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Décisions

CA Paris, 8e ch. D, 1 décembre 1998, n° 1996-02324

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pulini, Press Labo Service (SA)

Défendeur :

Lebrun

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gadel

Conseillers :

Mme Bonnan-Garçon, M. Thery

Avoués :

Me Blin, SCP Annie Baskal

Avocat :

Me Moutot.

TI Paris, 3e arrdt., du 14 sept. 1995

14 septembre 1995

À l'occasion de ses dix-neuf ans, Marine Lebrun avait organisé une grande fête. Des photographies avaient été prises. Le 3 novembre 1994, elle confiait trois pellicules à Alain Pulini. Ces pellicules étaient égarées.

Sur l'action en réparation de son préjudice introduite à la requête de la demoiselle Lebrun, le Tribunal d'instance de Paris, 3e arrondissement a, par jugement du 14 septembre 1995, condamné Pulini à lui payer la somme de 15 000 F avec les intérêts au taux légal à compter de la décision.

Le 7 décembre 1995, Pulini a relevé appel de cette décision.

Au motif qu'il n'avait agi que comme mandataire de la société Press Labo Service, celle-ci intervient volontairement aux débats.

Pulini et la société Press Labo Service demandent à la cour de mettre hors de cause Pulini, de faire droit à l'intervention volontaire de la société Press Labo Service, de dire la demande de la demoiselle Lebrun irrecevable et mal fondée et de la débouter de toutes ses demandes, de constater la validité de la clause limitative de responsabilité et de dire libératoire l'offre fait de la remise d'un nombre équivalent à celui confié de pellicule vierge avec développement gratuit, subsidiairement de dire que la demoiselle Lebrun n'apporte pas la preuve de son préjudice et de dire que le dommage allégué était imprévisible au sens de l'article 1150 du Code civil, en tout état de cause de condamner la demoiselle Lebrun à verser à Pulini et à la société Press Labo Service la somme de 4 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

A l'appui de l'appel interjeté par Pulini, ce dernier et la société Press Labo Service font valoir :

1°) Sur la mise hors de cause de Pulini :

- que Pulini s'est contenté de servir d'intermédiaire pour le compte de la société Press Labo Service,

- que le véritable co-contractant de la demoiselle Lebrun est la société Press Labo Service, Pulini n'étant que son mandataire,

- que Pulini doit donc être mis hors de cause,

2°) Sur l'inexistence de la faute :

- que la demoiselle Lebrun n'établit pas la faute commise,

- que la perte a pu se faire dans l'acheminement des pellicules, la société Press Labo Service ne les ayant jamais réceptionnées,

- que la société Press Labo Service n'est pas tenu à une obligation de résultat,

- que néanmoins, à titre commercial, il a été offert le dédommagement forfaitaire prévu qui a été refusé,

3°) Sur la clause limitative de responsabilité :

- qu'il est d'usage courant qu'en cas de détérioration ou perte, le remboursement d'une pellicule vierge équivalente assure la réparation du dommage,

- qu'en effet, une clause limitative de responsabilité est prévue sur le coupon-ticket remis au client, ce que reconnaît la demoiselle Lebrun, et qu'elle est strictement conforme au rapport du Conseil National de la Consommation pris en séance plénière du 1er décembre 1988,

- que cette clause limitative de responsabilité est, au regard des dispositions législatives actuelles, valide,

- que dans un arrêt de principe du 19 janvier 1982, la Cour de cassation rappelle qu' " aucune disposition légale ne prohibe d'une façon générale l'insertion des clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité dans les contrats d'adhésion ",

- que la jurisprudence ne prohibe les clauses de non-responsabilité qu'en matière de responsabilité délictuelle ou quand un dol peut être relevé contre le débiteur,

- qu'en l'espèce, le client reçoit un document indiquant clairement, de façon lisible et en caractères suffisants, qu'il existe une clause limitative de responsabilité,

