Livv
Décisions

CA Paris, 13e ch., 22 octobre 1997, n° 97-00827

PARIS

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Ministère Public, Comité National Contre le Tabagisme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Petit

Conseillers :

MM. Guibaud, Paris

Avocats :

Mes Rozenblum, Landon, Bihl.

CA Paris n° 97-00827

22 octobre 1997

Décision :

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur l'appel relevé par la seule partie civile à l'encontre du jugement précité auquel il convient de se référer pour l'exposé des faits et de la prévention.

Par voie de conclusions, le CNCT demande à la Cour de la recevoir en son appel et y faisant droit :

- dire et juger M. O coupable de complicité du délit de publicité illicite en faveur du tabac et la société GO A civilement responsable.

- dire et juger M. Éric D coupable de publicité illicite en faveur du tabac et la société TG civilement responsable.

- condamner M. O et la société GO A, M. Éric D et la société TG à payer au CNCT la somme de 250 000 F en réparation de son préjudice et celle de 10 000 F au titre de l'article 475.1 du Code de procédure pénale.

Il fait valoir que l'article L 355-25 du Code de la santé publique qui interdit toute publicité ou propagande direct ou indirecte en faveur du tabac est parfaitement compatible avec la législation européenne contrairement aux prétentions des cigarettiers.

Il soutient que le fait d'insérer des tickets donnant droit à des cadeaux, dans des paquets de cigarettes, constitue une publicité au sens de l'article L. 355-25 du Code de la santé publique, car elle incite le consommateur à acheter des cigarettes pour avoir une chance de gagner un cadeau.

Il affirme, sur la complicité de M. O, que GO A revendique elle-même la qualité d'organisation de l'opération puisque le ticket inséré dans les paquets précise " jeu gratuit. organisé par GO A " et que l'on ne voit pas dans ces conditions comment GO A et O seraient intervenus à posteriori dans un jeu dont ils sont organisateurs et non les simples gérants des résultats.

Il expose - sur les faits de publicité reprochés à Éric D - que l'article incriminé mentionne expressément, et à plusieurs reprises, les cigarettes Winston, et que de tels faits constituent incontestablement une publicité illicite ;

Que le fait que cette publicité ait lieu trois mois ou six mois ou un an après l'opération décrite ne change rien au fait qu'un journal publie un article citant à plusieurs reprises le nom d'une marque de cigarettes en faisant la louange d'un délit.

Il souligne par ailleurs que Télématique Marketing qui n'est pas un journal destiné aux professionnels du tabac ne peut bénéficier de l'exception prévue à l'article L. 355-25 du Code de la santé publique.

Par voie de conclusions M. O et la société GO A sollicitent la Cour de :

- déclarer la CNCT irrecevable et mal fondé en son appel,

- l'en débouter,

- confirmer le jugement du 16-12-1996 et y ajoutant,

- constater le caractère manifestement abusif de l'appel et condamner le CNCT à verser à M. Claude O de la Société GO A la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts,

- condamner le CNCT aux dépens et au versement de la somme de 10 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Ils font valoir que les dispositions de l'article L. 355-24 du Code de la santé publique sont incompatibles avec la législation européenne, car elles ne respectent pas le principe de la proportionnalité.

Ils soutiennent par ailleurs que l'infraction poursuivie n'est pas établie.

Ils affirment en effet que l'acte de promotion doit être antérieur à l'acte de fourniture ou de vente ce qui n'est pas le cas en l'espèce, puisque si l'on suit la description de l'opération fournie par la CNCT, sans produire la moindre pièce justificative, les consommateurs avaient accès à cet élément après l'achat d'un paquet de cigarettes.

Ils exposent que la mention figurant sur le document : " jeu gratuit sans obligation d'achat organisé jusqu'au 30 septembre 1995 par GO A. " est des plus classiques pour identifier la société qui récole les résultats ; que la " fourniture matérielle d'une adresse " ne constitue pas un acte de complicité car celle-ci intervient postérieurement aux agissements qualifiés d'infraction par la CNCT.

Ils soulignent enfin que " T M" est une réalisation de la société T G, conçue, réalisée et diffusée sans consultation ni autorisation ou initiative de quelque nature qu'elle soit de la société GO A.

Par voie de conclusions Eric D dit L et la société T G demandent à la Cour de :

- confirmer le jugement entrepris,

- ce faisant relaxer Eric D dit L des fins de la poursuite,

- condamner le CNCT à payer à M. D dit L la somme de 5 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Ils affirment que la lettre " Télé Marketing " ne constitue pas une publicité directe ou indirecte pour une quelconque des marques qui y est citée, mais bien une mise en valeur de la qualité du travail et des prestations proposées par la société T G.

