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Décisions

Ministre de l’Économie, 22 février 1999, n° ECOC9910116Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseil de la société Polyfibron Technologies SA

Ministre de l’Économie n° ECOC9910116Y

22 février 1999

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maître,

Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 22 décembre 1998, vous avez notifié l'acquisition, par Polyfibron Technologies SA, de la société Jager Jeune dans le secteur des matériels et produits pour l'imprimerie offset.

Cette opération, en tant qu'elle emporte transfert de propriété et de jouissance sur les biens, droits et obligations de Jager Jeune au profit de Polyfibron Technologies SA, constitue une opération de concentration au sens de l'article 39 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986.

Le seuil en chiffre d'affaires prévu à l'article 38 de l'ordonnance susvisée n'étant pas franchi, il convient de définir les marchés pertinents.

L'impression offset est un procédé qui consiste à encrer une forme imprimante appelée " plaque " qui reproduit l'image sur une feuille caoutchoutée, appelée blanchet, qui, à son tour, transfère l'image sur le papier. Ce système d'impression peut être réalisé par deux type de presses : la presse rotative et la presse à feuille.

Le blanchet est une feuille de caoutchouc d'épaisseur d'environ 2 mm, de structure complexe, finement calibrée au 1/100 mm et poncée. Le blanchet offset est très important dans le processus offset, car c'est lui qui décide de la qualité d'impression et du rendement de la presse.

Les blanchets doivent satisfaire aux exigences très précises des presses auxquelles ils sont fixés. Les blanchets sont fabriqués en continu sous forme de nappes d'environ 2,50 m de large et plusieurs centaines de mètres de long. Les fabricants sont généralement des caoutchoutiers qui maîtrisent les technologies d'enduction en couches fines. Les blanchets sont découpés au format d'impression et munis de leur système de fixation (barres) par des distributeurs-transformateurs grossistes qui fournissent les imprimeurs. Le découpage et le barrage personnalisent le blanchet pour le faire correspondre aux besoins particuliers des imprimeurs : ces opérations sont indispensables à la vente des blanchets et indissociables de celle-ci.

Le rôle du distributeur-transformateur est donc essentiel car il doit sélectionner avec soin le type de blanchet en fonction des spécificités de chaque machine, de chaque client, et il doit être en mesure de fournir conseils et services techniques après-vente performants, la rapidité d'intervention étant cruciale pour les imprimeurs.

Les blanchets des principaux producteurs mondiaux sont substituables entre eux, l'imprimeur pouvant passer d'une marque à une autre au prix d'un réglage de son matériel. Pour les rotatives, une nouvelle technique tend à se substituer à celle des blanchets ; il s'agit des manchons (" sleeves ").

Le manchon présente sur le blanchet l'avantage d'être produit directement en usine aux dimensions requises par le matériel des utilisateurs et, en conséquence, de ne pas nécessiter l'opération de découpe et de barrage par le distributeur. Il permet en outre une qualité continue d'impression, précisément en raison de l'absence de barres. Cette technique n'est toutefois pas substituable à celle du blanchet dans la mesure où manchons et blanchets ne sont pas adaptables sur les mêmes matériels. Pour les gros imprimeurs, en revanche, les presses utilisant des manchons commencent à remplacer les presses utilisant des blanchets.

Les marchés pertinents concernés par cette opération sont celui des blanchets à la production et celui des blanchets découpés et barrés.

Au niveau de la production, le marché des blanchets " bruts " (non découpés) est mondial. Les professionnels estiment que le marché mondial représente environ 6 millions de mètres carrés vendus, dont approximativement 1,6 million en Europe de l'Ouest. Pour la France, le marché est de l'ordre de 250 000 m².

Au niveau de la distribution, les marchés sont essentiellement nationaux. Les producteurs de blanchets distribuent le plus souvent leurs produits par l'intermédiaire de distributeurs-transformateurs locaux : parmi les six grands producteurs, un seul est intégré verticalement en France (Day). Les distributeurs-transformateurs sont parfois " spécialisés " avec un producteur (Jager Jeune avec Reeves, Schmautz avec Rollin), ce qui ne les empêche pas de vendre également, dans une moindre mesure, des blanchets d'autres producteurs. Certains distributeurs bénéficient en revanche d'un droit exclusif (Jager Jeune est distributeur exclusif de Reeves). Enfin, ces distributeurs-transformateurs, qui assurent le découpage et le barrage des blanchets, utilisent eux-mêmes des sous-distributeurs pour atteindre tous les petits imprimeurs.

La clientèle du marché des blanchets pour l'impression offset est constituée des imprimeurs de journaux, de brochures publicitaires, d'emballages et de formulaires. On peut estimer que leur nombre est d'environ 8 200, 20 % d'entre eux représentant 80 % du potentiel du marché. La demande de blanchet est globalement très inélastique : le blanchet est d'un coût modéré dans le processus d'impression, mais il est indispensable, et sa qualité détermine la qualité de l'impression, paramètre absolument fondamental pour l'utilisateur.