- que l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978 ne prohibe pas la clause limitative de responsabilité insérée au présent contrat,

- qu'aucun décret n'est intervenu en ce qui concerne l'espèce prohibant la clause litigieuse,

- que le contrat litigieux est un contrat de prestation de service et non un contrat de vente visé par l'article 2 du décret du 24 mars 1978,

- qu'enfin, la clause litigieuse ne peut être considérée comme abusive, alors qu'elle est conforme à l'avis du 1er décembre 1988 par le Conseil National de la consommation relatif au droit à réparation du consommateur en cas de perte ou de détérioration de films photographiques,

- que pour un cas similaire, la Cour de cassation a, par arrêt du 24 février 1993, validé la clause limitative,

- que si dans un arrêt du 14 mai 1991, la Cour de cassation a déclaré une clause abusive, c'est en raison de son caractère exonératoire total, ce qui n'est pas le cas en l'espèce,

4°) Sur l'imprévisibilité du dommage :

- que la demoiselle Lebrun prétend que le dommage est exceptionnel, mais que le dommage allégué par l'intimée était imprévisible au sens de l'article 1150 du Code civil,

- que la jurisprudence considère qu'est imprévisible non seulement le dommage imprévisible dans sa cause, mais aussi le dommage dont la cause était prévisible, mais dont la quotité ne pouvait être prévue lors de la formation du contrat,

- que l'appréciation doit être faite in abstracto,

- qu'en l'espèce, la demoiselle Lebrun tente de faire croire, ce que le tribunal a retenu, que les clichés perdus revêtaient un caractère exceptionnel pour elle, comme étant des souvenirs d'une soirée qu'elle avait donnée,

- mais que la demoiselle Lebrun devait alors avertir son co-contractant qui ne pouvait prévoir se caractère exceptionnel lors de la conclusion du contrat.

De son côté, la demoiselle Lebrun sollicite la confirmation du jugement déféré, le débouté de Pulini de toutes ses demandes et sa condamnation à lui payer la somme de 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, l'intimée fait observer :

- que Pulini conclut à sa mise hors de cause au motif qu'il s'est contenté de servir d'intermédiaire pour le compte de la société Press Labo Service, mais que ce moyen est inopérant puisqu'il existe bien un contrat par lequel la demoiselle Lebrun a remis des pellicules à Pulini qui s'engageait de son côté à les lui restituer développées.

- qu'il s'agit d'un contrat de prestation de service,

- que Pulini a ici la qualité de locateur d'ouvrage,

- qu'il résulte des dispositions de l'article 1789 du Code civil que le locateur d'ouvrage est tenu de restituer la chose qu'il a reçue et ne peut s'exonérer de sa responsabilité que par la preuve de l'absence de faute, ce qui ne fait pas Pulini,

- que c'est à juste titre que le premier juge a retenu la responsabilité contractuelle de Pulini,

- que c'est tout aussi vainement que Pulini soutient que la clause limitative de responsabilité figurant au dos du reçu du dépôt des pellicules serait valide au regard des dispositions législatives actuelles et que la jurisprudence serait constante sur ce point,

- mais que si la loi du 10 janvier 1978 ne prohibe pas les clauses limitatives de responsabilité, il ne saurait être fait abstraction du droit commun en la matière,

- que l'article L. 132-1 du Code de la consommation ne fournit pas une liste exhaustive des types de clauses abusives et qu'un décret spécifique à la matière de l'espèce n'est pas nécessaire pour qu'une clause abusive soit sanctionnée,

- qu'il résulte de l'article L. 132-1 du Code de consommation que " dans les contrats conclu entre professionnels et non professionnels ou consommateurs sont abusives les clauses qui ont pour objet de créer au détriment du non professionnel ou consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ",

- qu'en l'espèce, il s'agit bien d'une clause abusive puisqu'elle permet à Pulini, professionnel, de ne pas respecter ses obligations en ne risquant de devoir indemniser qu'en fournissant une malheureuse pellicule vierge,

- que Pulini soutient encore que la demoiselle Lebrun aurait dû l'avertir du caractère exceptionnel que revêtaient les films remis,

- mais que ce moyen est inopérant puisqu'en général les photographies sont prises lors d'évènements particuliers,

- que, d'autre part, on pourrait déduire de cet argument que Pulini ne prend soin des pellicules qui lui sont confiées que si leur propriétaire lui spécifie qu'il s'agit de films importants ;

- que la procédure a été abusivement poursuivie devant la cour.

Aux termes de conclusions en réponse, Pulini et la société Press Labo Service soutiennent :

1°) Sur la mise hors de cause de Pulini :

- que Pulini doit être mis hors de cause, ayant agi uniquement comme mandataire de la société Press Labo Service, se faisant remettre les pellicules par la cliente pour les lui restituer après traitement et tirage par celle-ci,

- que contrairement à ce qui soutient la demoiselle Lebrun, Pulini n'a pas agi en son propre nom et n'a pas la qualité de locateur d'ouvrage,

- que les pochettes où sont insérées les pellicules et le ticket remis au client sont au nom de la société Press Labo Service,

- que l'ensemble des pièces du dossier montre que le contrat de prestation de service a été conclu avec la société Press Labo Service,

- qu'enfin, aucune faute n'est alléguée ni démontrée à l'égard de Pulini,

2°) Sur la clause limitative de responsabilité :

- que la demoiselle Lebrun soutient que la clause litigieuse est abusive au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation,

- mais que la clause insérée sur le ticket remis au client n'est pas contraire à l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978 ou à l'article L. 132-1 du Code de la consommation,

- que le libellé de la clause est strictement celui préconisé par le rapport du Conseil National de la Consommation du 1er décembre 1988,

- que dès lors il ne saurait être dit que ladite clause serait abusive,

- qu'il n'y a aucun usage de position dominante pour un avantage excessif, d'autant que le contrat offre au client la possibilité de signaler, au moment de la remise des films, la valeur exceptionnelle qu'il attache aux travaux afin de faciliter la négociation de gré à gré,

3°) Sur l'imprévisibilité du dommage :

- que le dommage allégué par la demoiselle Lebrun était imprévisible au sens de l'article 1150 du Code civil,

- que la demoiselle Lebrun n'a nullement signalé lors du dépôt des pellicules leur caractère exceptionnel,

- que le laboratoire ne peut imaginer que les photographies confiées sont d'une importance exceptionnelle pour le client s'il ne le signale pas.

Aux termes de conclusions complémentaires, la demoiselle Lebrun souligne :

- que si la cour mettait hors de cause Pulini, elle adjugerait contre la société Press Labo Service les conclusions prises par l'intimée contre Pulini,

- que l'intimée a suffisamment démontré dans ses précédentes écritures que la clause était indiscutablement abusive, exonérant totalement de sa responsabilité un professionnel qui a failli à ses obligations,

- qu'il ne saurait être admis qu'un laboratoire de développement perde les pellicules remises, et ce, impunément.

Sur ce :

Considérant, sur la demande de mise hors de cause de Pulini que ce dernier et la société Press Labo Service affirment qu'ils étaient liés par un contrat de mandat et que le véritable co-contractant de la demoiselle Lebrun est la société Press Labo Service ; qu'un contrat de mandat étant un contrat intuitu personae, un tiers ne peut en contester la réalité ; qu'en outre, les reçus délivrés à la demoiselle Lebrun lors de la remises des pellicules sont au nom de " Press Labo Service " ; que n'étant que mandataire, Pulini doit être mis hors de cause et la décision attaquée réformée de ce chef ;

Considérant, sur le fond, que la société Press Labo Service ne conteste ni la remise des pellicules par la demoiselle Lebrun, ni la perte desdites pellicules ; qu'elle doit donc être déclarée responsable de cette perte ;

