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Décisions

Ministre de l’Économie, 5 mai 1999, n° ECOC9910184Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Président directeur général de la société Total

Ministre de l’Économie n° ECOC9910184Y

5 mai 1999

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Monsieur le président-directeur général,

La société Total a notifié le 11 février 1999 à la Commission européenne, conformément au règlement du Conseil n° 4064-89 relatif au contrôle des concentrations, son intention de fusionner avec la société belge Petrofina en acquérant dans un premier temps 40,981 % de son capital social, puis, dans un second temps, en lançant une offre publique d'échange sur l'intégralité des actions Petrofina. Cette opération, qui consiste en l'acquisition d'un contrôle unique, au sens de l'article 3, paragraphe 1, du règlement susmentionné, constitue une concentration de dimension communautaire.

Le dossier de notification a été transmis par la Commission européenne aux autorités françaises, qui en ont accusé réception le 15 février 1999. Le 3 mars 1999, ces dernières ont adressé à la Commission, en application des dispositions de l'article 9 du règlement précité, une demande de renvoi partiel pour ce qui concerne un marché distinct du stockage des produits raffinés, situés dans la région sud de la France, à l'ouest du Rhône.

Par décision du 26 mars 1999, la Commission a autorisé le renvoi partiel aux autorités françaises en estimant que l'opération menace de créer une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée d'une manière significative sur le marché du stockage dans la région sud de la France, à l'ouest du Rhône.

S'agissant d'une opération dont la finalité est la prise de contrôle des actifs de la société Petrofina par la société Total, celle-ci constitue une concentration au sens de l'article 39 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Il convient donc d'examiner si l'opération est de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché susmentionné, notamment par création ou renforcement de position dominante.

Sur le marché du stockage de produits raffinés dans la région sud de la France, à l'ouest du Rhône, la situation de l'offre est la suivante :

a) Sur la côte, l'offre est constituée :

du dépôt de Frontignan (900 000 mètres cubes), appartenant à Mobil, non repris par BP lors de la concentration entre ces deux opérateurs ; il devrait donc être acquis par Exxon dans le cadre de l'opération Exxon/Mobil. C'est un dépôt d'une ancienne raffinerie, qui tourne peu (environ deux fois par an, alors que la moyenne est de 10 à 12) en raison de ses caractéristiques (dépôt ancien, difficultés de chargement...) ;

du dépôt de Port-la-Nouvelle, détenu par Petrofina (133 000 mètres cubes) ; c'est un dépôt ouvert, Petrofina ayant de longue date pratiqué la location de capacités à des tiers ;

du dépôt de Port-la-Nouvelle, détenu par Total (28 000 mètres cubes) ; c'est un dépôt fermé utilisé pour les stocks stratégiques ;

du dépôt de Port-la-Nouvelle, détenu par Saram, filiale d'Elf (136 000 mètres cubes) ; il s'agit d'un ancien dépôt d'Esso resté ouvert ;

du dépôt de Sète, détenu par Total (120 000 mètres cubes) ; c'est un dépôt fermé, Total ne fournissant pas de produit à des tiers à partir de ce dépôt ;

b) A l'intérieur, l'offre est assurée essentiellement par :

deux dépôts Total à Toulouse (environ 95 000 mètres cubes) partiellement ouverts (à Elf) ;

un dépôt Esso à Toulouse (40 000 mètres cubes) ;

un dépôt Total à Albi (34 000 mètres cubes) ; c'est un dépôt fermé.

Total est donc déjà, avant l'opération, un offreur important de capacités dans la zone. Sa position va se trouver renforcée avec l'intégration du dépôt Petrofina de Port-la-Nouvelle, l'un des grands dépôts ouverts de la région, dont le nouvel ensemble envisage de se réserver les capacités pour ses besoins propres. De plus, l'environnement économique exclut la création de nouvelles capacités de stockage sur cette zone.

Certaines entreprises de distribution de produits pétroliers utilisatrices du dépôt Petrofina de Port-la-Nouvelle acquis par Total ont fait de ce dépôt leur principal point de passage. Dans la mesure où les clients de ce dépôt sont des concurrents directs de Total sur les marchés situés en aval, et dans la mesure où ce dépôt est un outil indispensable à l'accès à ces marchés, la prise de contrôle du dépôt pourrait permettre à Total d'empêcher l'accès à la location de capacité, et par ce biais rendre l'accès des opérateurs indépendants aux marchés de la distribution aval plus difficile et plus coûteux.

En effet, la seule possibilité alternative dont disposeraient ces opérateurs serait celle du dépôt de Frontignan, mais ce dépôt n'offre pas un service équivalent et, qui plus est, son avenir est incertain, Mobil n'ayant pas exclu, lors de sa déclaration à la Commission, d'en décider la fermeture.

Enfin, il apparaît qu'à quelques exceptions près la société Elf pratique une politique de gestion " fermée " de ses dépôts, notamment du fait de sa forte présence en aval de la vente de produits raffinés. Il est donc clair qu'aucune capacité alternative ne pourra se dégager.

A l'issue de l'opération, Total se trouverait donc en position dominante sur ce marché, cette situation risquant d'entraver de manière significative la concurrence sur le marché de stockage et par voie de conséquence sur les marchés de la distribution des produits pétroliers, dont certains acteurs sont très dépendants des détenteurs de capacités.

En conséquence, la société Total s'est engagée, par une lettre en date du 27 avril 1999, à céder le dépôt Total de Port-la-Nouvelle, l'acquéreur devant être agréé par le Ministre chargé de l'Economie. Elle s'est également engagée, vis-à-vis des clients du dépôt Petrofina, titulaires de contrats de location de capacité en vigueur, à proroger la durée de ces contrats de deux années ou, pour les contrats à durée indéterminée, à allonger la durée de préavis de deux années également. De plus, pour les clients ayant enlevé régulièrement des produits dans les douze derniers mois, Total ouvrira la possibilité de conclure des contrats d'achat de produits pétroliers à enlever dans le dépôt Petrofina pour une durée de trois ans aux conditions de prix établies en référence à la cotation Platt's zone Méditerranée. Enfin, Total s'est engagée à ouvrir, dans son dépôt de Sète, une capacité de 10 000 à 20 000 mètres cubes pour des contrats de passage ou de location d'une durée maximum de trois ans (1)[...]

Les engagements précédents, pris par la société Total au titre de l'article 40 de l'ordonnance susvisée, me paraissent de nature à rétablir une concurrence effective sur les marchés concernés.

C'est pourquoi, après examen du dossier et compte tenu des termes de votre lettre du 27 avril 1999, je vous informe qu'il n'est pas dans mon intention de saisir le Conseil de la concurrence de cette opération.

(1) A la demande des parties notifiantes, une clause particulière à l'évolution de la situation du marché a été occulté. Cette information relève du " secret d'affaires ", en application de l'article 28 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié par le décret n° 95-916 du 9 août 1995, avant-dernier alinéa.