A titre subsidiaire, ils font valoir que la prestation qui leur a été commandée l'a été par la société GO A à laquelle elle a été facturée, étant précisé que cette société a été le bénéficiaire des reversements émanant de France Télécom.

Ils soutiennent qu'en conséquence et dans la mesure où la lettre " Télématique Marketing " ne saurait constituer d'autre publicité qu'en faveur de la société T G, cette dernière doit bénéficier de la dérogation prévue à l'article L. 355-26 Alinéa 2 du Code de la santé publique.

Considérant que le Ministère Public n'ayant pas fait appel de la décision de relaxe rendue à l'égard des prévenus, celle-ci est devenue définitive ;

Considérant cependant qu'en raison de l'indépendance de l'action civile et de l'action publique, l'appel de la partie civile saisit valablement le juge des seuls intérêts civiles ;

Qu'en conséquence, malgré la décision de relaxe, il appartient à la Cour d'apprécier les faits dans le cadre de la prévention pour se déterminer sur le mérite des demandes civile qui lui sont présentées.

Considérant que le CNCT a fait directement citer Claude O et Éric D dit L en qualité de prévenus, et les sociétés GO A et T G en qualité de civilement responsables, pour y répondre du délit de complicité de publicité illicite en faveur du tabac ;

Que dans sa citation, la partie civile expose que pour tourner les dispositions de la loi française qui interdit toute publicité directe ou indirecte en faveur du tabac, les sociétés Multinationales de Fabricants de tabac multiplient depuis plusieurs années les publicités indirectes clandestines ; que tel est le cas des cigarettes Winston qui ont réalisé courant 1995, une vaste opération de marketing publicitaire sur audiotel ; que la société T G " conseil télématique spécialisé " qui a réalisé cette opération présente celle-ci de la manière suivante :

" Winston frappe fort sur audiotel.

Frapper fort en promotion de ventes, c'est possible avec le téléphone. Winston l'a prouvé sur Audiotel. avec un score appréciable de 25 000 appels en moyenne par mois.

L'amateur de Winston trouvait sur le paquet de sa marque favorite. des numéros de loteries lui donnant la possibilité de gagner trois séjours en Floride et quinze scooters " ;

Que par ailleurs le journal " Télématique Marketing n° 22 de décembre 1995, édité par T G, reprenait cette opération et réalisait une publicité en faveur de Winston ;

Que ces opérations ont été effectuées grâce au concours de la société GO A dont M. O est le dirigeant et de la société Télé Groupe dont M. Éric D est le dirigeant ;

Considérant que la Cour observe que l'opération litigieuse qui s'est déroulée du 1er janvier au 30 septembre 1995 consistait à inclure dans chaque paquet de cigarettes Winston un bulletin intitulé " ticket magique " permettant de gagner l'un des 400 000 cadeaux proposés après décodage dudit ticket soit dans un décodeur placé chez un détaillant soit en appelant un numéro de téléphone sur audiotel ;

Que par ailleurs Télé Groupe a édité en décembre 1995 une lettre intitulée " Télématique Marketing " rappelant les modalités de cette campagne de promotion de ventes.

Sur la compatibilité de l'article L. 355-24 du Code de la santé publique avec la législation européenne

Considérant que la Cour estime, comme les premiers juges, que les dispositions de la loi française prohibant la publicité en faveur du tabac sont parfaitement conformes au droit communautaire puisqu'elles s'appliquent sans distinction d'origine, aussi bien aux produits nationaux qu'aux produits provenant d'autres états membres, sont justifiées par le souci légitime du législateur français de protéger la santé publique au sens de l'article 36 du Traité de Rome et ne sont pas, d'autre part, disproportionnées par rapport à cet objectif.

Sur les demandes de la partie civile à l'encontre de Éric D dit L et de la société T G.

Considérant que rien ne permet d'établir une participation personnelle de Éric D dit L à la campagne de promotion de ventes critiquée ;

Que le rôle éventuellement tenu par Éric D dit L dans la campagne qui s'est déroulée de janvier à septembre 1995 n'est aucunement décrit dans la citation directe par le CNCT qui se borne à affirmer que " ces opérations ont été réalisées grâce au concours de la société GO A dont M. O est le dirigeant et de la société T G dont M. Éric D est le dirigeant " ;

Considérant que la lettre intitulée " Télématique Marketing " publiée en décembre 1995 par T G est destinée à informer des professionnels des réalisations faites sur les médias électroniques pour différents produits et notamment les cigarettes Winston ;

Considérant que cette lettre Télématique et Marketing ne constitue nullement une publicité directe ou indirecte pour les cigarettes Winston ou pour une quelconque des marques qui y est citée, mais la seule mise en valeur de la qualité du travail et des prestations proposées par la société T G ;

Que par voie de conséquence la Cour confirmera le jugement attaqué en ce qu'il a débouté le CNCT des demandes dirigées contre Éric D dit L et la société T G en qualité de civilement responsable ;

Sur les demandes de la partie civile à l'encontre de Claude O et de la société GO A.

Considérant que l'insertion dans les paquets de cigarettes Winston d'un bulletin de jeux dit " ticket magique " permettant de gagner un cadeau constitue une conteste une opération de promotion de ventes d'une marque de cigarettes tendant à accroître la consommation d'un produit du tabac même si les noms de cette marque et de ce produit ne figurent pas sur ce bulletin ;

Qu'en effet ce jeu avait pour seul objet d'inciter les éventuels participants à acheter les paquets de cigarettes de marque Winston ;

Considérant que vainement Claude O et la société GO A soutiennent que le CNCT affirme sans preuve que la société GO A ait organisé cette opération ;

Qu'en effet, la Cour observe que le ticket magique comporte la mention " jeu. organisé jusqu'au 30 septembre 1995 par GO A. " ;

Que cette mention parfaitement explicite n'est pas utilisée pour identifier la société qui " récole les résultats " mais celle qui organise le jeu ;

Considérant que la seule introduction du ticket dans les paquets n'est que le début de l'infraction ;

Que l'infraction consiste en la publicité c'est à dire la sortie du ticket et sa lecture ;

Considérant que l'intervention de la société GO A ne s'est pas limitée à " gérer les résultats " postérieurement à la commission de l'infraction ;

Qu'à cet égard, outre la mention " jeu gratuit. organisé par GO A ". contenue dans le règlement, la Cour relève que la seule adresse donnée aux joueurs est celle de GO A et que le seul moyen d'obtenir les gains 1 et 2 consiste à s'adresser à cette société ;

Considérant qu'au vu des éléments soumis à son appréciation la Cour est convaincue que sans l'intervention de Claude O, PDG de la société GO A, l'opération de promotion illicite, dont il a nécessairement eu connaissance compte tenu de son ampleur, n'aurait pu être organisée ;

Que par agissements Claude O a commis, dans le cadre de la prévention de complicité de publicité illicite en faveur du tabac, une faute entraînant une réparation civile ;

Que la Cour infirmera dès lors le jugement déféré en ce qu'il a débouté la partie civile de l'intégralité des demandes dirigées contre Claude O et la société GO A ;

Considérant que le CNCT, association créée pour lutter contre le tabagisme a été reconnue d'utilité publique ;

Que cette association a subi en raison de la spécificité du but et de l'objet de sa mission, un préjudice direct et personnel, du fait de la publicité illicite en faveur du tabac, dont elle est recevable à demander réparation ;

Qu'en effet le CNCT déploie pour la sauvegarde de la santé des efforts constants de lutte contre le tabagisme qui ont été contrariés par les agissements du prévenu ;

Considérant que la Cour qui dispose des éléments nécessaires et suffisants pour apprécier le préjudice certain subi par la partie civile et résultant directement des faits visés à la prévention condamnera Claude O à verser au CNCT la somme de 70 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 6 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Que la Cour déclarera, par ailleurs, la société GO A civilement responsable de Claude O.

Sur les demandes formulées par Claude O à l'encontre de la partie civile.

Considérant qu'en formant son appel le CNCT n'a fait qu'exercer un droit prévu par l'article 496 du Code de Procédure Pénale et n'a agi, ni témérairement, ni abusivement ;

Que par ailleurs les dispositifs de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ne peuvent bénéficier au prévenu mais seulement à la partie civile ;

Que dès lors la Cour rejettera les demandes présentées par Claude O pour " appel abusif " et au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Sur la demande présentée par Éric D dit L à l'encontre de la partie civile au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Considérant que l'article 475-1 du Code de procédure pénale ne saurait permettre à la juridiction correctionnelle de condamner la partie civile à verser au prévenu une somme correspondant aux frais non recouvrables qu'il a été exposés ;

Que par voie de conséquence la Cour rejettera la demande présentée par Éric D dit L au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, Statuant sur les intérêts civils seuls en cause d'appel, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté le CNCT des demandes dirigées contre Éric D dit L, Infirme le jugement dont appel en ce qu'il a débouté le CNCT de l'intégralité des demande dirigées contre Claude O et la société GO A, Condamne Claude O à verser à la partie civile la somme de soixante dix mille francs (70 000 F) à titre de dommages-intérêts ainsi que celle de six mille francs (6 000 F) sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Déclare la société GO Associés civilement responsable de Claude O, Déboute Claude O et Éric D dit L des demandes présentée à l'encontre de CNCT. Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires.