Ministre de l’Économie, 5 janvier 1998, n° ECOC9810177Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseil de la société SOGELFA
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maître,
Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 22 octobre 1997 par les autorités françaises, les sociétés SOGELFA, filiale du groupe Elf Aquitaine, et Compagnie nationale de navigation (CNN), filiale du groupe Worms et Cie ont notifié à la Commission européenne, conformément au règlement du Conseil n° 4064-89 relatif au contrôle des concentrations, leur acquisition de 41,5 % des actions de la Compagnie générale européenne de stockage (CGES), société holding de droit français, dont le seul actif est la Compagnie industrielle maritime (CIM).
Cette société exploite des installations de réception, expédition et stockage de pétrole brut et de produits pétroliers finis dans le cadre d'un traité de concession accordé par le Port autonome du Havre. Elle est par ailleurs propriétaire de dépôts de produits pétroliers finis situés à Coignières (Yvelines), Grigny (Essonne), Bouchemaine (Maine-et-Loire) et Saint-Pierre-des-Corps (lndre-et-Loire).
Le 10 novembre 1997, les autorités françaises ont adressé à la Commission, en application des dispositions de l'article 9 du règlement précité, une demande de renvoi partiel pour ce qui concerne ses effets sur les marchés locaux du stockage de pétrole brut et des produits pétroliers finis, ainsi que sur les marchés de la production de produits pétroliers dans la vallée de la Basse-Seine et de la distribution des produits pétroliers dans la zone de chalandise des dépôts de distribution concernés.
Par décision du 1er décembre 1997, la Commission a autorisé le renvoi partiel aux autorités françaises, pour les marchés locaux du stockage du pétrole brut et des produits pétroliers finis. Il convient donc d'examiner cette opération sur le fondement du titre V de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
A son terme, SOGELFA et CNN détiennent chacune 37 % du capital de la CIM et désignent les instances de direction de l'entreprise. Le solde de son capital est détenu à 13 % par le Financière Saint-Dominique, filiale du Crédit national, et à 13 % par COMIPAR. S'agissant d'une opération dont la finalité est la prise de contrôle des actifs de la CIM, celle-ci constitue une concentration au sens de l'article 39 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.
Le secteur économique concerné par la présente concentration est celui du stockage et de la manutention du pétrole brut et des produits pétroliers. Les marchés géographiquement pertinents pour ces deux catégories de stockage sont des marchés locaux.
La dimension géographique du marché du stockage, au Havre, du pétrole brut destiné aux compagnies pétrolières nationales est définie par l'implantation des installations dans lesquelles celui-ci est raffiné, à savoir les raffineries Total à Gonfreville, Esso à Port-Jérôme, Mobil France à Notre-Dame-de-Gravenchon, Shell à Petit-Couronne, Elf à Grandpuits.
La dimension géographique du marché du stockage des produits finis dépend, quant à elle, de la zone dans laquelle ces produits sont commercialisés.
Le dépôt portuaire de produits finis du Havre n'est pas équipé pour les livraisons locales par camion, le marché local étant approvisionné par les raffineries de la Basse-Seine. Les produits importés par ce dépôt en vue de leur distribution sur le marché national sont réexpédiés par oléoduc vers la région parisienne et la zone d'Orléans et Tours. Une partie du dépôt est utilisée par la SAGESS, dont le rôle est de constituer et de conserver des stocks de sécurité.
Les autres dépôts de la CIM, dans la région parisienne et dans le Centre-Ouest, sont des dépôts de distribution de taille moyenne destinés à la desserte locale. La dimension géographique du marché de chacun de ces dépôts dépend de plusieurs facteurs : raccordement ou non à des moyens de transports massifs, nature des produits susceptibles d'être stockés, configuration de la logistique de chaque client du dépôt, importance de la population locale...
