CA Paris, 13e ch. B, 25 mars 1999, n° 98-05894
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
UFC - Que Choisir
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sauret
Conseillers :
Mmes Marie, Content
Avocats :
Mes Bine-Fischer, Tresca, SCP Brasseur.
Rappel de la procédure :
Le jugement :
Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré
- T Daniel coupable d'infraction à l'article 7 de la loi du 23 octobre 1984 et complicité de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, du 19 mars 1997 au 25 mars 1997, à Paris, infractions prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 alinéa 1 du Code de la consommation, articles 121-6 et 121-7 du Code pénal et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121- 4, L. 213-1 du Code de la consommation, articles 121-6 et 121-7 du Code pénal.
- T Benoît coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, du 19 mars au 25 mars 1997, à Paris, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 alinéa 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation.
Et par application de ces articles, a condamné
- T Daniel à 30 000 F d'amende,
- T Benoît à 50 000 F d'amende,
Sur l'action civile : le tribunal a reçu l'UFC en sa constitution de partie civile et a condamné solidairement T Daniel et T Jean à lui payer la somme de 20 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 1 500 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Le tribunal a dit n'y avoir lieu à déclarer la société Y civilement responsable.
Les appels :
Appel a été interjeté par :
T Daniel, le 2 juillet 1998,
M. Le Procureur de la République, le 2 juillet 1998 contre Monsieur T Daniel.
UFC Que Choisir ? le 8 juillet 1998 contre Monsieur T Daniel, Monsieur T Benoît.
Décision :
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels régulièrement interjetés par le prévenu T Daniel, le Ministère Public à son encontre, la partie civile, du jugement déféré auquel il est fait référence pour l'exposé de la prévention ;
T Franck, appelant, demande à la cour d'infirmer la décision entreprise et de prononcer sa relaxe, il expose à cet effet, qu'il a été directeur de la publication d'X entre le 2 janvier 1996 et le 22 juillet 1997 ;
Que le tribunal a ainsi affirmé, de manière péremptoire, que la complicité du délit était constituée par le fait que T Daniel n'aurait pas, ès-qualité de directeur de la publication, pris la précaution de mettre en place le moindre contrôle.
Qu'il a considéré que l'élément intentionnel de la complicité était caractérisé par le fait qu'un homme de presse est " nécessairement informé des effets qui peuvent être réellement attendus de ce genre de pilule miracle ".
Qu'ainsi loin de circonscrire de manière précise les carences dont T Daniel se serait rendu coupable et qui caractérisaient l'élément intentionnel de l'infraction, est entré en voie de condamnation du simple fait que la publicité vantait les mérites de ce que le tribunal qualifie de " pilule miracle ", ce qui serait, en lui-même, sanctionnable. Un tel jugement présuppose d'une part que les produits amincissants se présentant sous forme de cachet seraient tous des produits sans la moindre vertu diététique ou susceptible de remodeler la silhouette, d'autre part que les éditeurs de presse auraient ou devraient avoir des connaissances dans le domaine médical et paramédical telles que cette situation serait forcément connue d'eux, deux éléments qui constituent à l'évidence des contrevérités.
Qu'en effet, ainsi que cela a été expliqué et justifié en première instance, la publicité " A " avait été poursuivie en 1996 et condamnée par jugement du 29 janvier 1997 pour une publicité jugée mensongère. L'annonceur avait, depuis lors, fait très sensiblement évoluer sa publicité, en avait fait disparaître tous les éléments que le tribunal avait sanctionnés à l'époque.
C'est la raison pour laquelle l'éditeur a accepté de faire passer le nouvel encart qui, du fait de ces modifications, ne constituait nullement " à l'évidence " une publicité sanctionnable.
Refuser cette publicité, au vu des multiples publicités pour des produits amincissants qui ne faisaient pas l'objet de censure ne se justifiait pas, sauf à considérer que toute publicité sur ce type de produit doit être rejetée.
Si le délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur est exclusif de la mauvaise foi pour l'annonceur, la preuve de cette mauvaise foi doit être faite pour les autres parties intervenant dans les faits reprochés.
