Livv
Décisions

CA Angers, ch. corr., 19 mars 1998, n° 97-00656

ANGERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Association interprofessionnelle du bétail et des viandes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chesneau

Conseillers :

M. Lemaire, Mme Lourmet

Avocats :

Mes Sultan, Fakiroff.

TGI Saumur, ch. corr. du 5 sept. 1997

5 septembre 1997

LA COUR,

Les prévenus, le Ministère public et la partie civile ont interjeté appel du jugement rendu le 5 septembre 1997 par le Tribunal correctionnel de Saumur qui, pour tromperie et publicité mensongère, a condamné Jean-Pierre B à 250 000 F d'amende et Jean-Michel O à 50 000 F d'amende, les a condamnés solidairement à payer à l'association INTERBEV, 200 000 F de dommages et intérêts et 10 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, et a ordonné aux frais des condamnés la publication du jugement par extraits dans les journaux, les Marchés, LSA et Produits Frais, le coût de chaque publication ne devant pas dépasser 10 000 F.

Régulièrement cités, Jean-Pierre B et Jean-Michel O comparaissent assistés de leur conseil qui dépose des conclusions.

Le Ministère public requiert outre les peines d'amende prononcées par le tribunal, 18 mois d'emprisonnement avec sursis contre Jean-Pierre B et 12 mois d'emprisonnement avec sursis contre Jean-Michel O.

Jean-Pierre B et Jean-Michel O sont prévenus d'avoir à Coron et sur le territoire national, depuis temps non prescrit, entre le 15 avril 1996 et le 22 juillet 1996, trompé :

- les Etablissements Dhumeaux,

- la société Arcadie,

- la boucherie Jahiel,

- la boucherie Belnou,

- les Etablissements Boucard,

- la boucherie St-Heng,

- la société Somardial,

- la boucherie Chevalier,

- la boucherie Ekwata,

- le magasin Spar Arboretum,

- la boucherie Saudeau,

- la boucherie Vallain,

contractants, sur l'origine de la viande bovine livrée en y apposant la mention " Viande Bovine Française " alors qu'il s'agissait d'une marchandise issue de bovins provenant de Belgique ;

Infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation ;

D'avoir à Coron et sur le territoire national et depuis temps non prescrit, entre le 15 avril 1996 et le 22 juillet 1996, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur de la viande bovine en y apposant le logo VBF signifiant Viande Bovine Française, alors qu'il s'agissait de viande issue de bovins provenant de Belgique.

Infraction prévue et réprimée par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6, L. 213-1 et L. 121-4 du Code de la consommation.

Motifs

Sur l'action publique

Par des motifs pertinents que la cour adopte, le tribunal a exactement caractérisé les infractions reprochées aux deux prévenus.

Il a été établi par la procédure et les débats que la SA B, dont Jean-Pierre B est le PDG et Jean- Michel O l'un des administrateurs, a, entre le 1er janvier 1996 et le 30 juin 1996, importé de Belgique et fait identifier 63 bovins de race " blanc bleu " dans le but de les engraisser dans son élevage de Coron.

Le 17 juillet 1996, un contrôleur de la DGCCRF s'est rendu à la SA B. en vue de vérifier la situation de ces bovins. Il a constaté que cinq d'entre eux avaient été abattus dans l'abattoir la SARL A, filiale de la SA B et dont Jean-Michel O était le directeur.

Un vétérinaire inspecteur s'est rendu à l'abattoir et a constaté que dix animaux abattus avaient été commercialisés, dont certains en avril et mai 1996, avec la mention " viande bovine française " sur six bons de livraison.

Il a ainsi pu être constaté que la viande de ces bovins originaires de Belgique avait été revendue aux établissements et bouchers visés dans les citations avec, sur les factures, la mention " viande bovine française ".

En outre, sur les carcasses et morceaux vendus a été apposé le logo de l'association Interbev qui comporte la mention " viande bovine française ".

Jean-Pierre B et Jean-Michel O, qui concluent ensemble, prétendent que le délit de tromperie n'est pas constitué car les factures n'étaient pas adressées à des consommateurs mais à des professionnels.

L'article L. 213-1 du Code de la consommation, sanctionne quiconque, qu'il soit partie ou non au contrat, aura trompé le contractant, sans distinction de la qualité de ce contractant. La vente à un autre professionnel, qui en outre constitue une mise sur le marché avec pour seule finalité la revente au consommateur, est donc l'un des éléments du délit.

Les prévenus font état de ce qu'ils ont respecté la réglementation communautaire. Le tribunal a fait observer avec justesse qu'il ne leur était pas reproché un manquement à la réglementation mais l'utilisation abusive d'une appellation et d'un logo qui avaient eu pour effet de tromper leurs cocontractants.