Tous les dépôts de la CIM, sauf celui de Bouchemaine, sont reliés à l'oléoduc TRAPIL. Deux d'entre eux, Grigny et Saint-Pierre-des-Corps, ont des capacités de stockage équilibrées en essence et en gazole ou fioul domestique (44 700 m3 pour les essences et 40 220 m3 pour le gazole et le fioul à Grigny, 29 270 m3 pour les essences et 12 420 m3 pour le gazole et le fioul à Saint-Pierre-des-Corps). Cela permet aux distributeurs indépendants et aux compagnies pétrolières qui utilisent ces dépôts de livrer les points de vente au détail de carburants par camions multi-produits. Compte tenu de la taille de ces équipements et de l'éloignement des autres moyens logistiques dont disposent leurs clients, ces livraisons s'effectuent généralement dans un rayon de l'ordre de 150 kilomètres. En pratique, la zone de chalandise du dépôt de Grigny recouvre approximativement les départements des Yvelines, de l'Essonne, des Hauts-de-Seine, le sud de la Seine et Marne, le Val-de-Marne, le Loiret et l'Eure-et-Loir. La zone de chalandise du dépôt de Saint-Pierre-des-Corps, quant à elle, s'étend sur les départements de l'Indre-et-Loire, de l'Indre, du Loir-et-Cher, de la Sarthe, du Maine-et-Loire et de la Vienne.
Le dépôt de Coignières a une faible capacité de stockage d'essences (2 989 m3 pour 41 647 m3 de stockage de gazole ou fioul), ce qui limite les possibilités de livraisons par camions multi-produits à partir de ce dépôt. De ce fait, plus de la moitié des capacités sont actuellement utilisées par la SAGESS, pour la conservation des stocks de sécurité. Le reste de la clientèle du dépôt est composée d'enseignes de la grande distribution et d'entreprises de distribution de fioul domestique. Cette activité implique des livraisons à une clientèle dispersée, dans un rayon qui n'excède généralement pas une trentaine de kilomètres. La zone de chalandise du dépôt couvre le département des Yvelines et une partie des départements limitrophes (Essonne, Hauts-de-Seine, Val-d'Oise, Eure-et-Loir).
Le dépôt de Bouchemaine a également une faible capacité de stockage d'essences (3 500 m3 pour 71 500 m3 de gazole et de fioul domestique) et il n'est pas raccordé à un oléoduc. La SAGESS utilise 61 % du dépôt pour la conservation des stocks de sécurité. Le seul autre client du dépôt est Elf, qui utilise une partie des capacités pour la distribution de produits pétroliers autour d'Angers.
Il convient d'apprécier, sur chacun des marchés ainsi définis, les risques d'atteinte à la concurrence qui résultent de la présente concentration.
Le dépôt portuaire de pétrole brut du Havre est le seul à pouvoir accueillir le pétrole brut importé par les raffineurs de la Basse-Seine et de la région parisienne. De 1994 à 1996, le volume annuel de ces importations a varié entre 28,5 MT et 29,4 MT. Il représente environ 35 % des importations nationales de pétrole brut.
Le dépôt portuaire de produits finis du Havre est utilisé de manière constante par trois raffineurs et par la SAGESS, qui occupent la moitié des capacités. L'autre moitié est utilisée par les traders selon les opportunités du marché. Les distributeurs non raffineurs ne louent pas de capacités de stockage dans le port du Havre, mais sont susceptibles de s'approvisionner auprès des traders, dont l'activité locale a toutefois fortement diminué ces dernières années. Leurs importations sont en effet passées de 891 000 m3 en 1994 à 17 8000 m3 en 1996.
Le volume global des produits importés par ce dépôt est passé de 1 929 700 m3 en 1994 à 1 873 000 m3 en 1996, soit environ 5% des importations nationales de produits pétroliers. Ces importations sont nécessaires pour approvisionner le marché au stade de la distribution, la production de l'industrie nationale du raffinage étant structurellement déficitaire en gazole, en fioul domestique et en carburéacteur, qui représentent près de 80 % des produits importés par le dépôt du Havre.
Ces dépôts sont exploites par la CIM dans le cadre d'un contrai de concession accordé par le Port autonome du Havre. Ce contrat prévoit que, sous réserve de la priorité résultant de l'ordre de mise à poste et des cas d'urgence dont l'appréciation appartiendra aux agents charges de la police du port, les installations seront mises à la disposition des usagers suivant l'ordre des demandes, inscrites sur un registre à souche qui peut être communiqué à toute personne intéressée à en prendre connaissance. Il prévoit par ailleurs que le concessionnaire est tenu de mettre les installations à la disposition du public, non seulement pendant les jours et heures réglementaires du travail de la douane, mais encore en dehors de ces périodes, de jour et de nuit, quand le travail à effectuer aura été autorisé par la douane.