" X " est un magazine populaire dans lequel, traditionnellement passent de nombreuses publicités, notamment pour des articles de vente par correspondance.
Que les services de l'éditeur sont, dès lors, attentifs aux textes des publicités que les annonceurs leur proposent.
Qu'en tout état de cause, les publicités sur les produits amincissants sont, en principe, légales, le caractère illégitime desdites publicités naissant d'abus des annonceurs caractérisés par des allégations ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur dès lors qu'elles portent notamment sur l'existence, la nature, la composition, les qualités substantielles, l'origine, les propriétés des prix des biens ou services proposés.
Par ailleurs, le produit " A " objet de la publicité condamnée, continue d'être commercialisé régulièrement par l'annonceur, notamment par le biais de la vente par correspondance.
Au cas d'espèce, le tribunal a jugé que la publicité serait mensongère parce qu'il " apparaît que la publicité litigieuse laisse entendre au lecteur, que la pilule " A " est susceptible en l'absence de tout régime de brûler les graisses superflues. Elle énonce ainsi " finis les régimes qui vous mettent à plat et vous démoralisent ". L'annonce énumère en outre les propriétés de quatre composants supposés avoir des vertus amincissantes. Ces allégations peu nuancées sont accompagnées de la photo d'une jeune femme svelte.
T Daniel a été reconnu coupable de complicité car il " a ouvert les colonnes de son magazine à une telle publicité dont le texte était à l'évidence mensonger pour un homme de presse nécessairement informé des effets qui peuvent être réellement attendus de ce genre de pilule miracle.
L'absence de mise en place de tout contrôle, permet de considérer que T Daniel en fournissant les moyens d'effectuer cette publicité mensongère s'est rendu complice de cette infraction ".
Au cas d'espèce, il appartient au Ministère Public de démontrer que T Daniel, en connaissance de cause, a laissé l'annonceur utiliser le support de l'hebdomadaire qu'il dirigeait pour publier une publicité trompeuse.
Il n'a jamais été soutenu que le rôle du support consisterait à vérifier personnellement chaque publicité et notamment sa véracité au-delà des cas flagrants.
Il n'est, par exemple, nullement exigé de l'éditeur qu'il se transforme en testeur des multiples produits dont le support vante les mérites.
Le support doit, en réalité, assurer une vérification minimale. Il ne fait que publier un message conçu par un tiers (annonceur ou agence) il ne participe ni à la conception ni à la réalisation du message.
Le régisseur de publicité, de même que les services de l'éditeur ont pu constater la transformation de la publicité sur le produit " A " la disparition des éléments sanctionnés dans la publicité précédente.
Cette transformation a permis de conclure que la nouvelle publicité A était acceptable.
T Daniel n'a jamais eu conscience, en laissant paraître cette publicité transformée, de contrevenir aux dispositions régissant la publicité trompeuse.
Or, l'élément intentionnel est un élément constitutif nécessaire de la complicité de publicité trompeuse. L'absence de preuve de l'existence de cet élément exclut que la complicité soit retenue.
Du fait d'une erreur dans l'impression du numéro 2699 de " X " l'ours n'est pas apparu.
Il figure néanmoins très régulièrement dans l'hebdomadaire avec toutes les informations requises par la loi du 1er août 1986 " portant réforme du régime juridique de la presse " ainsi que cela a été justifié.
En tout état de cause, l'UFC n'a eu aucun mal à connaître le nom du directeur de publication puisqu'elle l'a attrait devant le tribunal correctionnel.
L'UFC - Que Choisir ? a interjeté appel de la décision à l'encontre de T Daniel mais s'est estimée correctement indemnisée de la part de l'auteur principal de l'infraction du fait de la condamnation de ce dernier au règlement de la somme de 20 000 F. Cette somme avait été fixée par le tribunal comme suffisante pour réparer le préjudice dont se prévalait la partie civile et a, d'ores et déjà été perçue par elle.
En raison de ces arguments de fait et de droit, T Daniel demande à la cour d'infirmer la décision entreprise et par voie de conséquence de le relaxer.