Sur le marché des blanchets " bruts ", Polyfibron Technologies SA bénéficie, avec sa filiale Rollin, d'une part de (...%) (1). Sur le marché aval des blanchets " personnalisés ", la part de Jager Jeune s'élève à (...%) (2).

L'opération est par conséquent contrôlable. L'opération n'entraîne pas d'addition directe de parts de marché sur les deux marchés concernés. En revanche, elle pose des problèmes verticaux de concurrence.

Avant l'opération, Rollin, avec 16 % du marché amont en France (blanchets bruts), distribuait ses produits grâce à un distributeur-transformateur, Schmautz. Ce dernier, en complétant ses approvisionnements auprès d'autres fournisseurs, arrivait à une part de (...%) (3) du marché aval.

De son côté, la société Reeves, leader français du marché amont avec 34 %, distribuait par l'intermédiaire de Jager Jeune (...%) (4) du marché aval. Reeves était lié avec Jager Jeune par un contrat d'exclusivité asymétrique, au bénéfice de Jager Jeune.

Les autres grands concurrents au niveau amont sont Continental (24 % en France), Day (leader mondial, 10 % en France). Kinyosha et Meiji (6 % chacun). A l'exception de Day, qui vend en direct (13 % du marché aval), les autres concurrents passent par des distributeurs, exclusifs ou non : Boettcher (14 %), DIC (6 %).

La structure de la demande de blanchets est assez éclatée. Il existe de gros acheteurs (journaux nationaux, les grands imprimeurs commerciaux et les sociétés spécialisées dans l'impression sur carton ou sur métal) qui sont en position de force pour négocier leurs achats de blanchets. Une grande partie du marché est cependant constituée de petits et moyens imprimeurs dont le pouvoir de négociation est limité.

La concentration permet à Rollin d'accéder directement aux consommateurs. Cependant, elle a pour effet de priver Reeves de son distributeur, au profit de Rollin.

Si Reeves devait être exclu du marché, Rollin pourrait obtenir une part de marché d'environ 50 %, à l'aval comme à l'amont, et le marché verrait disparaître l'un des plus importants opérateurs.

Rollin pourrait donc se trouver en position dominante (premier acteur, qui plus est intégré verticalement, trois fois plus gros que le second, ce dernier n'étant pas intégré). Afin qu'une concurrence effective soit maintenue sur ces marchés, il est donc nécessaire que Reeves ne se trouve pas exclu.

Afin de répondre à cette préoccupation, vous avez pris l'engagement, par lettre du 18 février 1999, de relever Reeves du contrat d'exclusivité qui le lie à Jager Jeune et de continuer à commercialiser, par l'intermédiaire de Jager Jeune, les blanchets de Reeves à hauteur de (... m²) (5) jusqu'à (...) (6).

Ces engagements au titre de l'article 40 de l'ordonnance susvisée me paraissent de nature à résoudre les problèmes de concurrence consécutifs à cette opération.

En effet, le risque concurrentiel identifié est la création d'une position dominante par effet conjugué de l'intégration verticale de Rollin et de la disparition du principal concurrent, Reeves.

A terme, le maintien de Reeves sur ce marché est tout à fait possible, et l'opération n'y fait pas obstacle. Reeves doit cependant parvenir à mettre en place un nouveau réseau de distribution. Le risque est donc transitoire et dure tant que le nouveau système de distribution de Reeves n'est pas en place.

Or la mise en place d'un nouveau réseau de distribution ne sera pas immédiate. En effet, il est indispensable de disposer de techniciens ayant un savoir-faire adapté et d'une unité de découpage et de barrage ayant des performances élevées. De plus, un changement de distributeur ou de produit demande du temps : il est en effet nécessaire de faire des tests sur les presses de manière à obtenir une qualité optimale d'impression.

En permettant le maintien de Reeves sur le marché durant cette période, et en favorisant la transition d'un système vers l'autre, les engagements que vous proposez me paraissent suffisants pour empêcher la création d'une position dominante.

Enfin, je note qu'en l'espèce l'intégration verticale, en diminuant la distance entre le producteur et le consommateur, pourra favoriser l'échange d'informations et le développement de produits plus performants.

Ainsi, après examen de ce dossier, et compte tenu des engagements que vous avez pris, je vous informe qu'il n'est pas dans mon intention de saisir le Conseil de la concurrence de cette opération.

A la demande des parties notifiantes, les parts de marché exactes ont été occultées et remplacées par une fourchette plus générale. Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 28 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié par le décret n° 95-916 du 9 août 1995, avant-dernier alinéa.

(1) 10 % à 20 %.

(2) Entre 25 % et 35 %.

(3) 15 % à 25 %.

(4) Entre 25 % et 35 %.

(5) (...).

(6) (...).