Les tarifs font l'objet d'un barème public. Le contrat de concession prévoit par ailleurs que toute difficulté d'application des tarifs survenant entre le concessionnaire et les usagers sera soumise à l'arbitrage du port autonome et que le concessionnaire pourra appliquer des tarifs inférieurs à ceux du barème, sous forme d'abonnement pour les usagers réguliers ou en raison de la quantité de services qui lui est confiée.
Un accord cadre a été conclu pour dix ans, à compter du 1er janvier 1994, entre le Port autonome du Havre, la CIM et l'Union française des industries pétrolières (UFIP) mandataire des sociétés de raffinage, afin de préciser certaines conditions d'application du contrat de concession.
Il prévoit que la tarification des services rendus par la CIM pour la réception, le stockage et la réexpédition du pétrole brut fera l'objet d'accords triennaux comportant un engagement des sociétés pétrolières sur la capacité louée et le trafic prévu pendant la période de trois ans et un engagement de la CIM sur une évolution annuelle des tarifs ne dépassant pas l'évolution générale des prix à la consommation. Des accords triennaux ont effectivement été signés par le port autonome, la CIM et l'UFIP, mandataire des raffineurs, pour les périodes 1995-1997 et 1998-2000. En pratique, les tarifs applicables aux produits pétroliers finis suivent la même évolution que celle définie pour le pétrole brut.
Cet ensemble de dispositions a, jusqu'ici, permis de garantir la compétitivité de cet outil d'infrastructure essentiel au fonctionnement du marché, ainsi que des conditions équitables d'accès pour l'ensemble des utilisateurs du dépôt. Les raffineurs de la Basse-Seine et de la région parisienne sont en concurrence directe avec d'autres unités de raffinage situées sur la côte Atlantique, la Manche et la mer du Nord. Le principal risque d'atteinte à la concurrence qui pourrait résulter de la présente concentration serait donc une augmentation des coûts d'utilisation des dépôts portuaires qui pourrait affecter leur compétitivité.
Les dépôts de distribution de la CIM jouent un rôle important dans le fonctionnement concurrentiel du marché au stade de la distribution. dans la zone qu'ils desservent.
L'accès à des capacités de stockage est indispensable pour exercer une activité de distribution. Il s'agit par ailleurs de ressources rares. Depuis une dizaine d'années, les capacités de stockage disponibles sont en diminution constante et la création de nouveaux dépôts est rare, en raison de l'importance des investissements nécessaires, des contraintes logistiques inhérentes à leur localisation (raccordement à des moyens de transports massifs) et des difficultés que la création de tels équipements suscite du point de vue de la protection de l'environnement.
Les dépôts de la CIM sont ouverts à tous les opérateurs alors que, pour des raisons historiques, la totalité des stockages en raffineries et la majorité des stockages de distribution appartiennent individuellement ou collectivement aux raffineurs. Leur utilisation est réservée en priorité aux actionnaires, qui décident discrétionnairement d'en ouvrir, ou non, l'accès à des tiers. Jusqu'à une période récente, le nombre de dépôts ouverts par les raffineurs aux distributeurs indépendants, qui sont leurs concurrents au stade de la distribution, étant très limité.
Les autorités françaises de la concurrence ont à diverses reprises estimé nécessaire, pour garantir un fonctionnement concurrentiel du marché, d'imposer la rétrocession à des opérateurs indépendants des raffineurs de certains dépôts ou la mise en œuvre des mesures propres à garantir un accès équitable des tiers et un fonctionnement ouvert d'autres dépôts (arrêté ministériel et avis n° 91-A-04 du Conseil de la concurrence relatifs au rachat, par Elf, des sociétés Les fils de Jules Bianco et Compagnie pétrolière et commerciale de l'Ouest décision ministérielle et avis n° 95-A-11 du Conseil de la concurrence relatifs à l'acquisition, par Total Raffinage Distribution, de la participation détenue par des sociétés du groupe Bolloré Technologies dans le dépôt pétrolier de Fos; avis n° 93-A-15 du Conseil de la concurrence relatif aux conditions d'exploitation de l'oléoduc Donges-Melun-Metz).
