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Décisions

CA Paris, 8e ch. B, 29 mai 1997, n° 95-00628

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Réciproque (SARL)

Défendeur :

Maigrot

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Nicole Antoine

Conseillers :

M. Piquard, Mme Prévost

Avoués :

SCP Barrier-Monin, SCP Gaultier-Kistner-Gauthier

Avocats :

Mes Crosson du Cormier, Vaisse.

CA Paris n° 95-00628

29 mai 1997

Mlle Valérie Maigrot dit Henriot, candidate au mariage, est devenue le 20 octobre 1993 adhérente de la société Réciproque, Agence matrimoniale à Neuilly-sur-Seine moyennant versement de 8 000 F d'honoraires, objet d'un prêt préalablement contracté auprès de sa banque.

Mlle Maigrot a alors adressé des photos à l'agence et accepté d'être filmée puisque le choix des adhérents devait s'effectuer entre autres façons par visionnage de cassettes vidéo.

De novembre à décembre 1993, il a été présenté à Mlle Maigrot quatre prétendants qui ne lui ont pas convenu.

A l'issue de quoi, Mlle Maigrot a demandé à Réciproque qu'une nouvelle sélection fût opérée.

Mlle Doisan, employée de Réciproque, a reçu Mlle Maigrot le 10 janvier 1994 et lui a parlé de 2 nouvelles personnes.

Le 14 janvier 1994, ne voyant rien venir (habituellement l'appel téléphonique du candidat intervient le jour même de la présentation par l'agence), Mlle Maigrot aurait interrogé celle-ci pour en connaître les rasions et se serait vue alors reprocher, en termes vifs, son impatience.

Au cours de cet entretien, Mlle Maigrot aurait, été menacée de recevoir une lettre d'avertissement et de voir son contrat rompu.

Le 25 janvier 1994, Mlle Maigrot a recontacté l'agence pour dire qu'elle avait finalement rencontré l'une des deux personnes dernièrement sélectionnées laquelle ne lui convenait pas et que la deuxième ne s'était toujours pas manifestée.

Cette fois, l'agence Réciproque lui aurait reproché, outre de l'impatience, une attitude désagréable avec les personnes qu'elle avait rencontrées et lui a annoncé une lettre de renvoi.

De fait, par courrier recommandé avec accusé de réception du 24 janvier 1994, Réciproque lui écrivit en ces termes :

" Mademoiselle,

" Nous sommes au regret de vous annoncer que malheureusement nous ne pouvons plus vous garder parmi nos adhérentes ; en effet, dans votre dossier rempli par vos soins, vous aviez annoncé que vous étiez impulsive et impatiente. Nos adhérents comme nous-mêmes venons de vivre la douloureuse expérience confirmant ces défauts ".

" Depuis que nous avons ouvert Réciproque, vous êtes la première adhérente que nous renvoyons mais malheureusement votre harcèlement téléphonique, vosrécriminations constantes, vos appels de détresse en vociférant je craque, je n'en peux plus ... ont dépassé largement les bonne règles du savoir-vivre ".

" En vertu de l'article 12, nous annulons votre contrat signé en nos bureaux à la date du 20 octobre 1993 ".

" Vous trouverez ci-joint les trois photos que vous aviez bien voulu nous confier ".

" Croyez, chère Madame, que nous en sommes désolés et nous vous prions de recevoir nos sincères salutations ".

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 28 janvier 1994, Mlle Maigrot a alors manifesté sa stupéfaction et contesté les motifs invoqués par Réciproque pour justifier l'annulation de son contrat ; par ailleurs, elle a réclamé sur le fondement de la faute de l'Agence ayant rompu unilatéralement et abusivement le contrat le remboursement de la somme versée pour l'année (8 000 F) et la restitution de la cassette vidéo la concernant.

N'ayant obtenu aucune réponse à sa lettre, Mlle Maigrot a, par exploit du 21 juin 1994, fait citer la SARL Réciproque devant le Tribunal d'instance de Saint-Ouen aux fins de la voir :

- condamner à lui restituer la somme de 8 000 F augmentée des intérêts légaux à compter du 28 janvier 1994 et à lui verser 10 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation des différents préjudices subis,

- ordonner à la société Réciproque de lui restituer la vidéo la concernant,

- condamner ladite société à lui payer 2 500 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par jugement du 21 octobre 1994, le tribunal faisant droit intégralement au principal de la demande et partiellement aux demandes accessoires a :

- condamné l'agence Réciproque à rembourser à Mlle Maigrot 8 000 F avec intérêts légaux à compter de l'assignation et 5 000 F à titre de dommages et intérêts,

- ordonné la restitution de la cassette vidéo,

- condamné l'Agence Réciproque aux dépens ainsi qu'au paiement à Mlle Maigrot de 1 500 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Réciproque a relevé appel de cette décision et conclut par son infirmation à voir :

