lui, à titre principal, à être relaxé, à raison de ce qu'il a donné à Daniel L. totale et complète délégation de pouvoirs.

Monsieur l'Avocat général requiert l'application de la loi.

Régulièrement citée, la société Hestia ne s'est pas présentée, ni fait représenter.

Motifs de l'arrêt :

a) Sur la recevabilité des appels :

Attendu que les appels, réguliers en la forme, ont été interjetés dans les délais légaux ;

Qu'ils sont donc recevables ;

b) Sur l'exception de procédure :

Attendu qu'en vertu du dernier alinéa de l'article 385 du Code de procédure pénale, les exceptions de nullité doivent, dans tous les cas, être présentées avant toute défense au fond ;

Qu'il est constant que l'exception de nullité des citations délivrées à l'encontre des prévenus a été soulevée après les réquisitions du Ministère Public ;

Que cette exception était donc irrecevable pour avoir été soulevée tardivement ;

Que la cour ne peut donc que confirmer le jugement sur ce point ;

Attendu, d'ailleurs, que les citations n'avaient pas à viser le texte imposant aux agents immobiliers de mentionner le prix de leur rémunération et sanctionnant spécialement, le cas échéant, le défaut de respect de cette obligation ;

Que les citations, du chef de publicité mensongère, comportant mentions du fait poursuivi et du texte de loi réprimant le délit dont s'agit, étaient dès lors conformes aux prescriptions de l'alinéa 2 de l'article 551 du Code de procédure pénale ;

Qu'il n'y avait donc pas plus matière à violation de l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme ;

Attendu qu'ainsi l'exception soulevée par les prévenus était tout autant mal fondée qu'elle était irrecevable ;

c) Sur le fond :

1°) Sur l'action publique :

- Sue la culpabilité :

Attendu, d'une part, qu'il est constant que la SARL Y exploite une agence immobilière à l'enseigne L dont l'objet est de mettre en relation des propriétaires de biens immobiliers et des candidats à la location de ces biens ;

Que les particuliers doivent acquitter auprès de l'agence concernée, pour pouvoir bénéficier des services proposés par elle, pendant une période donnée, une somme fixe à verser à l'avance ;

Qu'à l'époque des faits, cette somme était de 950 F pour une durée de 6 mois ;

Attendu, d'autre part, qu'il est constant que si Patrick L est le gérant de la société Y, Daniel L est seul personnellement concessionnaire exclusif de la marque L, dans le département de la Marne ;

Qu'à l'inverse, Patrick L est seul titulaire de la carte professionnelle d'agent immobilier ;

Attendu, en troisième lieu, qu'en vertu de l'article 92 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972, les agents immobiliers doivent faire figurer sur tous les documents professionnels auxquels ils ont recours des mentions (numéro de la carte professionnelle, date de délivrance de cette carte, nom ou raison sociale et adresse de l'entreprise ainsi que l'activité exercée, notamment) faisant apparaître leur qualité de professionnel ;

Que selon l'article 4 de l'arrêté du 29 juin 1990 applicable aux agents immobiliers : " Toute publicité effectuée par l'un des professionnels visés à l'article 1er, et relative au prix de location ou de vente d'un bien déterminé, doit quelque soit le support utilisé, mentionner le montant toutes taxes comprises de la rémunération de l'intermédiaire lorsqu'elle est à la charge du locataire ou de l'acquéreur, et qu'elle n'est pas incluse dans le prix annoncé " ;

Attendu, enfin, que les investigations auxquelles s'est livré l'agent de la DGCCRF, quant aux petites annonces qu'il avait été fait paraître pour le compte de l'agence immobilière à l'enseigne L exploitée par la société Y dans la presse locale gratuite, ont révélé, pour la période allant du 30 janvier 1996 au 2 avril 1996, qu'avaient été diffusées 57 annonces dans le journal Canal 51, et 106 annonces dans le journal Atout Magazine, et que, chaque fois, les annonces insérées à la rubrique " offres de location ", dans laquelle se trouvent principalement insérées des annonces émanant de particulier, comportaient, après la description du bien loué, les mentions " F950, xxx " (dans cet ordre ou dans l'ordre inverse, savoir xxx F950) suivies des numéros de téléphone qui sont ceux de l'agence L ;