Considérant, sur la clause limitative de responsabilité, qu'au verso de la pochette faisant fonction de reçu remise au client, il est mentionné la clause suivante : " Dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle la pochette a été réclamée, la non-restitution ou la détérioration totale de tous clichés, films ou documents confiés donnera lieu à un dédommagement représenté par un film vierge et son traitement gratuit ou par leur contre-valeur (avoir ou espèces) au choix du client " ;

Considérant que le premier juge a considéré cette clause comme abusive au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation ;

Mais considérant qu'une telle clause ne figure pas dans l'annexe de ce texte de loi répertoriant les clauses abusives ; qu'en outre, un avis adopté le 7 avril 1995 par la Commission des clauses abusives décide qu'une telle clause n'est pas abusive au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation ; qu'au surplus, le libellé de cette clause a été expressément adopté par le Conseil National de la Consommation dans un rapport adopté le 1er décembre 1988 ; qu'enfin, il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation (arrêt du 24 février 1993) que l'application d'une clause limitative de responsabilité ne peut être écartée qu'en cas de dol ou de faute lourde du débiteur ;

Considérant, sur l'imprévisibilité du dommage, que pour rendre la décision entreprise, le tribunal a retenu que les films perdus avaient été tournés à l'occasion d'un événement irréversible de la comme une fête organisée en vue de l'anniversaire des 19 ans de la demoiselle Lebrun et que la réparation contractuelle proposée était inappropriée ;

Mais considérant, tout d'abord, qu'au verso de la pochette, il est mentionné la mise en garde suivante : " Dans le cas des travaux ayant une importance exceptionnelle, il est recommandé d'en faire la déclaration lors de leur remise afin de faciliter une négociation de gré à gré " ;qu'en l'espèce, il appartenait à la demoiselle Lebrun, lors de la remise des pellicules à Pulini, de prévenir ce dernier de ce que ces films représentaient des scènes auxquelles elle tenait beaucoup et que leur traitement devait être conduit avec délicatesse ;

Considérant, d'autre part, que l'article 1150 du Code civil dispose que la débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée ;que la Cour de cassation a jugé (Civ. 1re, 17 juillet 1990 - JCSL 1991 II 21674) que violait l'article 1150 le jugement qui condamnait une société de développement de pellicules photographiques à verser à un client dont les pellicules avaient été égarées une indemnité supérieure à celle prévue au contrat, en retenant la nullité de la clause prévoyant une réparation forfaitaire, alors que le contrat qui fixait le montant des dommages convenus en cas de perte, offrait au client la possibilité de signaler, au moment de l'envoi des pellicules, moyennant une somme supplémentaire, la valeur exceptionnelle qu'il leur attachait et d'obtenir alors une indemnité non forfaitaire ;qu'une telle jurisprudence n'est, au demeurant, que l'application de l'article 1134 du Code civil qui dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ;

Considérant ainsi que la société Press Labo Service doit exclusivement être condamnée à la réparation prévue au verso de la pochette ;

Considérant que les dépens doivent suivre le sort du principal ; qu'il ne serait pas équitable de laisser à la demoiselle Lebrun la charge des frais non compris dans les dépens exposés en première instance et en appel et qu'il doit lui être alloué à ce titre la somme de 7 000 F ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel régulier en la forme ; Donne acte à la société Press Labo Service de son intervention volontaire, Réformant le jugement déféré et statuant à nouveau, Met hors de cause Alain Pulini ; Déclaré la société Press Labo Service responsable de la perte des pellicules remises par Marine Lebrun ; Condamne la société Press Labo Service à remettre à Marine Lebrun trois pellicules vierges et à assurer le traitement gratuit de trois pellicules ou, en cas de refus, leur contre-valeur ; Condamne la société Press Labo Service aux dépens de première instance et d'appel et à payer à Marine Lebrun la somme de 7 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Autorise la SCP Annie Baskal, avoués associés, à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.