- débouter Mlle Maigrot de toutes ses prétentions,

- et recevant l'agence en sa demande reconventionnelle, condamner Mlle Maigrot à lui payer 15 000 F en réparation du préjudice matériel et moral qui lui est causé par ses agissements, ladite somme comprenant celle de 8 000 F versée lors de la souscription du contrat,

- condamner en outre la même à lui régler 10 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Mlle Maigrot prie la cour de :

- écarter des débats les attestations de Mlle Doisan, de M. Poisson de Souzy et de M. Besson,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- jugé abusive la résiliation du contrat opérée le 24 janvier 1994,

- condamné l'agence à lui rembourser 8.000 F avec intérêts légaux à compter du 20 juin 1994, date de l'assignation,

- ordonné la restitution elle-même de la cassette vidéo la concernant,

- réformer la jugement pour le surplus et statuant à nouveau de :

- élever à 20 000 F le montant des dommages et intérêts à elle accordés,

- condamner l'agence Réciproque à lui payer 15 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR,

qui se réfère expressément pour la relation des faits au jugement attaqué, pour l'énoncé des moyens et prétentions des parties aux écritures d'appel de celles-ci,

Considérant que pour entrer en voie de condamnation contre la société Réciproque le tribunal a retenu que :

- d'une part, les attestations fournies par l'Agence émanant de personnes attachées à ses services étaient sujettes à caution et n'apportaient aucun élément objectif sur un comportement fautif de Mlle Maigrot à l'égard de l'Agence susceptible de motiver la lettre de résiliation du 24 janvier 1994,

- d'autre part, l'article 12 du contrat qui prévoit l'annulation du contrat sans indemnité aurait un caractère potestatif en ce qu'il dresse une liste de comportements-types exigés des adhérents dont l'évaluation est laissée à la seule appréciation de l'Agence de la seule volonté de laquelle dépend donc la poursuite ou non des clauses contractuelles ;

Considérant qu'au soutien de son appel la société Réciproque fait valoir :

- que les attestations (Poisson de Souzy, et Doisan Marine) renforcées par les nouveaux éléments qu'elle produit en cause d'appel (témoignage Besson et seconde attestation Doisan) démontrent le comportement éminent fautif de Mlle Maigrot ayant proféré à l'adresse du personnel de l'agence et devant des tiers des injures et propos orduriers tels que " je n'en peux plus de vos gueules de cons, vous êtes tous des enculés " ou encore " espèce de pédé ", " vous entendrez parler de moi ; je ne suis pas n'importe qui, bandes de nazis ",

- qu'un tel comportement dans les relations de courtoisie qui sont de l'essence même du contrat d'agence matrimoniale constitue une faute lourde justifiant la résiliation sans que puisse être relevé un caractère potestatif à l'article 12 qui se réfère à " la morale usuelle, au savoir-vivre et à la discrétion ",

- qu'en tout état de cause les contrats doivent être exécutés de bonne foi, ce qui n'a pas été le cas par Mlle Maigrot ;

Mais considérant, sur les attestations produites par l'agence que force est de constater qu'à l'exception du " témoignage " Besson elles émanent toutes de membres du personnel de celle-ci, que leur contenu ajoute considérablement à la motivation de la lettre de rupture du 24 janvier 1994 où il était uniquement question de harcèlement téléphonique, de récrimination et d'appels de détresse et en aucun cas de menaces et injures proférées dans les termes vulgaires ci-dessus rapportés ; que le comportement et les dérapages de langage qui sont ainsi prêtés a posteriori à Mlle Maigrot apparaissent suspects au regard des attestations contraires qu'elles versent pour sa part aux débats où elle est dépeinte par des personnes dignes de foi comme une jeune femme de bonne éducation, posée et sensible ;

Considérant qu'en en définitive produit par l'agence le " témoignage " d'un seul tiers, M. Georges Besson et non de tiers au pluriel comme le mentionnait dans ses conclusions ;

Or, considérant que Mlle Maigrot établit par la note technique du 7 avril 1995 de Mme de Ricci d'Arboux, expert de la liste nationale, dont elle a sollicité l'avis un défaut flagrant de concordance graphique entre le contenu de l'attestation manuscrite de M. Besson et la signature de celle-ci qui elle-même apparaît diverger du spécimen apposé sur le passeport de l'intéressée ; qu'il convient donc d'écarter des débats cette attestation dont la fiabilité laisse à désirer et ce d'autant qu'elle n'est pas même datée et que la mention de l'année de naissance de son auteur ne paraît par ailleurs pas correspondre à celle figurant sur la pièce d'identité ; qu'il ne reste dès lors que les attestations de M. Poisson de Souzy et de Mlle Doisan, préposés de la société, à propos desquelles le tribunal à juste titre a relevé qu'elles ne constituaient nullement un élément de preuve pouvant servir à la motivation de la lettre de résiliation du 24 janvier 1994 ;