Le Ministère Public fait valoir que ce n'est pas la première fois que les produits A et leur annonceur ont à faire avec les juridictions, qu'il résulte du dossier A remis à la cour, qu'il contient de nombreux éléments, poudre d'algue, vitamine B 6, vinaigre de cidre, lécithine de soja, poudre de racine de rhubarbe, qui peuvent avoir un effet amincissant sur l'organisme, que leurs propriétés thérapeutiques dépendent de la dose administrée, soit comme digestif et tonique, soit comme laxatif, mais qu'il n'est nullement établi que le " A " dans sa composition actuelle, agisse de façon sensible comme tonique, digestif et astringent ; il demande en conséquence une majoration sensible de la peine prononcée.
L'Union Fédérale des Consommateurs, Que Choisir ? demande à la cour :
" de statuer ce que de droit sur l'appel de T Daniel et sous réserve des réquisitions du Ministère Public,
de constater la réalité de l'infraction principale, de l'infraction reprochée à T Daniel, et de dire celui-ci entièrement responsable du préjudice collectif subi, directement ou indirectement, par l'ensemble des consommateurs du territoire national.
de faire droit en conséquence à l'appel incident de l'UFC Que Choisir ? sur les dispositions civiles, et de condamner T Daniel à lui verser :
* à titre de dommages et intérêts la somme de 250 000 F,
* au besoin (à défaut de publication à titre pénal) à la publication de l'arrêt à intervenir, d'une part dans le journal " X ", d'autre part dans les journaux : Le Monde, Libération, et France Soir, à concurrence de 20 000 F par insertion, et ce, sur le fondement de l'article L. 421-9 du Code de la consommation, et à tire de dommages et intérêts,
* une indemnité pour frais irrépétibles devant la cour sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale et d'un montant de 12 000 F,
de condamner le prévenu aux entiers dépens qui comprendront ceux de la partie civile.
Elle expose à cet effet qu'elle était recevable en sa constitution de partie civile en vertu de l'article L. 421-1 du Code de la consommation, étant une association agréée selon arrêtés ministériels réitérés depuis 1976, dont le dernier en date du 13 août 1996.
T Daniel, en qualité de directeur de publication du journal " X " dans lequel a paru l'annonce publicitaire condamnée, ne saurait contester ni l'existence de l'infraction principale de publicité trompeuse, ni celle qui lui est formellement reprochée (le tribunal ayant retenu la complicité, comme il aurait pu retenir la co-action).
Les premiers juges ont aussi justement retenu que celui-ci avait " ouvert les colonnes de son magazine à une telle publicité dont le texte était à l'évidence mensonger pour un homme de presse nécessairement informé des effets qui peuvent être réellement attendus de ce genre de produit miracle. L'absence de mise en place de tout contrôle, permet de considérer que T Daniel en fournissant les moyens d'effectuer cette publicité mensongère, s'est rendu complice de cette infraction ".
Et en effet, de jurisprudence constante, un professionnel doit procéder à toute vérification utile avant d'autoriser une publicité dans son organe de presse ; sa complicité est retenue si " par sa carence, son omission ou son silence, il a aidé intentionnellement à l'accomplissement . ".
En l'espèce T Daniel se devait d'autant plus de vérifier que son prédécesseur avait été condamné le 18 décembre 1996, pour une publicité sur le même produit, dans le même journal. Le directeur de l'époque n'avait pas interjeté appel.
Vu l'importance du préjudice collectif, direct ou indirect, subi par l'ensemble des consommateurs, en l'espèce sur le territoire national savoir non seulement un préjudice moral, mais aussi un préjudice matériel découlant de l'atteinte aux réglementations économiques et aux textes nécessités par la sécurité, l'infériorité économique, et la désinformation du consommateur.
Le préjudice correspond à la mise en échec par les infractions de l'activité constante de l'Union Fédérale des Consommateurs - Que Choisir ?, dont la mission légalement reconnue, est de contribuer à la police de distribution des biens et des services, ce qui l'oblige à engager des dépenses importantes, mais insuffisantes, pour protéger les victimes, dépenses qui seraient inutiles si tous les agents économiques se comportaient normalement.
