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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 19 mars 1999, n° 98-05690

PARIS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sauret

Conseillers :

Mme Marie, M. Seltensperger

Avocat :

Me Rabier.

TGI Meaux, 3e ch., du 25 juin 1998

25 juin 1998

Rappel de la procédure :

La prévention :

M Pierre a été poursuivi pour publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, du 5 février 1997 au 6 février 1997, à St-Soupplets et Le Chesne, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 alinéa 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation,

Remise d'un contrat non conforme au client lors d'un démarchage à domicile ou dans un lieu non destiné au commerce du bien ou du service proposé, du 5 février 1997 au 6 février 1997, à St-Soupplets et Le Chesne, infraction prévue par les articles L. 121-28, L. 121-23, L. 121-24, L. 121-21, R. 121-3, R. 121-4, R. 121-5, R. 121-6 du Code de la consommation et réprimée par l'article L. 121-8 du Code de la consommation.

Le jugement :

Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré M Pierre non coupable des faits reprochés et l'a relaxé des fins de la poursuite.

L'appel :

Appel a été interjeté par :

M. le Procureur de la République, le 26 juin 1998 contre M. M Pierre.

Décision :

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur l'appel régulièrement interjeté par le Ministère Public à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour les termes de la prévention.

Pierre M présent et assisté de son conseil, demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a relaxé des fins de la poursuite.

À l'appui de ses demandes, il fait essentiellement valoir :

En premier lieu sur les poursuites du chef de publicité comportant des allégations fausses ou de nature à induire en erreur en l'espèce en utilisant d'une part des prix de référence artificiellement majorés et d'autre part des prix de référence ne correspondant à aucun prix de référence légalement admis, que le principe en droit français est la liberté des prix, qu'il ne pouvait donc appliquer au prix d'achat des objets qu'il vendait le coefficient multiplicateur de son choix et ensuite pratiquer des rabais qui étaient négociés avec les clients.

En second lieu, sur les poursuites du chef de conclusion d'un contrat en remettant aux contractants un écrit ne comportant pas le nom du démarcheur, le texte intégral des articles L. 121-23, 24, 25, 26 du Code de la consommation, qu'à l'époque il existait une incertitude quant à l'application des règles sur le démarchage à domicile aux conventions conclues après une invitation adressée au domicile du futur client pour l'inviter à venir chercher un cadeau sur les lieux d'exposition des objets offerts à la vente.

Le 6 février 1997, un contrôleur de services déconcentrés de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes se présentait à l'exposition-vente de meubles réalisée dans la salle des fêtes de la commune de Le Chesne (Ardennes), sis rue de la Coue, organisée sous l'enseigne FS. Cette entreprise personnelle exploitait un magasin de meubles [adresse] et son responsable était Pierre M.

Son intervention faisait suite à un appel téléphonique du commandant de la brigade de gendarmerie de Le Chesne qui avait averti les services de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, qu'une vente au déballage était organisée, et que préalablement à la vente, une opération de " phoning " avait été organisée, un robot de cuisine multifonctions avec tous ses accessoires étant offert à tout visiteur lors de la vente organisée du mercredi 5 février au dimanche 9 février 1997 à 10 heures sans interruption.

L'enquêteur rencontrait, lors de sa visite dans les locaux où avaient lieu la vente, Daniel R qui se présentait comme étant le responsable de la vente et le seul représentant des établissements X. Il était assisté de 11 vendeurs.

Daniel R, à la demande du contrôleur, remettait 6 dossiers clients déjà établis, pour effectuer un premier contrôle relatif au respect des règles du démarchage à domicile. L'enquêteur relevait que les contrats n'étaient pas conformes aux dispositions des articles L. 121-21 et suivants du Code de la consommation et que des acomptes étaient systématiquement réclamés aux clients contrairement aux dispositions de l'article L. 121-26 dudit Code.

Constatant que les bons de commande n'étaient pas détaillés, il était demandé à Daniel R par le contrôleur de présenter dans l'exposition les articles commandés. Celui-ci relevait que l'étiquetage informatif réglementaire des meubles était complet, les prix suivants étant affichés :

- n° 1 : canapé 3 places modèle Chinon code 9702320120 à l'offre de vente 17 350 F toutes taxes comprises ; fauteuil modèle Chinon code 9702330140 à l'offre de vente 8 790 F, toute taxes comprises.