Or, attendu que les annonces incriminées étaient par leurs modalités d'insertion, tout autant que par leur imprécision, leur caractère confus et l'absence des mentions obligatoires, de nature à induire en erreur le consommateur, sur la qualité de prestataire de service de l'intermédiaire, par le truchement duquel il pourrait avoir accès à plus d'informations sur le bien offert à la location, ainsi que sur la nature commerciale et rémunérée de la prestation à laquelle il devrait faire appel ;

Que, notamment, le lecteur de l'annonce ne pouvait voir dans le sigle xxx l'abréviation de l'enseigne L ;

Que les mentions F950, par son insertion dans le texte de l'annonce, ne pouvait raisonnablement évoquer un prix quelconque ;

Attendu que ces publicités sont également imputables à Daniel L et à Patrick L, nonobstant la délégation de pouvoirs consentie dans les termes les plus larges par celui-ci à celui-là, dès lors que si Daniel L était l'auteur desdites annonces, il ne pouvait s'autoriser de les faire paraître sans l'accord du seul titulaire de la carte d'agent immobilier, sous couvert duquel elles étaient diffusées ;

Qu'il ne s'agissait en l'espèce pas de maladresses de rédaction, les deux prévenus ayant été, au cours des mois précédents, contrôlés pour des pratiques similaires et ayant vu leur attention expressément attirée sur le caractère illicite de ces pratiques ;

Que l'intention frauduleuse des prévenus était d'autant plus patente que, professionnels avertis, Daniel et Patrick L savaient qu'en matière de location de biens immobiliers, le consommateur est sensible, à la fois, à la description du bien suscitant son intérêt, mais aussi au fait qu'il aura affaire à un agent immobilier plutôt qu'à un particulier, et qu'il aura immanquablement, dans le premier cas, des frais supplémentaires de nature à suffire à rendre moins attrayante une offre de location remarquée par lui ;

Que la manière de procéder incriminée avait pour effet souhaité et attendu d'inclure, dans le tri fait par le candidat au logement préalablement à ses appels téléphoniques, des opportunités, dont les implications commerciales lui avaient été cachées et dont il serait forcément le captif ;

Attendu qu'en cet état, le délit est constitué, à la charge de chacun des prévenus, en tous ses éléments ;

Qu'il y a lieu, par conséquent, de confirmer le jugement sur la culpabilité ;

- Sur les peines :

Attendu qu'au vu des éléments de la cause et de la personnalité des prévenus, les peines prononcées sont appropriées et doivent être entérinées ;

2°) Sur l'action civile :

Attendu que, par leurs fautes, les prévenus ont directement causé à la société Hestia, qui exerce, dans le même secteur géographique, la même activité d'agence immobilière, un préjudice dont, même à titre subsidiaire, ils ne contestent pas l'existence, le caractère mensonger de leurs publicités troublant nécessairement le jeu de la concurrence au détriment de professionnels respectueux de la loi ;

Qu'au vu des circonstances de la cause et des débats, l'indemnité mise à la charge des intéressés a été chiffrée sans exagération ;

Qu'il y a lieu, en cet état, de confirmer en leur intégralité les dispositions civile du jugement ;

Par ces motifs : Statuant publiquement, par défaut à l'égard de la société Hestia et contradictoirement à l'égard des prévenus, Déclare les appels recevables en la forme, Au fond, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, tant pénales que civiles, Dit que la présente décision est assujettie au paiement d'un droit fixe de huit cents francs (800 F) dont est redevable chaque condamné. Dit que la contrainte par corps s'appliquera conformément aux dispositions des articles 749 et 750 du Code de procédure pénale.