Considérant que l'agence Réciproque, pour évincer Mlle Maigrot a invoqué l'article 12 du contrat du 20 octobre 1993 qui stipule :

" L'adhérent s'engage à observer tant vis-à-vis de Réciproque que de toute personne avec laquelle il aura été mis en relation par son intermédiaire les règles de la morale usuelle, du savoir-vivre, de la discrétion qui s'imposent et s'abstiendra de tout harcèlement abusif. L'adhérent s'engage à ne pas révéler les noms des personnes avec lesquelles il aura été mis en contact par l'intermédiaire de Réciproque. Toute dérogation à ces règles entraînerait l'annulation de droit du présent contrat sans indemnité " ;

Considérant que la loi du 23 juin 1989 a réglementé le courtage matrimonial, contrat de consommation, afin d'éviter tout abus de puissance économique du professionnel ; qu'ainsi l'article 6-1 in fine prévoit : " ces contrats sont établis pour une durée déterminée qui ne peut être supérieure à un an ; ils ne peuvent être renouvelés par tacite reconduction ; ils prévoient une faculté de résiliation pour motif légitime au profit des deux parties " ; que cette disposition a justement été prévue pour empêcher les clauses par lesquelles l'agence se réserve le droit de mettre fin au contrat de façon discrétionnaire ; que l'article 12 du contrat du 20 octobre 1993 qui offre la possibilité à l'Agence d'annuler le contrat souscrit, sans motivation et sans indemnité pour le contractant, constitue d'une part une clause potestative et d'autre part une clause abusive au sens de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978 dont le premier a par suite à bon droit écarté l'application ;

Considérant que l'agence Réciproque qui dans son courrier du 24 janvier 1994 se bornait à invoquer l'impulsivité et l'impatience de Mlle Maigrot n'a ce faisant justifié d'aucune faute objective pouvant constituer un motif légitime de résiliation au sens de l'article 15 du contrat qui n'est d'ailleurs pas même cité ;

Considérant qu'en dénonçant ainsi unilatéralement le contrat sans raison valable la société Réciproque a commis une faute lourde qui justifie la résiliation judiciaire de celui-ci au profit de l'adhérente impliquant remboursement du prix initialement convenu sans qu'il y ait toutefois eu égard à la gravité de la faute à application d'une quelconque réduction au prorata temporis sur celui-ci ;

Qu'il y a lieu dans ces conditions de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a tenu pour abusive la dénonciation du contrat opéré par la lettre recommandée du 24 janvier 1994, condamné l'agence Réciproque à restituer à Mlle Maigrot la somme de 8 000 F et ordonné par ailleurs la restitution à celle-ci de la cassette vidéo ;

Considérant que cette restitution n'étant qu'un effet obligé de la résiliation judiciaire du contrat, les intérêts sur la somme précitée doivent après réformation du jugement sur ce point particulier courir du prononcé de celui-ci et non de l'assignation ;

Considérant, sur la demande en dommages et intérêts, que la société Réciproque profitant de l'avantage psychologique qu'elle tenait du contrat de par certaines confidences que l'adhérente en réponse au questionnaire initialement souscrit avait pu faire sur certains aspects de sa personnalité n'a pas hésité, pour les besoins de la cause, par une caricature de ceux-ci et en versant par ailleurs aux débats une pièce douteuse qui a dû être écartée, à discréditer sans fondement Mlle Maigrot dans des conditions blessantes pour elle et à l'origine d'un préjudice moral certain dont le premier juge a fait une exacte appréciation en fixant le montant à la somme de 5 000 F qu'il y a lieu de confirmer ;

Considérant qu'il sera équitablement alloué à Mlle Maigrot 6 000 F pour frais irrépétibles d'appel ;

Considérant que la société Réciproque qui succombe verra rejeter ses demandes à dommages et intérêts et au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et supportera les dépens ;

Par ces motifs : Écarte des débats l'attestation non datée établie au nom de Besson Georges ; Confirme le jugement sauf en ce qui concerne le point de départ des intérêts légaux sur la somme de 8 000 F ; Le réformant de ce chef et statuant à nouveau : Dit que les intérêts sur la somme précitée courent du 23 septembre 1994 ; Y ajoutant, Condamne la société Réciproque à payer à Mlle Valérie Maigrot dit Henriot 6 000 F pour frais irrépétibles d'appel ; Déboute la société Réciproque de ses demandes en dommages et intérêts et au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Le condamne aux dépens d'appel ; Admet la SCP Gaultier Kistner, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.