En effet, pour réagir contre les méventes dues aux réticences des consommateurs face aux dangers que la consommation de viande bovine d'origine douteuse faisait courir à leur santé, les professionnels français, regroupés dans l'association Interbev, ont édité une charte et ont effectué une campagne publicitaire nationale en publiant cette charte afin de calmer les craintes des consommateurs.

Jean-Pierre B et Jean-Michel O ne contestent pas que leurs sociétés soient membres de cette association et l'ont confirmé à la cour. Ils savaient donc parfaitement quelles étaient les conditions imposées par la charte pour qu'ils puissent mettre sur le marché des viandes avec l'appellation " viande bovine française " et le logo " VBF ".

Il est prouvé par les pièces versées au dossier que cette charte a fait l'objet d'une publicité importante sur tout le territoire national, insistant sur la " traçabilité " du bovin avec indication de son cheptel de naissance.

Le respect de cette charte était, pour le consommateur, une qualité substantielle de la viande qu'il voulait acheter car ces conditions étaient seules de nature à lui donner la garantie que les animaux étaient, tel que l'imposait le cahier des charges de la marque d'Interbev, " nés, élevés et abattus en France " et donc préservés le mieux possible d'une contamination.

Le tribunal, en constatant que les bovins avaient été importés de Belgique, a donc fait une exacte application de la loi.

Il est prétendu qu'il s'agit d'une erreur d'étiquetage, à l'abattoir, due à la désorganisation en période de congés.

Cela est impossible car les factures mentionnent " viande bovine française ", avec indication du numéro d'identification des bovins, ce qui démontre que la commercialisation sous cette appellation s'est faite de manière volontaire.

Cette falsification n'a pu, en outre, se faire sans des instructions précises, à la fois de la direction de l'abattoir et de la direction de la SA B, les factures, étant rédigées au vu des documents d'accompagnement des bovins, dits documents de " traçabilité ". Sur ces documents, le numéro du cheptel de naissance n'avait pas été renseigné, ce qui signifiait que la SA B ne pouvait garantir l'origine française des bovins. Il ne pouvait donc s'agir d'une erreur mais d'une décision de Jean-Pierre B et de Jean-Michel O d'apposer la mention " viande bovine française " sur des animaux qui n'étaient pas nés en France.

C'est d'ailleurs ce qui résulte de l'audition de Jean-Pierre B lorsqu'il déclare aux gendarmes qu'il s'appuyait sur le journal officiel du 15 décembre 1990 qui indiquait qu'un animal d'origine étrangère élevé en France pendant au moins trois mois était considéré comme français. Cela démontre en effet qu'il a agi de manière tout à fait délibérée dans le but de gagner, selon le rapport de la DGCCRF, 4 000 F à 5 000 F par carcasse.

Jean-Pierre B ne justifie pas plus qu'en première instance de son indisponibilité au moment des faits pour raison de santé et, même s'il se trouvait en arrêt de maladie du 19 avril au 15 septembre 1996, rien ne démontre qu'il n'avait pas conservé le contrôle des affaires. En outre, les mentions apposées sur les factures à l'origine des délits qui lui sont imputés, résultaient de directives qu'il avait lui-même prises en se fondant faussement sur la réglementation.

Le jugement sera donc confirmé sur la culpabilité des prévenus et sur la sanction infligée à Jean-Michel O,bien appréciée par le tribunal.

Il sera cependant réformé sur la peine en ce qui concerne Jean-Pierre B. Ce dernier a en effet été condamné à 25 000 F d'amende pour des faits de même nature commis en 1993. Une telle réitération justifie qu'il lui soit appliqué une peine d'emprisonnement avec sursis. L'amende sera cependant réduite à 100 000 F.

Sur l'action civile

Le tribunal, par des motifs qu'il convient d'adopter, a fait une exacte appréciation de la recevabilité de la constitution de partie civile de l'association Interbev et du préjudice qu'elle a subi.

Le jugement sera donc confirmé sur l'action civile.

Il est équitable de faire application des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale dans les conditions qui figurent au dispositif.

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré sauf en ce qui concerne le peine infligée à Jean-Pierre B ; Reformant sur ce point, Condamne Jean-Pierre B à un an d'emprisonnement et à 100 000 F d'amende ; Dit qu'il sera sursis à l'emprisonnement dans les conditions des articles 132-30 et 132-31 du Code pénal; Constate que l'avertissement prévu par l'article 132-29 du Code pénal n'a pas été donné à l'intéressé, absent ; Dit que les mesures de publications ordonnées par le tribunal, s'appliqueront au présent arrêt ; Condamne in solidum Jean-Pierre B et Jean-Michel O à payer à l'association Interbev une indemnité de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; Condamne Jean-Pierre B et Jean-Michel O aux dépens de l'action civile. Ainsi jugé et prononcé par application des articles L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3, L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6, L. 213-1 et L. 121-4 du Code de la consommation.