CA Paris, 9e ch. B, 16 octobre 1998, n° 97-09000
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
SFP Productions (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Thin
Conseillers :
Mme Beauquis, M. Barrau
Avocats :
Mes Abramowicz, Morvan, Rasle.
Rappel de la procédure :
La prévention :
B Sylvie Françoise, Catherine
J Francis Michel ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel, par ordonnance en date du 6 mai 1997, pour :
- avoir ou s'être à Paris, d'avril à décembre 1994, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription,
- 1°) J Francis :
étant président et trésorier d'une association dénommée X, fausse entreprise ayant servi de façade pour commettre les escroqueries caractérisées notamment par :
- la publication de nombreuses petites annonces d'offres d'emploi de comédiens ou de figurants s'étant avérés chimériques,
- la signature, par l'entremise d'une complice de contrats d'adhésion destinés à donner crédit aux promesses s'étant avérées vaines qu'un enregistrement vidéo serait distribué à l'ensemble des maisons de production tant dans le domaine du cinéma, de la publicité que de la télévision et qu'il serait procédé à une mise à jour mensuelle des offres d'emploi de la profession et des prévisions de tournages télévision et cinéma, trompé 313 personnes ayant adhéré à l'association, parmi lesquelles 120 identifiées déposaient plainte, et de les avoir déterminées par ces moyens, à remettre des fonds, valeurs ou bien, en l'espèce la somme globale minimale de 153 370 F, correspondant au droit d'entrée et à la cotisation trimestrielle, à leur préjudice.
- 2°) B Sylvie,
étant secrétaire de l'association X,
- sciemment recelé la somme minimale de 19 300 F qu'elle savait provenir des escroqueries commises par Francis J au préjudice des adhérents de l'association,
- sciemment rendu complice des escroqueries commises par Francis J par aide ou assistance, en facilitant la préparation ou la consommation, en l'espèce, en recevant le public, en lui faisant signer une adhésion et en signant elle-même pour l'association et en tenant des propos mensongers déterminants des adhésions prises contre le versement d'une cotisation individuelle de 490 F.
Le jugement :
Le tribunal, par jugement contradictoire,
- a renvoyé Sylvie B des fins de la poursuite des chefs de complicité d'escroquerie et de recel,
- a déclaré :
J Francis Michel
Coupable d'escroquerie, d'avril 1994 à décembre 1994, à Paris, infraction prévue par l'article 313-1 alinéa 12 du Code pénal et réprimée par l'article 313-1 alinéa 2 du Code pénal.
Et par application de ces articles, a condamné
J Francis Michel à 3 mois d'emprisonnement avec sursis,
- sur l'action civile, a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la société SFP Productions SA.
Les appels :
Appel a été interjeté par :
SFP Production société, le 25 septembre 1997 contre Monsieur J Francis, Madame B Sylvie.
Monsieur le Procureur de la République, le 29 septembre 1997 contre Monsieur J Francis, Madame B Sylvie.
Décision :
Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,
En la forme :
Considérant qu'il résulte des énonciations qui précèdent que les appels interjetés par le ministère public et par la partie civile contre B Sylvie et J Francis sont intervenus dans les formes et délai prévus par la loi ; qu'ils seront donc déclarés recevables ;
Au fond :
Considérant que les premiers juges ayant exactement exposé la prévention et les faits de la cause, la cour se réfère sur ces points aux énonciations du jugement ;
Sur la responsabilité pénale de Francis J :
Considérant que Francis J a créé en mars 1994 une association régie par la loi du 1er juillet 1901 dénommée X, sise [adresse] à Paris, dont l'objet statutaire était ; "l'aide à la recherche d'emploi, le conseil social, la négociation de contrats, des réunions et des conférences" ;
Qu'il était le président et le trésorier de cette association et au moins au début, son seul animateur ; qu'en effet Mme R, mentionnée dans les statuts comme secrétaire, n'a en réalité jamais exercé ces fonctions ;
Que l'information a permis d'établir qu'en réalité l'activité de X avait consisté à passer dans la presse, sous divers libellés, des offres d'emplois destinées aux figurants et comédiens même débutants, à recevoir dans un bureau loué [adresse] Paris, les personnes intéressées, à leur faire signer, contre remise d'une somme de 490 F, comprenant un droit d'entrée de 310 F et une cotisation trimestrielle de 180 F, un contrat intitulé " contrat d'adhésion " aux termes duquel X s'engageait à faire bénéficier les adhérents, des prestations suivantes :
- " un enregistrement sous forme de séquentiels de 30 secondes sur une cassette vidéo distribués à l'ensemble des maisons de productions de courts métrages, longs métrages, publicité, télévision clips, et une partie des producteurs en événementiel et institutionnel " ;
- " une mise à jour mensuellement des offres d'emploi de la profession et des prévisions de tournage télévision et cinéma " ;
Qu'à la fin de l'année 1994, plusieurs adhérents qui n'avaient reçu aucune proposition de tournage et qui étaient sans nouvelle des animateurs de l'association, déposaient plainte auprès du Parquet ;
Que l'information a établi qu'entre le mois de mars et le mois de novembre 1994, X avait enregistré 313 adhésions et encaissé une somme de près de 150 000 F ;
Que Francis J a expliqué qu'il avait créé X pour faciliter l'emploi des comédiens et des figurants grâce à l'utilisation d'un fichier vidéo ; qu'il a admis qu'à l'époque de la création de l'association, il était au chômage et ne disposait d'aucune trésorerie et n'avait aucune compétence ni aucune relation dans le secteur de l'activité cinématographique ;
Qu'il a reconnu que son activité s'était limitée à filmer sur une cassette vidéo, les adhérents, dans un clip de présentation, sans procéder auparavant à aucune sélection et sans que ces séquences soient classées et répertoriées dans un fichier exploitable par les professionnels du cinéma ; que d'ailleurs, de son propre aveu, il n'avait pas établi de relation avec ces professionnels et n'avait procédé à aucune diffusion des cassettes vidéo, dans les milieux professionnels susceptibles de les utiliser ;
Qu'en outre il convient de relever que les prestations que Francis J prétendait offrir aux adhérents, ressortaient de l'activité d'agent artistique qui est une profession réglementée (loi du 26 décembre 1969), dont l'exercice est subordonné à la détention d'une licence délivrée par le Ministère du Travail, que Francis J n'avait pas obtenue ;
Qu'en l'état de ces énonciations, il est démontré que Francis J a trompé les victimes, en diffusant dans la presse des publicités trompeuses, faisant croire que X avait la capacité d'aider les figurants et les comédiens à trouver un emploi, et en leur faisant signer, contre remise de fonds, des contrats dont les clauses confortaient cette croyance, alors qu'en réalité X n'était, dès sa constitution, qu'une fausse entreprise n'ayant aucun moyen de réaliser les buts assignés par ses statuts ;
Que ces faits caractérisent le délit d'escroquerie dénoncé par la poursuite à l'encontre de Francis J ;
- Sur la responsabilité pénale de Sylvie B :
Considérant qu'à compter du mois de juillet 1994, Sylvie B avait occupé, au sein de l'association, des fonctions d'assistante, consistant à être présente en permanence au bureau de [adresse] pour recevoir les personnes intéressées par les publicités, prendre leur adhésion, répondre au téléphone ;
Qu'elle était employée " au noir ", et rémunérée à raison de 100 F par adhésion ; que selon ses propres déclarations, elle avait obtenue la signature de 244 contrats d'adhésion et avait perçu une somme totale de 19 300 F ;
Qu'elle recevait seule les futurs adhérents, Francis J étant la plupart du temps absent du bureau de [adresse] et elle signait les contrats au nom de X ;
Qu'il ressort de plusieurs témoignages que Sylvie B, pour convaincre les personnes qu'elle recevait d'adhérer à X, leur garantissait qu'elles pourraient réaliser au moins deux castings par mois, et affirmait que certains adhérents de X avaient déjà participé à des tournages ;
Que M. Beauclerce a déclaré qu'ayant adhéré le 5 octobre 1994 et n'ayant plus de nouvelle, il avait, à nouveau, rencontré Sylvie B qui lui avait remis une convocation à la société SFP Productions, mais qu'arrivé dans les locaux de la SFP, il avait appris que cette convocation était fictive ;
Que dans ces conditions, les dénégations de Sylvie B et l'allégation selon laquelle elle ignorait le caractère mensonger de promesses faites, ne peuvent qu'être écartées, et ce d'autant plus qu'elle a reconnu qu'elle n'avait jamais vu Francis J avoir des rendez-vous avec des professionnels ;
Qu'il est donc établi que du mois de juillet 1994 au mois de novembre 1994, elle a sciemment prêté son concours aux agissements délictueux de Francis J et reçu des fonds provenant de ces agissements ;
Qu'en conséquence, la cour faisant des faits qui lui sont soumis, une appréciation différente de celle des premiers juges déclarera Sylvie B coupable de complicité et de recel d'escroquerie ;
- Sur les peines :
Considérant qu'eu égard à la gravité des faits et au nombre des victimes, la cour aggravera la sanction prononcée par les premiers juges à l'encontre de Francis J et lui infligera une peine de 10 mois d'emprisonnement assortie en totalité du sursis ;
Qu'en ce qui concerne Sylvie B dont la responsabilité pénale est moindre, la cour prononcera une peine de 6 mois d'emprisonnement avec sursis ;
- Sur l'action civile de la société SFP Production :
Considérant que la société SFP Production prie la cour de réformer le jugement en ce qu'il a déclaré sa constitution de partie civile irrecevable et de condamner solidairement les deux prévenus à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 20 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
Que la partie civile allègue un préjudice d'ordre moral résultant de l'utilisation de son nom à l'occasion des agissements délictueux commis au préjudice de M. Beauclerce ; que ce préjudice sera justement réparé par l'allocation de un franc ;
Qu'au titre des frais irrépétibles il est justifié d'allouer à la partie civile une somme de 4 000 F ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement à l'encontre de Francis J et de la société SFP Production et par défaut à l'encontre de Sylvie B ; Reçoit les appels de la société SFP Production et du Ministère Public, Réformant pour partie confirmant pour partie le jugement, - déclare Francis J coupable d'escroquerie, - le condamne à 10 mois d'emprisonnement avec sursis, - déclare Sylvie B coupable de complicité et de recel d'escroquerie (faits commis de juillet à novembre 1994), - la condamne à 6 mois d'emprisonnement avec sursis. Reçoit la constitution de partie civile de la société SFP Production, Condamne solidairement les prévenus à lui payer la somme de 1 F à titre de dommages et intérêts et, chacun, celle de 2 000 F au titre des frais irrépétibles ; Le tout par application des articles 121-6, 121-7, 313-1, 321-1, 132-29 du Code pénal et 512 du Code de procédure pénale.