Ainsi sont annihilés par l'infraction, les publications, journaux, fascicules, réponses aux courriers, réponses en permanence, discussions avec les professionnels, participations à des commissions ... qui essaient de "rééquilibrer" les relations commerciales.
Il conviendra en conséquence d'élever le montant des dommages et intérêts alloués et de faire droit à la demande initiale de l'UFC - Que Choisir ?
Par ailleurs, le tribunal ayant " omis " de statuer sur la publication de la décision rendue (alors qu'elle est de droit en matière de publicité trompeuse) si la cour devait en dispenser pénalement le prévenu, il conviendrait sur le fondement des articles L. 421-9 et suivants du Code de la consommation, d'ordonner cette publication à titre de dommages et intérêts, et ce tant dans le journal incriminé (X) que dans les journaux visés au dispositif.
Enfin, il serait inéquitable que l'UFC Que Choisir ? supporte les frais irrépétibles de la procédure d'appel, et sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, il lui sera alloué une indemnité supérieure à celle allouée par le tribunal.
Il résulte des pièces de la procédure que dans son numéro 2698, paru au mois de mars 1997, page 35, X, dont le responsable était à l'époque T Daniel, a fait paraître, sur une pleine page, de la publicité en faveur de " A " mettant en évidence les composants concentrés dans une seule capsule.
- la lécithine que l'on retrouve dans toutes les cellules de notre corps et plus particulièrement dans le cerveau, est un émulsifiant végétal qui attaque et élimine les parties graisseuses du corps,
- le vinaigre de cidre est depuis toujours un moyen biologique connu pour stimuler la destruction des substances graisseuses ,
- la poudre de varech naturelle est tirée des algues marines et est particulièrement riche en minéraux, en iode et en oligo-éléments. Elle possède des propriétés amincissantes,
- la vitamine B aide à brûler les graisses, elle est indispensable à la transformation des protéines dans notre corps, son influence assure l'équilibre naturel.
Ces produits associés dans la pilule amincissante A sont présentés comme devant produire des résultats efficaces : " au bout de quelques semaines votre organisme aura pris sa vitesse de croisière, avec une alimentation équilibrée les centimètres et les kilos superflus ne reviennent pas ; vous être en pleine forme " et avoir un effet certain sur les bras, la taille, le ventre, le bassin. Il s'y ajoute la mention " les médecins vous le confirmeront, l'alternance de la période d'amincissement et de reprise de poids peut être néfaste pour la santé ... Pourtant vous pouvez maintenant retrouver cette élancée dont vous rêvez ".
Ces assertions et allégations sont mensongères ou de nature à induire en erreur, dans la mesure où la preuve n'est pas rapportée que l'association de ces quatre produits a un effet déterminant sur l'organisme humain, que les témoignages de médecins qui sont cités, ou supposés l'être, ne sont pas identifiables.
Il est manifeste que grâce à l'aide de T Daniel, le produit (sans vertu) vanté par la publicité, a été présenté à de très nombreux consommateurs ; et ceux-ci, sans doute persuadés par le message publicitaire, mais aussi par l'importance nationale de l'organe de presse, ont pu croire à la véracité du message publicitaire.
D'autant plus que les consommateurs n'ont aucun moyen de vérifier, et qu'ils sont à même de faire confiance aux professionnels ;
Le préjudice est proportionnel à l'importance des faits litigieux, et à l'importance des moyens mis en œuvre.
- en l'espèce, grâce à T Daniel, la publicité trompeuse a été diffusée à environ 500 000 exemplaires (ce qui représente plus de lecteurs encore)
- elle est en outre effectuée sur un support relativement luxueux, en pleine page et en couleur, ce qui peut laisser amener le consommateur à penser à une certaine " fiabilité ".
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels du prévenu et du Ministère Public et de l'UFC - Que Choisir ?, Confirme le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité, L'infirme sur la peine, Condamne T Daniel à une peine d'amende de 30 000 F, Ordonne la publication du présent arrêt en 3e page du journal " X " sous la forme d'une demi-page, Condamne T Daniel à verser à l'Union Fédérale des Consommateurs - Que Choisir ? association agréée par arrêté depuis 1976, le dernier étant du 13 août 1996, la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 3 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné.