CA Aix-en-Provence, 5e ch. corr., 24 septembre 1998, n° 98-573
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lapeyrère
Conseillers :
Mme Delpon, M. Acquaviva
Avocat :
Me Martinet.
Décision :
Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,
Jean-Philippe S a fait l'objet d'une citation à comparaître devant le Tribunal correctionnel de Grasse en qualité de prévenu d'avoir :
A Villeneuve-Loubet courant 1992, 1993 et le 20 avril 1993 effectué une publicité mensongère comportant des allégations, indications ou présentation fausses ou de nature à induire en erreur sur l'existence, les qualités substantielles des biens qui faisaient l'objet de la publicité, les résultats qui pouvaient être obtenus de leur utilisation, des qualités ou aptitudes des fabricants ou revendeurs en proposant des produits comme provenant d'un laboratoire (" B ") ou d'un inventeur (" Christian D ") alors que c'était inexact en proposant de la carnitine comme produit amaigrissant alors qu'elle est inefficace en proposant des fausses vitamines " F, J et M " ;
Infraction prévue et réprimée par les articles 44-1 de la loi du 27 décembre 1973 L. 121 du Code de la consommation ;
Fait une publicité ou propagande sous quelque forme que ce soit en faveur des produits autres que les médicament régulièrement autorisées par l'article 601 du Code de la santé publique, présentés comme favorisant le diagnostic, la prévention ou le traitement des maladies, des affections relevant de la pathologie chirurgicale et des dérèglements physiologiques, le diagnostic ou la modification de l'état physique ou biologique, la restructuration, la correction ou la modification des fonctions organiques sans autorisation du ministère de la Santé (carnitine, vitamines, oligo-éléments).
Fait prévu et réprimé par les articles L. 551 al.2 et L. 556 du Code de la santé publique ;
Par jugement contradictoire en date du 16 décembre 1994, définitif, le Tribunal correctionnel de Grasse a rejeté l'exception de nullité de procédure soulevée par la défense prévenu et ordonné la poursuite des débats ;
Par jugement contradictoire en date du 29 septembre 1995, le même tribunal a :
- relaxé Jean-Philippe S du chef de publicité mensongère ;
- l'a déclaré coupable du délit prévu par l'article L. 551 al. 2 du Code de la santé publique et réprimé par l'article L. 556 du même Code,
en répression,
- l'a condamné à 20 000 F d'amende ;
- déclaré la société B civilement responsable ;
- condamné in solidum S et le civilement responsable à payer la somme de 1 F à l'Urcopaca et la somme de 1 F à l'UFC 06 à titre de dommages-intérêts ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
Le Ministère public a relevé seul appel de ce jugement le 6 octobre 1995 ;
Le Ministère public, a l'appui de son appel relatif à la relaxe dont a bénéficié le prévenu du chef des délits de publicité mensongère, fait valoir que celle dont laboratoire B a fait usage revêt cette caractéristique, car d'une part celui-ci n'est pas un vrai laboratoire mais un intermédiaire de vente et d'autre part, quant à la nature et aux effets des produits proposés à la vente, il lui appartenait de se renseigner sur leur efficacité réelle et indiscutable ;
Le Ministère public requiert la confirmation pour le surplus de la décision déférée car, les produits proposés à la vente par B étant de nature à favoriser la modification de l'état physique des personnes devaient être soumis à visa, en application de l'article 551 al. 2 du Code de la santé publique ;
Jean-Philippe S et la société B civilement responsable ont fait déposer des conclusions par leur conseil ;
Ils demandent à la cour de confirmer le jugement déféré relativement à la relaxe du chef de publicité mensongère qui, a bon droit, a estimé que l'article L. 121-1 du Code de la consommation ne devait pas recevoir l'argumentation dont il résulte, en résumé, que " les tribunaux doivent, pour apprécier si le message publicitaire est ou non de nature à induire en erreur, se placer dans l'optique du consommateur moyen en respectant la part du rêve et de l'humour, et le caractère nécessairement attractif de la publicité " ;
Ils font valoir que l'existence des vitamines F, J et M est un fait scientifiquement avéré et qu'il en est de même pour la vitamine B 8, que l'utilisation des termes " Laboratoires B " et du pseudonyme " Christian D " n'a pas été de nature à tromper le consommateur et qu'en constatant que " les propriétés amincissantes en amaigrissant de la carnitine fait l'objet de controverses scientifiques, les premiers juges ont à bon droit estimé que la preuve du caractère mensonger de la publicité sur ce point n'était pas rapportée ;
Le prévenu et son civilement responsable demandent en second lieu à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré coupable Monsieur S du délit de défaut de visa de publicité et l'a condamné solidairement avec la société B à verser des dommages-intérêts sur l'action civile ; subsidiairement, ils sollicitent que par application de l'article 177 A du traité de Rome la Cour de justice des Communautés européennes soit interrogée sur les questions qu'ils posent dans leurs écritures ;
En ce qui concerne le défaut de visa de publicité, ils contestent que les effets attachés aux produits B soient de nature à altérer ou modifier l'état physiologique ou les fonctions organiques de ceux qui les achètent, étant seulement présentés comme de simples compléments alimentaires évitant un régime déséquilibré ; ils s'emplacent donc hors du champ d'application de l'article L. 551 al 2 du Code de la santé publique ; Monsieur S. doit donc être relaxé de ce chef ;
Sur ce, LA COUR :
Attendu qu'il sera statué par arrêt contradictoire à l'encontre de Jean-Philippe S et de la SA B ;
Attendu que l'appel du Ministère public ayant été déclaré au greffe dans le délai légal, est recevable en la forme ;
1°) Sur le délit de publicité mensongère :
Attendu que dans leur numéro mensuel de mars 1993 " Spécial Maigrir ", les " Laboratoires Christian D " ont fait de la publicité pour les produits des " Laboratoires B " ;
Attendu que l'éditorial est signé " Christian D. ", porte la photographie d'un homme en blouse blanche et affirme que " Chez B, nous sommes vraiment des spécialistes de votre minceur " ;
Attendu qu'il résulte du procès-verbal de délit rédigé par la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes qui fait la synthèse de ses investigations que :
- Jean-Philippe S est le gérant de la société SARL P constituée en 1989 qui exploite les enseignes commerciales " B ", " Christian D " et " Michel Z " et aux droits de laquelle se trouve actuellement la SA B ;
- celui-ci a reconnu que les " Laboratoires B " et les " Laboratoires Christian D " n'existaient pas, ledit Christian D étant un veilleur de nuit qui avait autorisé la commercialisation de son nom et qui n'a jamais fait partie de la société ;
- les produits de marque B étaient en réalité formulés par un pharmacien belge, Monsieur U et fabriqués soit par la société S SPRL à Bruxelles ou soit par la SA A à Carros (06) ;
- la personne qui est en photo en blouse blanche n'est bien entendu pas Christian D, mais un mannequin qui travaille par une agence publicitaire ;
Attendu qu'en ce qui concerne les produits dont les vertus amincissantes étaient ventées, les investigations de la DGCCR ont permis d'établir que :
- celles attribuées à la L Carnitine sont quasi nullesselon l'avis du 6 janvier 1993 rendu par la Commission Interministérielle d'Etudes des Produits Destinés à une Alimentation Particulière (CEDAP), car " la démonstration d'un effet amaigrissant chez des sujets obèses ou ayant une surcharge pondérale n'a pas été faite " ;
- les vitamines proposées à la vente par la publication litigieuse, soit F, J et M n'existent pas alors que les propriétés relatives à la ou à la modification de l'état physique ou physiologique sont amplement vantées dans la publicité incriminée ;
Attendu que pour que le délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur tel que prévu par l'article L. 121-1 du Code de la consommation soit constitué, il est nécessaire que l'existence d'un élément matériel à savoir une ou plusieurs allégations fausses dans la publicité ou de nature à induire en erreur, le consommateur, soit démontrée ;
Attendu qu'en alléguant que les produits figurant sur le catalogue étaient mis au point ou fabriqués par les laboratoires B et par les laboratoires Christian D, alors que ceux-ci n'existaient pas et que lesdits produits avaient été formulés et élaborées par un pharmacien belge et deux autres sociétés que ne sont pas mentionnées dans la publicité et en présentant un homme en blouse blanche, inspirant confiance, comme étant le prétendu Christian D qui n'a jamais fait partie d'aucun laboratoire, Jean-Philippe S a diffusé des indications publicitaires fausses ou de nature à induire en erreur, le consommateur potentiel lecteur de la revue mensuelle, séduit par le sérieux que pouvaient inspirer ces laboratoires et cet homme de science, en réalité inexistants ;
Attendu que de même en vantant les vertus indiscutablement amincissantes de la L Carnitine et les propriétés régénératrices des vitamines F, J et M alors qu'elles sont nulles ou pour le moins sujettes à controverses scientifiques, le même consommateur potentiel lecteur, persuadé par cette publicité, du caractère incontestablement curatif de ces produits, a été trompé et induit en erreur ;
Attendu que c'est donc à tort que les premiers juges ont relaxé Jean-Philippe S du chef de délit de publicité mensongère et que leur décision sera réformée sur ce point;
2°) Sur le délit de défaut de visa de publicité :
Attendu que c'est à bon droit que les premiers juges ont déclaré Jean-Philippe S coupable de ce délit car la L Carnitine présentée comme une molécule qui détruit la graisse, la vitamine F citée comme favorisant la perte de poids et la lutte contre le cholestérol des cellules, la vitamine J vantée en tant qu'agissant comme l'accumulation de graisse, la vitamine F nécessaires à la lutte contre l'insomnie, le zinc présenté comme aidant la production du sperme, le calcium et le fer recommandés en période de croissance et de ménopause, sont à l'évidence des produits favorisant la prévention ou le traitement d'affections relevant de la pathologie des dérèglements physiologiques ou la modification de l'état physique ou physiologique au sens de l'article L. 551 al 2 ancien du Code de la santé publique applicable en l'espèce ;
Qu'ainsi la publicité litigieuse était soumise à visa préalable ;
Attendu qu'en ce qui concerne le subsidiaire du prévenu quant aux questions préjudicielles à poser à la Cour de justice des Communautés européenne, il convient de rappeler qu'en état membre peut interdire la publicité faite en faveur de médicaments ou de produits imputés d'un autre état membre non agréé sur le territoire national ;qu'il n'y a donc pas lieu à question préjudicielle ;
Attendu que la cour réformera la décision déférée quant à la peine, celle d'amende étant portée à la somme de 30 000 F qui sanctionnera le trouble apporté à l'ordre public économique pour les deux délits reprochés au prévenu ;
Attendu que ce dernier, non appelant, ne peut remettre en question les condamnations civiles qui sont définitives ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, en matière correctionnelle, par arrêt contradictoire à l'encontre de Jean-Philippe S et de la SA B ; Reçoit l'appel du Ministère public en la forme ; Au fond, Réforme la décision déférée en ce qu'elle a relaxé Jean-Philippe S du délit de publicité mensongère, et statuant à nouveau, Le déclare coupable de ce délit ; Confirme la décision déférée en ce qu'elle a déclaré coupable Jean-Philippe S du délit de défaut de visa de publicité ; La réformant sur la peine, Condamne Jean-Philippe S à celle de 30 000 F d'amende ; Dit qu'en application des dispositions de l'article 473 du Code de procédure pénale modifié par la loi 93-2 du 4 janvier 1993, la contrainte par corps s'exercera conformément aux dispositions des articles 749 et suivants du Code de procédure pénale ; Déclare la société B SA civilement responsable de Jean-Philippe S ; Le tout conformément aux articles visés au jugement, au présent arrêt, et aux articles 512 et suivants du Code de procédure pénale.