- n° 2 : canapé 3 places fixe modèle 397 code 9701391350 à l'offre de vente 16 750 F, toutes taxes comprises.

- n° 3 : chambre à coucher Chaumont rustique, armoires 4 portes référence 324 0031 à 43 750 F toutes taxes comprises ; le lit en 140, référence 3244631 à 15 750 F toutes taxes comprises ; le chevet assorti, référence 3246131 à 4 570 F toutes taxes comprises ; la commode assortie référence 3247031 à 13 450 F, toutes taxes comprises.

- n° 4 : canapé 3 places modèle Turin code 0370320150 à l'offre de vente 29 150 F.

Le modèle commandé par l'un des clients n'était pas exposé.

Constatant que les prix de référence affichés étaient largement supérieurs aux prix de vente effectifs, l'enquêteur demandait à Daniel R de lui en expliquer le motif. Ce dernier ainsi que l'ensemble des vendeurs expliquaient que les prix affichés n'étaient jamais pratiqués. Ils ajoutaient qu'ils avaient comme consigne, dans le cas où le client serait intéressé par un article, de faire des annonces orales de réduction de prix afin de ramener les prix pratiqués dans la limité d'un seuil représenté par l'application du coefficient 2,20 selon les consignes fixées par le responsable de l'opération Pierre M.

Daniel R précisait que la vente au déballage avait été réglée par Pierre M, qui fournissait les cadeaux, avait organisé l'opération de phoning, était propriétaire des meubles et fournissait l'étiquetage informatif de chaque meuble et en fixait le prix.

Il était demandé à Pierre M de justifier de ses prix de référence (prix affichés servant de base aux " remises " annoncées) et de transmettre les factures d'achat pour les 17 articles susvisés et les 6 ayant fait l'objet de commande.

Pierre M transmettait les factures d'achat de 16 des 17 articles : la facture pour le salon, Telstar transmise correspondait à un canapé convertible alors que le modèle exposé à la vente était un canapé fixe. Pierre M ne transmettait pas les factures de la literie correspondant à la vente effectuée à un client.

L'étude des documents permettait de constater en premier lieu, que les prix affichés pour les 16 articles offerts à la vente, servant de prix référence auxquels s'appliquaient les " remises ", correspondaient à l'application de coefficients multiplicateurs compris dans une fourchette variant de 3,54 à 6,63 avec un moyenne de 5,45.

En deuxième lieu, que les prix de référence des articles, objets de 5 des 6 commandes enregistrées avant l'intervention de l'enquêteur du 6 février avaient été déterminés après application de coefficients multiplicateurs compris dans une fourchette allant de 5 à 5,71 avec une moyenne de 5,39.

En troisième lieu, que les coefficients multiplicateurs pratiqués lors de 5 des 6 ventes effectuées, aboutissaient à des prix de vente réels " après remise " compris dans une fourchette variant de 2,23 à 3,71 avec une moyenne de 2,47.

En quatrième lieu, que les taux de remise allégués lors de 5 des 6 ventes enregistrées au jour de l'intervention de l'enquêteur étaient compris dans une fourchette allant de 34,82 % à 60,65 % avec une remise moyenne de 54,09 %.

En cinquième lieu, que Pierre M n'a justifié d'aucun de ses prix de référence, c'est-à-dire de la pratique effective des prix affichés au cours des 30 jours précédant le début de l'opération.

Sur ce :

Sur le délit de remise d'un contrat non-conforme au client lors d'un démarchage à domicile ou dans un lieu non destiné au commerce du bien ou du service proposé :

Considérant que diverses personnes ont été invitées par téléphone à se rendre dans un local où étaient mis en vente des meubles pour retirer le cadeau qui leur était destiné ;

Que cette opération, qui avait pour seul objet d'attirer le consommateur dans le magasin afin de provoquer la vente du mobilier, constitue un démarchage à domicile ;

Que la vente conclue dans un magasin avec un consommateur invité par téléphone à s'y rendre sous prétexte de retirer un cadeau, est soumise à la réglementation du démarchage à domicile par application de l'article L. 121-21 du Code de la consommation ;