En l'espèce, selon les parties notifiantes, le dépôt de Coignières représente entre 22 et 46 % des capacités " ouvertes " à l'ouest de Paris, celui de Grigny 47 à 72 % des capacités " ouvertes " au sud de Paris, celui de Bouchemaine 100 % des capacités " ouvertes" à proximité d'Angers et celui de Saint-Pierre-des-Corps 62 à 83 % des capacités " ouvertes" à proximité de Tours.
Le volume d'activité du dépôt de Coignières (260 000 m3 en 1996) correspond à 7,2% de la consommation de gazole et de fioul domestique dans les départements des Yvelines, de l'Essonne, des Hauts-de-Seine et d'Eure-et-Loir. Ce dépôt dispose actuellement de capacités disponibles. L'activité des distributeurs y est cependant soutenue. Elle représente en effet 14,2 fois les volumes loués (hors volumes utilises par la SAGESS), alors que d'autres dépôts de la région parisienne enregistrent une activité annuelle correspondant à six à huit fois les capacités disponibles.
La totalité des capacités du dépôt de Grigny est louée par près d'une vingtaine de distributeurs. Il est proche de la saturation. Son volume d'activité pour 1996 (1 180 205 m3) représente en effet 14 fois les capacités disponibles. Il correspond à 13,2% des carburants et du fioul domestique distribués dans les départements de l'Essonne, des Hauts-de-Seine, des Yvelines, de Seine-et-Marne, du Val-de-Marne, du Loiret et de l'Eure-et-Loir.
Ainsi, même si l'on a pu constater, au cours de la période récente, l'ouverture à des tiers de capacités de stockage au nord et au sud de la région parisienne, les dépôts de la CIM constituent un outil logistique d'une importance significative pour de nombreux distributeurs et le fonctionnement du marché serait altéré si la disponibilité de ces dépôts n'était plus assurée.
Le dépôt de Saint-Pierre-des-Corps est utilisé par une dizaine de distributeurs. Il enregistre un volume d'activité (785 885 m3 en 1996) qui correspond à près de 19 fois les capacités disponibles, ce qui est tout à fait exceptionnel pour un dépôt pétrolier. Les volumes distribués à partir de ce dépôt représentent l'équivalent de la consommation annuelle de carburants et de fioul domestique du département d'Indre-et-Loire. Les distributeurs indépendants ont réalisé 58 % de ce volume, soit un pourcentage supérieur à leur part de marché, qui est de l'ordre de 50 %. Cela montre que ces opérateurs n'ont pas de solution alternative dans une zone plus large autour du dépôt.
La partie ouest de sa zone de chalandise peut être approvisionnée à partir d'autres dépôts pétroliers où les principaux distributeurs disposent de capacités (La Pallice, Donges, Le Mans...). L'activité du dépôt de Saint-Pierre-des-Corps apparaît néanmoins indispensable aux distributeurs qui exercent leur activité dans cette zone. Elle représente en effet plus de 24 % des carburants et du fioul domestique distribués dans une zone élargie comprenant les départements de l'Indre-et-Loire, du Loir-et-Cher, de l'Indre, de la Vienne, du Maine-et-Loire et de la Sarthe, alors que les dépôts de distribution correspondent généralement à une fraction beaucoup plus réduite du marché local. Ceci montre qu'il n'existe pas, dans la zone desservie par ce dépôt, d'outil logistique offrant de réelles possibilités alternatives aux distributeurs concernés. Les conditions de fonctionnement de ce stockage présentent donc un intérêt déterminant pour le fonctionnement du marché dans la zone concernée.
Le dépôt de Bouchemaine, en revanche, qui n'est pas desservi par oléoduc, présente un moindre intérêt commercial. Son trafic (51 000 m3 en 1996) est faible au regard de la capacité de stockage, qui est actuellement loin d'être utilisée en totalité.
Par lettres du 24 décembre 1997, les sociétés SOGELFA et CNN se sont engagées en se portant fort pour la société CIM, à des cessions d'actifs et à la mise en œuvre de mesures de nature à garantir le maintien d'un accès équitable des opérateurs aux dépôts pétroliers de la CIM, ce qui permet de résoudre les problèmes de concurrence consécutifs à la présente opération sur les marchés susvisés. Ainsi, après examen de ce dossier, et compte tenu des engagements pris par les parties, je vous précise qu'il n'est pas dans mon intention de saisir le Conseil de la concurrence de ce dossier.