Considérant que les enquêteurs de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont relevé que les contrats ne comportaient pas le lieu de conclusion du contrat, les textes des articles L. 121-23 à L. 121-26 du Code de la consommation, qu'une clause attributive de compétence était indiquée sur les bons de commande, attribuant compétence au Tribunal de Meaux, que le bon de rétractation était conservé par le vendeur, comme c'est le cas pour le contrat conclu par Bruno Deswaene versé aux débats, que par ailleurs ce bon de rétractation n'est pas détachable et figure au bas du contrat en caractère très petits ce qui n'en facilite pas la lisibilité et qu'enfin le nom du démarcheur n'était pas mentionné ;

Considérant que l'infraction est donc caractérisée dans tous ses éléments et qu'il convient donc d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a relaxé Pierre M. des faits visés à la prévention ;

Sur les poursuite du chef de publicité mensongère :

Considérant que le tribunal a omis de statuer sur ce chef de prévention ;

Qu'il convient donc d'annuler le jugement entrepris et, évoquant, de statuer sur les poursuites engagées contre Pierre M pour avoir commis le délit de publicité ;

Considérant que la véracité d'une publicité comportant l'annonce d'une réduction de prix doit être appréciée par rapport au prix de référence déterminé conformément aux dispositions de l'arrêté n° 77-105 P, lequel est défini par l'article 3 de ce texte, comme étant le prix le plus bas effectivement pratiqué par l'annonceur pour un article ou une prestation similaire, dans le même établissement de vente au détail, au cours des 30 derniers jours précédant la publicité ;

Considérant qu'il résulte des constatations de l'enquêteur de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes que les prix de référence retenus par le prévenu comme base de calcul ne répondaient pas à ces exigences ;

Qu'en effet, les prix affichés en magasin n'étaient jamais pratiqués et étaient artificiellement augmentés ;

Qu'en effet, les articles offerts à la vente correspondaient à l'application de coefficients moyens de l'ordre de 5,39et que les prix effectivement pratiqués avaient été déterminés par application d'un coefficient multiplicateur de 2,20 correspondant au coefficient multiplicateur de 2,20 habituellement pratiqué dans ce secteur, ce qui faisait croire au client qu'il achetait les meubles offerts à la vente à un prix réduit alors qu'en réalité, il les payait un prix équivalent à celui pratiqué dans la profession ;

Considérant que les propos tenus par les vendeurs, qui indiquaient des remises importantes, contenaient des indications fausses sur le prix, ainsi que ceux-ci l'on reconnu ;

Que ces propos sont assimilables à une publicité ;

Qu'il est dans ces conditions vainement soutenu par le prévenu que la liberté des prix lui permettait d'appliquer le coefficient multiplicateur de son choix aux articles qu'il vendait ;

Qu'il convient donc d'entrer en voie de condamnation de ce chef de prévention ;

Sur la peine :

Considérant que les multiples poursuites dirigées contre Pierre M, l'une d'entre elles ayant abouti d'ailleurs à une condamnation, auraient dû le conduire à cesser ces pratiques, et que par suite une peine d'amende de 10 000 F doit être prononcée contre lui pour sanctionner les deux délits qui lui sont reprochés ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel du Ministère public, Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a relaxé Pierre M des fins de la poursuite du chef du délit de remise d'un contrat non conforme au client lors d'un démarchage à domicile ou dans un lieu non destiné au commerce du bien ou service proposé, Déclare Pierre M coupable d'avoir le 6 février 1997 à Le Chesne, démarché à domicile des clients et de leur avoir remis des contrats ne comportant pas, le lieu de conclusions du contrat, le nom du démarcheur, les textes des articles L. 121-23 à L. 121-26 du Code de la consommation, une clause attributive de compétence étant indiquée sur les bons de commande et attribuant compétence au Tribunal de Meaux, les bons de commande comportant une clause d'abandon du droit à renonciation, le bon de rétractation étant conservé par le vendeur dans un cas et n'étant pas détachable, Annule le jugement en ce qu'il a omis de statuer sur les poursuites du chef du délit de publicité mensongère, Évoquant : Déclare Pierre M coupable d'avoir à Le Chesne le 6 février 1997 effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur le prix d'un bien ; Condamne Pierre M à la peine de 10 000 F d'amende en répression de ces deux infractions ; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné.